Interview de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, accordée à la presse américaine le 9 octobre 1995, notamment sur l'aide américaine à l'Afrique, la politique de coopération française, la démocratisation de l'Afrique et l'intervention française aux Comores.

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Circonstance : Rencontre du G7 (Groupe des Sept) à Washington (Etats-Unis) le 9 octobre 1995

Média : Presse étrangère

Texte intégral

Je vous remercie d'être venus ce matin. C'est le ministre français de la Coopération qui, pour la deuxième fois en un mois, vient au États-Unis. La première fois, aux Nations unies, à New-York, et aujourd'hui, à l'occasion de la rencontre du G7, à Washington. Il y a quelques jours c'était à la CNUCED que le gouvernement français, par ma personne, faisait une déclaration importante, sur un sujet important, les PMA, puisque la France joue un rôle assez particulier dans les rapports économiques, financiers, avec ces pays, et je crois que le discours que nous avons tenu aux Nations unies, à la CNUCED, a été particulièrement apprécié. Et aujourd'hui, il y a donc un comité de développement. C'est le moment donc de faire le point sur les relations entre la France et ses partenaires du G7, mais aussi ses partenaires africains particulièrement, sur le devenir de ce continent. Ce que je voudrais en particulier, à travers vous ce matin, c'est m'adresser à l'opinion publique américaine, aux hommes politiques américains, pour leur dire que le continent africain n'est pas un continent de catastrophes, n'est pas un continent de maladies, mais c'est un continent qui, certainement, jouera, au 21ème siècle, un très grand rôle. Plusieurs points forts le prouvent, dès aujourd'hui. D'abord, les pays de notre champ, de la zone franc, ont accepté les pratiques, les contraintes très rigoureuses, que leur posent les organisations de Bretton Woods aujourd'hui. Nous étions à Bamako il y a huit jours, et l'ensemble des ministres des Finances de la zone franc a fait un exposé tout à fait exemplaire de ce que des pays, aujourd'hui, doivent faire en matière de gestion. Cette attitude a été remarquée par tous les observateurs. Il y a un véritable changement, très profond, presque culturel dans ces pays pour rejoindre les préceptes des institutions de Bretton Woods. C'est un exemple qu'il convient d'encourager et au-delà. Il n'est pas du tout dans mon rôle d'entrer à l'intérieur de la politique américaine, et je me garderai d'intervenir en quoi que ce soit dans le les relations internes à la politique américaine. Toutefois, sur le chemin d'Halifax, le Président Chirac a pu conserver avec des parlementaires américains, et il s'est aperçu que le principal frein au développement de l'aide provenait du parlement américain. Au point que sur le budget 96, des mesures très restrictives sont prévues par la Chambre des Représentants, par le Sénat. La diminution de l'aide qui ira, selon les zones de l'Afrique, de 15 à 30 %, à peu près, et même allant jusqu'à la fermeture de certaines Ambassades, comme les Seychelles et la Guinée Équatoriale, sont des symboles d'un retrait. La France qui est au sein du G7 le pays qui, en pourcentage, a l'apport le plus important au développement – 0,64% de son PIB – la France ne peut pas rester insensible à une telle attitude. Pour terminer mon petit point introductif, je voudrais dire que, hélas, ce n'est pas un mouvement strictement américain, mais nous retrouvons des signes de ce désengagement, y compris à l'intérieur de la CEE, notamment des pays du Nord, qui ont peut-être d'autres préoccupations temporaires, soit vers l'Est du continent européen, soit des préoccupations strictement budgétaires ou financières, et nous estimons, ce que nous disons dans les grands colloques internationaux, comme le sommet de Pékin sur les femmes, organisé par les Nations unies, le sommet de Copenhague sur le social, ne peuvent pas rester de simples pétitions d'intentions et de simples discours et, à partir du moment où on se targue de donner, en quelque sorte, des conseils, au reste du monde, il faut que tout cela se traduise par des montants adéquats pour que le discours soit crédible et pris au sérieux.

Q. : Vous avez parlé donc, des défauts, si je comprends bien, des membres du Congrès, mais pas de l'administration en vérité ?

