Texte intégral
Mesdames, messieurs, chers amis, je voudrais ajouter mes remerciements à ceux que vient de vous adresser Jean-Christophe Cambadélis, à vous tous, aux socialistes qui ont participé à ce colloque et surtout naturellement à nos invités, intellectuels, syndicalistes, personnalités politiques qui ont accepté de venir réfléchir avec nous, de venir confronter leurs idées avec les nôtres. Ce colloque et d'autres initiatives, je serai le 2 avril à Bercy à l'invitation de Robert Hue, témoignent d'un nouvel état d'esprit à gauche et dans le mouvement écologiste ; un esprit de débat, de dialogue, une volonté de réfléchir sur les problèmes considérables auxquels nous sommes confrontés en cette fin de siècle.
Il est difficile naturellement de savoir où cela nous conduira. Nous ne devons pas nous dissimuler les différences qui existent entre nous et elles étaient visibles, par exemple sur la monnaie unique, ni d'ailleurs exagérer ces différences sur d'autres sujets. Il ne s'agit pas pour nous de semer des illusions, mais il y a néanmoins cet état d'esprit nouveau à gauche, dans le mouvement du progrès. J'ai l'impression, en plus, que chacune de nos formations, revenant sur son bilan historique, car chacun à son bilan, est en mouvement, en recherche, et de tout cela je veux me réjouir.
Viennent de débattre avec nous cet après-midi, après les ateliers de ce matin auprès de responsables socialistes, Charles Fiterman, Noël Mamère, Robert Hue, Dominique Voynet, Jean-Michel Baylet. Je les remercie. Vous aurez noté leur liberté de ton, la force parfois de leurs interpellations réciproques et en même temps ce respect qui existait entre eux et ce courant de fraternité qui ressurgissait.
Il me revient de conclure cette journée. Vous le savez, Pierre Moscovici nous l'a dit en introduisant ces deux tables rondes de cet après-midi nous avons décidé, nous socialistes, de mener dans notre Parti trois grands débats, l'un sur le thème qui nous occupe aujourd'hui, le second, bientôt, sur les acteurs de la démocratie, le troisième enfin sur la redistribution. Mais ces réflexions, ces débats, nous avons voulu aussi les nouer avec d'autres.
Pourquoi avons-nous choisi ce thème « Mondialisation Europe France » ?
Parce que nous sommes tous conscients qu'il y a une formidable évolution du monde, qui se fait sous l'égide de ce qu'on peut appeler un nouvel âge du capitalisme et il s'agit bien de parler de capitalisme. Or, cette évolution nous voulons la comprendre et nous voulons chercher à la maîtriser.
Parce qu'il est nécessaire aussi de refonder notre pensée européenne. Nous ne sommes pas des pro-européens en soi, en tout cas je ne le suis pas, mais nous sommes des pro-européens en fonction d'un certain contenu de l'Europe. L'Europe doit être un plus pour les peuples qui la composent et non pas tendre à devenir un moins.
Enfin, parce que nous voulons redéfinir le rôle de l'État national, face aux politiques qui arguent de la mondialisation ou de l'engrenage européen pour démissionner de leurs propres responsabilités.
Nous voulons que la France reste pour nous un cadre essentiel de notre identité et un lieu de volonté pour l'action gouvernementale.
