Texte intégral
La session du Comité national
Le Comité national du Parti communiste français s'est réuni le jeudi 17 décembre à Paris, place du Colonel-Fabien. Le matin, sous la présidence de Jacques Le Digabel, Michel Laurent a présenté un rapport sur « l'avenir du journal « l''Humanité » après la consultation des communistes ». Henri Garino, Guy Carassus, Libero Civit, Nicolas Marchand et Robert Hue sont intervenus tour à tour dans la discussion, avant que Claude Cabanes ne présente une « information sur le projet rédactionnel ». L'après-midi, sous la présidence d'Annick Mattighello, le débat s'est poursuivi : Marc Bellet, Martine Bulard, Paul Boccara, Jean-Paul Magnon, Roger Martelli, Bernard Violain, Danielle Sanchez, Guy Hermier, Marie-France Vieux, Richard Béninger, Rolande Perlican, Bernard Calabuig, Pierre Zarka, Charles Marziani, Paule Géciles-Fonte, Alain Lhostsis et Serge Guichard ont successivement pris la parole. Le Comité national a alors voté la proposition de « couplage » formulée par Michel Laurent, avec 4 voix contre (Martine Bulard, Guy Hermier, Roger Martelli, Rolande Perlican) et 2 abstentions (Alain Pieri et Christine Audouin).
Jacques Le Digabel ouvre les travaux du Comité national. Il demande s'il n'y a pas d'observations sur l'ordre du jour.
Maxime Gremetz demande alors la parole et pose une question : après l'intervention militaire en Irak cette nuit, n'y a-t-il pas lieu de réfléchir à une initiative, en s'adressant à toutes les forces progressistes, pour condamner fermement et marquer fort notre position face à cette intervention.
Robert Hue intervient pour préciser qu'il condamne l'intervention militaire en Irak décidée par Bill Clinton essentiellement à des fins de politique intérieure.
Il informe le Comité national qu'on est en train de prendre les contacts nécessaires pour une initiative rapide. Il sollicite auprès des membres du Comité national toutes propositions concrètes allant dans ce sens il précise que lors du point de presse, il insistera sur notre demande que la position de la France soit plus ferme qu'elle ne l'a été jusqu'à présent.
L’Humanité : 19 décembre 1998
Le rapport de Michel Laurent - La transformation de « l'Humanité »
I. La situation politique
Chers camarades,
Permettez-moi tout d'abord d'exprimer ici notre condamnation sans appel de l'intervention militaire américano-britanique lancée cette nuit contre la population irakienne. Nous ne sommes pas les seuls à être indignés par la décision de Bill Clinton d'opérer contre Bagdad « des frappes militaires substantielles », prenant de vitesse le Conseil de sécurité de l'ONU, qui voit ainsi foulé aux pieds sa recherche d'une solution négociée.
Le chef de la Maison-Blanche n'a pas hésité à réactiver le scénario d'une tension aux effets meurtriers, le jour même où la Chambre des représentant devait statuer sur son cas. Rapprochement rapide que tout le monde, malheureusement, est bien obligé de faire...
C'est un rapport du chef de la commission spéciale des Nations unies (UNSCOM) qui a servi de prétexte, rapport accusant les autorités irakienne de n'avoir « pas pleinement coopéré... », accusation bien mince, et contestée par l'Agence internationale de l'énergie (AIEA), dont le directeur général affirme que Bagdad « a fourni le niveau nécessaire de coopération ».
Le peuple irakien, qui subit déjà les terribles conséquences d'un blocus inhumain, est une fois encore la première victime de calculs et de décisions qui tournent le dos à un règlement durable du conflit et dont le dictateur Saddam Hussein, au fond, s'accommode fort bien. Il faut stopper l'offensive militaire, et permettre aux Nations unies de dégager une sortie négociée et durable d'une situation dangereuse dans cette partie du monde, et qui n'a que trop duré.
La France doit poursuivre et amplifier ses efforts pour y contribuer. Nous-même allons prendre l'initiative de contacter les forces progressistes pour réagir à cette intervention militaire.
J'en viens à la situation dans notre pays. Ces dernière semaines, des événements importants se sont aussi produit en France. Il nous faut les apprécier à leur juste valeur. Ils confirment pour l'essentiel nos analyses, et témoignent de ce qui bouge dans le pays.
Confirmation tout d'abord d'attentes sociales très fortes du nos concitoyens. Ils ne désespèrent pas encore de la gauche, mais ils veulent des actes, des résultats plus concrets pour leur vie quotidienne. Beaucoup disent l'urgence des situations.
