Interview de Mme Michelle Demessine, secrétaire d'État au tourisme, à Europe 1 le 24 novembre 1998, sur sa participation au gouvernement, l'extension du chèque vacances aux salariés des PME et le droit aux vacances pour les exclus.

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Média : Europe 1

Texte intégral


K. Zéro
Bon mardi, bon appétit. Europe Zéro en direct avec M. Demessine, secrétaire d’État au Tourisme depuis dix-huit mois, l'une des trois ministres communistes du gouvernement de la gauche plurielle, mais pas assez connue. Grâce à cette émission, elle le sera beaucoup plus dans un instant. Michelle, bonjour.

M.Demessine
- « Bonjour. »

K. Zéro
Alors, expliquez-moi pourquoi vous n'êtes pas très connue des Français. C'est dû à votre modestie naturelle ou c'est parce qu'on ne prend pas votre poste au sérieux ?

M.Demessine
- « Non, eh bien, je crois que je ne suis pas assez connue, mais je mérite d'être connue, hein ! »

K. Zéro
Oh, là, là. Vous avez quinze minutes pour nous en convaincre.

M.Demessine
- « Pourquoi ? Eh bien, pourquoi ? Parce que je ne fais pas partie des éléphants. »

K. Zéro
Ça, heureusement pour vous.

M.Demessine
- « Non, je crois que je n'étais pas, avant d'être ministre, une personnalité de premier plan, et je crois qu'on ne connaît dans notre pays, en politique, que des personnalités de premier plan, ce qui est sûrement dommage, parce qu'il y a beaucoup à apprendre aussi, beaucoup plus largement. Ensuite, la fonction que j'occupe – le tourisme – c'est aussi un secteur qui n'est pas encore reconnu à sa juste valeur. Alors, vous voyez le handicap que j'ai à franchir, mais... »

K. Zéro
Remarquez, je vous rassure, il y a encore moins connu : c'est M. Lebranchu. Elle est dans le Gouvernement. Vous-même, vous voyez qui c'est ?

M.Demessine
- « Oui, bien sûr, bien sûr, c'est ma copine. »

K. Zéro
Vous avez formé un petit club des gens moins connus ?

M.Demessine
- « Voilà. »

K. Zéro
C'est bien, il faut vous défendre Pour employer un vocabulaire qu'affectionne R. Hue, cela ne vous dérange pas, ce « déficit » de visibilité par rapport à vos camarades citoyens, Gayssot et Buffet ?

M.Demessine
- « Non, pas du tout. Non, je ne fais pas de problème avec cela. Moi je suis toujours sur la longueur, c'est-à-dire que je travaille, et j'espère un jour que ce travail sera reconnu. Je fais cela depuis que je suis militant, depuis plus de vingt-cinq ans, et à l'usage, je me suis rendu compte que cela marchait. »

K. Zéro
Vous étiez militant dans le Nord-Pas-de-Calais depuis donc vingt-cinq ans. Quand on vous proposé le tourisme, vous avez cru à une farce ou quoi ?

M.Demessine
- « Non, non, j'ai pris cela très au sérieux, parce que c'était être un ministre communiste dans ce nouveau gouvernement, et pour moi, c'était aussi une très grosse responsabilité dans le sens qu'on allait participer à une expérience qui n'était pas couru d'avance. »

K. Zéro
Vous aviez des souvenirs, de celle du temps de Mauroy, en 81, des ministres communistes ?

M.Demessine
- « Peu. Parce que cela fait quand même un certain temps. »

K. Zéro
Oui, cela ne rajeunit pas ?

M.Demessine
- « Oui, oui. Et puis, bon on en avait gardé quand même quelques désagréments. Donc, quelque part, on n'en parlait pas trop. »

K. Zéro
Il a dû y avoir une grosse pression sur vos épaules, quand on vous a dit : vous allez être secrétaire d’État. Tout d'un coup, oh là, là, qu'est-ce qui m'arrive, non?

M.Demessine
- « Oui, oui, oui. Mais de toute façon, j'ai eu un quart pour me décider. Donc, je n'ai pas eu le temps de me rendre compte. »

K. Zéro
Depuis, vous vous êtes rendu compte ?

M.Demessine
- « Oui, après, oui. »

K. Zéro
Vous n'auriez pas préféré vous occuper des exclus, ou des toxicomanes en particulier auxquels vous vous intéressez depuis longtemps, plutôt qu'aller à la Baule et à Saint-Tropez ?

