Texte intégral
Entretien à l'émission du « Dimanche soir » sur France 3 (23 heures) – Extraits – 3 décembre 1995
Contexte politique (retour des ex-communistes en Pologne)
Q. : Question maintenant au ministre de la Défense à propos du retour d'ex-communistes dans plusieurs pays de l'Est, en tout cas pour l'instant de la Pologne, peut-être demain en Russie. Est-ce que c'est de nature à peser sur les choix stratégiques de la France le retour d'ex-communistes dans ces pays ?
R. : Les choix stratégiques sont calculés ou sont définis par rapport à des hypothèses qui ne prennent pas en compte les événements politiques au jour le jour. Il est évident que la France actuellement envisage des changements politiques majeurs dans telle ou telle nation et que c'est à partir de ce moment-là qu'elle a défini sa politique de défense. C'est la raison pour laquelle elle souhaite toujours détenir une force de dissuasion ce qui nous a amené à faire la campagne d'essais nucléaires que vous connaissez.
Effectifs (décision après le vote du projet de loi de programmation 1997-2002)
Q. : Est-ce que vous avez pu chiffrer le nombre d'emplois en moins en 1996 dans l'industrie de l'armement et ce, après les décisions économiques que le gouvernement a prises, c'est-à-dire une diminution de 12 milliards dans le projet de budget 1996 ?
R. : Je l'ai dit et je l'ai répété, aujourd'hui nous n'avons pas fait, en fait, de choix définitifs puisque le Parlement doit se prononcer par une loi de programmation d'équipements au mois de mai, juin prochain, que le président de la République doit prendre des décisions importantes en matière de dissuasion et que ce ne sera qu'après les décisions du président de la République et après le vote de la loi que je pourrai répondre précisément à votre question.
Concertation sociale
Q. : Quel est le signal que le gouvernement pourrait donner à partir de ce soir pour rassurer les Français et inciter les syndicats à sortir de cette espèce d'engrenage que l'on perçoit comme étant très mauvais pour le pays ?
R. : Je crois que le seul signal, c'est notre volonté de dialogue et de rencontre. Je crois que tous les ministres l'ont démontré durant le week-end. François Bayrou a reçu tous les partenaires de l'université, Jacques Barrot l'a fait savoir et personnellement je viens le réitérer au nom de tous les membres du gouvernement. Nous sommes disposés à recevoir toutes celles et tous ceux qui veulent réfléchir avec nous, non pas au statu quo – nous sommes très clairs – non pas au maintien des situations acquises ou des situations telles qu'elles existent mais à l'évolution de notre société et à la réforme de notre pays pour que la France puisse affronter la concurrence internationale, puisse affronter le XXIe siècle avec tous les atouts qui sont les siens.
Entretien à RFI (8 h 18) – Extraits - 6 décembre 1995
Q. : L'invité de RFI, c'est le ministre de la Défense. La France resserre ses liens avec l'OTAN. Le chef de la diplomatie française a annoncé hier à Bruxelles que Paris souhaitait accroître sa participation aux structures militaires d'une Alliance Atlantique qu'elle souhaite rénovée. La décision de la France a surtout valeur de symbole car elle participait déjà depuis 1993, mais seulement de manière informelle, et au coup par coup aux réunions de l'Alliance qui la concernaient directement, par exemple aux réunions de planification de l'OTAN sur la Bosnie. Charles Millon revient sur la nomination hier, au poste de Secrétaire général de l'OTAN de M. Javier Solana. Il a été désigné consensuellement, mais il bénéficie d'une espèce de dictat des États-Unis qui ont éliminé le candidat précédent, Ruud Lubbers, ancien Premier ministre néerlandais pourtant le candidat des états membres de l'Union Européenne.
Secrétaire général de l'OTAN
R. : Je ne sais quel est le point de vue des États-Unis sur la désignation de Javier Solana comme Secrétaire général de l'OTAN. Je peux simplement vous dire, que la France s'en félicite. Pourquoi ? D'abord, parce que l'Espagne a une approche de la question de l'Alliance et de la défense européenne, qui est très similaire à celle de la France et que ceci permettra d'avoir une rénovation de l'OTAN, telle que nous le souhaitons. Deuxièmement, parce que Javier Solana connaît bien les problèmes européens. Il a fait partie du gouvernement espagnol pour amener l'Espagne à s'intégrer dans l'Europe. Or, demain, l'un des défis que nous aurons à relever sera la défense européenne dans le cadre de la CIG et dans le cadre de la rénovation de l'OTAN auxquelles j'ai fait référence. Et troisièmement je suis convaincu que, compte tenu de sa culture, de son talent, Javier Solana pratiquera dans quelques temps le français. J'ai eu l'occasion d'avoir avec lui des conversations privées où il s'est exprimé dans un français moins compréhensible que sa langue natale mais dans un français qui était pour moi tout à fait intelligible.
Relations France - Alliance atlantique (Comité militaire)
Q. : En 1966, la France quitte le Commandement militaire intégré mais reste membre bien sûr de l'Alliance. C'est un choix politique mais aussi sans doute un choix industriel. Hier, la France a annoncé la décision du président de la République d'un retour dans le giron de la structure militaire, du moins dans le secteur non-intégré. Monsieur le Ministre, qu'est-ce qui change ?