Ceci explique en grande partie le maintien d'un mouvement social, certes insuffisant au regard des enjeux, mais tout de même bien réel. Les premiers résultats obtenus par les chômeurs ou les cheminots ne peuvent qu'inciter les autres catégories sociales à revendiquer. Notamment en ce qui concerne une application de la loi sur les 35 heures dans le sens de la création d'emplois et d'amélioration des conditions de travail et de vie. Soyons également attentifs à l'action des étudiants, à celle des chercheurs, ou au mouvement qui grandit pour le maintien des Ateliers et Chantiers du Havre, pour ne prendre que ces exemples.
Les résultats des dernières élections partielles expriment une insatisfaction politique. L'abstention se confirme. Elle permet à la droite de maintenir ses positions. Sans que le rapport des forces soit modifié de façon significative, cette abstention en augmentation traduit les attentes, les exigences, et une absence de mobilisation à gauche. On assiste à un début d’insatisfaction de toutes celles et ceux qui ont voté pour la gauche et qui attendent aujourd'hui qu'elle mette en oeuvre les réformes structurelles dont le pays a besoin, qu'elle satisfasse leur demande de réduction du chômage, et de progression du pouvoir d'achat.
Lionel Jospin a dû tenir compte de cette évolution. En annonçant qu'il entend les attentes du pays et souhaite y répondre, le premier ministre est obligé de prendre acte de l'expression du mouvement social, de la société civile, des citoyens, et de tenir compte des propositions et des actions communistes. Plus que jamais, pour que le gouvernement mène une politique à gauche, il doit écouter.
* Des attentes montantes de résultats concrets
Le relèvement de 3 % du RMI et de l'allocation de solidarité spécifique, l'effet rétroactif sur un an de cette hausse, sont deux mesures positives, parce qu'elles témoignent d'une utilisation progressiste, en faveur des plus déshérités, des excédent budgétaires. Ces mesures ne peuvent qu'être favorables à une relance de la demande : ce sont là 2,5 milliards de francs injectés dans l'économie du pays comme un investissement. Ce geste significatif, plus rapide que l'an dernier, est positif. Il ouvre la voie, mais ne clôt pas le débat.
Nous sommes en effet loin des 17 milliards de francs d'excédents budgétaires que Robert Hue proposait d'utiliser pour satisfaire aux attentes : relèvement des minima sociaux, des pensions et retraites, moratoires sur les plans de licenciements et hausse de 4 % du SMIC ; mesures que nous allons continuer à porter dans tout le pays. La politique gouvernementale a tout à gauche. Parce que c'est ce qu'attendent les Français. Et parce que son échec ouvrirait un espace que la droite s'apprête déjà à occuper.
* La réorganisation de la droite
C'est d'ailleurs dans ce contexte, où les doutes augmentent sur la capacité de Lionel Jospin à réussir, que Jacques Chirac repart à l'offensive. La restructuration du RPR comaquée par un Philippe Séguin en apparence plus fidèle que jamais au président de la République, est une première étape en vue de l'élection présidentielle, que beaucoup souhaiteraient avancer dans le temps pour profiter du flottement gouvernemental.
L'idée fait son chemin à droite qu'un espace s'est ouvert, au gré des difficultés de la gauche. C'est d'ailleurs à partir des insatisfactions qui en découlent, notamment dans les couches populaires, et de la crise du Front national que le président de la République s'efforce de reprendre la main et d'entrer en campagne, en réactivant certaines valeurs de droite comme la remise en cause du droit de grève.
Plus que jamais, ils nous faut aider ce gouvernement à être à gauche : la revanche des conservateurs et des ultralibéraux ne se prépare-t-elle pas ? La gauche, comme nous l'avons dit dès le départ, n'a pas droit à l'erreur.
* La crise du Front national
Un autre élément majeur de la remobilisation de la droite est la crise de sa partie la plus extrême.
L'éclatement en deux camps se réclamant tous les deux du Front national, l'un dirigé par Le Pen, l'autre par Mégret, va changer le paysage politique français des quinze dernières années. Il s'agit donc d'un événement très important, dont je dis d'emblée le caractère imprévisible pour l'avenir. Je ferai toutefois à ce propos quelques remarques.
Nous ne boudons pas notre plaisir de voir Le Pen et Mégret s’entre déchirer pour le contrôle du parti d'extrême droite. Cela s'accompagne d'un grand déballage autocratique, haineux... et financier, qui, nous l'espérons, contribuera à son affaiblissement.
Leurs méthodes étalées au grand jour sont une pédagogie efficace, révélatrice de la brutalité des moeurs, de la haine profonde de la démocratie partagées par les deux camps et leurs deux leaders.