Nous réaffirmons d'abord notre volonté de comprendre le monde et de peser sur lui. Un des arguments essentiels des forces qui veulent peser sur la conscience des peuples, qui veulent les conduire à accepter des régressions, est que la réalité mondiale, internationale leur échappe, qu'il faut l'accepter comme telle, qu'elle ne peut pas être mue, qu'elle ne peut pas être changer. Nous, nous voulons dire, parce que nous pensons que cela est vrai, que le monde peut continuer à être compris et qu'on peut le faire bouger. C'est être conforme à l'esprit internationaliste de la gauche, c'est être fidèle à la tradition universaliste de la France, c'est de toute façon nécessaire face aux exigences d'un monde désorganisé, sur le plan économique, par les excès des mécanismes financiers. Et c'est aussi la façon par laquelle nous commençons à poser le rôle et la place de l'Europe dans les relations internationales. Nous voulons aussi affirmer – et j'y reviendrai tout à l'heure, faisant écho à ce que disait Robert Hue –, que nous ne voulons pas que la mondialisation soit l'alibi de l'impuissance des dirigeants, parce que si les dirigeants disent à leur peuple qu'ils sont désormais impuissants, il ne faut pas alors être surpris du vacillement de la démocratie.
Il nous faut à la fois comprendre ces phénomènes de mondialisation et nous nous y sommes efforcés dans le document que nous discutons, et en même temps réorganiser, réguler cette mondialisation dans le but de répondre à ce que disait Charles Fiterman en début d'après-midi, de refonder cette organisation internationale du monde sur de nouvelles bases.
Dominique Voynet nous donnait l'exemple de cette formidable réaction de la Bourse de New York, chutant parce qu'on annonçait que l'économie américaine avait créé en un mois 750 000 emplois.
N'est-ce pas la meilleure façon de montrer à quel point l'organisation actuelle du monde, sous l'égide des marchés financiers, est folle et tourne le dos aux intérêts des peuples. Mais ne faudrait-il pas ajouter à cet exemple celui que nous donnait à Davos le gouverneur d'une grande banque centrale européenne, en affirmant tout de go que désormais les gouvernements devraient agir sous la surveillance des marchés financiers en prenant en compte autant les avis des marchés financiers que les réactions de leurs opinions intérieures. C'est cette conception du monde dont nous ne voulons pas et que nous voulons modifier, ce qui suppose de créer de nouveaux rapports de force, notamment avec les États-Unis, à partir de la puissance européenne, et je pense qu'on peut utiliser le terme, je le préciserai, de puissance européenne.
Nous voulons rebâtir un système monétaire international. Nous voulons rééquilibrer les relations économiques mondiales en intégrant, en tout cas quand c'est nécessaire, effectivement des critères sociaux ; intégrer les problèmes de l'environnement, contrôler les métiers financiers, taxer les mouvements de capitaux pour pénaliser les mouvements spéculatifs, mais à l'échelle internationale car je ne vois pas comment nous pourrions le faire seulement ou seuls à l'échelle nationale ; mener aussi une politique de prévention des crises et c'est pourquoi nous avons repris ce terme de Conseil de sécurité économique.
À cet égard, puisque la question a été posée, je voudrais dire que sans doute s'agit-il moins de formuler les termes d'un nouvel ordre mondial, formule qui, pour des progressistes, est peut être ambiguë, que de poser les termes d'une nouvelles organisation du monde, à défaut que cela soit un ordre mondial.
Nous avons par ailleurs, – nous y avons travaillé cet après-midi –, esquissé ce que j'appellerais une nouvelle synthèse sur l'Europe. Oui, nous réaffirmons, en tout cas nous les socialistes, mais je n'ai entendu personne ici y manquer, sauf peut-être dans une tonalité très particulière, m'a-t-il semblé, Jean-Pierre Chevènement, nous avons réaffirmé notre engagement européen. Parce que cette construction qui a fait la paix, qui consolide les démocraties, qui libère potentiellement les forces économiques, qui construit un ensemble vraiment à l'échelle du monde, reste un des grands projets historiques de ce siècle, ce siècle qui a été un siècle de tragédies de guerres mondiales dont certaines, notamment en Europe, ont été au moins autant des guerres civiles que des guerres mondiales. Mais nous voulons agir pour une certaine conception de l'Europe, consolider et démocratiser avant l'élargissement, rééquilibrer dans sa politique économique vers la croissance et vers l'emploi, avec des protections sociales préservées, des législations sociales avancées, des services publics confirmés. De ce point de vue je pense, avec Noël Mamère, que le vote à la majorité, introduit davantage à l'occasion de la conférence intergouvernementale, permettrait de faire des pas en avant dans le domaine de l'environnement, dans le domaine de la justice fiscale, dans le domaine du droit du travail. Si on ne passe pas au vote à la majorité dans un certain nombre de domaines, et l'Europe finalement continuera à avancer vite dans le domaine du marché, donc dans le domaine du libéralisme, puisque là le vote à la majorité fonctionne, mais au contraire avancera à un rythme lent dans les autres champs où justement peut s'affirmer une politique de Gauche.