M.Demessine
- « Oui, c'est vrai qu'au départ, je me sentais plus capable de faire cela, puisque cela avait été mon engagement depuis toujours, et lorsque j'étais parlementaire, c'est des sujets sur lesquels j'avais beaucoup investi, avec lesquels j'avais travaillé avec des gens, et cela m'aurait été très agréable et très facile de continuer sur cette lancée. Mais vous savez, l'alchimie d'un gouvernement, c'est comme cela : on se retrouve dans un secteur où on ne nous attend pas, et je crois que cela ne se discute pas, parce que cela fait partie d'équilibres certainement très difficile à réaliser, et en ce sens, je me suis dit : mais moi, avec ce secteur, qu'est-ce que je peux en faire, et comment je peux aussi me retrouver en tant que communiste et pour faire avancer un certain nombre de choses. »

K. Zéro
Et vous avez trouvé le tourisme social ?

M.Demessine
- « Tourisme social et pas seulement, et emploi. Et je crois que ce n'est pas seulement le tourisme social, bien sûr, parce que c'est un sujet de justice sociale, et qui en avait donc bien besoin, et ensuite, une autre préoccupation qu'on a tous; qui est celle de l'emploi et à travers le tourisme, j'ai vu tout de suite la possibilité de travailler à la création future d'emplois. »

K. Zéro
Justement, en septembre 97, vous déclariez : « dans le secteur du tourisme, si tout le monde s'y met, on peut créer 30 000 emplois de plus par an. » Alors est-ce que tout le monde s'y est mis ?

M.Demessine
- « Ah, non, il faudrait encore en faire beaucoup pour que tout le monde s'y mette, mais on a déjà bien travaillé. En dix-huit mois, on a déjà au moins fait partager l'idée à un grand nombre de partenaires, de professionnels du tourisme, et on a enclenché un certain nombre de mesures qui vont permettre de faciliter la création d'emplois dans le tourisme. Parce que ce n'est pas sûr : si on ne fait rien, on peut très bien développer le tourisme sans développer l'emploi. »

K. Zéro
Mais est-ce qu'avec vous, – vous êtes ministre communiste – est-ce que le tourisme de luxe est en danger de mort ? Vous n'avez pas peur de grèves dans les casinos, de mutineries sur les yachts ?

M.Demessine
- « Pourquoi avec moi ? »

K. Zéro
Mais je ne sais pas, puisque vous êtes communiste. Alors peut-être cela leur fait peur ?

M.Demessine
- « Pas du tout. Oui, peut-être au départ, cela leur a fait peur, mais ... »

K. Zéro
Il n'y avait pas eu une sombre histoire quand vous étiez allée à Deauville ? Il y avait un monsieur qui refusait de vous recevoir ?

M.Demessine
- « Oui. Oui, oui. Mais je crois qu'il était un peu isolé. La preuve est que cela n'a pas marché. Je crois que c'était de vieux réflexes. »

K. Zéro
C'était un congrès de tours opérateurs ?

M.Demessine
- « Un congrès des agences de voyage. C'est le plus gros salon qui est en France et qui réunit tout le monde des voyages. »

K. Zéro
Il a dit : je ne veux pas voir une communiste ici.

M.Demessine
- « Oui mais il s'est trompé. Il s'est trompé parce qu'il n'a pas été suivi. Et donc, moi, j'ai été accueillie comme une ministre dans ce salon. Parce que moi j'estime que la France est la première destination touristique au monde. C'est une valeur. C'est une valeur qui nous appartient à tous, quelle que soit notre opinion politique, et dans cette première destination touristique au monde, il y a nos joyaux qui sont la Côte d'Azur qui parie, qui intéresse un public très argenté. Mais ça, ça crée de l'emploi, cela crée de la richesse, et pourquoi pas. Je crois que cela fait partie du développement économique en général. Moi j'y suis attachée aussi. »

K. Zéro
Est-ce que vous vous occupez aussi des gens qui ne partent pas en vacances ?

M.Demessine
- « Oui. Oui bien sûr. »

K. Zéro
Quatre Français sur dix.

M.Demessine
- « Qui, c'est ça. »

K. Zéro
Alors ?

M.Demessine
- « Et je crois que cela faisait très longtemps qu'on ne s'en était pas préoccupé. Je crois qu'un des premiers affichages clairs dans mon travail, ça a été ça : c'était de faire en sorte d'abord de revisualiser aux yeux de tout le monde qu'il y a avait des gens qui ne partaient pas en vacances, et que les vacances, c'était un droit aussi, ça c'est très important. Un droit aussi fondamental que celui de travailler, de se nourrir, de se soigner, et donc il fallait que ce droit on le défende au même titre que les autres et donc, j'ai remis ce sujet à l'ordre du jour, avec un certain nombre de mesures, dont le chèque-vacances que j'ai l'intention d'étendre aux salariés des petites et moyennes entreprises qui jusqu'à présent n'en bénéficiaient pas, et qui sont 7,5 millions. »

K. Zéro
D'accord, mais cela fait une belle jambe aux chômeurs qui travaillent dans les entreprises de zéro salarié ?

M.Demessine
- « C'est vrai. C'est vrai. »

