Texte intégral
Les cadres existent-ils encore ? Sont-ils une spécificité française, de surcroît en voie de disparition en raison des évolutions complexes et rapides de notre société ?
La solution de l'équation n'est pas évidente.
En effet, s'intéresser aux cadres conduit à soulever de nombreuses questions juridiques, sociologiques, psychologiques et culturelles, sans oblitérer le regard que peuvent porter sur ce groupe social les entreprises, les hommes politiques, les syndicalistes, les sociologues et les cadres eux-mêmes. Si l'on prête attention aux propos des uns et des autres, la perception du cadre n'est pas uniforme ; au contraire elle donne lieu à des opinions diversifiées.
Cette vision multiforme est à l'image des mutations qui transforment la société. Nous quittons une civilisation marquée du sceau de la matière pour entrer dans une civilisation placée sous le signe de la matière grise et de la relation. C'est là un mouvement mondial et irréversible, lié notamment aux technologies de l'information et de la communication, d'autant plus difficile à appréhender et à comprendre que nous sommes contraints de réagir vite et de nous adapter rapidement sans être certains d'opérer les bons choix.
Il en résulte une métamorphose du cadre qui s'appuie sur deux réalités incontestables tout en suscitant une interrogation, source de controverses.
La première réalité est indéniablement la transformation du monde des cadres. Organisation matricielle, raccourcissement des lignes hiérarchiques, complexité de l'économie, allégement des charges sont autant d'éléments qui expliquent cette réalité. Par ailleurs, les cadres découvrent la relativité de leur importance puisqu'ils sont de plus en plus nombreux et la fragilisation de leur emploi puisque leur statut a perdu de sa nature protectrice. En même temps, l'entreprise attend d'eux davantage de disponibilité; surtout, elle exige une capacité d'autonomie, un esprit d'initiatives, un goût du risque, en un mot la responsabilité.
Tout naturellement, deuxième réalité, l'espace statutaire des cadres se trouve bousculé. Dans un monde où l'intelligence est à l'âge de la communication ce que le gaz, le charbon, l'électricité, le pétrole furent à l'âge industriel, il en découle une élévation des qualifications à entretenir constamment. Le savoir devient alors un bien partagé contribuant ainsi à l'émergence d'un salariat intelligent. Le caractère élitiste du cadre s'estompe car les frontières statutaires d'hier, qui répondaient à une logique d'organisation taylorienne, n'apparaissent plus aujourd'hui aussi pertinentes dans des structures très décentralisées.
Doit-on alors en conclure, interrogation très controversée, que l'identité spécifique du cadre s'éteint ? Face à ce mouvement d'homogénéisation des compétences, certains en déduisent que le statut cadre a vécu. C'est là méconnaître que la responsabilité ne se situe pas sur un encéphalogramme plat. Conscients que l'égalité statutaire conduirait de fait à une dilution des responsabilités, d'autres observateurs adoptent une position plus nuancée. Par là même, ils reconnaissent qu'il serait absurde de vouloir confondre le contenu du statut, appelé à évoluer, avec le concept dont la valeur socioculturelle reste très prégnante auprès des cadres et auprès de ceux qui aspirent à l'être.
Ainsi que l'affirmait Winston Churchill, l'avenir appartient aux empires de l'esprit. C'est pourquoi, soucieuse d'apporter sa réflexion à un débat de fond sur l'avenir du monde salarial, la CFE-CGC a organisé un colloque dont les tables-rondes ont permis d'ouvrir des perspectives et de faire émerger les pistes d'une nouvelle génération de cadres.