Une Europe qui doit être présente dans la réalité mondiale. Je pense que l'Europe, parce qu'elle est l'association libre de nations peut être une Europe puissante, mais une puissance d'un nouveau type, c'est-à-dire une puissance non impériale, avec un modèle dont on a rappelé tout à l'heure les termes, qui est proposée à la confrontation des civilisations ou des ensembles et dotée aussi d'une capacité d'intervention dans l'ordre de la politique extérieure et de la défense, en même temps qu'elle préserve sa diversité culturelle. Il est clair que c'est cette conception de l'Europe qu'à travers les moyens qui seront les nôtres – nous ne sommes pas au gouvernement – nous ferons passer ou nous nous efforcerons de faire passer à l'occasion de la conférence intergouvernementale.
Si je voulais essayer de répondre à l'interrogation qui était celle d'Henri Emmanuelli disant : « peut-on être encore, sans schizophrénie » – il esquissait une solution, mais reconnaissez qu'elle était dramatique –, « peut-on être à la fois socialiste et européen » ? J'ai envie de lui répondre et de vous dire que cette conception de l'Europe que nous avons esquissée ensemble est sans doute la seule qui permette à l'aventure européenne de se poursuivre dans les années qui viennent, parce qu'une autre Europe, celle qui se dessine actuellement, n'aura pas l'adhésion des peuples, et parce qu'elle risque de se dissoudre effectivement dans la mondialisation à travers le libre-échange. Mais en même temps, et de ce point de vue, je rejoins ce que disait Pierre Mauroy, il y a un instant. Nous ne devons pas, je dirais même, nous ne pouvons pas refusez l'Europe sous prétexte qu'elle est pour le moment trop libérale, pas plus que nous n'avons pu et que nous ne devons encore aujourd'hui refuser de nous inscrire dans l'espace national français, sous prétexte qu'il est dominé par un gouvernement conservateur. Cette lutte doit être menée, mais cet espace ne peut pas être nié.
J'ai envie de dire à Jean-Pierre Chevènement que je suis convaincu, ce qui peut être à terme résoudra nos différenciations d'aujourd'hui, que l'Europe sera non libérale ou bien ne sera pas, parce que l'aboutissement d'une Europe libérale, c'est en réalité la dissolution de l'Europe.
La monnaie unique. Je voudrais ici dire très clairement que je n'ai pas la religion de la monnaie unique. Nous avons vécu depuis quarante ans sans monnaie unique et nous pourrions vivre en Europe sans monnaie unique. D'ailleurs, peut-être constaterons-nous en 1999 que nous ne passons pas à la monnaie unique, et il serait dramatique de laisser entendre à nos peuples, ou même dans notre cohérence intellectuelle, que s'il n'y a pas la monnaie unique, c'est tout d'un coup l'Europe qui disparaît. Mais en même temps je suis, nous sommes favorables à la monnaie unique. Je le suis comme le sont les agriculteurs. Je le suis comme le sont les pécheurs. Je le suis comme le sont les avionneurs du Sud-Ouest de la France, c'est-à-dire des acteurs économiques et sociaux qui ne veulent pas voir leurs prix concurrencés par la dévaluation de la lire italienne dans le premier cas, par la dévaluation de la peseta espagnole dans le second, ou par les mouvements erratiques du dollar dans le troisième. À cet égard, Laurent Fabius a donné un argumentaire excellent, que je n'ai pas besoin de reprendre. Oui, pour nous, la monnaie unique, c'est avec l'objectif de contrecarrer la spéculation contre les monnaies nationales et aussi pour jeter les bases d'un nouveau système monétaire international plus équilibré.
