Interviews de M. Jean-Jack Queyranne, ministre délégué à l'outre mer et ministre de l'intérieur par intérim, à France 2 le 5 janvier 1999 et à RTL le 13, sur la sécurité dans les banlieues et l'élection pour la présidence de la région Rhône-Alpes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

France 2 – 5 janvier 1999

Q - Vous avez eu la lourde mission d'assurer l'intérim du ministère de l'Intérieur pendant quatre mois. J'aimerais que vous nous racontiez la journée d'hier, le retour de J.-P. Chevènement au ministère.

- « Hier, J.-P. Chevènement est arrivé de bonne heure au ministère. Nous attendions les membres du Gouvernement. Vous savez que, traditionnellement, nous allons présenter les voeux au Président de la République, mais auparavant il y a un petit-déjeuner du Gouvernement Les membres du Gouvernement sont arrivés les uns après les autres, très chaleureux. Beaucoup voyaient J.-P. Chevènement pour la première fois depuis quatre mois. On s'est embrassé. J.-P. Chevènement avait un large sourire. Il revenait dans son ministère. Il avait, à la fois fait "ses globules rouges", comme il dit, mais aussi fait profusion de dossiers, il avait préparé cette rentrée avec beaucoup de réflexion - un temps de réflexion important »

Q - Il y a eu un petit moment d'émotion ?

- « Oui, bien sûr ! D'abord parce que le Premier ministre a salué l'arrivée de J.-P. Chevènement au nom de l'amitié de l'ensemble des membres du Gouvernement C'était plus une réunion de famille autour de quelqu'un qui nous avait manqué, qu'une affaire politique. »

Q - A. Peyrefitte, hier dans Le Figaro, dit: heureusement que J.-P. Chevènement revient parce que, pendant quatre mois, il y avait beaucoup de dossiers en souffrance. Est-ce que vous avez ce sentiment ?

- « D'abord, heureusement que J.-P. Chevènement revient. Oui, j'assurais la continuité de l'Etat. J'ai gardé le cap pendant quatre mois avec beaucoup de dossiers à gérer. J'en ai eu un véritable concentré pendant les quatre mois. Rappelez-vous les problèmes de sécurité dans les transports, dans les banlieues, la question des sans-papiers, la Corse. Je pense que, dans l'ensemble, j'ai tenu ces responsabilités avec la volonté d'aller dans le sens défini par le Premier ministre et par J.-P. Chevènement. Monsieur Peyrefitte peut porter telle ou telle appréciation ; c'est vrai qu'on ne résout pas les problèmes en quelques mois, surtout des problèmes aussi lourds pour la société française. »

Q - Donc, J.-P. Chevènement va reprendre, par exemple, l'enquête sur la mort du préfet Erignac…

- « Ce n'est pas J.-P. Chevènement qui mène l'enquête ; c'est évidemment la police judiciaire. C'est une enquête qui se poursuit avec les difficultés d'établir des preuves. Mais, en Corse, nous avons au cours de ces mois, réaffirmé la volonté de maintenir l'Etat de droit, d'éviter toute déviance sur le plan des comportements. Et je crois que la ligne tracée a bien été suivie. »

Q - Le Président de la République, hier lors de ses voeux, a parlé de la sécurité dans les banlieues. Vous pensez que c'est une attaque perfide ?

- « Le Président de la République a dit que c'était la préoccupation des Français, avec l'emploi ! Ce sont les deux grands sujets qui concernent les Français : l'emploi et la sécurité. Le Gouvernement en fait un sujet d'action et d'intervention. Maintenant, la sécurité dans les banlieues, il faut l'assurer, parce que ce sont ceux de nos concitoyens qui ont souvent les situations les plus difficiles, qui souffrent de l'insécurité, qui souffrent des agressions, qui souffrent des violences. Donc, c'est une préoccupation du gouvernement de gauche. Mais, en même temps, on ne résout pas cela par quelques formules magiques - ça n'existe pas. Et le travail que avons mis en place avec les contrats locaux de sécurité - c'est-à-dire cette volonté d'associer les élus locaux, les associations, les commerçants, les offices HLM, les sociétés de transports à une politique de sécurité qui n'oppose pas la prévention à la répression, mais qui travaille à la fois sur la prévention, sur la dissuasion, sur la sanction, sur la réparation - je pense que c'est quelque chose qui doit porter ses fruits. »

Q - Dans deux jours, il y aura l'élection de la présidence de la région. Rhône-Alpes. On sait que C. Millon est candidat, on sait que le groupe UDF-RPR a désigné A.-M. Comparini. Est-ce que vous êtes tête de liste du groupe socialiste ?

