Déclaration et point de presse de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur l'accord entre l'Erythrée et le Yémen, Paris le 21 mai 1996 (en annexe le texte de l'accord).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Signature de l'accord sur les principes d'un règlement pacifique du différend Erythrée - Yémen à Paris le 21 mai 1996

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs les hauts-représentants,
Mesdames et Messieurs,

Je salue la signature par l'Érythrée et le Yémen de l'accord sur les principes d'un arbitrage et de la déclaration conjointe par laquelle les deux pays s'engagent à régler pacifiquement leur différend et témoignent ainsi de leur volonté de paix.

Qu'il me soit permis de rendre hommage à leur courage et à leur lucidité.

Leur courage en effet, parce qu'il en fallait pour choisir la paix par-delà les sentiments contraires nés d'une crise comme celle que leurs rapports ont connue.

Leur lucidité aussi, quant à l'intérêt mutuel de leurs deux peuples de retrouver la voie d'une amitié et d'une coopération qui avaient largement trouvé leur source dans un passé commun.

Mais je voudrais souligner également le sens élevé de la responsabilité dont ils ont fait preuve vis-à-vis de la communauté internationale, d'abord en sachant éviter une aggravation de la crise, ensuite en s'en remettant, pour résoudre leur différend, à l'arbitrage et au droit international.

Il est en effet d'un intérêt primordial, non seulement pour l'Érythrée et le Yémen – leur sécurité, leur développement – mais encore pour l'ensemble de la communauté internationale, que la paix règne dans cette partie du monde et qu'y soit en particulier garantie la liberté de navigation.

Je voudrais aussi prier M. le Haut-représentant du Secrétaire général des Nations unies de transmettre à M. Boutros Boutros-Ghali l'expression de la très haute appréciation de la France pour l'attention qu'il n'a cessé de porter à cette affaire dès l'automne 1995, et pour les conseils qu'il a personnellement donnés en vue de son règlement pacifique.

Je me dois d'autre part de remercier tous les pays de la région, qu'ils appartiennent ou non à la Ligue arabe ou à l'OUA, ainsi que les États-Unis, la Russie, et les États-membres de l'Union européenne pour l'appui qu'ils ont apporté à la recherche de ce règlement.

Mais je voudrais particulièrement associer l'Éthiopie et l'Égypte au succès que représente la conclusion de l'accord sur les principes et la déclaration conjointe entre l'Érythrée et le Yémen. Rien n'aurait été possible sans les efforts qu'ils ont initialement accomplis pour crée, un climat propice à l'apaisement, et sans les encouragements qu'ils ont ensuite prodigués aux parties ainsi qu'à la France.

C'est, vous le savez, au début de 1996, qu'après s'en être entretenus avec M. Boutros-Ghali, l'Érythrée et le Yémen ont demandé à la France de les aider dans la recherche d'une solution pacifique de leur différend. Le Président de la République décidait l'envoi d'une mission d'information dirigée par M. Francis Gutmann, ambassadeur de France, puis, au vu du rapport de cette mission, d'apporter la contribution demandée.

L'action de la France en l'occurrence a répondu à sa vocation naturelle à servir la paix dans le monde.

Elle n'a dans cette affaire aucun intérêt propre, et cette neutralité même est garante de son objectivité. Son seul but est d'aider à la paix, dans le respect de la dignité de l'une et l'autre parties, et dans l'esprit d'amitié qui caractérise ses relations avec chacune d'entre elles. C'est bien ainsi qu'elle continuera d'agir, conformément aux termes de l'accord sur les principes, accord qu'elle se sent honorée de contresigner comme témoin, aux côtés de ces deux grands pays de la région que sont l'Éthiopie et l'Égypte.

Enfin je crois que nous pouvons tous féliciter l'ambassadeur Gutmann. Il recueille aujourd'hui le fruit de ses efforts, le résultat de sa ténacité et de son expérience exceptionnelle.

Voici, Messieurs les ministres, Messieurs les Ambassadeurs, Messieurs les hauts représentants, Mesdames et Messieurs, mes chers amis, ce que je voulais vous dire simplement ma grande satisfaction de nous voir réunis pour célébrer une victoire de la paix, remportée par l'Érythrée et le Yémen, deux pays amis de la France.


Réponses du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, aux questions des journalistes, à Paris, le 21 mai 1996

Q. : Après la crise libanaise. C'est la deuxième fois que la France fait un retour sur la scène internationale. Considérez-vous que c'est un retour en force au Moyen-Orient et en Afrique ?

R. : C'est à vous d'en juger. Je voudrais dire simplement deux choses : d'abord, je me félicite très chaleureusement de l'événement que nous consacrons aujourd'hui ensemble. Comme je l'ai dit tout à l'heure officiellement, je voudrais le confirmer devant vous, les deux gouvernements de l'Erythrée et du Yémen ont joué un grand rôle pour que nous puissions parvenir à cette solution et mes remerciements vont naturellement tout d'abord à eux, de la façon la plus amicale et la plus chaleureuse. La France est heureuse d'avoir pu contribuer à les aider eux-mêmes à trouver une voie pacifique pour régler le différend qui les opposaient. Naturellement, l'Égypte et l'Éthiopie ont joué également un rôle très actif. Je suis sensible à ce que vous dites sur le rôle de la France, ce n'est pas moi qui serais porté à le sous-estimer. Je ne veux pas non plus sous-estimer, loin de là, le rôle des autres parties et des autres pays qui nous ont aidés à aboutir à une solution concrète.

