Texte intégral
A. Ardisson : A propos de votre voyage en Russie, vous avez employé le terme « d’accroc regrettable » à propos de l’affaire tchétchène. Ne trouvez-vous pas que le mot est un peu faible, ne regrettez-vous pas d’avoir renforcé votre condamnation ?
H. de Charette : J’ai été choqué par la façon dont il a été rendu compte de ce que j’ai dit sur l’affaire tchétchène. J’ai dit un certain nombre de choses et je trouve anormal que l’on prenne un mot, dans un développement et qu’on brode autour de ce mot. La question de nos relations avec la Russie est essentielle, c’est une question déterminante parce que la Russie est européenne et parce qu’il n’y aura d’équilibre européen que dans l’Ouest européen, l’Union européenne aura défini avec la Russie, et que cette dernière aura à son tour défini avec l’Union européenne, un équilibre, une architecture, qui assurent l’organisation et la stabilité du continent européen pour le siècle qui vient. Dans ce cadre-là, qu’ai-je dit à Moscou et que je redis à Paris sur l’affaire tchétchène ? Le gouvernement n’approuve pas, ni de près et ni de loin, les décisions, les comportements, les attitudes russes en Tchétchénie. Et je l’ai dit à Moscou où j’ai rappelé quels étaient les principes qui déterminent la position de la France. 1. Nous ne mettons pas en cause l’intégrité territoriale russe. 2. Nous condamnons formellement les prises d’otages dont nous avons été nous-mêmes victimes, nous savons ce que c’est. 3. Nous n’approuvons pas la façon dont l’autorité russe affronte ce problème et nous réclamons qu’une solution politique soit trouvée à cette question. 4. La Russie adhère à l’OSCE dont elle est membre. Elle a pris, comme tous les Etats-membres de l’OSCE, des engagements, parmi lesquels figurent le respect des valeurs, des Droits de l’homme entre autres. Il y a une mission de l’OSCE qui a été envoyée en Russie et précisément à Grozny, mission envoyée à la demande de l’ensemble des Etats-membres de l’OSCE, acceptée par la Russie, et nous souhaitons qu’elle puisse remplir sa mission, elle l’a fait. Au cours des derniers mois, elle a servi d’intermédiaire pour rétablir les contacts, elle doit pouvoir reprendre sa mission. On est donc loin de la simplification intentionnellement organisée.
B. Guetta : Il y a quand même une grande différence entre ne pas approuver et désapprouver.
H. de Charette : M. Guetta, si c’est ça votre problème, je désapprouve que ce soit bien clair !
B. Guetta : Vous désapprouvez ?
H. de Charette : Bien sûr !
B. Guetta : Vous commencez par désapprouver les prises d’otages, les indépendantistes, alors que le problème en Tchétchénie est que la Russie, plutôt Eltsine, a littéralement provoqué cette guerre en envoyant des troupes en Tchétchénie, alors qu’il n’y avait aucun problème réel d’indépendantisme dans cette région. Et aujourd’hui, à cause de ce mouvement, on est en face du danger de naissance d’un véritable mouvement islamiste en Russie, ce dont tout le monde se serait bien passé.
H. de Charette : C’est bien vrai.
B. Guetta : Ma question est que la condamnation par les gouvernements occidentaux pourrait être beaucoup plus vigoureuse.
H. de Charette : La condamnation est claire, nette et ferme pour le gouvernement français. Encore une fois, j’aimerais bien ne pas être mal interprété.
A. Ardisson : L’UEO, plus exactement le Conseil de l’Europe, la Russie doit-elle attendre, patienter, compte tenu de ces problèmes en Tchétchénie ? Reste-elle à la porte ou rentre-elle tout de suite ?
H. de Charette : D’abord la position française et de la plupart des pays européens. Sur la question du Conseil de l’Europe : ce Conseil se réunit en fin d’après-midi, aujourd’hui, et l’assemblée permanente de ce Conseil doit donner son avis sur l’entrée de la Russie au Conseil de l’Europe. La plupart des pays, des gouvernements européens, souhaitent cette adhésion de la Russie au Conseil de l’Europe soit approuvée par les parlementaires européens. C’est la position du gouvernement français. Nous avons fait, les uns et les autres, des démarches. La chose n’est pas certaine. Les parlementaires sont des gens qui ont leur quant à eux, leur expression, mais je crois qu’aujourd’hui, en effet, il est préférable que la Russie soit autour de la table pour que l’on puisse lui parler.