R. : D'abord, je voudrais vous dire que je ne me suis pas permis d'émettre le moindre reproche, donc le mot défaut me semble inadéquat. Je constate. C'est un constat.

Q. : Au-delà, donc, de la constatation, quelle est votre réponse vis à vis de l'administration Clinton ?

R. : J'ai indiqué que je ne me permettrai pas d'entrer dans le débat politique interne aux États-Unis. Mais ce n'est pas entrer dans ce débat que de citer ce que disent aujourd'hui les parlementaires américains qui sont, eux, très restrictifs sur l'aide. Il est vrai que l'Administration du Président ne tient pas le même langage, et je m'arrêterai à cela pour décrire, mais je ne le commenterai pas.

Q. : Les républicains 0nt critiqué l'aide internationale, en disant qu'elle maintenait la dépendance et qu'elle bénéficiait aux élites. L'aide française, en particulier, a été sévèrement critiquée pour avoir été confisquée par les élites et pour avoir permis de garder l'Afrique francophone comme un marché pour les produits français. Je sais que quand on achète des médicaments en Afrique, on paie plus que le prix en France.

R. : Je vous remercie de la franchise de votre question. Si vous voulez bien me permettre d'y répondre avec la même franchise. Tous les ans se tient un sommet franco-africain, qui se tient soit en France, soit en Afrique. Au cours d'un sommet qui a eu lieu à la Baule, en France, il a clairement été dit que la démarche que l'Afrique devait faire dorénavant était une démarche vers la démocratisation. Je voudrais vous rappeler toutefois que les nations européennes ont mis à peu près mille ans pour se constituer. Les démocraties ont mis, en tout cas en ce qui concerne la France, 200 ans pour être instituées – je vous rappelle que les femmes ne votent en France que depuis 50 ans – donc en matière de démocratie, il ne faut pas être, je dirais, trop présomptueux. Nous demandons à ces pays de construire une nation en 50 ans et de construire la démocratie en 10 ans. Nous devons donc être indulgents. Cela n'empêche que nous faisons tous les efforts pour la démocratie. J'ai plusieurs exemples en tête. Lorsqu'il y a des élections, nous sommes les premiers à envoyer des observateurs, comme les États-Unis le font, comme l'Allemagne le fait, comme le Danemark le fait, la Norvège, et nous demandons simplement une chose, c'est que ces observateurs soient, si possible, des élus et non pas des militants d'associations, qui parfois n'ont pas une attitude de neutralité. Vous voyez, je réponds avec la même franchise. Ensuite, je voulais dire que le ministère de la Coopération, qui entretient des relations avec ces pays, est constitué de ce que l'on appelle en français des hommes de terrain. Ce ne sont pas des fonctionnaires d'un seul corps, mais ils proviennent de beaucoup de formations, qui en font des hommes, non pas des hommes strictement de cabinet ou de capitale, mais des hommes de villages et de milieu rural, et ce n'est pas là que se développe le plus, ce que vous appelez la corruption, mais c'est là, au contraire, où se développe le plus l'action de proximité. Si jamais vous retombez malade en Afrique, je souhaite que ce soit le plus tard possible, quand des laboratoires français auront construit une usine de médicaments, et nous aidons cela en ce moment, sur place.

Q. : Pouvez-vous nous dire en quoi l'Afrique a changé en dix ans, et pouvez-vous nous dire où vous voyez un espoir pour l'Afrique ?

