Texte intégral
Date : vendredi 10 novembre 1995
Source : RTL
M. Cotta : Votre commentaire sur le remaniement ?
P. de Villiers : Il faut regarder l’avenir : je suis comme beaucoup de Français très inquiets. Je souhaite que ce gouvernement entreprenne le travail de fond que les Français attendent, c’est-à-dire tailler dans les dépenses de la machine administrative, arrêter la politique d’argent cher, arrêter l’immigration, libérer l’école et sauvegarder notre avenir par une grande politique familiale, par exemple.
M. Cotta : L’éviction des femmes dans le remaniement ?
P. de Villiers : C’est la responsabilité d’A. Juppé. Il a pratiqué le principe du naufrageur : « les femmes et les enfants dehors ». Baroin, le plus jeune ministre, Mme Hubert et les autres.
M. Cotta : Ça ressemble aux Guignols de l’Info ce que vous dites !
P. de Villiers : Ça ressemble à une réflexion qu’on peut se faire sur un certain amateurisme. D’abord, on ne prend pas de femmes dans un gouvernement parce que ce sont des femmes, mais parce qu’elles sont compétentes. Il est vrai qu’on peut regretter cette grande journée médiatique d’avant-hier où on a le matin un Premier ministre qui annonce sa démission et le soir même un Premier ministre, le même, qui annonce sa rémission.
M. Cotta : Comment pouviez-vous attendre un changement complet de politique à partir du moment où J. Chirac avait réaffirmé son attachement au franc fort, à la monnaie unique et à l’axe franco-allemande ?
P. de Villiers : Il y a deux choses : il faut non seulement faire baisser les déficits ; pour cela, il faut baisser les dépenses publiques, non augmenter les impôts, car il y a deux manières de faire baisser les déficits : soit faire baisser les dépenses publiques, soit en augmentant les impôts. La deuxième chose, c’est que la France, sans que le peuple français soit au courant, est en train d’adopter aujourd’hui le principe de la monnaie unique, qui n’est pas une commodité monétaire, mais une utopie destructrice. La monnaie unique détruit, est en train de casser l’économie française. Elle transfèrera tous nos pouvoirs de décision à Francfort en 1999 entre des mains irresponsables. Elle risque de casser l’Europe. Je pense aux producteurs de fruits et légumes : il faut qu’ils sachent que l’Italie et l’Espagne ne seront pas dans le cadre de cette monnaie unique.
M. Cotta : J. Chirac n’est-il pas en train de réussir son coup : faire baisser les taux en réaffirmant sa politique de franc fort ?
P. de Villiers : On constate aujourd’hui que la Banque de France indépendante mène sa propre politique. Les ministres successifs sont obligés d’aller jouer de la mandoline sous les fenêtres du gouverneur de la Banque de France.
M. Cotta : En l’occurrence, ça marche !
P. de Villiers : Au jour le jour, ça baisse, ça monte. Mais globalement, hélas, la France a des taux absolument prohibitifs qui pénalisent et asphyxient la trésorerie de toutes nos entreprises et le crédit des particuliers. Or demain, ce sera pire : ce ne sera plus sous les fenêtres de M. Trichet qu’il faudra aller jouer de la mandoline, c’est sous les fenêtres de M. Tiettmeyer à Francfort. La France n’aura plus aucune possibilité d’ajustement dans sa politique budgétaire, dans sa politique fiscale, dans sa politique monétaire, dans sa politique sociale tout court.
M. Cotta : F. Léotard a jugé hier que le deuxième gouvernement Juppé ne serait pas en mesure de mener la bataille des législatives en 1998 et qu’il faudrait donc le changer à nouveau.
P. de Villiers : Ce n’est pas un problème d’hommes. Il y a des hommes talentueux dans ce gouvernement. C’est un problème de ligne, de vision. D’ailleurs, M. Léotard et M. Juppé ont exactement la même vision : c’est la vision d’une France qui se fonderait dans un ensemble européen et qui ferait de la France un protectorat monétaire allemand. La question est de savoir quelle politique on fait pour redresser notre pays. Il faut vraiment faire pour la machine administrative de l’Etat et de la Sécurité sociale ce qu’on exige de chaque Français aujourd’hui : des efforts. Il faut qu’on résolve tous les grands problèmes, l’école, le système audiovisuel qui connaît une dégradation absolument incroyable sur le plan moral de l’esprit public. C’est une télévision de violences, voire de pornographie.