I. Levaï : Qui gouverne aujourd’hui ? Qu’est-ce que c’est, aujourd’hui, la Russie ? On a le sentiment que ce sont les banques d’Etat, d’autres disent : « Pas du tout, c’est la mafia », d’autres : « Mais non, c’est l’armée » et d’autres encore : « C’est ce qui reste du KGB et du PC mal déstalinisé ». Votre sentiment, vous en revenez ?
H. de Charette : Mon sentiment est que la Russie est en effet dans une situation très difficile. Elle a à la fois parcouru un chemin très important et en même temps celui qui lui reste à accomplir est considérable. Elle est dans une situation très rude. Le chemin parcouru est formidable, on vote en Russie. Les élections législatives, tout le monde avait fantasmé sur l’idée qu’elles pourraient être reportées, repoussées, qu’elles pourraient ne pas avoir lieu et elles ont eu lieu. Et ceux qui ont vu se dérouler ces élections ont été frappés par le fait que le peuple russe est allé voter avec une sorte de conviction, ferme. C’est probablement la première fois, dans l’histoire russe, que les Russes sont vraiment allés voter avec application, sérieux. Il faut saluer cela et s’en féliciter, bien que j’entende des doutes s’exprimer ici et là, bien que l’on me dise qu’il va y avoir les présidentielles en juin. Les Russes doivent élire en juin prochain leur futur président et j’entends dire de tous : « Eltsine va les repousser… il va y avoir je ne sais quelle intervention militaire qui les rendra impossibles… il est malade ». Je crois donc, et avec modestie, que les élections auront lieu, premier progrès. Deuxième progrès : je crois aussi que les Russes ont engagé un certain nombre de réformes fortes, qui les font sortir d’une situation d’étatisation totale de l’économie, vers une situation d’insertion progressive dans les règles et les mécanismes de l’économie de marché qui est maintenant la règle générale du monde. En face vous avez quoi ? Une grande pauvreté, ça coûte vraiment très cher au peuple russe. Et ensuite toutes sortes de désordres parmi lesquels l’insécurité, des comportements mafieux, tout cela crée un trouble profond dans la population russe. Quand vous parlez de la montée du communisme en Russie, c’est un fait. Ce n’est pas un communisme déguisé, au fond, qui n’est plus le même que celui que l’on trouve dans les pays d’Europe centrale et orientale où l’on voit bien que si, certes, ce sont les anciennes élites, elles ne se réfèrent plus aux valeurs du communisme, mais c’est quelque chose qui n’est pas très éloigné, en Russie, du communisme d’hier.
I. Levaï : Le titre de Courrier International est intéressant. « Pour faire l’Europe, tout est à refaire ».
H. de Charette : Je ne crois pas qu’on puisse dire cela. Mais par contre, c’est vrai que nous sommes à un moment absolument déterminant, pas aujourd’hui mais pour les quelques années qui sont devant nous, de l’histoire européenne. Depuis un demi-siècle, nous avons construit l’Europe sur une idée simple, avec quelques pays de l’Europe de l’Ouest, fondée sur le couple franco-allemand, nous avions mis en œuvre une démarche intégrationniste consistant à mettre de plus en plus de sujets en commun pour créer un pôle fort en Europe de l’Ouest, fort politiquement et économiquement. C’était l’objectif. On s’aperçoit aujourd’hui de deux choses. D’abord la démarche d’élargissement de l’Europe est désormais engagée de façon irréversible. Cela veut dire que l’on va réaliser la grande Europe, l’Europe qui intégrera, qui associera en son sein l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale, une douzaine de pays. Ce travail va occuper les dix ou quinze prochaines années, ça va aller plus vite qu’on ne le pense. C’est un événement qu’on doit d’abord regarder comme un événement très positif. Pour la première fois dans son histoire, l’Europe sera rassemblée. Mais en même temps, ça pose beaucoup de questions parce que ce qu’on pouvait faire à quelques-uns vont vouloir aller plus loin. Ça, c’est la première question. La deuxième question qui se pose, c’est que plus on avance dans cette démarché – que j’ai qualifiée d’intégrationniste quitte à voir les cheveux se dresser sur la tête de quelques dogmatiques –, on va voir que pour aller loin, comme le veulent un certain nombre de pays et comme doit le vouloir la France – je ne cesserai de le redire – on commence à se heurter au noyau central des choses. La monnaie est l’événement mondial formidable qui est devant nous.
