Interviews de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux PME au commerce et à l'artisanat, dans "Le Journal du dimanche" du 15 et "L'Humanité" du 17 novembre 1998, sur la fermeture de la manufacture de cigares de Morlaix par la SEITA.

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Média : L'Humanité - Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Le Journal du Dimanche - 15 novembre 1998

Richard Bellet
- Mme la Secrétaire d’État, l'annonce par la Seita de la fermeture de la manufacture de cigares de Morlaix vous a-t-elle surprise ?

Marylise Lebranchu
- Bien sûr. Nous savions que le regroupement de la branche cigares était envisage par la Seita, mais en juillet 1997, son président. Jean-Dominique Comolli, m'avait donne l'assurance que, compte tenu des problèmes d'aménagement du territoire, ce regroupement aurait lieu à Morlaix, et non à Strasbourg. Au printemps dernier encore, il me disait qu'il faudrait envisager ici la construction d'une usine neuve. Je n'avais donc que d’inquiétude. Et lorsqu'il m'a annoncé cet été, que le regroupement à Morlaix coûterait 90 millions de francs de plus qu'à Strasbourg, je lui ai dit que nous ferions le maximum pur aider la Seita. Toutes subventions comprises nous avions déjà trouvé, à divers titres, 45 millions de francs pour la nouvelle usine. La Seita le savait, et j'étais persuadée que nous avions encore du temps devant nous.

Richard Bellet
- Que pouvez-vous faire, le gouvernement ou vous-même, pour sauver la manufacture ?

Marylise Lebranchu
- Mon grand regret, c'est d'abord que la Seita ait été privatisée. Nous sommes désarçonnés. Alors, l’État doit-il menacer de se retirer complètement du capital ? Cela ne servirait à rien. Ou doit-il exercer une pression fiscale sur l'entreprise, comme le suggèrent certains ? Je n'en sais rien. Ce serait quand même une sorte de chantage qui risquerait de mettre la Seita à genoux. En tout état de cause. Dominique Strauss-Kahn et moi-même allons rencontrer M. Comolli en début de semaine pour discuter de ce dossier. Il reste 45 millions de francs à trouver pour composer la différence de coût entre le regroupement à Morlaix et à Strasbourg. L’État doit nous aider à réunir cette somme.

L'Humanité - 17 novembre 1998

L'Humanité
Comment avez-vous réagi à l'annonce de la décision de transfert à Strasbourg de la fabrique de cigares de Morlaix?

Marylise Lebranchu
Je ne me démoralise jamais, mais cela fut un choc. Compte tenu des propositions fortes que nous avions faites – un projet sur lequel deux jours avant l'annonce, le directeur de la branche cigares nous demandait des précisions – très honnêtement, j'avais bon espoir. Dans mon esprit, le comité d'entreprise devait avoir devant lui tous les scénarios, exposés de façon précisé, et non pas une décision.

L'Humanité
Sur place, le choc est considérable...

Marylise Lebranchu
C'est dramatique. L'histoire de la SEITA à Morlaix est longue : la première manufacture des tabacs y date de 1736. La charge émotionnelle est forte. Les salariés savent que même avec un plan social de qualité, ils auront beaucoup de mal à se recaser : le tissu industriel est très ténu et si le taux de chômage n'est pas plus élevé, c'est parce que la majorité de nos jeunes sont partis. Nous sommes à 50 kilomètres de Brest, ville hautement sinistrée. Nous avons déjà subi les plans sociaux de la téléphonie et Thomson vient de fermer sa dernière filiale. Tout cela dans une grande zone agricole qui a aussi des difficultés. Si on nous enlève 15 % de la taxe professionnelle, je ne vois pas comment on va pouvoir continuer à investir. Outre les drames humains, c'est un drame économique avec la perte d'une capacité d'emprunt énorme – près de un milliard et demi de francs par an.

L'Humanité
Quelles solutions alternatives voyez-vous ?

Marylise Lebranchu
J'ai appris que le siège social, actuellement à Paris, va être rendu. Si on veut prendre en charge Strasbourg, pourquoi ne pas y transférer plutôt le siège social, dans cette ville hautement européenne? Je n'oublie pas non plus les gens de Thonneins, qui sont dans la même situation que nous.

L'Humanité
Qu'allez-vous faire? Intervenir auprès de vos collègues du gouvernement?

Marylise Lebranchu
J'ai vu bien sûr le premier ministre, mon interlocuteur privilégié. Il comprend qu'on ne peut pas laisser faire comme cela, même si l’État n'est plus un actionnaire premier de la SEITA. Il faut avoir d'autres négociations, dès cette semaine, regarder tous les chiffres : pour l'instant nous n'avons pas de document écrit. Nous allons dire aussi à la SEITA que ce gouvernement a de profondes convictions pour l'aménagement du territoire et que les entreprises privées doivent y participer. On fera tout pour aider la SEITA dans ce sens, sans pénaliser Strasbourg, car il ne s'agit pas d'opposer une ville à une autre.

L'Humanité
Le gouvernement a-t-il des moyens de pression?

Marylise Lebranchu
Je rencontre ce mardi Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter. J'espère aussi rencontrer la direction de la SEITA, pour regarder ce qui est possible. Il ne s'agit pas de promettre ce qu'on ne pourra pas tenir. Les salariés disent, et le conseil municipal l'a repris, que le gouvernement doit faire sentir qu'il a des moyens de rétorsion : ce n'est sûrement pas ce qu'on fera jouer en premier. Mais la SEITA le sait.