Interviews de M. Charles Millon, ministre de la défense, dans "L'Etudiant" de janvier 1997 et "Le Dauphiné" du 7 janvier et à RMC le 23, sur la réforme du service national, le lien entre l'armée et la nation et le rendez-vous citoyen.

Prononcé le 1er janvier 1997

Intervenant(s) : 

Média : L'Etudiant - Le Dauphiné

Texte intégral

L’Étudiant - Janvier 1997

Q. : Le 22 février dernier, le Président de la République annonçait le passage progressif à une armée professionnelle et lançait un grand débat autour du service national. Pourquoi cette réforme ?

R. : La réforme du service national est la conséquence d'un double constat :

- le premier, c'est celui de la nécessité de disposer d'une armée professionnelle pour répondre de manière pertinente aux besoins militaires de notre défense ;
- le second, c'est l'inadaptation du service national actuel en tant que facteur d'intégration sociale. Le choix aurait pu être fait, comme dans d'autres pays, de mettre fin au service militaire et d'abandonner purement et simplement toute forme de service national. À l'issue du débat qui a eu lieu au printemps dernier, le Président de la République et le Gouvernement ont choisi au contraire de créer un nouveau service national.

Q. : Quels sont ses principaux objectifs ?

R. : Le principal objectif de la réforme du service national est de rénover le lien entre la nation et sa jeunesse, de faire en sorte que les jeunes Français aient une meilleure perception, une meilleure conscience de leur citoyenneté, c'est-à-dire de leur appartenance à une collectivité nationale, avec tout ce que cela comporte de droits, de devoirs, d'obligations réciproques.

Q. : Quand la réforme commencera-t-elle à être mise en œuvre, si ce projet est avalisé par le Parlement ?

R. : Le projet de loi présenté par le Gouvernement à la fin du mois de novembre devrait être voté au printemps 1997. Les premiers rendez-vous citoyens auront lieu dans le deuxième semestre de cette année, dans un premier temps sous forme d'expérimentation, les premiers volontariats pourront être mise en œuvre dès 1998.

Q. : Quels moyens seront nécessaires à sa mise en place ?

R. : L'expérimentation, puis la mise en œuvre du rendez-vous citoyen nécessitent à la fois des lieux d'accueil adaptés, un encadrement, des moyens pédagogiques. Les centres de rendez-vous citoyen ont été recensés : il s'agit d'une douzaine de sites laissés disponibles par la dissolution d'unités militaires et qui seront réorganisés afin d'accueillir les jeunes Français appelés au rendez-vous citoyen. L'encadrement sera fourni à la fois par les armées et les autres ministères directement impliqués dans l'animation de ces centres : éducation nationale, affaires sociales, jeunesse et sports...

Q. : Quels ont été les enseignements du débat national qui a été organisé autour de ces questions ?

R. : Le débat national qui s'est tenu au printemps dans les mairies, les associations et au sein du Parlement a permis de dégager cinq enseignements principaux. Tout d'abord, il est frappant de constater que la grande majorité des personnes et des organismes consultés s'accorde sur la nécessité d'une réforme du service national actuel, perçu comme étant de plus en plus inégalitaire. Par ailleurs, le choix fait par le Président de la République en faveur d'une professionnalisation des armées et les arguments qui justifient cette décision suscitent une large adhésion.

Au cours du débat, les Français ont également manifesté leur attachement au maintien d'un lien entre la nation et son armée. Ce lien, il est vrai, fait partie intégrante de notre tradition républicaine, de l'histoire militaire de notre pays, de son histoire tout court. En ce qui concerne l'avenir du service national, une préférence pour le service volontaire s'est manifestée, notamment chez les plus jeunes. Enfin, le souhait a souvent été formulé de voir se combiner une période obligatoire de courte durée et le développement d'un service volontaire.

Q. : Le Gouvernement a choisi de conserver le service national, mais en le transformant totalement. Cette transformation radicale ne remet-elle pas en cause la conception républicaine du service national ?

R. : Loin de rompre avec elle, le projet du gouvernement a au contraire pour ambition de renouveler la tradition républicaine du service national : celle d'un rendez-vous civique, d'un temps privilégié d'échange entre la nation et sa jeunesse, d'une occasion de rendre plus visibles les liens qui unissent la nation à chacun des citoyens qui la composent.