K. Zéro
Qu'est-ce que vous faites pour eux ?

M.Demessine
- « Il faut aussi y penser. C'est vrai qu'il y a dans notre pays, 5 millions de personnes qui sont complètement exclus du travail, et donc ils n'imaginent même pas qu'ils peuvent espérer partir en vacances, et je crois que ça, ce n'est pas juste non plus. La justice, c'est pour tout le monde. Je crois que même pour eux, il faut faire quelque chose, d'autant que ceux qui le font déjà, et je pense en particulier aux associations caritatives qui eux font du départ en vacances pour ces personnes qui sont complètement oubliées, et, au final, on s'aperçoit qu'un, d'abord cela les fait sortir de leur quotidien, et cela fait renaître en fait. Et de cette renaissance, renaît de l'énergie, et une nouvelle volonté de vivre et puis de chercher à accéder à la citoyenneté. Et donc, là aussi, j'agis et je m'en préoccupe. D'abord, je l'ai fait inscrire dans la loi contre l'exclusion. Le droit aux vacances, c'est inscrit au même titre que les autres droits. Déjà c'est un affichage. Et ensuite, on va mettre en place – ça entraine tout le monde, du coup – on met en place un certain nombre de mesures, dont une bourse de solidarité-vacances. Alors, qu'est-ce que c'est que cette bourse ? Tout le monde croit que c'est de l'argent. Non, ce n'est pas de l'argent, c'est de la solidarité active. C'est une structure dans laquelle vont se retrouver les professionnels du tourisme qui m'ont dit : vous savez, madame la ministre, moi si vous voulez, j'ai des structures hors saison qui sont vides. Elles me coûtent. Si vous voulez, on peut faire quelque chose. Et d'un autre côté, je connaissais des associations caritatives qui font ce travail avec beaucoup de difficultés, beaucoup d'énergie et peu de moyens. Et donc, j'ai décidé de mettre ces deux catégories en présence, qui ne le sont jamais et de voir comment, avec mon aide, on peut faire en sorte pour que la solidarité, elle se mette en route. Voilà une des premières mesures, et l'autre, c'est aussi de redonner du sens et de la vigueur aux associations de tourisme social et associatif, qui étaient en bien mauvais état, parce qu'elles avaient été abandonnées. »

K. Zéro
Vous avez remarqué que je vous parle surtout de tourisme. C'est pour vous éviter d'avoir des ennuis.

M.Demessine
- « C'est gentil. »

K. Zéro
Mais oui, vous aviez protesté, l'an dernier, contre la mise sous condition de ressources des allocations familiales et Jospin s'était fâché tout rouge. Depuis, on ne vous a plus entendu sur autre chose que le tourisme.

M.Demessine
- « Qui mais ça a changé. »

K. Zéro
Vous avez eu des ordres pour ne pas recommencer ? Vous avez eu gain de cause sur les salaires ?

M.Demessine
- « Voilà, oui. Vous voyez qu'il ne faut pas parler tous les jours, et que ce qu'on dit à un moment donné peut-être, ça a quand même, – même si ça a peut-être un peu choqué – ça a quand même été entendu. »

K. Zéro
Mais aujourd'hui que D. Voynet exprime des désaccords plus violents que les vôtres à l'époque, sans pour autant se faire virer d'ailleurs du Gouvernement, est-ce que vous n'êtes pas un peu trop timoré ? Est-ce que ce n'est pas le moment que les communistes se fassent entendre ?

M.Demessine
- « Les communistes se font entendre. Le problème, c'est qu'ils ont beaucoup de voix pour se faire entendre et ce n'est pas utile de toujours faire parler les mêmes. Nous nous exprimons – R. Hue. »

K. Zéro
Oui mais c'est toujours les mêmes ?

M.Demessine
- « Non, mais il y a le groupe communiste, il y a les militants sur le terrain, et je pense que les positions et l'opinion des communistes, elle est connue, archiconnue sur tous les sujets qui font débat aujourd'hui, et je crois qu'il n'est pas forcément nécessaire qu’on intervienne tout le temps sur ces questions. Je crois qu'on le fait à bon escient Je crois que c'est notre façon de travailler, à nous. »

K. Zéro
Vous, vous êtes élue dans une région qui est encore plus touchée que les autres par la crise. Vous n'avez pas peut que le PC paye aux prochaines échéances électorales la timidité de certains ministres communistes, comme vous ?

