Débat entre M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et Mme Monique Vuaillat, secrétaire général du SNES FSU, dans "Le Journal du dimanche" du 20 décembre 1998, sur les grandes lignes de la politique de l'éducation, la mise en place de la réforme des collèges et lycées, le temps de travail des enseignants et les créations d'emploi dans l'éducation.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Christian Sauvage
– Monique Vuaillat, comment expliquez-vous que la patronne d’un syndicat de gauche s’entende mieux avec un ministre de droite, François Bayrou, qu’avec un ministre de gauche, M. Allègre ici présent ?

Monique Vuaillat – La question ne se pose pas ainsi. Le Snes est un syndicat indépendant de tous les pouvoirs, qui a ses options propres. Quand M. Bayrou a tenté de donner encore plus d’argent à l’école privée, un million de personnes sont descendues dans la rue, à l’initiative de notre fédération. Nous avons, par ailleurs, fait plusieurs grèves contre lui et nous sommes en désaccord avec la réforme Bayrou sur les collèges, dont nos regrettons, d’ailleurs, que le ministère actuel ne l’ait pas modifiée. Aujourd’hui si nous avons un désaccord de fond avec ce gouvernement de gauche, ce n’est pas sur la même question. Ces divergences sont le résultat de décision que nous avons toujours combattues et d’une conception qui oppose la qualité à la démocratisation de l’enseignement. Quand M. Allègre dit : allégeons les horaires et les programmes, il y a un débat de fond. Nous craignons un lycée allégé.

Christian Sauvage – Claude Allègre, comment expliquez-vous que vous soyez le ministre de l’Éducation nationale le plus populaire dans l’opinion et les plus impopulaire chez les enseignants ?

Claude Allègre – Je ne gère pas ma popularité. Je n’ai pas d’ambition politique personnelle. J’essaie de rendre service à mon pays du mieux possible. Cette maison avait besoin qu’on lui donne une impulsion nouvelle. Beaucoup de ce que j’ai dit a suscité des malentendus. C’est un fait.

Je n’ai jamais pensé faire une réforme de l’Éducation nationale sans les enseignants. Nous avons des divergences de fond avec le Snes, sur le mode de fonctionnement de ce ministère. L’important c’est que chacun s’ajuste dans la mesure où c’est l’intérêt du service public et des jeunes. Je crois que nous sommes sur un chemin de convergences.

Christian Sauvage – Pour commencer considérez-vous, l’un et l’autre, que l'Éducation nationale doive être réformée ?

– C. A. : Oui, sinon ne naîtraient pas des malentendus entre nous. Il faut même beaucoup réformer l’Éducation nationale, conjoncturellement et, je dirais, éternellement pour être en phase avec son époque.

– M. V. : Oui, bien sûr, pour résoudre beaucoup de problèmes. D’abord la scolarisation des jeunes qui repose sur l’effort des personnels et davantage d’investissements financiers. Mais aussi pour faire face à un nouveau problème : si le nombre des élèves en grande difficulté a diminué de 250 000 à 50 000, ces derniers sont aujourd’hui en très grande difficulté. Nous proposons de consacrer une attention toute particulière à ces élèves-là. Etre exclu du système scolaire, c’est être exclu de la société. L’opinion estime que le niveau moyen de formation doit être à bac et bac + 2 pour s’en sortir. Nous voulons le faire dans la qualité.

– C. A. : Sur ce problème de l’exclusion, je n’ai pas de divergence avec Mme Vuaillat. Nous avons en projet un programme « nouvelles chances » qui prendra en charge les élèves en difficulté. Je souhaite qu’on puisse les aider très tôt et les sortir de cette situation.

Par ailleurs il ne faut pas seulement penser en termes de formation initiale, mais de formation initiale complétée par le formation continue, par exemple quand je dis qu’il faut alléger les programmes – on ne peut pas empiler les connaissances indéfiniment –, c’est en trouvant un équilibre entre formation initiale et formation continue qu’on y parviendra. Je ne veux pas d’une formation initiale réduite à l’école et d’une formation continue confiée à des officines diverses. Il y a là toute une architecture à inventer.