Nous puisons, dans cette situation, des raisons supplémentaires de combattre avec encore plus de détermination les idées de l'extrême droite, par une activité politique de proximité qui permette de rompre l'isolement, le repli sur soi et l'enfoncement dans les difficultés qui nourrissant le vote d'extrême droite.
C'est en ancrant bien à gauche la politique gouvernementale, en s'attaquant plus résolument au chômage, à la précarité, à l'insécurité et à la dégradation du cadre de vie que l'on tarira le fonds de commerce du Front national.
Cela nous renvoie à tout ce que j'ai dit en commençant ce rapport et aussi aux efforts à amplifier, notamment avec les espaces citoyens, et nos rencontres de début d'année, pour faire vivre une conception réhabilitée de la politique.
* L'activité des communistes
Nous vivons donc une période où de nombreuses choses se modifient, se déplacent ou résistent, où beaucoup de possibilités peuvent s'ouvrir. Nous vivons une certaine accélération, et une certaine complexification des événements.
Dans ces conditions, l'objectif des communistes doit être de créer les conditions d'un véritable changement, en renforçant la volonté, la capacité de la gauche plurielle à susciter une dynamique majoritaire de changement, à produire des réponses plus affirmées aux attentes et espoirs placés en elle.
Toute notre activité, toutes nos initiatives doivent viser à y contribuer, aux plans local et national comme au plan européen, à un moment où tout le monde ou presque s'accorde à prédire un affaiblissement de la croissance et alors que la politique gouvernementale marque le pas, en particulier dans les domaines économiques et sociaux.
Encouragement donc à poursuivre et amplifier nos efforts, à être résolument à l'offensive, à leur donner plus de « lisibilité » pour faire grandir l'exigence de réformes structurelles, notamment de la fiscalité et du crédit mais aussi de renégociation du pacte de stabilité. A l'échelle européenne, ce pacte s'oppose à la concrétisation de mesures tangibles en faveur de l'emploi, envisagées à Vienne mais pour juin 1999. Les chefs d’Etat de la Communauté ont dû à cette occasion tenir compte des changements politiques intervenus en Europe, et des exigences sociales qui s'y expriment. Pour autant ils ne l'ont fait que dans les mots : du chemin reste à accomplir pour répondre, là aussi, aux attentes populaires. Au sommet de Vienne, l'emploi et le pacte social étaient présents dans les discours, nous attendons toujours les actes.
L'ensemble de la situation que je viens d'évoquer brièvement, aussi bien que ses derniers développements, doivent nous inciter à multiplier les interventions et à réussir les initiatives que nous avons décidées d'entreprendre.
Nous allons pousser partout le débat européen, notamment en préparant activement les cinq heures pour l'Europe du 15 janvier, et en poursuivant la collecte des signatures sur la pétition en faveur de la réorientation progressiste de la construction européenne, que nous pourrions déposer le 15 janvier, en vue du Congrès, à Versailles, qui aura lieu le 18 janvier.
Nous allons enfin engager, pour le début 1999, la grande campagne de rencontres visant à affirmer l'utilité du Parti communiste, et la nécessité d'une politique plus à gauche, plus à l'écoute de notre peuple. Ces rencontres de la rentrée seront aussi l'occasion, et j'en viens à la partie principale de mon propos, de débattre, de promouvoir, de définir la nouvelle « Humanité », et d’oeuvrer à la mutation de la presse communiste.
II. Les enseignements de la consultation sur « l'Humanité »
Après le Comité national du 12 novembre où nous avons fait le point sur la situation de « l'Humanité » et les solutions envisageables pour sauver la presse de notre parti, les communistes se sont réunis pour débattre et réagir aux propositions avancées sur le contenu et la forme de la réorganisation de « l'Humanité » et de « l'Humanité Hebdo ».
* La transparence de la démarche
La transparence de la démarche et le fait que toutes les données en notre possession aient été rendues publiques sont appréciés par les adhérents. Cela a permis au Comité national d'alerter sur une possible disparition du quotidien communiste français. De nombreux camarades, pour la première fois à ce point, ont ainsi pris conscience de la gravité de la situation et de l'impossibilité de s'en tenir au statu quo.
La concentration engagée a confirmé que cette façon de faire devenait de plus en plus un principe de la vie démocratique dans le Parti. Elle est une nécessité et un atout. La volonté qui a été la nôtre d'associer le plus grand nombre possible d'adhérents et de sympathisants au chantier de la « nouvelle Humanité » est en ce sens un élément de mobilisation et de confiance pour l'avenir.