M. Cotta : Vous mélangez un peu tout. Sur la Sécurité sociale, quelles dépenses d’abord réduire ?
P. de Villiers : La réforme qui nous est proposée dans ses grandes lignes. Elle est très simple : le prélèvement sur les actifs sans autre logique que de boucher un trou sans fond. On ne touche pas aux dépenses aux coûts de gestion et on fait pire puisqu’on s’apprête, si les familles ne réagissent pas, à porter une atteinte mortelle à la politique familiale. Ce que je propose, c’est d’instaurer une taxe différentielle sur les importations de produits sans protection sociale ; faire baisser les coûts de gestion, comment faire diminuer l’absentéisme dans les caisses de Sécurité sociale, repartir avec un principe : une embauche pour deux départs à la retraite pour les 400 000 agents de toutes les caisses ; réintroduire le principe de la responsabilité, faire gérer les caisses par les assurés sociaux ; arrêter la pompe aspirante de l’immigration illégale qui nous coûte très cher.
M. Cotta : Faut-il priver les plus riches d’allocations familiales ?
P. de Villiers : La politique familiale sociale telle qu’elle a été voulue par le général de Gaulle : c’est une politique de compensation de la perte de pouvoir d’achat lorsqu’on a des enfants. Ce sont les enfants, les familles qui ont des enfants qui assurent l’avenir des retraites. Il ne faut donc pas non plus confondre la politique sociale et la politique familiale. Ce serait une erreur et ce serait une grave injustice. D’ailleurs, si on faisait cela, les seuls bénéficiaires seraient les familles étrangères établies sur notre territoire. Il faut au contraire développer une politique familiale dans le sens de ce qu’avait d’ailleurs dit le président de la République lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle et qu’il avait promis le salaire parental. S’il y a bien une dépense à faire aujourd’hui, ce n’est pas l’allocation dépendance, c’est le salaire parental.
M. Cotta : La proposition de loi de P. Mazeaud sur la législation des abus de biens sociaux vous a paru une amnistie déguisée : pourquoi ?
P. de Villiers : Parce que, par définition, l’abus de biens sociaux est constitué par des montagnes qui sont tenus secrets, loin de la justice, avec toutes sortes de fausses factures dissimulées et de comptabilités truquées. Il ne faut donc pas toucher aux principes mêmes de l’abus de biens sociaux. Laisser faire la justice et éviter de donner le sentiment que les socialistes ont donné trop longtemps de vouloir répondre à une sollicitation pressante de quelques responsables politiques qui pourraient aujourd’hui ou demain être inquiétés par la justice. Je dis non à l’amnistie déguisée. Laissons faire la justice et donnons-lui les moyens de son indépendance.
Date : 15 novembre 1995
Source : Le Figaro
Le Figaro : Le contenu de la réforme de la Sécurité sociale sera dévoilé cet après-midi par Alain Juppé. La concertation a-t-elle, selon vous, porté ses fruits ?
Philippe de Villiers : Au fil des jours, Alain Juppé incarne une nouvelle caste idéologique : la social-technocratie, c’est-à-dire une droite technicienne qui socialise la société française. Dans le domaine de la Sécurité sociale, on fait du « Rocard bis ». La France s’enfonce. Les Français sont dans un bateau. Plutôt que d’écoper, on bouche les trous dans la coque, on colmate avec des plaques de plomb, et ce faisant, on coule le bateau. C’est ce qu’on pourrait appeler « le naufrage étanche ».
La méthode Juppé consiste à augmenter les impôts sans toucher aux dépenses. C’est vrai pour le budget de 1996, qui prévoit de recruter 3 000 fonctionnaires et d’augmenter les dépenses publiques de 3,9 %. C’est vrai aussi pour le déficit de la Sécurité sociale. On ne parle que d’augmenter les impôts sans rechercher la moindre économie de gestion, ce qui nous conduit inexorablement à un niveau de prélèvements obligatoires supérieur à 45 %, le plus fort taux d’Europe ! On n’a pas mis la droite au pouvoir pour inventer un impôt par trimestre !
Le Figaro : Que proposez-vous ?
P. de Villiers : Je propose de maîtriser et de réduire les coûts de l’assurance-maladie par l’introduction de la concurrence entre les caisses, comme l’ont fait avec succès les Allemands. Je refuse la voie empruntée par le gouvernement, qui va porter atteinte à la médecine libérale.
Il faut aussi faire baisser l’absentéisme, qui est deux fois plus élevé à la Sécurité sociale que dans le secteur privé, appliquer le principe d’une embauche pour deux départs à la retraite, et restituer aux assurés la gestion des caisses, kidnappée par la bureaucratie syndicale : il n’y a pas eu d’élection à la tête des caisses depuis douze ans. C’est la seule façon de faire baisser les coûts de gestion. Il faut enfin arrêter la pompe aspirante de l’immigration clandestine et illégale. Sachez qu’il manque aujourd’hui huit milliards dans nos caisses, à cause du non-respect des accords bilatéraux avec les pays du Maghreb.
J’ajoute que le gouvernement s’apprête à porter une atteinte mortelle à toute politique familiale. J’invite toutes les associations familiales à se faire entendre. Et j’en appelle aussi à tous les députés : ceux qui voteront la réforme, dans son esprit actuel, le paieront de leur mandat aux législatives de 1998.