J'ajouterais d'ailleurs que lorsque je vois que les États-Unis sont défavorables à la perspective de la monnaie unique et qu'en Allemagne tels ou tels milieux y viennent avec très peu d'enthousiasme, je me dis que d'une certaine façon cela doit être positif pour nous. Mais je pense, et c'est ce que nous avons écrit, que cette monnaie unique doit être accompagnée par une politique économique et sociale tournée davantage vers les besoins des peuples et notamment tournée vers la lutte pour l'emploi, vers la recherche d'une croissance plus forte et aussi accompagnée d'exigences sociales. Oui, voilà notre approche de la monnaie unique. Mais il n'y a pas, et c'est là une différence essentielle qu'il faut examiner ici, il n'y a pas de notre part une hostilité de principe à la monnaie unique, et nous ne sommes pas sur la thèse d'une monnaie commune, dont je ne vois pas bien comment elle pourrait fonctionner.
Ce que nous disons c'est que, compte tenu de la situation économique des pays européens, compte tenu des exigences notamment sociales que nous avons formulées, nous apprécierons politiquement, au moment où se posera la question du passage, si nous voulons réaliser effectivement et si nous pouvons réaliser la monnaie unique. Je voudrais ajouter que ce qui me paraît intéressant aussi dans notre démarche, et je pense que nos points de convergence sont ici beaucoup plus larges, c'est qu'il y a une cohérence entre notre projet pour la France et notre vision de l'Europe. La droite au pouvoir ne peut pas nous convaincre qu'elle va en Europe défendre le service public, quand elle privatise en France, qu'elle va en Europe préserver la protection sociale, lorsqu'elle l'attaque chez nous, qu'elle va en Europe affirmer la priorité de l'emploi, alors qu'elle laisse le chômage filer. Il y a au contraire une recherche de cohérence, dans nos objectifs en France et en Europe, notamment dans le domaine de la politique économique, mais pas seulement, exigence de plus de démocratie, rééquilibrage de la politique économique vers l'emploi et la croissance, nouvelle exigence sociale, affirmation du service public, réduction du temps de travail, réforme fiscale et réduction des inégalités. Ce qui me frappe aussi, c'est qu'il me semble qu'à ce propos, dans des projets qui doivent être à la fois des projets nationaux et un projet européen, il y a comme la naissance d'une conception commune aux partis membres du parti des socialistes européen.
Les leaders de ces partis se voient désormais tous les deux ou trois mois, et engagent dans un cadre restreint des discussions qui portent de plus en plus sur le fond, et notamment sur les échéances immédiates auxquelles nous sommes tous confrontés, mais pour lesquelles certains chefs de gouvernement ou dans des coalitions gouvernementales – ils sont dix actuellement en Europe – doivent participer directement à la table des négociations.
Cette conscience commune d'une conception commune est sans doute encore embryonnaire. Elle n'est pas exempte de contradictions et Jack Lang rappelait ce matin que les ministres des Finances dont les chefs de gouvernement nous avaient dit la veille à Lisbonne « nous sommes favorables à la relance économique, notamment par les grands travaux », le lundi même, deux jours après, exprimaient une opinion négative dans une réunion des ministres de l'Économie et des Finances. Mais, en même temps, cette conscience commune s'affirme. Personnellement, j'ai dit à ces leaders à Lisbonne le week-end dernier : Si l'Europe, la construction européenne ont été, pour schématiser, le résultat d'un compromis historique entre les chrétiens-démocrates d'une part et les sociaux-démocrates d'autre part, alors reposons les termes de ce compromis. Car dans la politique de libéralisation de la construction européenne, telle qu'on la vue ces dernières années, il me semble que les forces de gauche en Europe, en tout cas les forces sociales démocrates en Europe représentées au gouvernement n'ont pas suffisamment insisté sur leur approche spécifique. Si bien que les termes de ce compromis historique n'étaient plus assez nettement posés de notre côté.