La consultation a concerné la quasi-totalité des fédérations, et des centaines de réunions, de comités de sections, d'assemblées des communistes, de réunions de cellules ont eu lieu et ont été accomplis pour, sous des formes diverses, mettre les documents à la disposition de tous les adhérents, et pour recueillir leur point de vue.
On peut ainsi dire que nous nous sommes efforcés de donner à tous les camarades qui ont souhaité se forger une opinion et l'exprimer le maximum d'éléments lors de débats, d'ailleurs beaucoup plus nombreux qu'en 1997.
Les données que je vais livrer à votre réflexion sont l'émanation des procès-verbaux rendant compte de la consultation, tels qu'ils ont été transmis par les fédérations. A 1 heure ce matin, 89 d'entre elles nous avaient fait parvenir un procès verbal donnant leurs appréciations et résultats d'ensemble. Par ailleurs, nous avons reçu 355 procès-verbaux de fédérations, sections et cellules, ainsi que 130 contributions individuelles. Ces débats ont été marqué par l'esprit de responsabilité, plusieurs interrogations se sont exprimées. Elles ont permis d'approfondir les questions auxquelles nous sommes confrontées, parfois avec émotion, vivacité ou émoi mais toujours avec la volonté de comprendre la situation, de donner son avis, de décider. Plus de 20 000 communistes ont participé aux diverses réunions organisées par les fédérations, sections et cellules.
Il se dégage de cette consultation un accord très majoritaire, environ 80 % pour la première hypothèse. La cinquième arrive en deuxième position, les trois autres n'obtiennent pas de résultats significatifs. Notons aussi le taux important, sur lequel je reviendrai, d'abstentions et de refus de vote.
Il se trouve confirmé, lorsque les communistes se sont exprimés sur ces questions, un accord très large avec le document sur le rejet de l'ouverture du capital au privé, et pour retenir la mise en place d'un conseil de surveillance et d'un directoire pour « l'Humanité », la volonté de rechercher les partenariats les plus larges. A propos des réflexions concernant l'évolution de l'association des Amis de l'Humanité, nous avons entrepris des discussions avec ses membres. Je vous propose que nous continuions à y travailler, pour être en mesure de vous faire part de propositions qui intégreront leurs propres préoccupations lors du prochain Comité national, à la fin de janvier.
* Critiques et inquiétudes, exigences et espoirs
Toutes les réunions ont marqué l'intérêt et l'attachement des communistes à leur presse, et en particulier à « l'Humanité ». elles ont également exprimé des critiques fortes, une demande d'amélioration significative de son contenu. Elles ont affirmé l'attente des communistes d'être beaucoup plus régulièrement et plus précisément informés de la situation de leurs journaux.
Avec espoirs et exigences, les communistes se sont investis dans ce débat. Le fameux lien entre le Parti et sa presse a été maintes fois réaffirmé. Il traduit l'impossibilité pour « l'Humanité » d'exister en l'absence du Parti communiste, et aussi l'impossibilité pour la visée communiste de s'épanouir sans presse communiste.
Cet attachement ne va pas sans interrogations. Ainsi, beaucoup de camarades ont regretté le temps trop court laissé à la discussion, d'autres ont exprimé des doutes sur le véritable caractère d'urgence de la situation, d'autres encore se sont posé la question de savoir s'ils disposaient de tous les éléments.
Ces inquiétudes sont partagées bien évidemment par les personnels de « l'Humanité ». Nous avons rencontré hier une délégation de leurs représentants syndicaux. Ils nous ont fait part, je les cite, de leur « volonté d'alerte ». Leurs fortes préoccupations s'appuient sur leur conviction que – je les cite à nouveau - « les conditions de la réussite ne sont pas réunies ». ces inquiétudes rejoignent celles de la contre expertise commandée par le comité d'entreprise, et que nous mettons à votre disposition.
Ces doutes, ces interrogations se sont d'ailleurs ressenties dans un nombre relativement important d'abstention ou de refus de vote. Certains camarades disent ne pas être en mesure de décider, d'autres attendent de connaître le projet rédactionnel.
Rappelons tout de même que nous ne pouvions plus attendre, chaque jour qui passe appelle avec plus d'urgence des changements. Très nombreux sont celles et ceux qui les demandent ou les attendent. Les contraintes se renforcent au quotidien. Plus nous attendons et plus nos marges d'action se rétrécissent. Et la disparition, depuis notre dernier Comité national, du journal « la République », onze jours après sa parution, aussi bien que l'annonce d'un déficit de 120 millions de francs à « France Soir », sont là pour confirmer que la crise de la presse quotidienne ne concerne pas que « l'Humanité ».