Nous avons plusieurs motifs de satisfaction : cet événement qui est important, ce que nous avons fait au Liban qui l'est également, et la décision qui a été prise sur l'application de la résolution 986, qui est un événement également significatif dans lequel la France a pris une grande part. Ici même, j'avais reçu M. Tarek Aziz à la fin de l'année dernière pour lui dire quelle importance nous attachions à cette question, et combien il nous semblait qu'il était nécessaire d'avancer et de bouger. C'est ce qui s'est passé et je crois que, là encore, c'est un troisième point sur lequel la France a des raisons de se féliciter.

Q. : Quel sera le rôle de la France après la signature de l'accord ?

R. : Après la signature de cet accord, la France va naturellement continuer à suivre sa mise en œuvre. En particulier, c'est à Paris que se réuniront les juristes de la partie yéménite et de la partie érythréenne pour examiner les modalités pratiques de sa mise en œuvre. D'autre part, bien entendu, la France a accepté d'observer la situation sur le terrain de façon à veiller à ce que les dispositions de l'accord, qui prévoient qu'il n'y ait pas de mouvement, et en particulier d'activité de caractère militaire, dans cette partie en débat, soient strictement respectées. La France remplira deux missions : une mission diplomatique de suivi et de mise en œuvre de ce dispositif, et d'autre part une mission d'observation.

Q. : D'observation aérienne ?

R. : Nous utiliserons les moyens d'observation appropriés.

Q. : Comment voyez-vous le rôle de l'Égypte dans cet heureux dénouement ?

R. : L'Égypte a joué un rôle très important. D'abord, parce que dès le début de la crise, elle est intervenue auprès de l'ensemble des parties et qu'elle a opéré un premier effort de médiation, ensuite parce qu'elle a appuyé de façon très dynamique et très active, aussi bien auprès de l'Érythrée que du Yémen, l'action de la France, qui a d'ailleurs été menée en pleine concertation avec les autorités égyptiennes. Je suis donc très reconnaissant à l'égard de mon collègue Amr Moussa. Le gouvernement français est reconnaissant à l'égard du gouvernement égyptien pour son concours très important.

Q. : Comment jugez-vous ce qui s'est produit aujourd'hui et croyez-vous qu'il y a un espoir qu'on règle le conflit dans cette région ?

R. : Je crois que cet événement est très important. Il est l'aboutissement d'efforts très patients, très laborieux, de l'ensemble des pays de la région et, en particulier, de l'Éthiopie et de l'Égypte. C'est l'effort aussi de bonne volonté et de recherche d'une issue pacifique par les autorités du Yémen et de l'Erythrée. Tout cela a permis que la France puisse jouer pleinement le rôle de médiateur qui lui avait été demandé par les deux parties.

Je suis optimiste, je crois que cet accord ouvre désormais la vie à une issue pacifique du différend qui opposait le Yémen et l'Erythrée.


Accord sur les principes d'un règlement pacifique du différend Érythrée-Yémen, à Paris, le 21 mai 1996

Le gouvernement de l'État d'Érythrée et le gouvernement de la République du Yémen, ci-après dénommés « les Parties »,

Animés du désir de rétablir leurs relations pacifiques dans l'esprit de l'amitié traditionnelle entre leurs deux peuples,

Conscients de leurs responsabilités à l'égard de la communauté internationale en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, et de sauvegarde de la liberté de navigation dans une région particulièrement sensible du monde,

Rappelant les initiatives et les efforts de la République fédérale démocratique d'Ethiopie et de la République arabe d'Égypte,

Rappelant l'initiative du Secrétaire général des Nations unies, visant à ce que la France apporte sa contribution au processus de règlement pacifique relatif au différend entre l'Érythrée et le Yémen,

Rappelant la réponse favorable de la France à la demande exprimée par l'Érythrée et par le Yémen d'une telle contribution, et la série de consultations que la France a effectuées par la suite auprès de l'Érythrée et du Yémen,

Sont convenus de ce qui suit :

I. – Dispositions fondamentales

Article premier

1. Les Parties renoncent à recourir à la force l'une contre l'autre et décident de régler pacifiquement leur différend sur des questions de souveraineté territoriale et de délimitation des frontières maritimes :

1.1. Elles décident d'établir un tribunal arbitral (ci-après dénommé « le Tribunal ») conformément aux dispositions du présent accord et du compromis d'arbitrage dont elles conviendront en vertu des dispositions du présent accord.

1.2. Elles demandent au Tribunal de se prononcer conformément au droit international, en deux étapes :

a) dans une première étape, sur la définition du champ du différend entre l'Érythrée et le Yémen, sur la base des positions respectives des deux Parties ;

b) dans une seconde étape, et après s'être prononcé sur le point mentionné à la lettre a) ci-dessus, sur :

i) les questions de souveraineté territoriale,

ii) les questions de délimitation des frontières maritimes.