R. : Pourquoi cet espoir ? D'abord parce que l'Afrique prend conscience qu'elle ne peut pas suivre exactement les mêmes lignes de développement que les pays industrialisés d'aujourd'hui. Je vais prendre un exemple. Nous, pays industrialisés, nous avons, depuis 40-50 ans, suivi les recommandations des experts économiques, nous disant que les concentrations humaines étaient les plus économiques parce que l'on rapprochait l'homme de son site de production, la plupart du temps proche des éléments primaires – de la production d'énergie, des mines. Ce que les experts avaient complètement oublié dans leur analyse, c'est qu'il y avait des coûts induits, nouveaux, inattendus, dans l'hyperurbanisation, que sont la violence dans les banlieues, que sont les populations inadaptées et marginales. Cela avait était oublié dans le chemin de l'urbanisation des années 45-50, et ce qui me rend aujourd'hui optimiste, c'est que l'Afrique a compris, et nous aussi avec elle, que l'aménagement du territoire était une notion liée au développement. Nous avions des craintes vis-à-vis de la dévaluation, et le Président Chirac le premier. Elles se sont exprimées sur plusieurs sujets mais, globalement, nous assistons à une revalorisation, grâce à la dévaluation, des filières agricoles, et on observe aujourd'hui que le paysan africain a une bien meilleure rémunération sur ses productions qu'il n'en avait précédemment, ou que l'homme des villes ne peut en avoir, dans son revenu. Donc notre optimisme est fondé sur de très bons résultats. Le revenu agricole, la croissance, l'inflation, et je pense que cette nouvelle vision que nous avons de la coopération est basée sur des chiffres qui sont réels. Dans la zone franc, aujourd'hui, se trouvent les bons élèves de la gestion.

Q. : Donc la coopération, c'est l'aide ?

R. : Une nouvelle vision, sur les problèmes agricoles. Nous faisons de grands efforts en matière de recherche, sur le coton, l'alimentation.

Q. : Cette nouvelle compréhension, elle a commencé avec la dévaluation du franc CFA ?

R. : Elle a accompagné la dévaluation du CFA. C'est aussi la vision qu'a le nouveau gouvernement français de refaire de l'aménagement du territoire avec la coopération. D'ailleurs c'est une vision qu'a également la banque Mondiale, et sans que nous nous soyons consultés au mois de juin, nous avons tenu, M. Wolfenhson et nous-mêmes, le même langage sur l'aide de proximité. Je vous rappelle qu'une des premières décisions qu'a prise M. Wolfenhson a été de supprimer une aide pour un très très grand barrage au Népal, je crois, et c'était un signe important, et ça s'est passé au même moment où nous-mêmes nous avions une vision plus rurale, je dirais de l'aide. J'ajoute que cela se comprend parce que les résultats de tels investissements arrivent 10-15 ans plus tard, que nous les ignorons, qu'ils ont des impacts écologiques sur l'environnement que nous ignorons au départ, et pour nous c'est un point très important au niveau du gouvernement français que de ne pas rompre les équilibres écologiques dans des pays qui sont fragiles de ce point de vue-là.

Q. : Dans la lettre de mission que vous a adressée M. Juppé au mois de juin, on a parlé d'une réorganisation de la coopération ?

R. : À la création du nouveau gouvernement, au mois de juin, il a d'abord été spécifié que le ministère de la coopération couvrait les 71 pays ACP, plus l'Afrique du Sud. Ça c'est le champ. Ensuite, que nous devions chercher les voies et moyens pour mieux nous rapprocher avec le ministère des Affaires étrangères, ce qui veut dire dans mon esprit, que pour nous c'est une chance de pouvoir travailler avec les affaires étrangères françaises. J'ai bien dit travailler avec, parce que c'est le deuxième réseau diplomatique du monde, pour un pays de 55 millions d'habitants, et c'est important que nous puissions nous appuyer sur une telle organisation. Nous recherchons également des complémentarités. Mais cela veut dire aussi que nous respectons l'idée qu'il y a deux métiers différents, celui de la diplomatie et celui de la coopération. Je redis, dans le personnel de la coopération, il y a de très diverses origines – agronomique, vétérinaire, militaire aussi, économiste, professorale, fonctionnaire des finances, et tout cela fait une richesse d'hommes exceptionnels. Ce n'est pas toujours le cas d'autres ministères en France, donc je crois que nous sommes bien placés pour avoir notre spécificité.

Q. : Au sujet du budget du ministère de la coopération.

R. : C'est en cours de négociation. Je suis mardi, mercredi, devant la commission des Affaires étrangères, c'est moi qui défendrai le budget de la Coopération.

Q. : Est-ce que l'aide n'est pas dérisoire quand on connaît la situation de l'Afrique : accroissement exponentiel de la population, problème de l'environnement ?