Ajoutons à cela que les éléments de la situation financière de « l'Humanité » avaient déjà été donnés. Je rappelle que chaque année les bilans du journal sont publiés et qu'ils sont depuis quatre ans contrôlés par un cabinet d'expertise comptable. Leur document pour l'année 1998 est à votre disposition. Dans ces conditions, comment expliquer la persistance de cette impression de ne pas être au courant ?
D'abord parce que c'est la première fois que l'avenir du titre phare de la presse communiste est véritablement en jeu. Ensuite parce que c'est la première fois que ces données financières sont ainsi agglomérées, mises en rapport. La consultation, et il faut nous en réjouir, a permis un début de prise de conscience de la gravité de la situation, de son caractère exceptionnel. L'alerte commence à être entendue. Toutefois,
nous devons, au-delà de ce mois de consultation, continuer à informer les communistes sur les chiffres, continuer nos efforts de transparence d'information.
D'autres interrogations touchent au caractère prédéfini de nos débats. Les décisions auxquelles on nous appelle ne sont-elles pas déjà « ficelée », décidé par avance, demandent certains. Rappelons que nous avons décidé d'explorer toutes les hypothèses possibles et de donner sincèrement tous les éléments aux communistes. La richesse et la sérénité de leur débats confirment qu'ils les ont pris très au sérieux.
Si la première hypothèse, celle du couplage, remporte la très grande majorité des suffrages, il est à constater que l'autre solution la plus souvent évoquée est la cinquième, tandis que les autres n'obtiennent pas de résultats significatifs. On peut tirer de ces éléments plusieurs enseignements. Le premier, et le plus important, c'est que les communistes ont exprimé leur opinion. Le second, c'est que cette opinion à une direction très forte. A la quasi-unanimité, ils expriment la nécessité de conserver et de transformer le quotidien, même si certains d'entre eux ne se résignent pas à la perte du magazine, comme en témoigne leur choix pour la cinquième solution.
Enfin, dernière inquiétudes, la solution du couplage est-elle faisable ? N'est-elle pas une solution de repli ? Plutôt que de faire une réponse d'intention, il convient à ce stade d'en rappeler le contenu et l'esprit.
III. Un projet de développement
Le couplage est conçu comme un projet de développement. Il consiste en un couplage des moyens, financiers et humains, et des structures de « l'Humanité » quotidienne et de « l'Humanité Hebdo ». Si le Comité national l'a proposé aux communistes et si les communistes l'ont retenu, c'est d'abord parce que c'est l'hypothèse qui ne mène pas à terme à une disparition du quotidien, ensuite parce qu'elle a l'ambition de permettre plus qu'une survie, mais un véritable rebond de la presse communiste. Les communistes reprennent d'ailleurs cette idée de couplage, chacun avec ses propres raisons. Certains y voient la bonne solution, d'autres pensent qu'on ne peut pas faire autrement, d'autres encore disent subir la situation. Dans l'ensemble, ils demandent des précisions sur l'aspect opérationnel de ce que nous nous proposons de réaliser. Aussi je vous propose d'en détailler les contours.
La une du journal serait tous les jours en couleurs. Du lundi au vendredi le journal comprendrait, dans sa phase de lancement, et si possible au-delà, 32 pages. Si les résultats de diffusion ne nous permettaient pas de continuer, cette pagination serait réduite plus tard à 28 pages. Le journal du samedi aurait 56 pages, dont au moins le tiers en couleurs, sur un papier amélioré. Véritable journal de fin de semaine, il serait dénommé « Humanité Hebdo ».
* Economie d'échelle et développement de la quotidienne
Cette solution remplace donc la fabrication de six quotidiens et d'un magazine par celle de six quotidiens dont le sixième est un numéro de fin de semaine. Elle permet de réaliser des économies tout en concentrant les moyens sur le quotidien afin de construire le rebond de la presse communiste autour de lui. Ce n'est pas anodin : augmenter la pagination de « l'Humanité » quotidienne n'est pas arrivé depuis plus de trente ans.
Cette offre éditoriale pourrait s'améliorer d'un supplément de communication interne du Parti communiste français rédigé sous la responsabilité du Comité national et financé par lui dans le cadre d'un partenariat contractualisé. Mais ne nous cachons pas que cette question a soulevé de nombreuses interrogations et objections qui me conduisent à vous proposer de poursuivre la discussion sur ce point dans la deuxième phase de la consultation, afin de l'examiner dans sa cohérence avec le projet rédactionnel.
