Texte intégral
LE FIGARO. – Le Conseil interministériel sur le nucléaire n'a fait que des mécontents. Comment l'expliquez-vous ?
Claude Allègre. – Réformer dans le consensus, c'est un oxymore ! Chacune des parties pourrait être satisfaite par les décisions du Gouvernement. Car le Gouvernement a adopté une position très équilibrée.
LE FIGARO. – Cela n'a pas empêché Dominique Voynet de déclarer qu'elle se sentait « en porte à faux »…
– Elle est courageuse, elle est souvent seule, sur ses positions, et pourtant elle tient, elle se bat, elle défend ses idées puis accepte l'arbitrage du Premier ministre. Cela dit, elle est fondamentalement contre le nucléaire, donc elle ne peut pas être satisfaite quand on réaffirme que c'est la source d'énergie dominante pour la France. Mais grâce à elle des progrès considérables ont été accomplis dans la voie de la transparence.
LE FIGARO. – Voynet-Allègre, même combat ?
– Comme vous le savez, je ne partage pas du tout ses options antinucléaires. Pour moi, le nucléaire, c'est l'énergie la plus propre, la plus sûre et celle qui assure le mieux notre indépendance nationale. Et je la crois la plus compétitive sur le plan des coûts. Mais j'ai du respect pour la sincérité de ses convictions.
LE FIGARO. – Ce n'est pas ce qu'affirme Daniel Cohn-Bendit.
– Contrairement à ce qu'il prétend, les centrales à gaz sont aujourd'hui un peu plus chères que le nucléaire. Nous avons confié à trois experts le soin d'analyser les coûts des diverses filières. Ce n'est pas si simple. D'ailleurs, quand j'ai rencontré mes homologues allemands, ils nous ont certes confirmé leur décision d'arrêter à terme le nucléaire, mais en spécifiant bien que ça n'allait pas se faire tout de suite et qu'ils n'étaient pas fixés sur ce qui le remplacerait. J'espère que ce ne sera ni le charbon ni les lignites, qui sont des sources très sales.
LE FIGARO. – Les investissements dans la recherche d'énergies de substitution vous paraissent-ils suffisants ?
– Ils me paraissent important mais nous allons les intensifier encore, notamment au CEA, à l'université, mais en ne faisant pas n'importe quoi. Les sources d'énergie alternatives au nucléaire doivent être examinées avec attention. Le gaz a ses vertus, mais il contribue à l'effet de serre, même si c'est moins que le pétrole ou le charbon ; le vent, honnêtement, c'est bien pour donner de l'électricité à l'île de Porquerolles, mais les installations sont tellement laides que si on les multipliait les populations protesteraient énergiquement. Ça ne peut-être qu'un adjuvant, comme le solaire, qu'on ne sait pas « concentrer », ou la géothermie est utile dans les régions volcaniques comme la Guadeloupe ou la Martinique, mais risque de polluer les nappes.
LE FIGARO. – Bref, vous rejetez en bloc les propositions écologistes ?
– Non, pas toutes. Par exemple, c'est vrai qu'il reste d'énormes économies d'énergie à réaliser. Dans l'habitation, dans les immeubles, mais aussi dans les centrales nucléaires dont le rendement peut être amélioré. Il y a d'autres pistes, dans le nucléaire lui-même, comme les travaux du Prix Nobel italien Carlo Rubbia sur des centrales qui détruisent les déchets à vie longue. Il y a surtout pour les voitures les piles à combustible. Le Gouvernement est décidé à consacrer d'importants moyens à la recherche sur ces projets. Je m'y emploie. Cela montre un changement d'attitude considérable.
D'autres mesures vont dans le même sens : la transparence, la décision de créer une autorité indépendante pour contrôler la sûreté nucléaire. C'est nouveau. La mission confiée à Philippe Lazar, président de l'IRD, pour organiser une information complète des citoyens est aussi une nouveauté. Le temps de l'opacité est révolu. Quand on choisit le nucléaire, ce qui à mon avis est sage, on doit dire pourquoi aux populations. Expliquer, convaincre.
LE FIGARO. – C'est pourtant quand même le triomphe du lobby nucléaire, comme dit Noël Mamère.
– Dire que les décisions du Gouvernement sont un triomphe du lobby nucléaire est un contresens. D'ailleurs, le Gouvernement ne travaille pas sous le diktat de lobbies, quels qu'ils soient. Par exemple, on démarre une expérimentation sur le stockage en subsurface – c'est la première fois ! –qui se fera dans le Gard, confiée au CEA. Deuxièmement, on n'a pas décidé de stoker des déchets en profondeur mais de faire des études pour voir si c'est possible. Parmi les sites proposés pour cette expérimentation, on a retenu le site de la Meuse dans des terrains sédimentaires et le principe d'un site dans le granit à trouver – celui proposé par l'Andra dans la Vienne était peut-être « politiquement bon » mais géologiquement mauvais.
Notre attitude est guidée par la science et pas par la politique.