R. : Je vais vous surprendre : l'Afrique est vide. C'est un immense continent mais qui a une population qui est très concentrée, et c'est la clé même de ce que j'ai dit tout à l'heure, pour réorganiser le mode de vie, par l'augmentation du niveau de vie, à l'intérieur des terres. Il n'y a rien de pire qu'une bande côtière hyper-urbanisée, avec les drames de l'hyperurbanisation et en accord bien sûr avec les États, nous faisons vraiment de très gros efforts pour que l'aide de proximité soit prioritaire. Ça c'est la première chose. La deuxième chose c'est l'effort pour l'environnement. J'étais en Mauritanie au mois de juillet et nous avons signé un accord pour sauver un des sites les plus riche du monde en patrimoine halieutique, au large de la Mauritanie. Je voudrais dire qu'il allait à l'encontre des intérêts mêmes du Président de la République de Mauritanie et qu'il nous a appuyé contre les propres intérêts de sa famille. Donc l'intérêt général sait l'emporter parfois sur les intérêts particuliers. De même en matière de forêts, de forestation, nous sommes vigilants sur la façon dont ces forêts sont exploitées. De même en matière hydraulique, nous sommes vigilants sur des projets qui sont actuellement en cours, par exemple des vallées fossiles au Sénégal. Nous demandons la plus grande vigilance et l'étude la plus précise qu'il soit en matière d'impact écologique, de même l'aide à la reconstitution de points d'eau dans la vie au Sénégal, qui permette d'envisager une reconquête de certains territoires par les hommes.

Q. : En Côte d'Ivoire, les élections semblent se dérouler dans des conditions très contestables. Qu'est-ce que vous dites aux autorités d'Abidjan ? Au sujet du Rwanda, la politique de la France a été très critiquée par le gouvernement de Kigali. Pourquoi ne pas aider le système judiciaire rwandais ? Ce serait une contribution énorme.

R. : Nous sommes très, très vigilants sur l'indépendance des pays et nous n'aimons pas entrer dans les processus électoraux internes. Nous ne faisons les choses qu'à la demande, nous ne prenons pas les devants, car nous sommes très soucieux du respect de l'indépendance politique des pays. Toutefois c'est vrai que nous aimons les consensus politiques en Afrique et que nous pensons globalement, que dans l'état de développement où est l'Afrique, elle ne peut pas aujourd'hui éternellement gaspiller ses ressources, son énergie, en luttes intestines, mais cela vaut pour l'ensemble des continents, et chaque État fait de ce précepte ce qu'il en veut. Pour le deuxième point, le système judiciaire. Je suis très sensible à cette question parce que le ministère de la coopération français, n'est pas qu'un dispensateur de crédits publics. Si ce n'était que cela, je serais un comptable, je serai le comptable d'une agence, or un ministère a un aspect politique, et cet aspect politique fait que, au-delà des crédits publics, nous sommes en situation de pouvoir plaider la cause de l'Afrique auprès des investisseurs privés. Je vais vous donner trois exemples : lundi dernier, j'étais à Abidjan avec des investisseurs privés du monde entier. Deuxièmement le 30 octobre va se tenir à Paris un colloque sur l'investissement privé en Afrique que nous organisons, et prochainement j'irai en Angola avec des investisseurs privés.

Mais il faut comprendre que les investisseurs privés ont, avant tout, besoin de garanties judiciaires et vous avez tout à fait raison d'évoquer ce sujet, ce qui fait qu'aujourd'hui nous participons financièrement à la formation de magistratures locales, à la formation dans le domaine du droit des affaires, du droit commercial, du droit financier, et cela fixera pour l'avenir un cadre de sécurité pour les investisseurs privés.

Q. : Répondez à ma question au sujet du Rwanda !

R. : Dans le cas du Rwanda nous finançons actuellement une amélioration des moyens de la justice du Rwanda, de manière à ce que l'État de droit l'emporte, et que surtout les prisons puissent se vider par le jugement de ceux qui sont considérés comme fautifs.