R. : D'abord, ce n'est ni une réintégration, ni un retour. C'est une nouvelle démarche, ce qui est complètement différent. Je rappellerais que le Général de Gaulle lorsqu'il avait pris sa décision avait émis le souhait que se constitue un pilier européen. Il avait interrogé nos amis américains pour que l'OTAN puisse évoluer vers une concertation et une coopération permanentes entre le pays européen et le pays atlantique. Les choses évoluent lentement. On appelle cela la maturité ou le mûrissement. En adoptant cette nouvelle démarche, nous poursuivons quatre objectifs :
– le premier objectif, c'est la rénovation de l'OTAN, c'est-à-dire une OTAN plus adaptée aux objectifs actuels. Il faut se rappeler qu'en 1989 le mur de Berlin est tombé. Il faut se rappeler que l'empire soviétique s'est écroulé et qu'à partir de ce moment-là, les objectifs de l'OTAN ont évolué, qu'elle est devenue une alliance de sécurité, qui doit prendre de nouvelles responsabilités ;
– le deuxième objectif, c'est de constituer le pilier européen de défense. J'en ai déjà parlé, je n'y reviendrai pas ;
– le troisième objectif, c'est de trouver une nouvelle méthode de travail entre les ministres de la Défense et ceci se fera de manières multiples. Nous ne cherchons pas à réintégrer tel ou tel organisme, tel ou tel comité. Nous cherchons à travailler ensemble. C'est ce que nous avons fait pour aborder la question de la Bosnie. C'est ce que nous continuerons à faire et c'est la raison pour laquelle d'ailleurs nous irons siéger au comité militaire lorsqu'il le faudra. Autrement dit, le général Pélisson qui est actuellement le représentant de la France ira siéger à ce comité militaire pour pouvoir préciser notre attitude et pouvoir participer aux décisions de l'OTAN ;
– le quatrième objectif c'est que nous souhaitons qu'il y ait des relations de travail permanentes entre les missions militaires françaises et puis les grands commandements de l'OTAN. C'est déjà le cas mais nous aimerions un approfondissement et un renforcement dans ce domaine-là. Sachez bien que c'est le début d'un processus et non la fin. Ce n'est pas l'aboutissement d'une démarche, c'est l'engagement d'une démarche.
Q. : Hier, le Conseil de l'Atlantique Nord a donné l'autorisation de l'envoi de la force de paix en Bosnie. Comment, sera-t-elle organisée ? Quelle part y aura la France et est-ce que vous ne croyez pas que l'affrontement est inévitable avec les forces bosno-serbes, compte-tenu des dernières déclarations du général Mladic ?
Force multinationale de la paix en Bosnie-Herzégovine
R. : C'est vrai qu'hier, c'était une journée historique. Journée historique pour la rénovation de l'OTAN, journée historique par la désignation d'un nouveau Secrétaire général mais journée historique surtout, parce que pour la première fois, l'OTAN va participer à une action sur le théâtre européen. Une force multinationale va être constituée. À cette force multinationale, la France va amener 10 000 hommes dont 7 500 engagés. Elle est en train de renforcer sa présence dans le domaine du renseignement, et celui des communications.
Sarajevo
La France occupera les secteurs de Sarajevo, Mostar, Ploce pour permettre le renforcement de la paix. Vous avez soulevé une question importante, celle des Bosno-serbes dont un certain nombre de leaders ont fait des déclarations un peu excessives. La France a fait savoir qu'il convenait de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures particulières à Sarajevo, qu'il fallait sans doute évoluer assez rapidement vers une démilitarisation, c'est-à-dire demander à la population de rendre les armes, et qu'il fallait sans doute aussi réfléchir à des moyens de coopération entre toutes les communautés. La France, elle, mettra tout en oeuvre pour garder l'équilibre entre les communautés.
Pilotes militaires français disparus
Q. : Autre satisfaction prudente quant à celle évolution future en Bosnie : est-ce qu'elle ne doit pas être tempérée du moins pour les autres Français par les incertitudes quant au sort de deux pilotes dont on est toujours semble-t-il sans nouvelles ou est-ce qu'il y a des éléments nouveaux ?
R. : Je rappelle tout d'abord que le président de la République depuis le premier jour, quotidiennement, se préoccupe de ce dossier avec le ministre des Affaires étrangères et avec moi-même. Je voudrais redire sur cette antenne mon admiration pour les familles qui traversent des heures d'angoisse et je voudrais confirmer à la communauté militaire notre détermination de ne pas laisser cette affaire sans suite. Il est bien évident comme un certain nombre d'informations nous le confirment, que les pilotes sont vivants. Nous exigeons de la part des ravisseurs, le respect de la Convention des droits des prisonniers, la Convention de Genève et leur libération ; je le dis très clairement puisqu'il semble que ce soit de ce côté-ci qu'il convient de s'adresser, je dis clairement aux autorités bosno-serbes qu'elles auraient à le regretter si elles continuaient à faire la sourde oreille des décisions que serait amenée à prendre la France.
(manque interviews RMC, RTL et Europe 1)