- « Moi, je suis prêt à être candidat si la gauche se réunit comme elle l'a fait le 15 et le 20 mars. Je vous rappelle que la gauche était en tête de par le suffrage des électeurs. C'est indiscutable. Donc, la gauche a la légitimité pour diriger la région. Elle représente une force d'alternance par rapport à une droite qui a fait cette alliance avec le Front national, celle de Monsieur Millon qui n'a pas su s'en détacher et qui, aujourd'hui, n'a pas encore clarifié ses positions. Moi, je suis prêt à être candidat dans cette perspective, à la fois pour Rhône-Alpes, pour faire ce choix, et pour que la gauche s'affirme dans cette élection. Mais, en même temps, les choses sont claires: notre objectif c'est de tout faire pour que Monsieur Millon - ou l'un de ses proches, peu importe ! - ne réédite pas l'alliance avec le Front national. Parce que la région Rhône-Alpes a trop souffert de cette image, elle a trop souffert de voir ses politiques dans le domaine de la culture, des universités, de la ville, marqués par le fer rouge du Front national. »

Q - Et si, par un jeu de voix, A.-M. Comparini était la mieux placée au premier tour, vous seriez prêts...

- « A condition qu'elle dise clairement qu'aucune politique ne peut être menée avec le Front national avec la région. Il ne s'agit pas de confusion, il s'agit d'une clarification indispensable. Mais, je pense aussi que la gauche a ses chances au niveau de la région, et qu'après tout elle n'a pas failli dans ce combat. La gauche représente pour Rhône-Alpes une capacité de repartir. Il faut un nouveau départ. Les neuf mois que venons de vivre ont été une période très sombre pour notre région. On est la deuxième région de France ! On ne peut pas continuer comme ça. »

Q - Vous revenez à l'Outre-mer, vous abandonnez définitivement le ministère de l'Intérieur ?

- « Je n'avais jamais quitté l'Outre-mer. Pendant cette période on a eu la Nouvelle-Calédonie avec une issue positive. Je reste ministre de l'Outre-mer avec le chantier des départements d'outre-mer, d'une loi d'orientation que nous préparons. Mais aussi, je serai aux côtés de J.-P. Chevènement pour toutes les questions qu'il voudra bien me confier. »

RTL - 13 janvier 1999

Q - Parlons de la sécurité. Vous avez assuré l'intérim de J.-P. Chevènement et donc vous conservez une compétence auprès du ministère de l'Intérieur. L. Jospin a parlé de l'éloignement des délinquants les plus durs. Avez-vous le sentiment que la justice ne fait pas son travail ?

- « Je crois que la justice fait son travail mais qu'il manque un dispositif entre les foyers ou ce qu'on appelle l'éducation en milieu ouvert, et d'autre part la prison, dont on sait qu'elle peut avoir une influence très lourde sur ceux qui sont mis en prison. Il faut une autre institution. Il en existe. Pas assez. Eloigner les jeunes des quartiers, cela me parait être une mesure qui s'impose quand ceux-ci créent dans les quartiers de véritables réseaux, jouent les caïds et polluent la vie des quartiers. »

Q - J.-P. Chevènement irritent encore certains à gauche lorsqu'il parle de « sauvageons ». Vous partagez son sentiment ?

- « Oui, c'est une expression qui décrit des jeunes qui ont perdu tout repère, qui ont perdu tout rapport à la règle et qui, surtout, font régner la violence dans les quartiers. Or la violence ne peut pas être la règle de vie dans une société. Donc, il faut à tout prix sur ce plan prendre des dispositions. Moi je suis en accord avec J.-P. Chevènement. Il faut imaginer ces solutions, mais de nature éducative évidemment. »

Q - On dit aussi que la police ne fait pas vraiment son travail. Par exemple, ce matin, nous avons diffusé des reportages faits à Toulouse où dès gens se sont constitués pratiquement en bloc d'autodéfense, parce qu'ils en ont marre de voir leur voiture brûler et parce que lorsqu'ils appellent au commissariat, la police ne vient pas.