L'opération de transformation de nos journaux vise donc à renforcer les moyens et la qualité de « l'Humanité » quotidienne, en conservant le titre « Humanité Hebdo » en fin de semaine, et en réduisant le déficit de fonctionnement. Avec une meilleure pagination, des moyens techniques adaptés aux possibilités informatiques contemporaines, plus de moyen rédactionnels, « l'Humanité » va connaître un renouvellement. Et elle profitera de l'apport de l'équipe de l'hebdo.
Cette solution vise la reconquête. L'optimisation des moyens doit pouvoir permettre d'allier les économies à la qualité, et de répondre ainsi à la grande exigence que les communistes et les progressistes ont vis-à-vis de « l'Humanité ». Ce choix majoritaire des communistes débouche sur une offre éditoriale réellement originale dans le paysage de la presse française. Il s'agit maintenant d'entrer dans sa réalisation concrète. Pour y parvenir, il faut que l'éditeur exprime ses orientations.
* Projet éditorial : les attentes communistes
Les orientations de l'éditeur, qui reprennent les attentes exprimées par les communistes lors de la première consultation, définissent en quelque sorte les axes d'un cahier des charges. Les communistes souhaitent être associés à la définition de ce projet. Il ne s'agit ni pour eux ni pour le Parti éditeur de se substituer aux journalistes, à la rédaction et à la direction de « l'Humanité ». Ce sont ces derniers qui ont et auront la charge, en toute responsabilité, de réaliser par leur mobilisation, leurs talents, leur choix journalistiques un journal intéressant, de définir une griffe rédactionnelle active et originale, de faire de ce journal une réussite à la fois politique et journalistique. Cette responsabilité professionnelle réaffirmée, l'éditeur, quant à lui, doit exprimer les attentes des communistes.
Ils veulent d'abord un journal de la mutation communiste. Un journal utile, pour le public, le mouvement social, les communistes, pour toutes celles et ceux qui aspirent à changer la vie. Un journal d'ouverture, une ouverture combative, qui cherche à comprendre le monde pour mieux le transformer, à éclairer les enjeux, un journal à l'écoute de ce qui bouge et se construit de neuf dans la société. Un journal porteur des valeurs fondatrice de la visée communiste, et que d'autres que les communistes ressentent, soutiennent, font leur. Il s'agit au fond de réaliser le journal de Jaurès de notre temps.
Il veulent ensuite un vrai journal, complet, riche, traitant de tous les aspects de la vie, de toutes les préoccupations des gens, de la politique et de l'économie, et aussi des questions de société, de l'international ou de la culture et des sciences, du sport et des médias. Ils veulent un journal vivant, rythmé, lisible, faisant aussi appel à l'humour, et qu'on a plaisir à lire.
Ils veulent enfin un quotidien qui soit lié à l'actualité pour mieux la hiérarchiser, l'analyser, la comprendre, un quotidien qui fasse émerger « l'autre information ». Celle dont les autres médias ne parlent pas, celle qui parle du mouvement social, qui s'enrichit des sources alternatives, celle qui émerge du terrain, celle qui valorise l'apport original du Parti communiste.
Ils souhaitent enfin un journal du week-end qui profite justement de sa réalisation en fin de semaine pour traiter de cette actualité là, en s'appuyant sur les acquis de « l'Humanité Hebdo », et en tenant compte que le week-end est bien sûr le moment du recul et de la réflexion, mais aussi celui des loisirs, du programme télé ou des courses à Vincennes.
Claude Cabanes nous présentera le projet rédactionnel de « l'Humanité ». ce projet sera débattu par les communistes dans les prochaines semaines. Leurs réflexions permettront de l'améliorer. Ils seront ainsi associés à la réalisation de cette nouvelle « Humanité » : nous serons d'ailleurs amenés à en reparler lors de notre prochain Comité national, à la fin janvier.
Pour la réussite du lancement, le contenu et la forme du journal, s'ils sont décisifs, ne suffisent pas. Encore faut-il le diffuser, le soutenir financièrement, en assurer la promotion. Une mobilisation exceptionnelle du PCF et de tous les amis de « l'Humanité » est indispensable.
IV. Une mobilisation exceptionnelle est indispensable
La décision que nous allons prendre ensemble présente certes de nombreux atouts : amélioration de la qualité du journal, produit plus attirant, pagination élargie, augmentation des capacités rédactionnelles, meilleure lisibilité, originalité du concept, etc. Néanmoins, face aux deux crises graves et conjointes de la presse et de la politique, le pari reste très difficile à gagner. Les communistes le savent, ils savent aussi que c'est notre dernière chance : il n'y aura pas, en cas d'échec de la nouvelle formule, d'occasion d'en lancer une autre.
C'est l'ultime sursaut du quotidien de Jaurès : il peut en sortir grandi ou ne pas en sortir.
