Interview de M. Charles Millon, ministre de la défense, à RTL le 28 septembre 1995, sur le sort des pilotes français abattus en Bosnie et le rôle de la France et des États-Unis dans les négociations entre les trois pays belligérants.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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M. Cotta : Les prisonniers français détenus par les Serbes sont vivants. Vous avez confirmé cette information après la publication de ces photos. Pourquoi avoir tenu leurs noms cachés depuis si longtemps de manière à risquer une fuite ?

C. Millon : Le ministère de la Défense a eu confirmation que les pilotes avaient été pris vivants par les Bosno-Serbes assez rapidement et immédiatement, la présidence de la République, le Gouvernement, le ministère de la Défense, ont engagé des négociations... pas des négociations... ont pris des contacts pour demander que ces pilotes soient traités conformément aux conventions internationales et que les pilotes soient libérés prochainement. Le président J. CHIRAC a eu plusieurs fois au téléphone le président MILOSEVIC, le président de la Serbie, pour lui demander de veiller à la bonne santé et à la bonne tenue des prisonniers. Le président MILOSEVIC s'est porté responsable de la vie et de la santé de nos pilotes. Aujourd'hui que des photos ont été vendues par une agence de presse, nous avons jugé utile de faire connaître les noms des prisonniers aux Français et nous leurs faisons savoir que nous mettons tout en œuvre pour que ces pilotes soient maintenant libérés.

M. Cotta : Quelles mesures ont été prises pour les sauver ? Les mêmes que pour le pilote américain ? Elles ont échoué ?

C. Millon : Bien sûr que je le confirme ! Dès l'intervention de l'incident, dès l'éjection des pilotes de leur avion, il a été décidé, par OTAN interposé, d'engager des opérations de récupération. En effet, les pilotes avaient une balise qui émettait et nous savions donc où ils étaient géographiquement. Nous savions ou ils étaient géographiquement et trois opérations ont été lancées, dont deux ont dû être écourtées pour des raisons de météo, la troisième a démontré à l’évidence que les pilotes étaient prisonniers puisque les hélicoptères ont été accueillis par des tirs nourris, et c'est là où on a engagé un certain nombre de contacts pour que ces pilotes soient traités normalement et humainement.

M. Cotta : Comment les photos des militaires français sont-elles parues dans la presse ? Cela ne vous choque pas ?

M. Millon : Nous sommes dans un monde médiatique et de liberté de la presse, ce n'est pas aux pouvoirs publics à porter, dans ce domaine-là, des jugements ni des contraintes. Simplement, nous souhaitons que la liberté individuelle soit respectée et c'est la raison pour laquelle nous avons tout mis en œuvre pour que les familles soient prévenues et nous avons demandé aux Serbes de Belgrade de tout mettre en œuvre pour garantir la sécurité de nos prisonniers.

M. Cotta : Les États-Unis ont été le grand organisateur des accords entre les trois communautés de l'ex-Yougoslavie. Comment expliquez-vous que l'Europe, et spécialement la France, soit absente de ces négociations ?

C. Millon : La France n'est pas absente, les États-Unis, actuellement, organisent une négociation entre Serbes, Croates et Bosniaques, mais la décision est prise – comme vous avez pu le constater – ensuite par le Groupe des cinq au niveau des propositions définitives. Dans cette cour des cinq, il y a la France...

M. Cotta : Vous trouvez que c'est suffisant ?

C. Millon : Le problème n'est pas de suffire ou pas, c'est de trouver une solution qui soit pérenne et qui permette de rétablir la paix. Le processus de paix a été engagé en Bosnie grâce à la détermination de la fermeté du gouvernement français et du président de la République française...

M. Cotta : Raison de plus pour s’étonner que la France n'y soit pas...

C. Millon : Mais nous sommes présents dans les négociations ! H. de CHARETTE est actuellement à New York et il suit toutes les négociations qui ont lieu pour définir ce plan de paix. Simplement, c'est vrai que ce sont les diplomates américains qui sont devenus un peu les chefs d'orchestre de l’opération étant donné d'abord leur poids, leurs contacts et leur pouvoir de coordination. Mais la France est présente dans cette négociation.

M. Cotta : Vous avez présenté votre budget devant la commission de la Défense, avec un axe essentiel : des économies sur l’équipement. Le Rafale, le Charles-de-Gaulle, les livraisons du char Leclerc sont donc reportées : décalés ou arrêtés ?

C. Millon : Pour juger le projet de budget 1996 de la Défense, il convient de retenir deux choses : la France a à faire face à une situation financière très difficile. La dette de la France est de 3 300 milliards de francs. Chaque année, il y a 400 milliards qui se rajoutent à cette dette. Il est absolument indispensable que tous les départements ministériels, y compris la Défense, fassent un effort pour pouvoir alléger cette dette et permettre à notre pays de retrouver un espace d'initiative. Deuxième raison : le gouvernement s'est engagé dans une réforme de l'État. Le ministère de la Défense est le premier à engager une réflexion de fond par un comité stratégique qui a été mis en place et qui réfléchit actuellement à la nouvelle politique de dissuasion, la nouvelle politique en matière d'armée, armée de métier, industrie de l'armement... C'est la raison pour laquelle le budget présente est un budget rigoureux.

M. Cotta : Votre budget réalise le tiers des économies globales.

C. Millon : Dans la première partie. Dans le budget rectificatif, nous avons fait plus du tiers des économies globales. Là, c'est le budget 96 : nous faisons une part des économies, c'est-à-dire 10-12 %. Mais nous voulons préserver l'avenir, permettre à notre budget de laisser la possibilité au gouvernement de prendre des décisions en matière de dissuasion, d'armée et d'industrie d'armement.

M. Cotta : Le prochain tir nucléaire est-il imminent ?

C. Millon : Le prochain tir nucléaire aura lieu avant le 31 mai prochain. Les essais nucléaires se produiront quand ils doivent se produire.