P. Le Marc : Est-ce que le gouvernement que vous représentez partage l’avis de V. Giscard d’Estaing sur la nécessité d’assouplir les critères ?
H. de Charette : Je sens votre impatience.
P. Le Marc : Pas du tout mais c’est une question importante, que tout le monde se pose. Est-ce que le gouvernement partage l’avis de V. Giscard d’Estaing ?
H. de Charette : Le gouvernement n’a pas délibéré. Il faut laisser les grandes personnalités de notre pays s’exprimer et V. Giscard d’Estaing a une expérience personnelle sur l’Europe qui le place en position de parler de façon crédible, avec autorité sur ces sujets.
P. Le Marc : Donc, ce n’est pas l’avis du gouvernement ?
H. de Charette : Laissez-moi terminer. Je vous ai dit, le gouvernement n’en a pas délibéré.
B. Guetta : Ça ne pose pas de problème, justement, que le gouvernement n’en ait pas délibéré ?
H. de Charette : Le gouvernement ne peut pas délibérer dans le quart d’heure d’une déclaration faite par une personnalité aussi éminente que V. Giscard d’Estaing.
B. Guetta : De l’Europe, quand même, oui.
I. Levaï : Laissez répondre M. de Charette.
H. de Charette : Leur impatience est telle qu’en fait, c’est eux qui parlent. C’est répondre qui est intéressant. Le fond de l’affaire est le suivant : il y a une échéance, celle du 1er janvier 1999, pour la monnaie unique. Cette échéance est dans nos statuts, dans la Constitution européenne. La Constitution européenne, c’est l’ensemble des traités dont le dernier, le traité de Maastricht. Il y a l’échéance du 1er janvier 1999 ; elle n’est pas facultative, elle est obligatoire, elle est dans le traité. Pour ceux qui sont prêts. Je voudrais vous dire ici que ma conviction, c’est qu’il faut respecter cette échéance et ne pas s’engager dans la remise en cause de ce calendrier pour les pays qui le peuvent, dont la France et l’Allemagne.
I. Levaï : Le gouvernement va donc tenir bon sur le calendrier ?
B. Guetta : Mais la France et l’Allemagne ne peuvent pas respecter les critères du traité.
H. de Charette : Nous sommes au début de l’année 96 et l’échéance est au 1er janvier 99. Il faut donc tenir cette échéance. Pour le reste, vous savez, il y a deux ans, cette échéance paraissait assez lointaine et facile à tenir. Maintenant, plus on va s’approcher, plus il va y avoir de débats. Il y a des débats en Allemagne parce que les Allemands sont, en face de cette question monétaire, extrêmement partagés. Les uns sont d’accord ; une majorité est tellement attachés au mark – qui a une importance plus que simplement financière dans la conscience collective allemande – est réservée, voire hostile. Il y a donc des débats en Allemagne, en France, mais je répète que la position allemande et la position française, c’est de tenir l’échéance du 1er janvier 1999.
P. Le Marc : Il est tout de même assez troublant que les partisans de la monnaie unique doutent maintenant de la capacité des grands Etats à entrer dans cette monnaie unique en 99.
H. de Charette : Bien entendu. Tout cela dépend, en réalité, d’un grand nombre de facteurs qui nous échappent, à commencer par le rythme de croissance des années qui viennent. Il est tout à fait clair que s’il est suffisamment élevé, tout cela se réglera sans grand problème pour la plupart des pays réellement concernés, en particulier pour la France et l’Allemagne. Au contraire, en effet, si la croissance devait faiblir durablement, on aurait des problèmes sérieux à résoudre.
I. Levaï : Vous dites qu’on va tenir la date mais vous constatez des débats formidables en Allemagne et en France.
H. de Charette : Oui, et c’est très sain. Ce débat n’est pas du tout quelque chose de nuisible.
I. Levaï : Comme vous êtes le ministre des Affaires étrangères de J. Chirac et d’A. Juppé, comme J. Chirac a vu H. Kohl, vous pouvez aujourd’hui nous dire que le Chancelier et la Président français tiendront bon sur la date ou molliront ?