Le premier élément qui déterminera cette réussite, c'est certainement la mobilisation des adhérents, des sympathisants, des progressistes autour de leur presse. Sans le soutien des grands annonceurs, dans un paysage de presse en pleine crise, où les quotidiens vivent dans de grande difficultés lorsqu'ils ne sont pas financés par de vastes groupes industriels, le lancement d'un journal politique en grande partie nouveau est une entreprise périlleuse. Les communistes devront jouer le rôle de relais de la nouvelle « Humanité », comme autant d'annonceurs la rendant publique.
Cela nécessite que les moyens de diffuser « l'Humanité », de la faire connaître, de l'exposer au grand jour dans la vie publique soient eux aussi transformés, adaptés aux modes de vie de notre temps, modernisés.
Cela nécessite aussi d'avoir les moyens financiers de cette ambition. Vous savez, en particulier, qu'elle passe par la réalisation d'une souscription, d'un type nouveau, d'un montant de 10 millions de francs.
Enfin, il s'agit de profiter de l'impact spécifique de « l'Humanité » pour soutenir la création autour du journal de véritables réseaux de
soutiens et d'initiatives. Je voudrais ici développer ces trois points.
* La diffusion
Réussir le lancement, c'est donc revitaliser le circuit de distribution en motivant les CDH, et au-delà tous les communistes et tous les Amis de l'Humanité, pour qu'ils lisent et fassent connaître la nouvelle « Humanité ». c'est donc d'abord revitaliser la diffusion, dans toutes ses dimensions.
D'abord dans les kiosques. Nous ne couvrons aujourd'hui que la moitié des 36 000 présents en France. Or les modes de vie d'aujourd'hui, surtout urbains, privilégient fortement ce type de vente, pratique, rapide, flexible. Les espaces publicitaires présents dans les colonnes ou les kiosques entraînent un fort taux de décision d’« achat d'impulsion » : nous devons donc y être présents avec la volonté de les reconquérir. Il conviendra d'y consacrer des moyens très importants, en particulier dans la phase de lancement.
La diffusion c'est aussi le portage qu'il faudra absolument développer. C'est bien sûr l'abonnement, et ce qui fait la caractéristique de notre presse : la vente militante. Je vous propose de lancer dès maintenant une grande campagne d'abonnement. Nous avons les moyens militants pour mener cette bataille, sans attendre comme les autres le font, la parution du produit lui-même. Profitons-en. La livraison à ces nouveaux abonnés, quelle que soit la date de la réalisation de leur abonnement, se ferait bien sûr en mars, à la date de parution du premier numéro de la nouvelle « Humanité ».
La vente militante, quant à elle, s'articulera, d'abord et toujours, autour du journal de fin de semaine. Les CDH vont donc garder tout leur rôle de représentants politiques de la presse communiste. Mais ne doivent-ils pas suivre la transformation des journaux qu'ils vendent ? N'y a-t-il pas lieu d'aider les postes de vente à faire la démarche d'ouverture, de qualité, d'intérêt, que celle que va tenter notre presse ? N'avons-nous pas à élargir les lieux de vente autour de nouveaux points de rencontre, à créer d'ici à mars prochain ?
Nous aurons aussi à réfléchir au redéveloppement de la vente sur les lieux de travail. Elle pourrait s'articuler hebdomadairement, autour du numéro du jour, non encore défini, où le contenu de « l'Humanité » se renforcera d'analyses sur les lieux de travail, sur les entreprises.
Tous ces efforts de diffusion doivent être soutenus et organisés conjointement par « l'Humanité » et par le Parti. En ce sens, un responsable à la diffusion devrait-être désigné au sein du Bureau national, et un collectif mis en place dans les prochains jours.
* La souscription
L'inquiétude est grande, là aussi sur notre capacité à réaliser une souscription de 10 millions de francs pendant plusieurs années. Elle est pourtant indispensable. Je pense qu'elle est aussi réalisable, à condition de lui donner un caractère de type nouveau, une dimension exceptionnelle, qui s'appuie sur l'attachement réaffirmé à leur journal des communistes, des amis de « l'Humanité ».
Au détour de l'expression d'un manque, celui du financement des organes de presse indépendants des puissances financières, on aborde en fait la caractérisation d'un fonctionnement, celui d'une société où l'information est contrôlée par le capital. En ce sens, poser la question de la souscription en faveur de la nouvelle « Humanité », ce n'est pas seulement une façon d'aider financièrement le journal, ni même de le faire connaître : c'est aussi une façon de faire autrement de la politique, d'aborder avec les citoyens la question de la libre information dans un système libéral. C'est un acte pluraliste, démocratique. Allons donc à la rencontre de ces millions de Françaises et de Français qui sont concernés par la question de l'existence ou de la disparition d'un quotidien communiste en France, par la question du pluralisme, et proposons leur un acte original, visible : celui de devenir souscripteurs associés. Associés, parce qu'ils deviendront à partir de leur geste des acteurs positifs de « l'Humanité ». Associés parce qu'ils auront un droit de regard sur son devenir.
