Interviews de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts aux élections européennes de 1999, dans "Ouest-France" le 16 janvier 1999 et à France 2 le 20, sur sa préférence pour une sortie de la France du nucléaire et une diversification de son approvisionnement énergétique, les manifestations d'hostilité des syndicats du centre de retraitement de la Cogema à la Hague, la décision allemande d'abandon du nucléaire et sur sa relation à la majorité plurielle.

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Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Ouest France - Télévision

Texte intégral

Ouest-France le 16 janvier 1999

Question
Les Verts veulent que la France sorte du nucléaire. Est-ce réalisable ?

Cohn-Bendit
Aujourd’hui en Europe, pratiquement tout le monde est contre le nucléaire. L’Allemagne et la Suède veulent en sortir. L’Autriche, l’Espagne et l’Italie n’entendent pas y entrer. La Grande-Bretagne vient de renoncer à construire des centrales. Ce qui est irréaliste, c’est de croire que la France pourra résister seule à cette vague de fond.

Question
Selon quel processus la France peut-elle sortir du nucléaire ?

Cohn-Bendit
Commençons déjà par diviser en deux les crédits de recherche. Une moitié pourrait être encore consacrée au nucléaire pour régler les problèmes de sortie. Mais il faut concentrer l’autre moitié sur les énergies renouvelables et traditionnelles. Quand nous aurons renoncé complètement au nucléaire, l’important sera de disposer d’une panoplie d’énergies pour ne plus dépendre d’une seule source. Il faut s’y préparer.

Question
En combien de temps ce virage peut-il être pris ?

Cohn-Bendit
Ça ne se fera pas du jour au lendemain. Un choix capital se présentera en 2010 qui engagera pour les vingt ou trente années suivantes. A ce moment, la France devra ou renouveler son parc de centrales nucléaires, ou investir les sommes équivalentes, pour diversifier ses sources d’approvisionnement et maintenir son indépendance énergétique. La question est suffisamment importante pour qu’on en débatte dès maintenant.

Question
Dans cette perspective, que fait-on des centrales nucléaires ?

Cohn-Bendit
Si l’on reconvertit l’énergie, il faut reconvertir les emplois. Les salariés ne produiront plus de nucléaire, mais on produira des énergies renouvelables ou des énergies traditionnelles gaz et charbon, qui devront être non polluantes.

Question
Le centre de La Hague pose un problème spécifique…

Cohn-Bendit
L’Allemagne va arrêter le retraitement des déchets nucléaires et d’autres pays vont suivre. La France ne pourra continuer à payer seule cette opération. Disons la vérité aux personnels de La Hague, la France va arrêter le retraitement. Je vais justement sur place pour discuter avec eux des possibilités de reconversion. Quant aux déchets, il faudra les stocker quelque part. Dans des sites réversibles ou non, c’est la débat. Moi, je suis pour les sites réversibles car il faut laisser une chance à la science de trouver dans cinquante ou cent ans des solutions que l’on n’imagine pas aujourd’hui.

Question
Votre candidature aux européennes est critiquée à droite, ce qui est normal, mais aussi au sein de la gauche plurielle…

Cohn-Bendit
Ne nous berçons pas d’illusions, il y a des différences fondamentales sur l’Europe au sein de la gauche plurielle. Les Verts sont pour une Europe fédérale, sociale, démocratique et libre. D’autres, des républicains nationalistes plus ou moins de gauche, veulent une Europe des nations. On trouve là un certain ministre de l’Intérieur, vraisemblablement le Parti communiste, aussi certaines minorités du Parti socialiste. Cette opposition provoque un vrai débat de fond entre nous. C’est une très bonne chose.

Question
On peut cohabiter à l’intérieur d’un gouvernement avec des tendances aussi fondamentalement opposées ?

Cohn-Bendit
Vous connaissez, vous, des coalitions où ça passe toujours très bien ? Qui dit alliance dit conflit. C’est normal. Il faut avoir une culture du débat politique. Plus notre culture du débat politique se développera et meilleur ce sera. La solidarité et le débat, voilà les armes et la force de la gauche plurielle.