– M. V. : J’insiste sur la nécessité de s’occuper rapidement des élèves en grande difficulté. Nous sommes confrontés à une insuffisance attention portée aux ZEP (zones d’éducation prioritaire). Les personnels de l’Éducation nationale y ont fait beaucoup d’efforts dans des conditions très difficiles et aujourd’hui on leur dit que ce dont ils disposaient va disparaître. Ils sont découragés.

Développer la formation continue dans le service public, je suis complètement d’accord ; c’est indispensable. Mais cette formation continue ne se développera bien que si elle s’appuie sur une bonne formation initiale. Parfois votre propos est compris comme renvoyant une partie de la formation initiale sur la formation continue.

Il faut aussi parler de la formation continue des enseignants : vos propos injustes sur l’absentéisme des enseignants, sans mesures pour remplacer ceux qui voudraient aller en formation aboutissent de fait à une limitation du droit à la formation continue.

– C. A. : Sur les ZEP ne faites pas de procès à ceux qui les ont créées et qui essaient de les remettre en route après toute une période où elles avaient été abandonnées. Ces enseignants travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, je le sais. Mes décisions concernant la Seine-Saint-Denis, la Guyane et La Réunion en témoignent.

Quand j’ai parlé d’absentéisme, j’ai aussi dit : une partie importante des absences des enseignants est imputable au mode de fonctionnement actuel du système éducatif. Mon objectif, c’est qu’il ne faut pas laisser les enfants sans enseignants. Depuis les choses ont commencé à évoluer dans le bons sens. Il est hors de question pour moi que la formation des enseignants soit diminuée. Elle doit se faire régulièrement et mieux qu’actuellement sans préjudice pour les élèves.

– M.V. : Ce que vous avez dit sur l’absentéisme a meurtri les personnels de l’Éducation nationale. Les enseignants du second degré sont dans leurs classes. Mais, quand ils sont malades, ils ne sont pas remplacés avant trois ou quatre semaines parce qu’il manque des enseignants titulaires remplaçants.

– C. A. :Le temps de travail des enseignants ne se résume pas au temps en classe. Il y a beaucoup de travail de préparation. Je sais ce que c’est. Je ne suis pas prêt à augmenter les heures en classe. Je veux dans le futur que ces heures soient diminuées au profit de l’aide en petits groupes. Et je souhaite que les remplacements de courte durée soient assurés par les surveillants ayant une licence dans la discipline concernée.

– M.V. : Je ne suis pas d’accord. Quand un professeur est absent, il doit être remplacé par un autre enseignant qualifié. C’est un métier en tant que tel. Les surveillants doivent surveiller.

– C. A. : Quand un professeur est absent il faut le remplacer tout de suite. Les surveillants diplômés dans une matière sont disponibles. Mon slogan demeure : pas de classe sans enseignant, même pas une heure ! Vous avez parlé tout à l’heure de résorber les inégalités, c’est le sens de mon action.

– M.V. : Oui, et nous divergeons sur le « comment ». Nous, nous disons : faisons en sorte que les élèves trouvent un cadre d’accueil, des enseignants, des pratiques pédagogiques, une offre de formation qui leur permettent de réussir avec un encadrement fort en personnels spécialisés.

– C. A. : D’accord !

– M.V. : Le problème, c’est de le faire en actes à la rentrée prochaine. Or nous assistons à la suppression de postes dans certaines académies.

– C. A. : Ce n’est pas vrai : il y aura 5 000 professeurs en plus.

– M.V. : Le budget n’a pas créé de postes nouveaux.

– C. A. : Mais si !

– M.V. : La rentrée se présente mal avec des redéploiements comme, par exemple, à Nancy.

– C. A. : C’est inexact. Le ministre a la charge de faire la meilleure Éducation nationale avec les moyens que lui alloue l’Etat. La démographie décroît. C’est un fait.

– M.V. : Pas dans le second degré.

– C. A. : Cette année nous avons créé 3 500 postes et l’an prochain, du fait des concours et des retraites, le solde sera de 5 000 postes supplémentaires.

Il y a un effort particulier à faire pour la classe de seconde, où il y a actuellement trop d’élèves. C’est un héritage, je n’y suis pour rien. Mais, au total, les choses s’améliorent.

– M.V. : Je le conteste.