Q. : Quelle était la base juridique de l'intervention de la France aux Comores ?

R. : La première, c'est qu'il y a eu une agression extérieure, j'insiste bien là-dessus, agression extérieure. Ce n'était pas un coup d'État intérieur. Deuxièmement, nous avions des accords de défense signés avec ce pays. Et troisièmement, il y a eu la demande expresse des autorités des Comores pour que nous intervenions, puisque, vous le savez, au terme de l'article 27 de la constitution comorienne, lorsque le Président de la République est empêché, c'est le Premier Ministre qui peut s'exprimer au nom des institutions. Quand les trois conditions ont été réunies – l'absence du troisième point explique le fait que le Premier ministre français, dans un premier temps, ait indiqué que nous n'interviendrions pas militairement. La décision a été prise d'intervenir dès lors qu'il y a eu l'appel du Premier ministre Comorien pour que nous intervenions.

Q. : Quelle était la base juridique de l'intervention de la France aux Comores ?

R. : La première, c'est qu'il y a eu une agression extérieure, j'insiste bien là-dessus, agression extérieure. Ce n'étais pas un coup d'État ingénieur. Deuxièmement, nous avions des accords de défense singés avec ce pays. Et troisièmement, il y a eu la demande expresse des autorités des Comores pour que nous intervenions, puisque, vous le savez, au terme de l'article 27 de la Constitution comorienne, lorsque le Président de la République est empêché, c'est le Premier Ministre qui peut s'examiner au nom des institutions. Quand les trois conditions ont été réunies – l'absence du troisième point explique le fait que le Premier ministre français, dans un premier temps, ait indiqué que nous n'interviendrions pas militairement. La décision a été prise d'intervenir dès lors qu'il y a eu l'appel du Premier ministre Comorien pour que nous intervenions.

Q. : Que va devenir le président Djohar ?

R. : C'est un conflit politique intérieur et il est bon que les Comoriens le résolvent entre eux C'est vraiment dans la tradition française comme je l'ai dit tout à l'heure de laisser cc problème se résoudre entre le Premier ministre qui, de facto, le Président étant empêché, a pris les leviers de commande, et le Président, qui a été empêché assez longtemps pour que le pouvoir revienne au Premier ministre. C'est un problème à résoudre entre Comoriens, et nous pensons que le meilleur moyen qu'ils aient de le résoudre, c'est d'aller aux élections.

Q. : Que va-t-il donc se passer ?

R. : Nous sommes intervenus pour remettre le pouvoir aux autorités légales, aux autorités en place. Le Premier Ministre, à cette occasion là – le Président étant empêché- a pris les choses en main. C'est un Premier ministre parfaitement légitime. Il faut rappeler que les Comores, puisque nous sommes intervenus, c'est parce que les autorités comoriennes étaient le fruit d'élections, qui avaient été démocratiquement désignées pour cela. Donc, c'est à une autorité, le Premier ministre, d'organiser les élections, sous contrôle international. M. Djohar pourra soutenir qui il veut, se présenter. C'est leur problème, ce n'est plus notre problème.

Q. : On dit que la France retient Djohar, qu'il est prisonnier.

R. : Non, non. La France est un État de droit, et on ne retient pas les gens prisonniers en France selon la bonne volonté du Prince. Ça c'est une vision monarchique des choses. Je crois que personne au monde ne peut tenter de nous décourager d'aider à des élections, ce serait contraire à notre vocation et à ceux qui nous donnent toujours des leçons de démocratie.

Si Djohar avait été kidnappé, emprisonné, mis sous séquestre, il ne se serait pas exprimé sur deux grandes radios : RFI et France Inter. On n'a jamais vu un prisonnier avoir des micros sous le nez. Il ne faut pas être injuste. En quelques jours, nous avons mis en prison un chef de commando qui fait des coups d'État, et nous avons donné la possibilité à un peuple de s'exprimer démocratiquement. Peut-on rêver mieux ?

