Interviews de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte ouvrière à RTL le 8 janvier 1999 et à RMC le 20 janvier, sur la campagne commune de Lutte ouvrière et de la LCR pour les élections européennes de 1999 et la stratégie électorale de l’extrême gauche.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - RMC - RTL

Texte intégral

RTL - 8 janvier


Olivier Mazerolle : Bonjour, Arlette Laguiller.

Arlette Laguiller : Bonjour.

Olivier Mazerolle : Alors vous allez diriger une liste commune avec Alain Krivine, une liste d'extrême gauche pour les européennes. Vous voulez aller à Strasbourg ?

Arlette Laguiller : Oui, bien sûr. J'espère que nous serons plusieurs à y aller d’ailleurs.

Olivier Mazerolle : ça veut dire au moins 5 % des voix, ça.

Arlette Laguiller : Oui, oui. C'est ça, actuellement, les sondages nous créditent de cela. On a fait cette liste avec la Ligue communiste révolutionnaire, enfin elle sera rendue officielle dans quelques jours, le 16 janvier. On l’a faite parce qu'on pense que de plus en plus de travailleurs, de jeunes, d’intellectuels pensent que l'extrême gauche représente des valeurs de changement social et nous voulons vérifier par cette liste commune qu'il y a de plus en plus de gens qui pensent que nous représentons cela. Et en se présentant ensemble, nous mettons je crois le maximum de moyens et de chances de notre côté pour le montrer.

Olivier Mazerolle : Alors plus de 5 %. Mais combien éventuellement ?

Arlette Laguiller : écoutez, je ne suis pas en train de faire là des pronostics. Je crois que ce qui est important, c'est de dire que l’Europe avec la suppression des frontières, avec la libre circulation des hommes, des marchandises, avec une monnaie unique, ça pourrait être un magnifique espoir, ça pourrait être la fin du Moyen Âge, la fin de tous ces peuples qui se sont heurtés les armes à la main pendant des décennies et des décennies. Malheureusement, je crains que cette Europe là, elle continue à être sous la domination des financiers, sous la domination des capitalistes et que la barbarie continue dans cette  Europe parce que la barbarie, aujourd’hui, c'est le chômage et c’est la misère. Et c'est tout cela que nous allons dénoncer dans cette campagne.

Olivier Mazerolle : L'euro tout de même semble nous réserver des crises financières les plus rudes que vit le monde.

Arlette Laguiller : écoutez, ça, nous verrons. Je suis très sceptique là-dessus. Mais ce que je peux dire simplement, c'est que, si cette Europe réussit, ça sera en faveur des capitalistes et des financiers. Et ce que j’espère simplement, c’est que dans ce continent finalement de 300 millions de personnes où il y a peut-être 100 millions, 200 millions - je ne sais pas exactement - de salariés qui comprendront que leurs exploiteurs, ils ne sont pas de l'autre côté des frontières, que ce n’est pas les autres travailleurs qui sont leurs concurrents mais que leurs exploiteurs, ils sont à l’intérieur de leurs frontières et que, finalement, c’est tous ensemble, les travailleurs d’Europe, qu’on pourra construire une autre société d’où sera exclu le chômage et la misère. C’est essentiellement ça que nous dirons dans cette campagne.

Olivier Mazerolle : Vous voulez remplacer le Parti communiste dans l’esprit des gens comme force de contestation révolutionnaire ?

Arlette Laguiller :Vous savez, si le Parti communiste fait un bon score, non l’interpréterons comme une radicalisation dans le monde du travail et d’autant plus d’ailleurs si l’extrême gauche fait aussi un bon score. Et si les deux font un bon score, oui, ça voudrait dire que tant la bourgeoisie que Jospin ont du souci à se faire parce que ça veut dire qu’il y a une radicalisation qui est en train de se produire malgré la participation de trois ministres du Parti communiste au Gouvernement.

Olivier Mazerolle : Vous avez envie de dire « Parti communiste, collabo » ?

