Texte intégral
Vert Contact :
Tu te dis « libéral ». C’est pour draguer à droite ?
Dany Cohn-Bendit :
Je ne drague personne ! Le mot « libéral » a plusieurs sens. Pour moi, c’est d’abord le contraire « d’autoritaire ». J’ai reçu – et j’espère donner à mon fils – une éducation libérale, contre l’ordre moral des conservateurs, pour les libertés individuelles. C’est le sens de mes prises de position sur les drogues ou le Pacte civil de solidarité (PACS), par exemple. Second sens antiautoritaire que j’utilise : le libéralisme politique. C’est une des bases de nos institutions démocratiques : contre l’arbitraire des systèmes à parti unique, pour le parlementarisme, le multipartisme, l’Etat de droit et l’indépendance de la justice. Et quand ce libéralisme politique n’est pas jacobin, cela donne, pour l’Europe, nos propositions de fédéralisme.
Vert Contact :
Mais la droite française utilise le mot « libéral » pour prôner l’économie de marché !
Dany Cohn-Bendit :
Mais aujourd’hui, à part Arlette, tout le monde accepte l’économie de marché, la gauche traditionnelle comme les Verts ! La différence avec les libéraux ne porte pas là-dessus ! Elle porte sur la régulation nécessaire pour structurer et organiser cette économie de marché : la régulation des marchés financiers par la taxe Tobin, la régulation des marchés du travail par les législations sociales, la régulation du marché des marchandises et des services par des socio-taxes et des écotaxes. Les libéraux sont contre toutes ces régulations, pas moi, pas nous ! Sur les drogues, les libéraux, de fait, sont pour laisser agir la Mafia. Pas moi : je défends une régulation du marché du « hasch » et une distribution médicalisée de l’héroïne ! Sur l’immigration, les libéraux, s’ils étaient logiques avec eux-mêmes, devraient être pour l’ouverture des frontières aux personnes comme aux marchandises ; pas moi : je suis pour des politiques de co-développement Nord/Sud et Est/Ouest, donc de régulation des flux migratoires pour que ces pays ne se vident pas de leurs élites au profit des pays du Nord ! Or le seul espace réaliste pour édifier tout cela, ce n’est pas l’Etat-nation – trop petit et trop facilement contournable -, c’est l’Europe !
Vert Contact :
Malgré tes explications, il y a un décalage entre ce que tu exprimes et la façon dont c’est perçu par Les Verts, la gauche et, plus largement, la population.
Dany Cohn-Bendit :
C’est la rançon d’un héritage jacobin qu’il nous faut réussir à surmonter ! En France, on a du mal à se défaire de l’idéologie de l’Etat-patron planificateur.
Chaque fois que j’avance quelque chose contre, qui ressemble à ce que dit la droite libérale, on me taxe de libéralisme ! Par exemple sur l’indépendance des banques centrales ou sur les services publics. Quand je dis que je suis pour qu’il y ait des secteurs où la puissance publique intervienne par un cahier des charges précis et contraignant, on m’applaudit. Si j’ajoute que je ne suis pas persuadé que l’Etat doive toujours gérer ces services lui-même, on m’accuse de libéralisme ! Et les régions, là-dessus, elles existent pour des prunes ?
Vert Contact :
On va glisser du libéralisme à la culture. Tu abordes publiquement la culture et tiens à en faire un axe de campagne à part entière…
Dany Cohn-Bendit :
Le projet européen que nous défendons a fondamentalement une dimension culturelle. Ce qui fait la richesse de l’Europe,c’est justement sa richesse culturelle, dans ses traditions et dans ses formes d’expression modernes. Le projet européen des Verts est à l’avant-garde. Nous défendons la multi-culturalité européenne. Je crois que c’est quelque chose d’essentiel. Il s’agit bien de montrer que cette multi-culturalité s’appuie aussi bien sur la diversité que sur l’unité qu’on appelle Europe. Oui, défendre le projet culturel européen, c’est défendre les différences à l’intérieur de l’Europe et en même temps l’unité dans ces différences. Concrètement, il faut poser le problème du cinéma aussi bien que celui de la musique ou de la littérature, des traducteurs, des langues majoritaires et minoritaires, etc. Cela peut se faire à travers des revendications comme, par exemple, la défense de l’exception culturelle européenne au niveau de l’Organisation mondiale du commerce. Car c’est bien la culture qui alimente l’unité européenne.