Q. : Quels pays sont susceptibles d'aider aujourd'hui l'Afrique ?

R. : Tous les pays qui le veulent bien. Le sommet d'Halifax, que le Président de la République française a très soigneusement préparé sur ce plan-là, en venant exprès préalablement à Washington, pour rencontrer les parlementaires. Mais également la rencontre de Cannes, en France, qui a eu lieu au mois de juin avec nos partenaires européens, a été la démonstration que le gouvernement français n'essaie pas de convaincre que le gouvernement américain. Il essaie de convaincre tous nos partenaires européens. J'ai surtout parlé dans mon propos des pays d'Europe du Nord, et il est vrai, pour être clair, que l'Allemagne regarde beaucoup vers l'Est, vers les ex-pays de l'Est, que l'Angleterre a des problèmes intérieurs, d'équilibre budgétaire et que nous passons beaucoup de temps à les convaincre. Mais je peux vous dire qu'après l'accord sur le FED, que la France a obtenu, à force de persuasion – c'est moi-même, représentant du gouvernement français, qui a eu l'honneur, le 30 Juin, à la fin de la présidence française, à minuit moins vingt, de clore la négociation entre les pays ACP et l'Union Européenne à Bruxelles. C'est un moment très important, et nous allons signer définitivement, je l'espère, à l'Ile Maurice, dans quinze jours.

Q. : Pensez-vous que la France doive se concentrer sur une partie particulière du monde, l'Allemagne sur une autre, les États-Unis sur d'autres pays ?

R. : Je ne pense pas que ce serait une bonne manière de faire. Avec le Japon, nous avons des projets en Afrique. Il y a 15 jours, j'étais au Forum du Pacifique. J'y ai parlé, avec mon collègue australien, d'un projet commun de construction d'un aéroport à Vanuatu. Si les États­Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne veulent coopérer avec nous, nous sommes d'accord. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose de se spécialiser par continents.

Q. : Le congrès a l'intention de couper la contribution américaine à l'AID. La France va-t-elle également réduire son aide à l'AID ?

R. : Je crois qu'il faut que la France montre l'enjeu de l'aide. L'enjeu, c'est quoi ? C'est trois choses. C'est la paix. Pourquoi ? Parce que aujourd'hui, il y a – on l'a vu au Rwanda, au Burundi, au Soudan – des petits foyers très dangereux, des petites guerres locales. Le rôle que nous jouons est très important. C'est un rôle de médiateur. Pour, dès le début, couper les possibilités de développement des foyers de guerres locales. L'aide au développement fait partie de ce dispositif pour assurer la paix. Lorsque nous agissons dans les pays des grands lacs ; dans cette Afrique qui est aussi le continent des réfugiés – il y en a des millions en Afrique – à la fois, ils ont quitté leur pays, et leur patrimoine a été repris par d'autres, et, en même temps, ils sont allés dans d'autres pays et ont occupé des lieux qui appartenaient à d'autres. Ces réfugiés sont de véritables bombes au cœur de l'Afrique d'aujourd'hui. On ne peut pas laisser faire les choses longtemps. Je voudrais ajouter une chose, c'est que l'Afrique, en grande partie, peut être victime du fondamentalisme. Or le fondamentalisme puise ses sources dans différents éléments, dont deux me semblent importants. C'est l'idée que les peuples se détachent des gouvernants – les peuples n'acceptent plus la corruption et les trafics. La rupture entre les gouvernants et les peuples provoque le fondamentalisme et c'est pourquoi notre coopération s'adresse aux peuples. Deuxièmement, ce fondamentalisme organise, quand il y a carence, l'école, les soins, et, s'il y a une baisse de la coopération, les fondamentalismes gagneront du terrain à travers les écoles, à travers les soins. Augmenter la coopération pour le réseau scolaire, les hôpitaux de proximité, c'est une manière aussi de lutter contre l'extrémisme et le fondamentalisme.

Q. : Quel fondamentalisme ?

R. : Tous ceux dont l'Afrique est victime.

Q. : L'islamisme ?

R. : Tous. Il n'y a pas qu'eux.

Q. : Quels autres ?

R. : Le fondamentalisme en lui-même. Tout ce qui est anti-démocratique. Tout ce qui est anti-démocratique est un fondamentalisme ou un extrémisme. Tous les extrémismes.

Q. : On parle d'un débat, en France, au sujet de la politique africaine, entre les traditionalistes et les modernisants. D'un côté, M Foccart, de l'autre M Juppé. Où vous situez-vous ?