Arlette Laguiller : Oh, je n’emploie pas du tout ce genre de mot. Ce que pense, c’est qu’il y a dans la classe ouvrière, dans le monde du travail des militants du Parti communiste qui, comme nous, se battent quotidiennement contre les suppressions d’emploi. Votre collaborateur a annoncé tout à l’heure encore des bénéfices en hausse dans l’automobile. Mais tout ça, ça s’est fait au détriment des travailleurs de Renault ou de Peugeot par des suppressions d’emploi, par une précarité plus grande, par des cadence infernales dans les entreprises et…

Olivier Mazerolle : D’accord. Mais le Parti communiste ne fait plus son boulot là en ce moment ?

Arlette Laguiller : Et les militants du PC comme les militants de Lutte Ouvrière…

Olivier Mazerolle : Les militants mais la direction ?

Arlette Laguiller : Ou de la Ligue communiste révolutionnaires luttent ensemble dans les entreprises malgré la participation du PC au Gouvernement.

Olivier Mazerolle : Alors enquiquiner le Gouvernement Jospin, c’est une obsession pour vous ?

Arlette Laguiller : Oh, je n’ai pas d’obsession, moi, dans la vie sinon d’arriver à changer cette société. Et je pense que ce Gouvernement ne mène pas une politique qui vise à en finir avec le 5 à 6 millions de chômeurs et précaires qu’il y a dans ce pays, c’est-à-dire des millions de gens qui sont aujourd’hui dans la précarité, dans la misère car on nous dit que le chômage diminue, peut-être un petit peu mais ce qui augmente, c’est la précarité. Elle touche de plus en plus de gens.

Olivier Mazerolle : Et quand on vous dit le Front national a fait perdre le élections à la droite, eh bien vous, ça va être la même chose, vous allez faire perdre les élection un jour au PS et à la gauche.

Arlette Laguiller : écoutez, ce qui est essentiel dans toutes les élections, c’est que s’affirme justement la voix de ceux qui n’ont jamais la parole, qui sont exploités pour que les capitalistes fassent de plus en plus de profit parce que c’est ça, la situation aujourd’hui, c’est 30 % d’augmentation, plus de 30 % d’augmentation des cours de la bourse et c’est à côté de ça une misère et une précarité plus grande avec tout ce qui en découle d’ailleurs comme problème dans les quartiers populaires, dans les quartiers ouvriers. C’est tout ça qu’il faut changer.

Olivier Mazerolle : Alors il y a ceux qui pensent également qu’avec Alain Krivine, c’est un petit PACS là le temps de l’élection et qu’après, vous allez de nouveau vous séparer puisque vous vous êtes souvent dénigrés quand même.

Arlette Laguiller : écoutez, avec la Ligue communiste révolutionnaire, si on avait toujours la même politique, on serait dans la même organisation. Mais fondamentalement, on est animé par la même volonté de changer la société. Et je crois que c'est ça qui est essentiel, c'est ça qu'on va exprimer par cet liste. Maintenant, l'unité, l'unification n'est pas à l’ordre du jour de nos négociations. Mais il est évident que si la radicalisation dont je parlais montait dans ce pays et qu’il y ait des luttes semblables à celles de 68 ou de 1936, là, je crois que l'unification non seulement, elle serait à l'ordre du jour mais qu'elle se ferait très, très rapidement parce que, sur le fond, on est d'accord, il faut changer cette société.

Olivier Mazerolle : À propos de 68, Qu'est-ce qui vous sépare de Daniel Cohn-Bendit ?

Arlette Laguiller : écoutez, je ne sais pas si Daniel Cohn-Bendit souhaite encore aujourd'hui des luttes sociales et les luttes de la classe ouvrière. Ça je ne l'ai pas beaucoup entendu le dire. Mais je dirai que ça m’est assez égal, cette candidature de Daniel Cohn-Bendit. Je ne pense pas que cette candidature concurrence l’extrême gauche dans ce pays.

Olivier Mazerolle : Et lui dit « Il faut bien voir que c’est l’économie de marché qui dirige le monde et elle est meilleure quand même que l'économie socialiste planifiée. Donc, il faut réformer cette économie de marché ». C'est là-dessus que vous divergez ?