Q. : Comment souhaitez-vous que ce service national nouvelle manière soit perçu par les jeunes concernés, et en particulier par les jeunes filles, pour lesquelles il va créer une nouvelle obligation ?

R. : Il est important que les jeunes comprennent deux choses. La première, c'est que le rendez-vous citoyen est un acte d'adhésion à la citoyenneté française, aux institutions de la République et à une conception de la nation propre à la France, compte tenu de son histoire, de sa tradition. La seconde, c'est que le rendez-vous citoyen est une chance qui leur est offerte de bénéficier d'une évaluation ou d'une orientation et de découvrir des manières concrètes de participer à la vie de la collectivité, notamment à travers le volontariat.

Q. : A quoi ressemblera l'armée de demain et comment la sécurité du pays sera-t-elle garantie ?

R. : L'armée de demain, celle du début du prochain siècle, sera moins nombreuse qu'aujourd'hui (# 30 % d'effectifs), constituée de professionnels militaires et civils et de volontaires du service national. Elle sera en mesure de remplir les missions que lui a conférées le Président de la République : dissuasion, protection, projection et prévention, qui concourent toutes à la sécurité de notre pays. Grâce à la professionnalisation, elle pourra, dans de meilleures conditions qu'aujourd'hui, participer aux interventions hors du territoire national dans lesquelles la France peut être amenée à s'engager, soit pour défendre ses propres intérêts, soit pour participer à la défense du droit ou de la paix.

Q. : La durée du rendez-vous citoyen, cinq jours, sera-t-elle suffisante pour satisfaire à ses différents objectifs ?

R. : Le rendez-vous citoyen n'est pas une période de formation. C'est une période d'information, de prise de conscience, de « mobilisation ». Il n'est donc pas nécessaire d'en étendre la durée. D'autant plus qu'il sera précédé du recensement, de l'instruction civique dispensée dans les établissements scolaires et qu'il se prolongera par le volontariat ou la réserve. C'est plus sur la densité de ce rendez-vous citoyen que sur la durée que l'accent sera mis. Enfin, compte tenu du fait que le rendez-vous citoyen aura lieu entre 18 et 20 ans, une période de cinq jours s'insérera aisément dans les parcours scolaire, universitaire ou professionnel de chaque jeune, sans qu'il soit besoin d'avoir recours au système des dispenses ou des reports qui s'appliquent à l'actuel service national et qui est source d'inégalités.

Q. : Vous avez souhaité, dans ce projet, mettre l'accent sur l'intégration des jeunes en difficulté. Quelle forme prendra cette aide ?

R. : Il est vrai que l'intégration des jeunes en difficulté est l'un des objectifs de la réforme du service national. Cette réforme prend en compte les propositions incluses dans le projet de loi contre l'exclusion préparé par le secrétaire d'État à l'Action humanitaire d'urgence, Xavier Emmanuelli. Cela se traduit concrètement par l'intégration du rendez-vous citoyen, des volontariats, dans un parcours individuel d'insertion proposé aux jeunes en difficulté, qui peut revêtir des formes multiples : lutte contre l'illettrisme, orientation professionnelle, accompagnement psychologique, social, médical, scolaire, ...

Q. : Que diriez-vous à des jeunes pour les inciter à s'investir dans le volontariat ?

R. : Je leur dirais que le volontariat me paraît pouvoir répondre à beaucoup de leurs aspirations : générosité, enthousiasme, volonté de se sentir utile, souhait d'acquérir une expérience profitable, goût de l'aventure, que sais-je ? Pour cette raison, il est probable qu'ils retireront du volontariat beaucoup plus encore que ce qu'ils auront apporté. Enfin, je leur dirais que c'est à eux qu'appartient avant tout la responsabilité du devenir de notre communauté et qu'une nation dont la jeunesse sait s'engager dans des actions de solidarité telles que le volontariat peut affronter l'avenir avec confiance.


