Article de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, dans "Les Echos" du 14 décembre 1998, intitulé : "Croissance : le réveil risque d'être douloureux".

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Texte intégral

Que le gouvernement se montre optimiste, rien de surprenant depuis que chacun sait que l'économie n'est pas qu'une affaire de chiffre et d'experts, mais également une question de psychologie. D'une certaine façon, il est dans son rôle en assurant aux français que ses désirs deviendront des réalités.
Autrement dit, il faudrait doper le moral des français pour que l'économie se porte mieux et enclenche ainsi un cercle vertueux. Mais attention à l'effet boomerang. A trop vouloir s'accrocher sur une prévision de croissance de + 2,7 % en 1999, alors que tous les économistes s'accordent aujourd'hui pour affirmer que + 2 % serait déjà un bon résultat, le risque est grand qu'en définitive le gouvernement obtienne très exactement le contraire de l'objectif qu'il se fixait initialement.
Force est de constater que tous les indicateurs passent, les uns après les autres, à l'orange foncé.
Petit à petit, le doute s'installe au fur et à mesure que le gouvernement Jospin accumule les décisions contraires à la modernité : les 35 heures, le refus de privatisation d'Air France, les emplois publics, l'augmentation des dépenses publiques... et c'est bien cela le pire dans la politique menée par ce gouvernement.
Depuis le pic de croissance du 2e trimestre 1997, la progression de l'activité se ralentit. Certes, en 1998, l'objectif du 3 % sera vraisemblablement atteint, sur la lancé de 1997. Pour 1999, c'est une tout autre affaire. D'ailleurs, le gouvernement ne parle plus d'une prévision de +2,7 %, mais d'un « objectif ». Chacun appréciera la nuance.
Possible panne sèche.
Pour autant, la situation de l'emploi ne s'est pas réellement améliorée cette année. On compte 94.000 chômeurs de moins depuis le 1er janvier. Résultat franchement décevant, voire inquiétant, alors que la croissance aura été la plus forte de ces dix dernières années, que ce résultat a été obtenu par la création de 110.000 emplois-jeunes, pour l'essentiel dans la sphère publique, et qu'en comparaison, avec une croissance comparable, le nombre de chômeurs en Allemagne pendant la même période a diminué de 400.000.
A lui seul, ce constat résume toute la fragilité de la situation économique française, et démontre que la voie choisie correspond au contraire de ce qu'il convient de faire pour moderniser notre économie. En effet , même avec une croissance élevée, le chômage ne diminue pas réellement. Aujourd'hui, l'illusion de bons chiffres sur l'emploi alimente le morale des français et soutient la consommation des ménages. Mais pour combien de temps encore ?
Le pari du gouvernement était de voir relayer la baisse de la demande extérieure par une vigoureuse reprise de la demande interne.
On risque de n'avoir ni l'une ni l'autre.
Les nuages s'amoncellent sur l'économie mondiale sans aucune perspective de retournement à court terme . C'est même le contraire, si l'on veut bien considérer que toutes les conséquences de la crise asiatique n'ont pas fini d'être mesurées.
Les chefs d'entreprise, qui ne s'y sont pas trompés, prévoient une très nette dégradation de l'activité générale et ont en conséquence dramatiquement révisé à la baisse leur programme d'investissement : stabilité en 1999 contre près de + 9 % en 1998.
Deux des trois carburants du moteur économique manquent déjà. Une fois l'illusion de l'amélioration de la situation de l'emploi estompée, il faut craindre que le dernier carburant, celui de la consommation des ménages, ne vienne également à manquer. Le risque de panne sèche guette alors notre pays.
La confiance fait place à la prudence.
Le gouvernement s'est trompé. Alors qu'il était essentiel d'entretenir la confiance des chefs d'entreprise pour ne pas casser la croissance, il est venu avec la question des 35 heures perturber les esprits et tendre les relations sociales. Sans parler des projets contraires au simple bon sens de taxation de l'intérim ou des CDD, ou encore du rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement.
Du coup, la confiance a fait place à la prudence. Incertitude et investissement n'ont jamais fait bon ménage.
Le véritable risque des prochains mois est que la politique budgétaire suivie par le gouvernement vienne encore amplifier la perte de confiance et alimenter la déprime économique.
Construit sur une croissance de + 2,7 % et une inflation de + 1,3 %, le budget tablait sur des recettes fiscales abondantes, ce qui, aux yeux de Lionel Jospin, rendait acceptable une augmentation du volume des dépenses de + 1 %, soit des dépenses en progression de 2,3 % au total.
Aujourd'hui, alors qu'il n'est pas encore voté, le budget 1999 apparaît beaucoup moins rigoureux que ne le disait le gouvernement début septembre. Moins de croissance et moins d'inflation – elle devrait être plutôt plus proche de 0,3 % à 0,5 % que de 1,3 % l'an prochain – se traduiront par moins de recettes fiscales et une augmentation réelle du volume des dépenses de + 2 %, c'est-à-dire le double de ce qui était annoncé.
Dans ces conditions, il est d'ores et déjà certain que le déficit sera plus élevé que prévu, ce qui ne devrait pas contribuer, bien au contraire, au retour de la confiance.
En réalité, tout le pari du gouvernement était fondé sur l'idée qu'il était possible de profiter par anticipation des fruits de la croissance avant que celle-ci ne les ait produits.
C'était un pari risqué. Il est en passe d'être perdu. Le prix à payer pour l'économie française, sur la lutte contre le chômage et pour le pouvoir d'achat des français, risque d'en être extrêmement élevé.