Question
Imaginons que votre candidature soit un succès, mais que l’ensemble des voix de la gauche n’augmente pas. Quel serait votre sentiment ?

Cohn-Bendit
Si je vampirise des voix à l’intérieur de la seule gauche, au pire, le résultat global restera le même. Mais je n’aurai pas réussi mon coup. Mon idée, c’est évidemment d’aider à augmenter le poids politique des Verts. Mais c’est aussi attirer chez les Verts des électeurs qui ne votaient pas jusqu’ici avec la gauche ou qui s’abstenaient. On verra. Je fais tout de même le pari que la gauche sortira de ces élections avec un meilleur résultat qu’au premier tour des dernières législatives.

Question
Vous commencez votre campagne très tôt. A force d’occuper les médias, ne craignez-vous pas de devenir vite insupportable ?

Cohn-Bendit
Moi, je crois que j’ai commencé trop tard. Sur l’Europe, en France, il faut s’expliquer. L’Europe vaut mieux qu’une campagne électorale. D’ailleurs, je ne vais pas faire tant une campagne électorale sur l’Europe qu’une campagne pour l’Europe.


France 2 le 20 janvier 1999

Claude SERILLON
Alors Daniel COHN-BENDIT, bonsoir. C'était une provocation de votre part ? Un piège qui vous était tendu par la COGEMA, les syndicats, que sais je... ça démarre quand même d'une manière un peu particulière votre campagne.

COHN-BENDIT
Oui, je suis un peu surpris par les déclarations de Robert HUE. D'abord je lui ferai cadeau d'un livre, « le nucléaire et la lampe à pétrole » des Verts français et qu'il voit que c'est la position des Verts français, donc pas la position de Gerhard SCHRÖDER.

Claude SERlLLON
Pourquoi vous êtes obligé de rappeler les Verts français... on a l'impression qu'il y a un relent xénophobe dès que vous parlez.

Daniel COHN-BENDIT
Ce n'est pas à mol qu'il faut le demander. Le ministre de l'Intérieur a cru bon de souligner qu'II ne comprenait pas que les Verts français aient été prendre un Allemand. Monsieur PASQUA fait des blagues : comment on reconnaît un vrai Allemand ? C'est le COHN-BENDIT qui revient tous les trente ans. Ce qu'il a oublié de dire, c'est que trente ans avant, mes parents étaient venus d'Allemagne en tant qu'immigrés parce qu'ils allaient être arrêtés pat le régime d'HITLER. Mais ça, ça ne dérange personne. Ce n'est pas là le débat. On joue sur une xénophobie. Alors…

Claude SERILLON
Mais ça, vous n'êtes pas surpris. Il y a trente ans, on disait : le juif allemand, c'était ça aussi contre vous.

Daniel COHN-BENDIT
Ce n'est pas mon problème, c'est votre problème, c'est le problème de la société française, c'est le problème de la France de PETAIN, ce n'est pas mon problème individuel. Est-ce que la France, cette vieille France comme dit LE MONDE aujourd’hui dans son éditorial, est-ce que c'est ça la France d’aujourd'hui ? Ce n'est pas à moi d'y répondre. Je ne peux pas y répondre. Si l'on se sent bien dans une France où dans les élections européennes, on veut parler de l'Europe, on n'arrête pas de parler d'un Allemand, d’un Juif et tout ça, si c'est ça la France, je prends acte. Moi je me sens bien dans ce pays, j'ai vécu longtemps dans ce pays, je vis dans ce pays, je veux faire de la politique dans ce pays.

Claude SERILLON
Alors comment vous airez faire dans cette campagne électorale si sans arrêt vous avez cette obligation de vous justifier ?