Arlette Laguiller : écoutez, il y a longtemps que les réformistes s'essaient à rendre l'économie capitaliste plus vivable mais le problème des capitalistes, ce n'est pas de rendre la société plus vivable. Leur problème, c'est de faire des profits, c'est engranger de plus en plus de profit y compris dans les circuits financiers, boursiers, monétaires et avec tout ce que ça comporte comme catastrophe et on l’a vu ces derniers temps avec la crise en Asie, en Amérique latine, avec la véritable catastrophe sociale qui a lieu en ce moment au Japon, avec les dizaines de milliers de licenciements qui ont lieu. C'est tout ça, le capitalisme. Peut-être que Daniel Cohn-Bendit est adorateur de cela. Je ne le suis pas,  Alain Krivine non plus. Nous, nous voulons effectivement renverser le capitalisme et créé une société où l'économie soit mise au service des besoins des hommes et des femmes et pas au service du profit.

Olivier Mazerolle : Merci, Arlette Laguiller.


RMC - 20 janvier

P. Lapousterie
Une nouvelle campagne. Comment allez-vous ?

Arlette Laguiller
« Très bien, très optimiste. »

P. Lapousterie
Ça fait longtemps que vous faites des campagnes ? Quelle est la date de votre première présidentielle ?

Arlette Laguiller
« 1974. Mais je m'étais déjà présentée aux législatives en 1973.»

P. Lapousterie
Vous êtes comme premier jour ?

Arlette Laguiller
« Avec les mêmes idées et le même enthousiasme dans les idées. »

P. Lapousterie
La nouveauté, c'est l'alliance entre la LCR et LO. Quel résultat attendez-vous de cette alliance électorale ?

Arlette Laguiller
« J'attends la confirmation qu'il existe bien dans le pays un courant qui représente des valeurs de changement social, qui représente les intérêts des travailleurs, des chômeurs et qui s'affirmera je l'espère, en augmentation dans ce scrutin européen.»

P. Lapousterie
Il est possible de talonner le PCF voir le dépasser ?

Arlette Laguiller
« Ce n'est ni mon souci ni mon objectif.»

P. Lapousterie
Ça voudrait dire des choses pourtant, si c'était le cas ?

Arlette Laguiller
« Oui. Mais on peu viser encore mieux et plus grand. Le problème ne se pose pas comme ça pour nous. Bien sûr qu'on souhaite se renforcer mais si le PC se renforce de son côté et si les scores de l'extrême gauche, comme ceux du PC augmentent, je l'interpréterai et tout le monde l'interprétera comme une radicalisation dans le monde du travail. Et c'est ça qui est important.»

P. Lapousterie
A supposer que vous fassiez de bons chiffres, quelles conséquences ça aura dans le pays, À votre avis ?

Arlette Laguiller
« Je crois que ça redonnera confiance et que ça remontera le moral des militants ouvriers qui, dans tout le pays, sont en but, aujourd'hui, aux problèmes de suppressions d'emplois, aux problèmes des licenciements. Je pense que ça redonnera le moral aux millions de personnes qui sont soit chômeurs, soit qui n'ont qu'un emploi précaire et qui vivent de ce qu'on appelle les minima sociaux et qui sont bien insuffisant. Et je crois donc que ça influera pour que les luttes de la classe ouvrière soient importantes parce qu’on sait très bien que ce ne sont pas les élections mais que ce sont les luttes de la classe ouvrière qui peuvent changer les choses. »

P. Lapousterie
Que pensez-vous de la façon dont Daniel Cohn-Bendit a été accueilli hier à La Hague ?

Arlette Laguiller
« Je suis contre toute limitation du droit d'expression. Mais maintenant, je comprends tout à fait l'inquiétude des travailleurs de La Hague. Je crois qu'aujourd'hui, même si on parle de reconversion pour ces travailleurs, on sait tellement que le mot conversion, depuis 20 ans, veut dire en réalité suppression d'emplois, veut dire licenciement, est synonyme de licenciements. Je comprends tout à fait leurs inquiétudes. Et je pense que si on n’était pas dans une période où il y a six millions de personnes qui sont soit chômeurs soit semi-chômeurs, il pourrait y avoir un débat beaucoup plus serein sur l'avenir de l'énergie dans ce pays. Vous comprenez, les travailleurs des usines d'armement qui se battent aujourd'hui ne sont pas forcément militaristes. Mais, ils savent très bien que perdre leur emploi, ça veut dire que c'est le chômage. On ne peut pas avoir un débat serein aujourd'hui sur le tabagisme quand les travailleurs de la Seïta se battent à Tonneins ou ailleurs parce qu'on sait très bien que des emplois, Il n'y en a pas et que quand on perd son emploi, on se retrouve au chômage. »

P. Lapousterie
Mais si les gens meurent de la cigarette, on ne va pas, pour sauver 200 emplois, faire que 6 000 ou 7 000 personnes par an meurent de la cigarette. Ce qui est le cas quand même.