– C. A. : Si vous avez un désaccord, ce n’est pas avec le ministre de l’Éducation nationale mais avec celui du Budget !

Christian Sauvage — Le dialogue pourtant a repris entre le Sens et le ministre de l’Éducation nationale sur la réforme des lycées.

– C. A. : Nous sommes dans une phase où nous essayons de nous mettre d’accord.

– M.V. : Nous en sommes revenus à une situation normale de discussion entre les syndicats et le ministère. Nous débouchons sur un texte qui va être mis en concertation et qui n’est ni la réforme que nous proposions, ni celle de Philippe Mérieu que vous aviez chargé de la consultation dans les lycées, ni, non plus, la totalité des onze principes que vous aviez présentés.

– C. A. : Si on discute, c’est pour faire avancer les choses.

– M.V. : Nous allons consulter nos collègues pour leur demander ce qu’ils en pensent. Nos propositions sur le développement du travail en petits groupes et l’interdisciplinarité pour faciliter l’acquisition et la maîtrise des connaissances ont été, en partie, prises en compte mais il s’agit d’une réforme à moyens constants.

Pour autant cela ne supprime pas le contentieux, qui est lourd, avec la profession. Un contentieux fait de blessures en raison d’atteintes à sa dignité. Vos déclarations, M. Le ministre sur l’absentéisme, et vos actes, sur la réduction de la rémunération des heures supplémentaires ou la déconcentration qui se traduisent par une détérioration pour un certain nombre de personnels et n’améliorent pas le service public, font que le désaccord entre nous reste profond. Il faudra du temps et des actes forts pour panser les blessures.

– C. A. : Vous parlez de blessures, je ne nie pas que cela puise exister. Je ne veux pas qu’il y ait de malentendus. Nous devons en sortir.

Mais nous avons aussi des divergences de fond. Pour moi la déconcentration est un acte majeur de la rénovation de l’Éducation nationale, tout le monde le reconnaît. Le sondage de la Sofres pour le Snes le montrait également. Nous avons sur ce point une divergence philosophique avec la direction du Snes.

– M.V. : Non, avec les personnels.

– C. A. : Avec la direction du Snes ! Cela dit, sur le projet de réforme du lycée, qui est un projet important et porteur d’espoir, les élèves et les enseignants seront gagnants. Je me réjouis qu’il puisse y avoir des convergences.

Une autre divergence porte sur les heures supplémentaires. Cette mesure a permis de créer 40 000 emplois jeunes. C’est une action de solidarité sociale dans une période de crise où le chômage des jeunes est si fort. D’autre part nous avons repris les maîtres auxiliaires. C’est un progrès social important. En deux ans, l’Éducation nationale a fourni un emploi à plusieurs milliers de personnes en faisant naître des nouveaux métiers, comme celui d’aides éducateurs.

Il faut continuer à avancer sur d’autres chantiers importants : ceux de l’égalité des chances — je l’ai déjà dit, ce n’est pas pour moi un slogan —, de l’exclusion, de la violence. J’ai écrit au garde des Sceaux pour que les agressions contre les personnels de l’Éducation nationale soient considérés comme des actes aggravés.

Je ne change pas de cap : l’amélioration du service public d’enseignement. Je suis très attaché au service public qui est un des fondements de la République. Pour cela il faut l’améliorer. Ce n’est pas le ministre qui d’en haut peut faire seul des réformes. La négociation, c’est faire chacun un pas.

– M.V. : Le souci du service public, c’est aussi le nôtre. Je ne suis pas sûre que nous ayons la même conception de l’amélioration du service public. Il ne faut pas, par exemple, substituer à des emplois qualifiés d’enseignants des emplois jeunes non qualifiés et sous-payés.

Christian Sauvage — Vous êtes tous deux enseignants, qu’avez-vous souhaité à vos élèves avant de partir en vacances de Noël ?

– M.V. : J’avais envie de leur dire qu’apprendre c’est prendre du plaisir, se donner un avenir, se mettre en situation d’être citoyen. Et je leur ai souhaité de bonnes vacances avec plein de chocolats !

– C. A. : Je leur dirais : bonnes vacances, des vacances pleins d’amitié, de fraternité et de solidarité.