Daniel COHN-BENDIT
Non, je ne me justifie pas, je crois que c'est autre chose. Vous savez, la France est un pays bloqué. Depuis Tchernobyl, quand même, le corps des Mines, les grands nucléocrates ont expliqué aux Français que les nuages connaissaient la géographique et que de Tchernobyl ils avaient décidé d'épouser l'hexagone, que dans tous les pays européens il y avait effectivement une plus grande intensité de retombées nucléaires sauf en France et depuis on n'arrête pas de dire la vérité. J'ai un article ici de Corinne LEPAGE, ministre de droite de JUPPE, elle dit : j'ai demandé des choses à la COGEMA, en tant que ministre de l'Environnement, je n'ai jamais eu de réponse, je n'ai jamais eu la vérité. Donc c'est ça le problème. Monsieur HUE est pour le nucléaire. 60 % dans un sondage de l'EVENEMENT-CSA, des électeurs communistes, seraient plutôt pour sortir du nucléaire...

Claude SERILLON
Enfin lui il défend l'emploi.

Daniel COHN-BENDIT
Non, mais attendez, sur le nucléaire à La Hague, ce que j'ai voulu dire, ce que j'ai dit et ce qui a été entendu aussi, quand on a voulu m'écouter une minute, j'ai dit : pour sortir du nucléaire, il faut une trentaine d'années. SI aujourd'hui, on utilise La Hague comme usine de détraitement, c'est-à-dire pour stocker définitivement des déchets nucléaires, le plutonium qui existe en tonnes à La Hague, il faut le traiter pour qu'on ne puisse pas l'utiliser militairement, donc le mélanger à des déchets nucléaires. Il y a du travail pour vingt à trente ans à La Hague aujourd'hui si on sort du nucléaire lentement. Et là, un des syndicalistes - et c'est ça que j’ai appris et c'est pour ça que je crois que le dialogue est important - un des syndicalistes que j’ai pu approcher qui à un moment m'a parlé, il m'a dit : tu me prends mon emploi. J'ai dit non, pendant vingt à trente ans, vous avez du travail. Quand on a visité les piscines de La Hague, le représentant de la COGEMA nous a dit : vous voyez dans ces piscines, il y a du travail pour cinq ans, déjà dedans, stocké dans la COGEMA. Alors je lui ai dit : vous avez du travail pour vingt à trente ans. Il me dit oui, mais mes enfants ! Et là on revient au problème de la France, du chômage, de l'image de la sidérurgie. Et c'est vrai, il faut que nous répondions, et nous, c'est l'Europe. Il n’y a qu'un projet européen, un projet européen aussi bien sur l’énergie qu'un projet européen sur la protection sociale et sur l'innovation pour donner du travail aux Européens.

Claude SERILLON
Daniel COHN-BENDIT, convenez que la décision des Allemands, du gouvernement allemand social-démocrate et Vert d'afficher l'abandon du nucléaire, provoque beaucoup de réactions notamment sur l'indemnisation. Est-ce que vous, vous êtes favorable à ce que la COGEMA soit Indemnisée ?

Daniel COHN-BENDIT
Ecoutez, Il y a dix ans, LIBERATION a publié un article quand a été signé le contrat avec les Allemands. L'électricien allemand, s'il y a une décision du gouvernement allemand - et c'est marqué dans le contrat - d'arrêter le retraitement, la COGEMA doit rembourser ce qui a été avancé. Moi je suis pour qu'il y ait une compensation industrielle et économique à la COGEMA. On doit donner du travail à la COGEMA dans un système de sortie du nucléaire. Mais je voudrais dite encore une chose, quand on dit une décision allemande, l'élection allemande... tout le monde savait depuis des mois et des années...

Claude SERILLON
C'était dans le programme ...

Daniel COHN-BENDIT
C'était non seulement dans le programme mais tout le monde savait que ça allait se faire. Aujourd'hui il est évident que le corps des Mines doit comprendre qu'il n'y a pas de pensée unique. Moi je veux discuter à Cherbourg avec la gauche plurielle sur les tenants et les aboutissants du nucléaire ou de la sortie. Et après on verra. Est-ce que discuter, c'est une provocation ? Je vous pose la question. C'est une définition de la démocratie qui est effectivement intéressante.