Arlette Laguiller
« Oui et justement, ce Gouvernement est complètement incapable, comme les autres, de changer quelque chose au sort des chômeurs. On est toujours autour des trois millions de chômeurs et des six millions de personnes qui n'ont que des emplois précaires ou pas d'emploi du tout. Et ce Gouvernement, comme les autres, ne se donne pas les moyens nécessaires qui devraient être d'abord d'interdire tout les licenciements collectifs, en particulier dans toutes les entreprises qui font des bénéfices – et là-dessus, c'est le contraire qu’on voit. On voit par exemple, avec le nouveau plan qui est en préparation pour Peugeot  et Renault, qu'on va de nouveau donner de l'argent à des entreprises qui font des bénéfices pour qu'elles créent des emplois, non pour qu’elles en suppriment. Bien sûr que je comprends que des vieux travailleurs qui sont à la chaîne et qui ont 50 ans aient envie de partir en préretraite. Mais quand on dit qu'on va supprimer 43 000 emplois de cette façon et n’en créer que 12 000, eh bien ça veut dire, concrètement, qu'on supprime 30 000 emplois et qu'il y a encore 30 000 jeunes qui ne trouveront pas de travail aujourd’hui. »

P. Lapousterie
Vous avez coutume de dire que finalement Jospin et Juppé, c’était la même chose, mais il y a quand même les emplois jeunes, les 35 heures, la Sécurité sociale pour tous. Ce ne sont pas des différences majeures ?

Arlette Laguiller
« Pour la couverture maladie universelle, d'abord, on ne sait pas encore très bien comment ça va se passer. Mais, de toute façon le gouvernement va débloquer quoi ? Un peu plus du double que ce qu'il va donner aux entreprises automobiles qui font des profits. Maintenant, pour les emplois jeunes, on sait bien que c'est nettement insuffisant et qu'on est bien loin des emplois promis par Jospin dans sa campagne électorale, puisque d'ailleurs, dans le privé, il n'y a pas d’emplois. Les seuls emplois jeunes qui ont été créés, c'est par l'État. Et c'est bien insuffisant. Et là encore, il manque, et on le voit bien avec les grèves des enseignants, avec les grèves des cheminots, il manque des centaines de milliers d'emplois dans tous les services publics. C'est ça que le Gouvernement devrait faire. C'est-à-dire cesser ces subventions au patronat et créer lui-même des centaines de milliers d’emplois.

P. Lapousterie
Mais avec quel argent ?

Arlette Laguiller
« Avec l’argent qu’il économiserait en arrêtant de subventionner le patronat. Le patronat est subventionné de tous les côtés. On lui baisse la taxe professionnelle d'un côté, d'un autre côté on subventionne, on donne de l'argent pour les 35 heures, sans que ça crée d'emplois. 8 000 emplois créés par la loi sur les 35 heures, et encore je suis généreuse parce que dedans il y a ce qu'on appelle les emplois défensifs, ceux qui aurait dû être normalement supprimés. Alors je crois que non, ce sont des petits pansements mais ce n'est pas la solution pour réussir à éradiquer le chômage parce que c'est ça qui est la source de tous les problèmes aujourd’hui. »

P. Lapousterie
Que pensez-vous de ce que dit le gouvernement sur ce qu'il faut faire pour éviter l’insécurité et notamment la délinquance des jeunes ?

Arlette Laguiller
« La courbe de l'augmentation de la délinquance suit très exactement la courbe de l'augmentation du chômage. Et cette délinquance a augmenté en même temps que le chômage parce que le chômage… »

P. Lapousterie
Mais que faire alors ?

Arlette Laguiller
« Créer des emplois, pas créer quelques milliers d'emplois, créer des centaines, des millions d'emplois, et ça c'est possible. C'est possible en prenant sur les profits des grandes entreprises et en répartissant le travail entre tous. »