Extraits de l'interview de M. Hubert Vedrine, ministre des affaires étrangères, à France-info le 2 octobre 1998, sur la résolution 1199 du Conseil de sécurité de l'ONU concernant le Kosovo, les exigences du Groupe de contact et la préparation d'une éventuelle opération militaire.

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Média : France Info

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Question : Un massacre de plus le week-end dernier au Kosovo. Hier soir, le Conseil de sécurité de l'ONU a une fois de plus condamné la Serbie. Les éléments sont-ils réunis maintenant pour une intervention militaire de l'OTAN ?

Réponse : Cela fait plusieurs mois que nous sommes saisis de cette crise au Kosovo, depuis le mois de mars exactement. Il y a plusieurs mois que le groupe de contact et le Conseil de sécurité se sont saisis de ce sujet. La semaine dernière, à New York, le Conseil de sécurité a adopté une résolution 1199 qui exige un certain nombre de choses très précises sur ce massacre. Du reste, ce n'est pas le problème puisque de toute façon, la situation est intolérable. La situation humanitaire est extrêmement grave, l'hiver s'approche. Quant aux négociations politiques, elles n'en finissent pas de commencer ou de ne pas commencer. Il devient maintenant indispensable et urgent de montrer notre détermination qui est entière sur ce plan. Nous voulons obtenir, d'une façon ou d'une autre –—c'est-à-dire que tous les moyens sont concevables, toutes les options sont ouvertes –, une solution car cette affaire du Kosovo, tant qu'elle n'est pas résolue, est une sorte d'abcès dans cette partie de l'Europe.

Question : Dans le cas d'une intervention militaire, un vote supplémentaire au Conseil de sécurité serait-il nécessaire pour déclencher les frappes de l'OTAN ?

Réponse : C'est une question qui n'est pas clairement tranchée, mais qui le sera dans les tout prochains jours puisque nous attendons maintenant un rapport du secrétaire général des Nations unies sur la situation, après le vote de la résolution 1199 qui, pour la première fois, était placée dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies autorisant l'emploi de la force. Vraisemblablement, cette discussion aura lieu en début de semaine. C'est à partir de ce moment-là que nous saurons dans quelle situation nous sommes.

Question : Quand vous dites que la question du vote n'est pas tranchée, ne souhaitez-vous pas, à tout prix, inclure la Russie dans la prise de décision, si intervention militaire il y a ?

Réponse : Il est clair que nous aurons beaucoup plus de poids. Nous serons beaucoup plus efficaces pour régler la crise immédiate et le problème de fond, tout en maintenant notre cohésion dans l'affaire de la Bosnie-Herzégovine qui est connexe, si nous continuons à progresser ensemble. C'est un impératif géopolitique d'avenir. Il y a les accords de Dayton-Paris qui ont finalement mis fin à la question bosniaque, même si cela n'a pas tout résolu. Ces accords reposent aussi sur une coopération pleine et entière de la Russie.

Question : Si elle met un veto, pourra-t-on se passer d'elle ?

Réponse : Nous n'en sommes pas là. Je ne sais pas si nous aurons à faire cette démarche. Je ne sais pas ce que fera la Russie, l'essentiel n'est pas de se laisser enfermer maintenant dans des questions qui sont, pour le moment des spéculations. L'essentiel est d'avancer et de garder la cohésion que nous avons rétablie avec la Russie la semaine dernière à New York. La Russie a voté la résolution, elle est dans le groupe de contact et elle participe pleinement à ce travail de pression sur les autorités de Belgrade et de mise en garde. (…)

Question : Le président Miloševic a-t-il encore une marge de manoeuvre ? Peut-il empêcher les frappes aériennes ? Que faudrait-il qu'il fasse maintenant ?

Réponse : Naturellement. Il peut répondre aux demandes, aux appels, aux exigences du groupe de contact qui ont été lancés depuis le début du mois de mars. Il y a trois choses :

- arrêt de la répression : il y a l'arrêt de la répression, même si c'est en réponse à des provocations. Cela veut dire qu'il doit, au minimum, regrouper, et mieux encore, retirer les forces de répression ;
- aide humanitaire : cela veut dire d'autre part que, sur le plan humanitaire, il faut permettre un accès à grande échelle, et avec de grands moyens, aux populations déplacées ou réfugiées dès lors que l'hiver approche ;
- négociations politiques (autonomie du Kosovo) : cela veut dire, enfin, que sur le plan de la négociation politique, il faut mettre sur la table une vraie proposition à propos de ce que nous cherchons, c'est-à-dire l'autonomie du Kosovo.

Question : Belgrade invite M. Kofi Annan à se rendre au Kosovo. Y a-t-il encore place pour ce genre de mission de dernière heure qui lui avait si bien réussi à Bagdad ?

Réponse : Cela avait bien réussi à Bagdad parce qu'il y avait une combinaison de facteurs qui était la menace de l'emploi de la force – notamment par les États-Unis – une activité diplomatique française très développée et l'investissement personnel de M. Kofi Annan qui a pu aboutir parce qu'il a eu en face de lui, à ce moment-là, un Tarek Aziz, prenant des engagements au nom de l'Irak qui n'avaient pas été pris auparavant.

Question : Ces facteurs sont-ils réunis ?

Réponse : Ils ne le sont pas aujourd'hui, à la minute où nous parlons. Peuvent-ils l'être ? Bien sûr, je ne peux que le souhaiter. Mais, le seront-ils ? Je ne peux pas le prévoir à ce stade. Pour le moment, la priorité du travail de M. Kofi Annan est d'établir un rapport équitable, complet et véridique sur la situation. (…)

Question : Le compte à rebours déclenché, c'est une échéance de 8 à 10 jours environ pour qu'une décision soit prise. La semaine prochaine ?

Réponse : On ne peut pas dire exactement les choses comme cela. Tout a été préparé sur le plan technique et militaire pour savoir ce qu'il faut faire si nous devons en arriver là.

Il faudra une décision politique ultime naturellement car ce ne sont pas des automatismes, ce ne sont pas des bureaucraties, des technocraties, fussent-ce celles de l'OTAN qui peuvent décider des conditions et du moment. C'est une décision politique. La seule date précise à ce stage, c'est qu'en début de semaine, le Conseil de sécurité écoutera le rapport du secrétaire général sur la situation. Après on verra, cela dépend de ce qu'il dira.

Question : Tout dépend à chaque fois de la détermination de Washington. Si Washington veut y aller, les alliés y vont aussi ?

Réponse : Non, cela ne se présente pas comme ça. C'est une véritable discussion collective. Par exemple, depuis le début de l'été, ce sont la France et la Grande-Bretagne – et pas d'autres pays – qui voulaient que l'on vote cette résolution 1199 invoquant le chapitre VII. Au sein de l'OTAN, depuis plusieurs semaines, ce sont les États-Unis et la France qui ont demandé des études complètes, détaillées, couvrant tous les cas de figures. Tout dépendra aussi de la réponse des autorités de Belgrade. Elles peuvent répondre, apporter un élément nouveau qui change la situation si elles le veulent. Elles peuvent participer à l'élaboration de cette nouvelle situation. Cela dépendra de chacun des autres membres du groupe de contact. Chaque pays joue son rôle pleinement.