R. : Vous savez, l'Afrique a toujours le respect de l'ancien. On rappelle avec beaucoup d'affection la mémoire de M. Houphouët-Boigny, le vieux. Mais le mot vieux, en Afrique, n'est pas péjoratif. Je crois qu'il serait mal compris en Afrique que l'on fasse table rase des éléments permanents de la vie africaine qui font qu'on ne supprime pas le passé. Il n'y a d'ailleurs jamais eu de révolution de type marxiste en Afrique. Elles ont toujours échoué à cause de ça. Les marxistes n'avaient pas compris que la politique de table rase, qui était inscrite dans les textes, dans l'idéologie marxiste, en Afrique, ça ne peut pas marcher. Donc, la coopération française associe, je dirai, l'intelligence, si je peux me permettre, faire en sorte qu'il y ait un grand respect de ce qui a été fait, en même temps que nous cherchons les voies et moyens de l'adaptation au monde moderne. La réunion de Bamako, l'autre jour, était exemplaire. J'y ai vu des ministres des Finances qui avaient 30-35 ans, être tout à fait au point, au fait, de la gestion moderne des États, et aucun d'entre eux ne se serait permis de renier d'où il venait et les grands bâtisseurs de l'Afrique d'aujourd'hui. La coopération française est, comme toujours, un point de rencontre. Elle est le fruit d'un consensus. Il n'y a pas de conflit de doctrine. Il y a la recherche permanente d'un point de rencontre.

Q. : Y-a-t-il des possibilités de coopération entre la France et les États-Unis dans le domaine du commerce et de l'investissement en Afrique ?

R. : Je sais que le continent africain participe très peu dans les échanges commerciaux des États-Unis, de l'ordre de 2,5 % des importations, et de 4 % des exportations africaines vers les États-Unis. Il y a une légère supériorité des exportations sur les importations. Mais l'Afrique représente très peu de chose. Aujourd'hui, lorsque nous aidons les investisseurs, du monde entier, le congrès d'Abidjan, l'autre jour, l'a prouvé puisque nous avons aidé à l'organisation du congrès et qu'il y avait aussi bien des Américains que des Japonais et des Européens. Nous sommes tout à fait d'accord pour coopérer avec les investisseurs, américains en particulier, pour aller au-devant de l'Afrique, et, en Afrique. Donc, de ce point de vue-là. Oui, nous pouvons réaliser des opérations conjointes. Je pense que c'est notre devoir de montrer le chemin. J'ai reçu, il y a huit jours Madame Harriman, l'Ambassadeur des États-Unis à Paris, justement pour parler de l'Afrique. Cela m'a fait plaisir car cela montrait l'intérêt de l'administration américaine pour ce que nous voulons faire, et je lui ai même proposé que, lorsque des parlementaires américains passeraient par Paris, de les recevoir. Mais je n'en veux pas aux parlementaires américains. Ils sont nouveaux. Ils sont nouvellement élus. On ne peut pas, du jour au lendemain, maîtriser les problèmes du monde quand on est nouvellement élu et je compte sur le temps de leur mandat pour qu'ils puissent changer. Je voudrais terminer sur le futur de l'Afrique. Quand M. Chirac est allé en Afrique, en juillet, il a dit que l'Afrique était le continent du 21ème siècle. Pourquoi ? Parce que cela sera un continent connaissant un développement économique, avec une bonne croissance et peul d'inflation. Mais surtout, à la fin de notre siècle, c'est le continent qui a construit deux grands monuments de la spiritualité : la mosquée de Casablanca et la basilique de Yamoussoukro. Or, notre auteur français et ministre André Malraux a dit que le siècle prochain serait spirituel donc l'Afrique est en bonne place.

Q. : Vous parlez de coopération avec les États-Unis, mais, au même moment, on accuse ici la France d'espionnage, et de vouloir garder l'Afrique comme un marché captif.

R. : Je ne réagirai pas, parce que je n'ai pas trop de temps pour lire des romans. Ces sont des sujets qui ne touchent pas le ministère de la Coopération. Mais j'observe qu'un pays qui nous est proche, le Gabon, a une compagnie aérienne qui possède des Boeings. Donc, vous voyez, a contrario, qu'il n'y a pas de liens privilégiés. Merci beaucoup.