H. de Charette : Pas du tout. Je peux vous confirmer que le Président J. Chirac et le Chancelier Kohl sont décidés à tenir l’échéance du 1er janvier 99.
B. Guetta : Comment ?
H. de Charette : Ça rentre dans le débat technique. Vous savez bien que ce qu’a engagé la France dans le domaine de sa politique budgétaire, de sa politique économique, de sa politique sociale consiste à être prêt pour cette échéance parce que nous pensons en effet qu’il y va de l’emploi en France. Je vois bien quel est le débat. On nous dit si vous allez trop vite, vous allez nuire à l’emploi. Ma conviction, que je réaffirme devant vous, c’est que la monnaie, c’est un enjeu déterminant pour le succès de la prospérité et de la lutte contre le chômage dans notre pays.
I. Levaï : V. Giscard d’Estaing dit ce matin qu’il n’y a qu’à prendre l’article 104 et sortir du seuil des 3 % du PIB si les déficits sont trop importants. Etes-vous d’accord avec lui d’assouplir ce critère ?
H. de Charette : Je ne suis ni en désaccord, ni en accord. C’est une proposition qui entre dans le débat et qui, le cas échéant, méritera d’être examinée. Ce que je voulais vous dire aujourd’hui, je crois que c’est important et que vous pouvez attendre de moi, c’est que l’échéance du 1er janvier 99 doit être tenue.
A. Ardisson : La question, c’est est-ce que c’est possible ? Si par malheur on ne respectait pas les conditions ?
H. de Charette : Ceux qui font des commentaires, pardonnez-moi de vous le dire, ont la faculté d’imaginer toutes les hypothèses. Ceux qui sont en charge de responsabilités gouvernementales doivent s’abstenir de commenter l’ensemble des circonstances et hypothèses possibles. Je vous dis qu’il faut le faire. Vous dites si, si, si : eh bien on verra.
I. Levaï : On entend des gens qui disent que la France et l’Allemagne sont solides et qu’elles devraient accoucher d’une monnaie unique entre le franc et le mark. C’est stupide ou on peut commencer comme ça ?
H. de Charette : Je ne vais pas dire que c’est stupide, simplement ce n’est pas ce qu’on a décidé de faire. Je crois qu’il faut s’en tenir à ce que nous avons décidé de faire : nous avons décidé, dans ce que j’appelais la Constitution européenne, de se fixer une échéance, le 1er janvier 1999, pour mettre en œuvre la monnaie unique avec les pays qui le peuvent. Il faut aller dans cette voie et il faut respecter cette échéance. Ce que je veux vous dire ici très clairement, c’est que l’engagement de la France – et l’engagement de l’Allemagne –, c’est leur décision commune de respecter cette échéance.
B. Guetta : Est-ce que la France et l’Allemagne vont réellement prendre des mesures de relance communes dans les semaines qui viennent ?
H. de Charette : Il y a des discussions et des débats que j’ai lus dans la presse.
B. Guetta : C’est ce qu’a annoncé le Président de la République mais l’Allemagne, silence radio.
H. de Charette : Comme vous le savez, les ministres de l’Economie et des Finances en discutent et c’est leur responsabilité de proposer à leur chef d’Etat les mesures propres à encourager l’activité économique dans nos deux pays. Mais je voudrais encore aller un peu plus loin. Il y a un autre sujet qui est tout à fait important dans le domaine de la monnaie unique. A l’origine, elle avait été conçue comme devant s’appliquer à la quasi-totalité des pays membres de l’Union, douze Etats membres de l’époque. Nous sommes quinze et l’élargissement est une démarche prévisible, et d’ailleurs bénéfique pour nous. A partir de là, ce qui se déduit automatiquement, c’est que dans l’Europe de demain, la monnaie unique sera le privilège d’un nombre limité de pays, probablement d’une minorité de pays.