Nous avons utilisé aussi, vous le savez, dans notre texte la formule de Jacques Delors « une fédération d'États-nations », formule qui peut paraître pour les puristes du juridisme un peu obscure, mais qui à mon avis marque bien l'originalité de la construction politique européenne. On peut à la fois affirmer l'exigence fédérale et en même temps comprendre qu'une fédération européenne ne sera pas une fédération d'États fédérés comme les États fédérés se rapportent à l'État fédéral aux États-Unis. On ne fédère pas de vieux États nations. On ne fédère pas des nations ayant une histoire, une culture qui, pour plusieurs d'entre elles, ont dominé leur temps, comme on fédère des États des États-Unis d'Amérique. Je pense que cette construction, cette formule originale d'un mouvement de caractère fédéral, mais qui fédère des États-nations, et qui le restent, avec leur histoire, leur identité, leur système politique particulier est une formule qui convient.
Dans cette triple réflexion sur le monde, l'Europe, nous n'avons gardé d'oublier le cadre national et il me semble qu'il nous faut réhabiliter la dimension nationale de notre politique. La nation, la référence nationale restent, j'en suis convaincu pour nombre de nos concitoyens, un facteur puissant d'identité. Bien sûr, on a un nom, on est d'une famille, mais les cadres familiaux sont de plus en plus fragiles. Bien sûr, on est d'un village ou d'un quartier, mais les villages se dépeuplent et les quartiers connaissent pour le moment l'uniformisation d'une urbanisation anarchique. Bien sûr, on est d'une classe, d'un groupe social, mais nous savons tous que les identités de classe ont eu tendance à se réduire au cours de ces dernières années. Mais on est aussi d'un pays, et d'un pays qui chez nous s'appelle la France. C'est un espace reconnu, c'est une histoire partagée, c'est une culture revisitée et donc la France est à mon sens un thème qui ne doit pas être dans ces moments de perte de repères abandonné aux nationalistes de la droite extrême.
En outre, le cadre national reste bien le lieu primordial du débat démocratique. Naturellement, ce n'est pas la nation qui a inventé la démocratie. La cité grecque, les villes italiennes l'ont fait vivre bien avant que ne se crée l'État national, qui s'est d'ailleurs fondé sur des réalités plus souvent monarchiques ou autoritaires. Mais avec le suffrage universel, avec la délégation accordée à des élus ou avec le fonctionnement de la démocratie directe, avec la mise en cause des dirigeants qui rendent des comptes au peuple et peuvent être sanctionnés par lui, avec l'action des syndicats, du mouvement associatif, c'est bien dans le cadre national que vit le plus pleinement la démocratie, que peuvent se confronter des opinions et s'esquisser, quand on sait le faire, une volonté populaire. Et jusqu'ici il est juste de dire que la construction européenne n'a pas su inventer des formes et des mécanisme de démocratie, de contrôle et de transparence aussi fort. Ils continuent à exister dans le cadre national.
La prise de décision dans le cadre européen est souvent vécue comme une perte de démocratie et l'État, comme l'a rappelé Michel Rocard, même s'il doit être réformé, ne doit pas être décrié. Car derrière la critique systématique de l'État, telle qu'on l'entend dans les milieux de droite libérale, l'État constamment confondu avec un appareil, l'État constamment confondu avec une bureaucratie, n' est-ce pas l'idée d'un État expression finalement de la souveraineté populaire et incarnant un intérêt général contre les intérêts privés, que l'on cherche à détruire pour laisser alors le champ libre aux intérêts privés ?