M.Demessine
- « Je ne crois pas, parce que je pense que la manière dont nous avons décidé d’œuvrer au sein de ce gouvernement, elle est comprise et acceptée. Je crois qu'on ne pourra pas nous taxer d'avoir été timorés. Je crois que le PC dans son ensemble, et avec toute sa composante, je crois qu'il pose les problèmes et il défend, il ne renie rien de ses opinions. »

K. Zéro
Mais vous ne pensez pas...

M.Demessine
- « Je n'ai pas ma carte dans ma poche, ne croyez pas cela. »

K. Zéro
Mais vous n'êtes pas en train de vous faire boucher par Cohn-Bendit et par les Verts?

M.Demessine
- « On verra. On verra. »

K. Zéro
C'est sur la longueur qu'on juge ?

M.Demessine
- « Oui. »

K. Zéro
J. Maillot, le PDG de Nouvelles Frontières, répète à qui veut l'entendre : « il n'y a pas besoin de ministre du tourisme en France. » Cela vous agace que ce type dise que vous ne servez à rien ?

M.Demessine
- « Oh! eh bien, il a le droit de le dire. S'il peut se passer de moi, tant mieux. Mais je ne sais pas, cela ne durera peut-être pas toujours. Mais il est quand même assez isolé dans cette position. Il n'est pas soutenu par ses camarades. »

K. Zéro
Si je vous donne vingt secondes pour convaincre les auditeurs d'Europe 1, d'aller passer leur mois d’août dans votre région, le Nord-Pas-de-Calais, vous dites quoi ?

M.Demessine
- « Je leur dis : venez découvrir les gens du Nord-Pas-de-Calais, ils sont très accueillants ; venez à Lille, vous verrez cette ville, elle est formidable. Tous ceux qui la découvrent regrettent de n'y avoir pas été plus tôt. Ils découvrent l'architecture flamande, les musées, et puis aussi la convivialité. Je crois que cela compte beaucoup dans notre département, et puis venez voir notre Côte d'Opale, cet espace d'air pur, avec ses grandes plages, ses beaux paysages. Venez voir aussi notre petite Suisse du Nord qui s'appelle La Villenoy, et puis venez aussi voir aussi nos terrils, parce que c'est très marrant. »

K. Zéro
Je veux bien, mais ce n'est pas cela qui réchauffe la Mer du Nord, quand même, ce que vous dites là ?

M.Demessine
- « Oui, mais on n'a pas toujours besoin d'avoir chaud. On a aussi besoin d'espace. La Mer du Nord, c'est des grandes plages, on y fait du char à voile, on y fait plein d'activités qu'on ne peut pas faire sur les petits bouts de plage du Sud de la France. Je crois que chaque région à son attrait, et aujourd'hui, quand même, les touristes veulent tout avoir et tout connaître. Alors, venez dans le Nord, vous ne serez pas déçus. »

K. Zéro
Vous pensez que c'est réactionnaire de vouloir se baigner dans l'eau chaude ?

M.Demessine
- « Non. Non. Pourquoi ? »

K. Zéro
Je ne sais pas.

M.Demessine
- « Non, non. Je crois que c'est bien aussi de se baigner dans l'eau chaude. Mais dans l'eau chaude, il y a du monde. »

K. Zéro
Maintenant que j'y pense, il y a un côté pénible quand même dans votre poste de ministre du Tourisme, c'est quand vous-même vous partez en vacances, cela vous rappelle le boulot, non ?

M.Demessine
- « Ah oui, un peu. C'est vrai. Je ne décroche pas vraiment »

K. Zéro
Alors, comment vous faites ?

M.Demessine
- « Je m'enferme dans ma petite maison de l'Aveyron, et je me repose et je discute un peu avec mes voisins. »

K. Zéro
Qu'est-ce que vous faites dans l'Aveyron ? Je croyais que vous étiez du Nord-Pas-de-Calais ?

M.Demessine
- « Ah, mes vacances, je les passe dans l'Aveyron. »

K. Zéro
Pas folle, la guêpe ! Pour vous, personnellement, des vacances vraiment réussies, c'est quoi ?

M.Demessine
- « Eh bien, c'est que, quand on se rappelle, on est content. Alors, cela veut dire : vivre des choses qu'on ne vit pas dans le reste de l'année, découvrir des gens, découvrir des lieux, et puis qu'on y pense encore toute l'année, et qu'on a envie de recommencer l'année d'après. »

K. Zéro
Quel est l'endroit où vous n'êtes jamais allée en vacances et où vous rêvez d'aller ?

M.Demessine
- « Oh! il y a encore plein. Je ne sais pas. En France, il y a encore beaucoup de choses à découvrir. Je ne connais pas encore toute la France, même en tant que ministre et j'ai déjà beaucoup voyagé. Et puis, eh bien, le monde s'ouvre à nous, donc on a envie de découvrir toutes ces parties du monde. C'est vrai, je n'ai pas encore été aux États-Unis. Cela m'intéresse d'aller voir. »

K. Zéro
Oh, Robert y est allé récemment. Il faut y aller.

M.Demessine
- « Cela m'intéresse. »

K. Zéro
Merci, M. Demessine.