I. Levaï : Les autres subiront le dollar et le poids de l’économie américaine ?
H. de Charette : Il y aura dès lors une conséquence très forte : il faudra créer entre la monnaie unique et les autres monnaies européennes un rapport, une organisation qui soient tels que les autres monnaies ne puissent pas faire n’importe quoi. Car nous n’allons pas en effet imaginer un marché unique dans lequel telle ou telle monnaie – je ne vise personne mais on voit bien déjà qui c’est – qui pourrait librement jouer à la hausse, à la baisse selon les intérêts du moment. La discipline, ça ne sera pas simplement pour ceux qui auront la monnaie unique. Mais le privilège, ce sera en effet pour eux.
P. Le Marc : La conférence intergouvernementale qui doit réfléchir sur les futures institutions de l’Europe se réunit à Turin à la fin du mois de mars, le RPR propose une présidence tournante de deux ans et demi qui serait réservée aux cinq grands pays de l’Union, est-ce que vous pensez que cela est opérationnel ?
H. de Charette : Ecoutez, je ne vais pas commenter toutes les propositions que l’on va recevoir telle une avalanche pendant cette période.
P. Le Marc : Elle vient du premier parti de la majorité, excusez-moi…
H. de Charette : Ce sera bien intéressant d’avoir toutes ces propositions et certaines seront sans grand intérêt et d’autres seront de bonnes propositions. S’il faut proposer à la France de présider plus longtemps, on ne dira pas non. Simplement il faut regarder les choses d’un peu plus près et se rendre compte que c’est quelque chose d’assez difficile à faire accepter par le Luxembourg, l’Irlande, le Danemark ou le Portugal et comme on décide quand même à quinze, à l’unanimité. Je souhaite bon vent à cette proposition.
I. Levaï : Est-ce une paix américaine qui se dessine au Proche-Orient ou est-ce que vous pouvez considérer que l’Europe a joué son rôle et la France en particulier ?
H. de Charette : Non, non. C’est tout à fait évident que l’Europe n’a pas été appelée à participer au processus de paix, jusqu’à aujourd’hui. Là-dessus, il n’y a aucun doute.
I. Levaï : Vous le regrettez ?
H. de Charette : Oui.
P. Pinto : Va-t-elle l’être maintenant ?
H. de Charette : C’est assez compliqué parce qu’une fois que les choses sont engagées, il n’est pas facile de revenir en arrière. Je ne suis pas ministre des Affaires étrangères depuis quinze ans, je ne le suis que depuis sept mois. Il n’empêche que nous arrivons à la phase finale de ce processus de paix avec les discussions qui sont ouvertes avec la Syrie et qui vont s’ouvrir probablement avec le Liban. Vous observez que les partenaires, c’est-à-dire aussi bien du côté israélien que du côté syrien, tiennent des propos optimistes. Ces propos optimistes reposent sur l’analyse que chacun fait de la position de l’autre. Je suis en Israël et les Israéliens m’ont dit que les Syriens paraissent décidés à aller jusqu’à la paix. Je suis allé à Damas et le Président H. El Assad m’a dit que les Israéliens paraissent décider à aller jusqu’au bout et notamment à évacuer le Golan. L’un et l’autre pensent que son partenaire est décidé à faire ce qu’il faut pour la paix. Donc je crois que l’on peut être optimiste sur ce processus de paix. Dans de dispositif, nous sommes particulièrement concernés parce que nous avons des liens solides avec la Syrie et que d’ailleurs nous avons l’intention de développer et de renforcer et parce que nous avons des attaches très fortes avec le Liban. Et je suis allé dire à tous mes partenaires que nous considérons l’intégrité territoriale et la souveraineté du Liban comme un élément essentiel auquel nous attachions une très grande importance. Il était temps que j’aille le dire parce que je ne suis pas sûr que ce sentiment était dans l’esprit de tous.
I. Levaï : Et les Syriens ont été impressionnés ?
H. de Charette : Oh impressionnés ! I. Levaï, vous ironisez sur mon compte ! J’ai dit ce que je pensais et je n’ai pas été mal reçu. Et les Israéliens eux-mêmes n’ont pas non plus mal considérés ce que la France dit. J’espère que cela nous permettra de peser sur le déroulement de ces choses dans cette phase.
P. Le Marc : A. Madelin est candidat à la présidence de l’UDF. Est-ce que cette candidature a l’aval de V. Giscard d’Estaing, comme on le dit, et est-ce qu’A. Madelin est votre candidat ?