- « Je ne crois pas. Je crois quand même que, dans notre pays, la police intervient. Il n'y a pas de zone de non-droit, j'ai pu le vérifier pendant ces quatre mois au ministère de l'Intérieur. »

Q - Ca arrive quand mime que les policiers ne viennent pas.

- « Parfois ils arrivent un peu en retard, peut-être. En tout cas, il faut qu'ils soient présents sur le terrain. Il faut occuper le terrain. L'occuper d'abord par l'îlotage - c'est ce qu'on fait tous les jours. »

Q - Attendez! Nous avons diffusé aussi l'interview de syndicalistes policiers qui disent : on n’y va pas, c'est vrai, tout simplement qu'on nous dit de ne pas y aller pour éviter les bavures ?

- « Non, non. La police doit être présente, elle doit être présente à travers une occupation du terrain de jour - c'est l'îlotage -, mais elle doit être aussi présente à travers des formations plus, spécialisées comme les brigades anti-criminalité, ce qu'on appelle les BAC, la nuit, où des actions qui peuvent être menées par le déploiement des forces de police. Mais il est difficile devant les groupes très mobiles, devant les actions de cette nature-là, de pouvoir intervenir de façon préventive. Moi je suis pour que la police soit présente partout. Pas de zone de non-droit. »

Q - Il faudra bien, quand même, y arriver! Parce que, ces groupes d'autodéfense, c'est quand même dangereux !

- « Bien sûr, c'est dangereux ! De même que la multiplication de sociétés privées. Je crois que c'est à la police d'assurer la paix civile dans la République. La police et les autres institutions, évidemment. »

Q - Vous parlez de l'îlotage, mais est-ce que les policiers sont formés ? L'année dernière, il y a eu l'instauration des Contrats locaux de sécurité. On parle toujours de police de proximité, mais on ne la voit pas beaucoup ?

- « Il y en a 150 Contrats locaux de sécurité. On développe l'îlotage. L'îlotage, c'est une solution de jour, c'est-à-dire qui permette d'être présent dans les quartiers, de faire remonter les informations, d'être au contact des habitants. Effectivement, le soir, quand on a affaire à des groupes dont l'intention est de nuire, évidemment, il faut à ce moment-là d'autres moyens. Mais moi je plaide vraiment pour une occupation du terrain, pour que cette force de dissuasion, que la présence policière peut exercer, assure cette tranquillité publique. »

Q - Mais les policiers ne veulent plus aller sur le terrain ?

- « Si ! Ils veulent. D'abord, ils ont des responsabilités sur ce plan-là, des ordres qui leur sont donnés par leur hiérarchie en ce qui concerne la présence sur le terrain. Moi je pense que les policiers dans leur immense majorité, font un travail difficile, on le voit à travers ceux qui ont été blessés, ceux qui, parfois même, sont décédés en action. Il ne faut pas, sur ce plan-là, mettre en cause les policiers. Leur présence doit être sûrement plus adaptée à ces phénomènes de délinquance. »

Q - L'envoi massif de CRS - il ne s'agit pas de critiquer les uns - mais l'envoi massif des CRS c'est un pis-aller. On sait bien que ce n'est pas la solution.

- « C'est une action d'urgence quand il y a un phénomène de crise. L'essentiel, après, c'est d'occuper, d'être présent, et puis en même temps de mettre sur pied toute une série d'actions. Ce n'est pas simplement la police qui garantit la paix civile dans les quartiers. C'est aussi une action éducative qui associe les habitants »

Q - Parlons maintenant de Rhône-Alpes. Alors que vous aviez 60 voix, vous avez laissé la place à Mme Comparini qui en avait 15. Ca parait un peu anormal, non ?