Nous proposons que cette souscription pour « l'Humanité » soit souple dans sa forme, qu'elle soit portée et animée conjointement par « l'Humanité » et le Parti. Tous les fonds parviendront à « l'Humanité ».
* Les réseaux de soutien
Le troisième axe déterminant du lancement de la nouvelle « Humanité » concerne la constitution de réseaux de soutien, les plus vastes possibles.
L'association des Amis de l'Humanité a témoigné déjà que nous pouvons rassembler très largement autour de l'existence, du contenu et de l'avenir de « l'Humanité ». N'y a-t-il pas moyen de soutenir la constitution de cercles de lecteurs, de réseaux de soutien organisés, d'association médiatisées de promotion de la nouvelle « Humanité » ? Comme pour la diffusion et la souscription, il y a lieu de faire preuve d'originalité et de détermination pour inventer, avec la nouvelle « Humanité », un nouveau rapport au lectorat.
Il s'agit là de s'inspirer de nos réflexions sur la constitution de collectifs transversaux ou thématiques au sein du Parti, pour appliquer cette réflexion à cet objet particulier qu'est la presse. A ce moment singulier, exceptionnel que va constituer la naissance d'une nouvelle « Humanité ».
Plus généralement, je pense que cette campagne de lancement du journal, de la souscription, les efforts de diffusion doivent s'articuler à notre grande initiative de débat de l'année prochaine, l'organisation de milliers de rencontres entre les communistes et notre peuple. Nous allons à cette occasion parler avec des centaines de milliers de personnes : n'oublions pas de les informer de nos projets de renouveau de « l'Humanité ».
* Conclusion
En conclusion, je voudrais revenir sur trois notions fortes.
Les contraintes financières, et la volonté de ne pas subir, nous ont amenés à dégager un concept neuf : celui de couplage de « l'Humanité » et « l'Humanité Hebdo ».
Original dans la presse française, il nous amène à créer une nouvelle « Humanité ». Nous avons ainsi décidé ensemble de transformer la contrainte initiale en une chance. Il s'agit d'un renouveau qui va concerner tout autant les journaux eux-même, leurs forme, leur contenu, que leurs soutien, leurs modes de diffusion. A nous d'être à la hauteur de cette autre mutation, celle de la presse communiste.
Nous voulons par cette initiative, et c'est une deuxième remarque, tendre la main à toutes celles et à tous ceux, qu'ils soient adhérents au Parti communiste ou pas, qu'un journal communiste moderne et vivant intéresse. Ils sont extrêmement nombreux. Ils ne nous attendent pas toujours. Aujourd'hui ils ne connaissent pas, pour la plupart, notre projet. Allons les chercher, présentons leur cette nouvelle « Humanité », avec audace, avec chaleur, avec esprit de conquête.
Enfin, je voudrais revenir sur une interrogation que nous posions dans le document de réflexion que nous avons adopté il y a un mois. Nous disions : « l'Humanité » est le seul quotidien à être édité par un parti communiste en Europe. Cette particularité résulte de la rencontre d'une histoire, d'une situation politique française singulière et de la grande difficulté, toujours surmontée, pour faire exister un journal politique, communiste. Allons-nous pouvoir maintenir cette exception française ?
Je pense aujourd'hui, après la première étape de consultation des communistes que nous venons de vivre et le début de prise de conscience qu'elle a marquée, l'émotion qu'elle a suscitée, qu'une sensibilisation plus forte existe.
La deuxième étape de la consultation va donc maintenant s'engager. Elle coïncide avec le lancement d'une campagne de souscription et d'abonnement d'un type nouveau. Cette consultation, je le rappelle portera tout à la fois sur le projet rédactionnel, sur la façon de concevoir la diffusion, et, plus largement, sur une conception novatrice des rapports entre les communistes et leur presse.
Chers camarades,
J'en ai conscience, le projet proposé est ambitieux, à la hauteur de notre mutation et de la place, du rôle qui sont déjà les nôtres dans ce pays, et que nous travaillons à faire grandir. Rien n'est évidemment joué, mais je crois qu'en y consacrant les efforts nécessaires, nous pourrons réussir la pari de la renaissance de « l'Humanité ».