H. de Charette : A. Madelin n’a pas l’aval de M. Giscard d’Estaing. Il n’est pas allé lui demander la permission.
P. Le Marc : Il l’en a informé ?
H. de Charette : Oui mais il n’est pas allé lui demander la permission. Du reste vous connaissez Madelin comme moi, ça n’est pas un homme à se plier à ce genre de chose. Trois observations au sujet de la candidature d’A. Madelin, que j’ai apprise comme vous par les médias.
P. Le Marc : Vous n’avez pas déjeuné avec lui, avec C. Million, avant que cette candidature soit rendue publique ?
H. de Charette : Non. D’abord c’est une candidature légitime car c’est une personnalité forte, un homme de caractère, de loyauté et dont il a tout à fait place dans cette compétition. J’apprécie en particulier qu’il annonce son projet et je dirais que faire de l’UDF la force de changement dont la France a besoin est quelque chose qui résonne positivement à mes oreilles. Je dirige une formation politique, le Parti populaire pour la démocratie française, le PPDF, qui fait partie de l’UDF, et donc je ne vais pas me déterminer tout seul. Nous nous déterminerons, dans les semaines à venir, en fonction des candidatures car il y en aura sans doute d’autres.
P. Le Marc : Léotard, Bayrou, vous les souhaitez vraiment ?
H. de Charette : Oui, ceux qui ont envie d’être candidats. Je souhaite qu’il y ait en tout cas un débat et pour cela, il faut qu’il y ait des candidatures. Que tous ceux qui ont envie d’être candidats donc…
P. Le Marc : Celle de V. Giscard d’Estaing aussi ?
H. de Charette : si c’est son intention… Mais je vous redis que Giscard d’Estaing n’a jamais mis la rénovation de l’UDF sur le sujet des débats de personnes.
I. Levaï : Je repense au congrès de Mets du PS…
H. de Charette : Ne présentez pas l’horreur ! Référence à… Le PPDF se déterminera donc en fonction des candidats, en fonction de leur projet. Et moi, personnellement, c’est ce que je défendrai devant les instances du PPDF. Je souhaite que l’UDF s’engage dans un objectif très, très précis. Créer la CDU à la française, c’est-à-dire un grand parti du centre et du centre-droit, qui soit libéral et qui soit aussi social et européen, et qui soit au cœur de la vie politique française la grande force politique dont le pays a besoin.
P. Le Marc : Madelin peut-il être capable d’incarner ce parti social.
H. de Charette : Je vous réponds le PPDF, dans les semaines à venir, se prononcera quand les candidatures auront été toutes sur la table et fera connaître son sentiment.
I. Levaï : C’est de la langue de bois !
H. de Charette : Non, c’est le respect des gens avec qui je travaille. Je travaille avec une formation politique qui est présente dans les 100 départements de France et vous voudriez qu’aujourd’hui je tranche la question. Je vais me retourner vers tous ceux qui dirigent ce mouvement et leur demander ce que nous faisons. Nous avons un candidat c’est une bonne nouvelle et il m’est sympathique.
A. Ardisson : Souhaitez-vous une candidature propre eu PPDF ?
H. de Charette : Non il n’y aura probablement pas de candidature du PPDF.
I. Levaï : On vous a longtemps présenté comme un très proche, très fidèle, très loyal au président Giscard d’Estaing. L’êtes-vous toujours ?
H. de Charette : Absolument !
P. Le Marc : Vous êtes proche d’A. Madelin aussi ?
H. de Charette : Oui. Nous avons fait cette campagne présidentielle du même côté, ensemble. J’ai beaucoup d’amitié, de considération pour A. Madelin.
I. Levaï : Sur les charniers de Bosnie : on se sent concerné ?
H. de Charette : Bien sûr, on se sent très sérieusement concerné. Il y a eu, dans cette guerre civile, sans doute l’une des plus atroces sur le continent européen, un certain nombre de choses qui dépassent toutes les limites et notamment ces charniers. Il y a un tribunal pénal international siégeant à La Haye, chargé de juger les crimes de guerre et je crois que ce tribunal doit non seulement faire tout ce qui est son travail, mais que les autres pays européens, nous-mêmes, les pays représentés dans le processus de pays en Bosnie-Herzégovine, doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que les coupables, les présumés coupables, puissent être jugés. Ce sera au tribunal de rendre ses décisions.
