Article de M. Marc Vilbenoît, président de la CFE CGC, dans "La Lettre confédérale CGC" du 23 octobre 1995, sur l'entreprise citoyenne et la prévention des licenciements et des plans sociaux sauvages.

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Je ne crois pas au hasard. Je veux croire à la nécessité !

Le 30 août dernier, le Premier ministre recevait à sa table, à Matignon, dix-huit patrons parmi les plus importants de France pour évoquer directement avec eux le « devoir national d’insertion », nouvelle déclinaison de la citoyenneté de l’entreprise.

L’entreprise citoyenne est cette personne morale (dans tous les sens du terme) idéale qui, surpassant ses aspirations productivistes et sa lecture purement comptable des résultats trimestriels, accepte de prendre en compte son environnement économique, social et territorial pour réinsérer ce que d’autres ont exclu… Si, si, je vous assure, il y en a. Il y a les autres aussi.

Le 28 septembre, au Cirque d’Hiver, devant plus d’un millier de militants de la CFE-CGC, j’interpellais le patronat – liste à la main – sur les dizaines de milliers d’emplois menacés de « plans sociaux ». Le 11 octobre, sur France 2, aux « Quatre Vérités », je dénonçais une fois encore, « la liste impressionnante des plans sociaux en préparation », liste immédiatement reprise par l’AFP et les principaux médias. Le 16 octobre, le Premier ministre recevait à sa table à Matignon, dix-sept patrons parmi les plus importants de France pour évoquer directement avec eux le « devoir national d’insertion », nouvelle déclinaison. Si je compte bien, trente-cinq patrons ont été reçus à Matignon en deux mois ; curieusement, ma liste (encore qu’elle ne soit malheureusement pas exhaustive) comporte elle aussi trente-cinq entreprises.

Système Shadock ! D’un côté, le Premier ministre s’efforce – à bon escient – d’appeler les entreprises à leur responsabilité en leur demandant de réparer les pots cassés par d’autres entreprises (réinsérer les exclus, les chômeurs de longue durée, etc.). De l’autre, certaines d’entre elles s’apprêtent à boucler leurs plans sociaux et à accroître entre la productivité… de la machine à exclure. Système Shadock ! Certaines creusent les trous, d’autres les remplissent et cela coûte des centaines de milliards à l’entreprise France, en dépenses sociales passives (chômage, RMI, protection sociale…) pour les premières, en exonérations de charges sociales pour les secondes et, en définitive, en prélèvements supplémentaires sur nos revenus.

Pour quelle efficacité ? Pour quels résultats ? Un taux de chômage et d’exclusion parmi les plus forts de nos voisins européens et un taux de prélèvements obligatoires parmi les plus importants des économies développées ! Ce n’est pas à un devoir national d’insertion qu’il faut appeler les entreprises, c’est, en forçant quelque peu le trait, à une interdiction nationale d’exclusion ; et en tout cas, à une obligation absolue d’imagination !

Assez du système Shadock ! Arrêtons de vider ici pour remplir là. Arrêtons de dépenser ici pour redépenser là. En premier lieu, il ne suffit pas de créer des emplois (« boucher les trous ») commençons déjà par ne pas en détruire (« creuser les trous ») n’importe comment, sans aucun contrôle ni garde-fou. Je répète ici que la CFE-CGC s’opposera résolument à toute « autorisation libre de licenciement » qui viendrait enterrer le contrôle judiciaire des plans sociaux.

Je rappelle aussi que les lois d’août 1989 et janvier 1993, confortées par une jurisprudence volontariste de la Cour de cassation, ont permis que les plans sociaux ne soient pas une somme d’engagements vagues, mais un panel de mesures concrètes permettant d’éviter des licenciements ou d’en limiter le nombre et, en tous cas, de faciliter le reclassement interne ou externe des salariés et en premier lieu au sein du groupe auquel peut appartenir l’entreprise.

Que les entreprises se confortent de plus en plus à ce dispositif, au lieu de chercher systématiquement à le contourner, le système Shadock en sera déjà par moitié ébranlé… Mais, il faut aller plus loin et imaginer des mécanismes prévoyant le licenciement et jouant suffisamment en amont l’emploi contre le chômage. Créons une obligation de formation continue intégrée au temps de travail et préparant les salariés aux évolutions de leurs postes et de leurs métiers. Poussons enfin le patronat à conclure cette négociation sur une autre organisation du travail et donc du temps de travail. La réunion du 31 octobre prochain est particulièrement importante de ce point de vue. Nous y reviendrons bien sûr.

Bref, finissons-en avec le Shadock. Rapidement.