2. Elles s'engagent à respecter la sentence du tribunal arbitral.

3. Chaque Partie s'abstient de toute forme d'activité ou de mouvement militaire contre l'autre Partie. Cet engagement reste en vigueur jusqu'à l'exécution de la sentence finale du tribunal arbitral.

II. – Arbitrage

Article 2

Le tribunal arbitral se compose de cinq arbitres. Chaque Partie choisit deux arbitres, et le cinquième, qui est Président du Tribunal, est choisi par les quatre arbitres déjà choisis par les Parties. Si les quatre arbitres ne parviennent pas à un accord, le cinquième sera choisi par le Président de la Cour internationale de Justice.

Article 3

1. Le Tribunal se prononce sur les questions de souveraineté territoriale et de délimitation des frontières maritimes entre les deux Parties conformément aux dispositions de l'article premier du présent accord.

2. En ce qui concerne les questions de souveraineté territoriale, le Tribunal statue conformément aux principes, aux règles et aux pratiques du droit international applicables en la matière, ainsi que sur la base, notamment, des titres historiques.

En ce qui concerne la délimitation des frontières maritimes, le Tribunal se prononce en prenant en compte l'opinion qu'il se sera fait sur les questions de souveraineté territoriale, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, et tout autre élément pertinent.

3. Il peut consulter les experts de son choix.

Article 4

1. Les représentants des deux Parties se réunissent à Paris aussitôt que possible en vue d'établir l'accord instituant le tribunal arbitral. Ledit accord définit le mandat ainsi que, en particulier, les méthodes de travail et les règles de procédure du Tribunal.

2. Si les deux Parties ne peuvent convenir d'un accord avant le 15 octobre 1996, elles demandent au Président de la Cour internationale de Justice de charger un juge de la Cour d'établir dans les trente jours un accord obligatoire instituant le tribunal arbitral.

III. – Contribution de la France

Article 5

Les Parties confient au gouvernement de la République française le soin :

a) de leur apporter sa contribution pour l'établissement de l'accord instituant le tribunal arbitral et, notamment, de proposer la date de la première des réunions prévues à l'article 4, paragraphe I ci-dessus ;

b) en vue de faciliter l'application de l'article premier, paragraphe 3 du présent accord, d'observer toute forme d'activité ou de mouvement militaire conformément aux arrangements techniques dont les Parties et la France conviennent dès que possible, en tout état de cause avant l'établissement du tribunal arbitral.

Lesdits arrangements, qui visent à établir un mécanisme d'observation que la France proposera en ayant en vue de lui donner l'efficacité requise, sont destinés à éviter la tension.

Ils précisent le champ et les modalités de l'observation, notamment l'exercice par la France de la liberté de survol et de navigation, ainsi que d'autres facilités en tant que de besoin.

France informe le Secrétaire général des Nations unies de ce qui a été observé.

IV. – Dispositions finales

Article 6

Rien dans le présent accord, en particulier les dispositions visées à l'article premier ci-dessus, ne peut être interprété comme portant préjudice aux positions juridiques ou aux droits de chaque Partie concernant les questions soumises au Tribunal, ni ne peut affecter ou porter préjudice à la sentence du tribunal arbitral ou aux considérations et motifs sur lesquels se fonde ladite sentence.

Article 7

Le présent accord entre en vigueur dès sa signature par le gouvernement de l'Etat d'Erythrée et par le gouvernement de la République du Yémen.

Article 8

1. Le présent accord est contresigné, en tant que témoins, par les gouvernements de la République française, de la République fédérale démocratique d'Éthiopie et de la République arabe d'Égypte.

2. Ce faisant, le gouvernement de la République française déclare en outre que, sur la base des engagements des deux Parties figurant dans le présent accord, il accepte les missions décrites à l'article 5 ci-dessus.

Article 9

1. Un exemplaire du présent accord est déposé auprès du Secrétaire général des Nations unies qui le porte à la connaissance du Conseil de sécurité, ainsi qu'auprès du Secrétaire Général de l'Organisation de l'Unité africaine, et du Secrétaire général de la Ligue arabe.

2. L'accord instituant le tribunal arbitral ainsi que la sentence arbitrale seront déposés dans les mêmes conditions que celles prévues pour le présent accord au paragraphe 1 du présent article.

3. Le présent accord est établi en deux exemplaires originaux, chacun en langues anglaise, arabe et française, le texte en langue anglaise faisant foi.

En foi de quoi, les plénipotentiaires soussignés, dûment autorisés à cet effet, ont signé l'accord.


Fait à Paris, le vingt-et-un mai mil neuf cent quatre-vingt-seize.

Pour le gouvernement de l'État d'Érythrée

Pour le gouvernement de la République du Yémen

Témoins

Pour le gouvernement de la République française

Pour le gouvernement de la République du Yémen

Pour le gouvernement de la République fédérale démocratique d'Éthiopie

Pour le gouvernement de la République arabe d'Égypte.