Interview de M. Alain Madelin, ancien ministre de l'économie et des finances et président du mouvement Idées Action, dans "Le Journal du Dimanche" du 26 novembre 1995, sur la notion "d'ascenseur social", l'égalité des chances et les syndicats.

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Circonstance : Publication aux éditions Robert Laffont du livre de M. Alain Madelin "Quand les autruches relèveront la tête", novembre 1995

Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q. : Dans votre livre vous expliquez que vous avez profité de ce fameux ascenseur social qui ne fonctionne plus. D’où venez-vous ?

R. : C’est vrai : je suis un pur produit de cet ascenseur républicain. Mon père était O.S. chez Renault et mes parents se sont rencontrés à l’université ouvrière du Front Populaire. Mais aujourd’hui la société s’est rétractée, la promotion sociale diminue.

Je suis partisan depuis toujours d’une société qui fait la plus large part à la liberté et à la responsabilité personnelle. Mais la liberté engendre des inégalités parfois choquantes. C’est pourquoi j’ai toujours associé l’idée de liberté à un combat permanent pour l’égalité des chances. Il faut une action forte pour favoriser la mobilité sociale, remettre toujours en cause les privilèges qui par nature, tendent à se reconstituer.

Q. : Souvent ceux qui ont réussi par eux-mêmes pensent que ceux qui n’y arrivent pas sont « fainéants ». C’est votre avis ?

R. : Sûrement pas. Car les chances ne sont pas les mêmes pour tous. Mais il y a des sociétés qui ouvrent plus ou moins l’éventail de ces chances. Je crois pour ma part à une société qui favorise cette promotion par le travail, le mérite et l’effort.

Q. : Quelle a été votre chance ?

R. : Sans doute, celle d’avoir grandi à une époque qui offrait aux parents les plus modestes de meilleures chances d’« élever » leurs enfants, c’est-à-dire de leur donner une situation meilleure que celle qu’ils avaient connue. Ma génération a le devoir de ne pas bloquer les places et de renvoyer l’ascenseur. Le devoir aussi de cesser de vivre à crédit en faisant des dettes que devront rembourser les générations futures.

Q. : On parle là de promotion individuelle, pas collective ?

R. : Il ne s’agit pas de donner des chances de réussite à quelques-uns au détriment du plus grand nombre mais de multiplier les chances de tous. Je suis aussi l’héritier de cette culture de la promotion collective ouvrière, celle où l’on cherchait des règles du jeu qui permettraient de donner « à chacun sa chance ».

Q. : Vous avez quitté le gouvernement pour avoir osé dire que les fonctionnaires étaient avantagés en matière de retraite. Quand Alain Juppé souhaite aujourd’hui aligner leurs cotisations sur celles du privé, vous souriez ?

R. : Provocation en août, proposition en novembre ! En réalité, je n’ai jamais voulu dresser une catégorie contre une autre, mais mettre un signe d’égalité entre le public et le privé : à travail égal salaire égal : à retraites égales, cotisations égales.

Q. : On vous a aussi accusé d’avoir agressé les syndicats. Qu’attendez-vous des syndicats ?

R. : Liberté d’entreprise et liberté syndicale sont les deux face d’un même ordre social. Historiquement, ce sont les libéraux qui ont défendu et soutenu la liberté d’association et la liberté syndicale. Mais il ne faut pas confondre le rôle des syndicats et celui du gouvernement.

Le domaine d’action privilégié des syndicats, c’est celui de la politique contractuelle, où l’association des salaires permet de rétablir une certaine égalité des forces dans la discussion avec le patron. C’est un rôle utile à condition toutefois de ne pas abuser de position dominante pour tirer des avantages au détriment d’autres catégories. A condition aussi d’éviter les risques de corporatisme et de politisation.

Q. : Dans votre livre vous présentez vos valeurs : « Je crois à la liberté et à l’initiative : je crois à l’égalité devant la loi, à l’égalité des chances » Pas à la fraternité » ?

R. : La fraternité est plus qu’une valeur, c’est un devoir. Et je parle dans mon livre de ce nécessaire supplément d’attention envers ceux qui à un moment donné sont plus fragiles que les autres. Je l’illustre notamment au travers de ce que j’ai appelé le devoir national d’insertion et de formation des entreprises.

Je développe dans ce livre beaucoup de propositions pour l’emploi, car élargir le nombre de places disponibles c’est encore le meilleur moyen de combattre cette lutte des places qui s’installe au cœur de notre société et qui favorise le repli égoïste des individus et des catégories sociales.

Q. : Vous voulez faire dites-vous de la « politique autrement ». Vous n’êtes pas le premier. Qu’est-ce qui vous distingue d’une Martine Aubry qui crée une fondation de lutte contre l’exclusion pour faire de la « politique autrement » ?

R. : Je pense qu’il existe une coupure entre les appareils politiques, les Français et la vie réelle de la société. C’est pour cela qu’il y a un peu plus d’un an j’ai fondé le mouvement Idées Action qui agit au cœur de la majorité présidentielle mais qui réunit aussi des hommes et des femmes de terrain qui n’auraient jamais adhéré à un parti politique. Je trouve (...) que chez les socialistes certains partagent le même désir d’ouverture de la vie politique.

Q. : Pas une interview d’Alain Madelin actuellement sans qu’on lui demande s’il sera le prochain Premier ministre. Pourquoi ?

R. : Demandez à ceux qui posent la question ! A travers ce livre je ne cherche pas un poste mais je cherche à présenter en ces temps de déprime une vision optimiste de ce que pourrait être l’avenir de notre pays. J’essaye de rendre les réformes nécessaires attrayantes, de montrer concrètement comment nous pourrions les mettre en œuvre. Bref, je cherche, comme cela a été dit pendant la campagne présidentielle, à rendre possible ce qui est nécessaire.

 

Quand les autruches relèveront la tête d’Alain Madelin, Robert Laffont, 210 pages, 98 F.