- « Mais, j'ai proposé aux représentants de l'Alliance, au RPR et au UDF, de voter pour moi, puisque c'était logique. C'est ce qu'on appelle le désistement républicain face aux menaces que représente le FN. Je crois que le RPR et l'UDF ne sont pas prêts encore à faire ce geste. Ca ne participe pas à leur culture. Moi j'avais toujours dit : la priorité, c'est de chasser C. Millon et le FN de la direction de la région Rhône-Alpes - C. Millon, M. Gascon, qui était une reproduction de M. Millon. En nous y sommes parvenus. Cela était notre objectif. »

Q - Et, en même temps, vous avez dynamité l'Alliance ?

- « Ecoutez, si l'Alliance s'est comportée de cette façon-là, elle doit s'en prendre à elle-même. On a assisté pendant deux jours, trois jours, à une véritable danse de Saint-Guy du RPR qui, à un moment, disait : "Votez Comparini !" A un autre moment disait : "Votez Gascon !". Sans voir d'ailleurs que M. Gascon avait déjà le soutien de M. Gollnisch, le numéro 2 du FN tendance Le Pen. Ce qui prouve une certaine myopie politique. L'attitude de l'Alliance qui disait d'abord refuser la gauche, puis ensuite le FN, conduisait à cette impasse, en tout cas, en ce qui concerne l'attitude de Démocratie libérale et du RPR. »

Q - On dit en fait qu'il y avait un pacte, un accord secret avec F. Bayrou avant même le début du scrutin ?

- « Non, il n'y avait pas d'accord secret. »

Q - Il s'est bien entendu avec vous, quand même, F. Bayrou ?

- « Il y a une situation locale. Moi je n'ai jamais eu aucun contact avec M. Bayrou. Il y a eu une situation locale qui fait que des hommes et des femmes de droite, dont Mme Comparini, se sont éloignés... »

Q - Vous n'avez jamais eu F. Bayrou au téléphone ?

- « Jamais, jamais, jamais ! Je peux en... »

Q - Donc, il n’y a pas eu d'accord ?

- « Pas d'accord. Simplement... »

Q - Il n’y a pas eu de conciliabules comme entre C. Millon et B. Gollnisch ?

- « Simplement, il y a eu sur le plan local, des hommes et des femmes de droite qui se sont détachés de C. Millon. Il y en avait trois le 20 mars, et puis après il y en a eu d'autres qui ont dit : on ne peut pas continuer, on ne peut pas entraîner la région Rhône-Alpes dans cette situation, où la faute était morale, mais avait des conséquences sur la gestion de la région. »

Q - Maintenant, vous allez continuer à prêter vos 60 voix à Mme Comparini pour qu'elle puisse mener une bonne politique de droite ?

- « Mme Comparini va d'abord prochainement présenter les dossiers qui avaient été sabordés sous la période Millon, et puis après nous aurons à juger aux actes. Nous avons une capacité d'amendement, nous respecterons les règles, nous serons une opposition constructive. »

Q - Vous pourriez voter contre elle ?

- « Nous verrons, selon ce qu'elle propose. Mais nous ne ferons pas la politique du pire. Maintenant, je crois que Rhône-Alpes a besoin un peu de paix, de travailler et de sortir de cette sombre, période. »

Q - Pour que les électeurs s’y retrouvent, est-ce que, finalement, la vraie position morale ne serait quand même pas la dissolution du Conseil régional pour leur permettre de trancher ?

- « Mais la dissolution n'est possible qu'après un blocage long. C'est une décision qui relève du Conseil des ministres. Donc, ce n'est pas une décision qu'on peut prendre parce qu'on a perdu les élections. »

Q - Non, mais puisque tout le monde parle de morale et d'éthique politique, vous ne croyez pas ce serait finalement la vraie solution ?

- « Moi, je n'ai jamais repoussé cette idée qu'on donne la parole aux électeurs pour trancher un différend politique. Mais il faut réunir les conditions juridiques. Elles ne l'étaient pas hier, elles ne le sont pas aujourd'hui. »

Q - Vous pouvez bloquer, si vous voulez. Comme cela, vous aurez les conditions juridiques ?

- « Nous ne ferons pas cette politique de blocage, parce que je crois que ça irait à l'encontre de la volonté de cette région qui, enfin, retrouve une plus grande sérénité. »