Enfin, le cadre national est aussi pour nous le cadre des solidarités. Jacques Delors insistait ce matin pour dire que l'école, la culture, les systèmes de protection sociale devaient relever pour l'essentiel, même si l'on peut avancer l'idée d'harmonisation vers le haut des législations sociales, avec notamment cette idée d'un salaire minimum européen – quand je dis un salaire minimum européen, je veux dire naturellement des salaires minimum européens, puisqu'on ne pourrait pas d'abord le situer au même niveau pour l'Allemagne et pour le Portugal – de la responsabilité nationale. Il est essentiel naturellement de s'y attacher, puisqu'à beaucoup d'égards c'est sur ces questions de l'école, c'est sur ces questions culturelles, c'est sur ces questions de la législation sociale, c'est sur ces questions de la protection sociale que s'expriment les différences dans les politiques nationales, notamment la différence des politiques menées par la droite ou par la gauche, par les conservateurs ou par les hommes de progrès.
Nous devons marquer, et je fais très clairement écho à ce que disait Robert Hue dans son intervention, oui, nous voulons marquer que le cadre national reste un espace et un lieu de responsabilité. Nous ne voulons pas que la mondialisation ou l'Europe soit l'alibi de l'impuissance de nos gouvernants ou l'alibi que nous nous donnerions à nous-mêmes par avance pour ne pas prendre la responsabilité des politiques que nous avons à conduire.
Je voudrais conclure en disant que nous avons en novembre et en décembre connu en France un considérable mouvement social. Je ne l'idéalise pas, mais en même temps je ne l'ai pas, deux mois après, oublié, et je veux, avec ceux qui travaillent avec moi, en tirer des leçons pour l'avenir. Il me semble que ce mouvement, que j'ai personnellement ressenti comme positif et non pas comme négatif, comme pleinement actuel et non pas comme archaïque, il me semble que ce mouvement posait et pose encore aujourd'hui des questions qui relèvent justement de la triple problématique qui conduit nos réflexions d'aujourd'hui mondiales, européennes et nationales.
Ces hommes et ces femmes qui sont entrés dans la grève, qui ont manifesté, qui ont protesté et qu'on a voulu parfois traiter comme régressifs, conservateurs, corporatistes, tournés vers l'arrière, ils épousent en réalité pleinement le monde moderne. Regardez leurs métiers l'enseignement, la santé, les télécommunications, les transports, le courrier, ce ne sont pas des activités pleinement modernes ? Je crois que les hommes et les femmes qui se sont engagés dans ce mouvement ne voient pas pourquoi désormais demain devrait être moins souriant, voire même carrément plus sombre qu'aujourd'hui ; pourquoi la modernité devrait signifier retour en arrière, pourquoi le progrès technique devrait être désormais une régression sociale ?
Pour faire écho, là encore, à des mots qui ont été utilisés tout à l'heure, ils nous veulent sans doute patriotes français, mais je suis sûr qu'ils nous veulent aussi citoyens européens et, pourquoi pas, hommes et femmes du monde ? Ils nous demandent – d'organiser le monde, de relancer l'Europe et d'utiliser les moyens de l'État-nation dans le sens du bien commun. C'est au service de cet objectif que nous avons souhaité organiser ce débat, c'est aussi dans le sens de cet objectif que nous aurons l'occasion d'agir.
Quant aux propositions parfois différentes qui sont les nôtres, et on a vu à quel point sur une deux ou questions au moins elles pouvaient l'être, eh bien je crois que ce sera effectivement, selon la méthode démocratique, aux Français de trancher entre elles. Si justement les Français nous redonnent leur confiance, soyez sûrs que notre intention à tous, quelle que soit la place que nous déciderons d'occuper dans ce processus politique, notre intention à tous sera de faire progresser la France et l'Europe face à la mondialisation. Je vous remercie.