Date : 26 janvier 1996
Source : DPIC - Bulletin quotidien
Entretien du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec Europe 1, à Paris
J’ai dit à mes interlocuteurs que le problème tchétchène et les méthodes utilisées, qui n’étaient pas celles que nous estimions devoir utiliser, ont provoqué une émotion en France non seulement dans l’opinion publique mais aussi chez les dirigeants.
J’ai rappelé aussi que la Russie a souscrit aux engagements de l’OSCE et que ces engagements comportent le respect d’un certain nombre de principes.
J’ai donc dit deux choses aux autorités russes : premièrement, il faut en revenir au dialogue politique qui est la seule voie possible et deuxièmement, il faut que l’OCDE, qui a envoyé une mission sur place, puisse accomplir son travail.
Europe 1 : Est-ce que pour nous Européen, ce dossier tchétchène peut constituer un argument pour empêcher la Russie d’adhérer au Conseil de l’Europe ?
Hervé de Charette : Je ne le crois pas, je ne le souhaite vraiment pas. Je vois bien naturellement que c’est facile de se poser en juge et de condamner. La France réprouve ces méthodes, je l’ai clairement indiqué. En même temps, la Russie traverse une période extrêmement difficile ; à être avec nous, je crois qu’ils auront beaucoup à apprendre, j’en suis même persuadé. En même temps, nous leur montrerons que nous comprenons que c’est un peuple qui vit mal cette transition du communisme vers autre chose. Ils ont besoin de notre soutien, de notre aide, de notre appui.
Europe 1 : Ce soutien, cette aide que l’on accorde par le biais de Boris Eltsine, n’est-ce pas accorder un soutien à cet homme qui se présente dans moins de six mois aux élections et qui est un leader très controversé ?
Hervé de Charette : D’abord, ce n’est pas un soutien à ce que nous n’apprécions pas, à ce que nous condamnons, ni de près ni de loi. Plutôt que de rester sur la colline, les bras croisés, et dire que « lorsque vous aurez fait tout ce qu’il faut nous verrons », il faut avoir un peu plus de modestie, un peu plus de chaleur. C’est un peuple d’Europe et nous devons avoir conscience de ses difficultés. Mon métier de ministre des Affaires étrangères est de défendre les intérêts de la France, de contribuer à la paix et au développement en dialoguant avec les pays tels qu’ils sont. Aujourd’hui, c’est Boris Eltsine, et vous avez raison, il y a un débat. Il y a une élection présidentielle qui aura lieu au mois de juin, je ne sais pas qui sera élu, il y a des communistes, mais le retour des communistes est-il une bonne solution ? Pour les Russes, je ne sais, pour la France, certainement pas.
Europe 1 : L’aide, si elle est économique ou financière, est-elle avec ou sans conditions ?
Hervé de Charette : Je déteste la pratique qui consiste à donner des leçons à l’univers entier. Ceci dit, nous avons des principes. L’été dernier, nous avons signé un accord intérimaire avec la Russie. Nous avons mis près d’un an à le signer. Maintenant, il y a la perspective de l’application d’un accord de caractère plus durable. Nous serons bien entendu attentifs à ce qui se passe en Russie, croyez bien que nous n’avons pas l’intention de mettre nos principes et nos idéaux dans notre poche.
Europe 1 : On dit de M. Primakov, votre nouvel homologue qui a remplacé M. Kozyrev, que c’est un homme de l’ordre ancien ?
Hervé de Charette : Je connais la carrière de M. Primakov, et comme il a 66 ans, vous devez vous douter que s’il a ce niveau de responsabilités, c’est qu’il en a exercé dans l’ancien système. Mais j’ai entendu, de la part de Boris Eltsine et de M. Primakov, l’affirmation que la Russie poursuivrait son chemin dans la voie de la démocratie et dans la voie de l’ouverture économique, ainsi que dans la voie des réformes. Je l’ai entendu, et jusqu’à preuve du contraire bien sûr, je leur fais confiance.
Europe 1 : En deux mois, vous avez senti à travers cette visité en Russie, une Russie humiliée démotivée, en panne ?
Hervé de Charette : Humiliée, c’est certain, et c’est notre devoir de répondre à cela. La France considère la Russie aujourd’hui avec respect. Elle est l’héritière de la Russie éternelle./.