Tribune libre du ministère de la Défense dans le quotidien « Le Dauphiné » (Extraits) - 7 janvier 1997

Bosnie-Herzégovine

Pour moi l'événement important de 1996 est la paix en Bosnie-Herzégovine. J'ai été un modeste acteur de la situation. Là où s'étaient réveillés tous les vieux démons du racisme, de l'intolérance et du mépris, s'est enfin allumée comme une petite flamme fragile dans laquelle on voit apparaître la paix.

Réforme des armées (concertation)

Sur le plan intérieur, j'ai été frappé par l'immense aspiration des Français, non seulement à comprendre la situation difficile dans laquelle ils sont, mais aussi à imaginer, avec leurs responsables économiques et politiques, les chemins à parcourir. À mon avis, jamais le besoin d'être impliqués dans l'organisation sociale, le refus d'être pris en otage par des effets d'annonce n'ont été aussi forts. Pour mettre en œuvre la réforme des armées, par exemple, il a fallu une concertation et une mobilisation de tous les acteurs, du plus petit au plus grand. J'ai rencontré durant la mise en œuvre de cette réforme 8 000 personnes, militaires et civils. Plus de 2 300 salariés de la Direction des constructions navales ont participé à des groupes de travail.

Les Français craignent pour le lendemain, et ils n'accepteront de faire évoluer leur cadre et leur mode de vie qu'à condition de bien connaître les objectifs poursuivis. « En 1996, j'ai personnellement été dévoré par ma passion de mettre en œuvre une réforme qui a été initiée par le Président de la République et partagée par la communauté de la défense. C'est une réforme extraordinaire qui s'est faite dans la transparence et pour laquelle nous avons tenu, je crois, toutes nos promesses (...).


Entretien du ministre de la Défense à l’émission Le Forum-RMC le Figaro (18h15) (extraits) - 23 janvier 1997

Q. : Votre projet de loi sur le rendez-vous citoyen ne fait pas l’unanimité. Alors, ce n’est pas un peu le parcours du combattant ?

R. : Tout d’abord ce n’est pas le projet de loi sur le rendez-vous citoyen, mais c’est le projet de loi portant sur la réforme du service national. C’est un aspect essentiel de la réforme historique de ka Défense nationale qu’a initié le président de la République le 22 février 1996. Dès demain il n’y aura plus besoin de tous les appelés, deuxièmement, parce que dans le service national, on arrive plus à respecter le principe d’égalité entre tous les citoyens, avec les taux d’exemption, les taux de réforme, les affectations rapprochées, etc. C’est la raison pour laquelle il a été décidé de porter réforme sur le service national.

Nous aurions pu proposer la suppression pure et simple du service national, nous avons choisi la mise en place d’une part d’une période obligatoire de cinq jours qui s’appellera le rendez-vous citoyen, et d’autre part le volontariat. Avant les jeunes Français vivaient une obligation, demain les jeunes Français participeront volontairement à un engagement au profit de la collectivité nationale. Le rendez-vous citoyen sera une période obligatoire qui respectera d’une manière tout à fait intégrale le principe d’égalité et d’universalité, c’est-à-dire que tous les jeunes Français et Françaises – cela est aussi une innovation, à partir de 2002 – viendront participer à cette semaine. Durant cette semaine-là, tout le monde, et il n’y aura aucune exemption, aucune réforme, aucun report puisque nous pensons que cinq jours peuvent s’inclure dans le cursus de tous jeunes et qu’il n’y a pas lieu d’avoir des reports, des exemptions ou des dispenses.

Q. : Oui, mais cinq jours, c’est à peine le temps d’apprendre la Marseillaise !

R. : La Marseillaise il l’aura apprise en sixième, en cinquième, en quatrième… Nous avons dans ce domaine-là, une convention avec le ministère de l’Education nationale. Et troisièmement, ça va être l’information sur un volontariat.

Premièrement, le bilan : pourquoi est-ce que l’on met un bilan en place ? D’abord parce que nous pensons qu’il y a un certain nombre de jeunes qui sont malheureusement laissés pour compte, soit sous l’angle des soins médicaux, soit sous l’angle de la culture, de l’information, et qu’à partir de ce moment-là on va faire un bilan avec eux et pour ceux chez qui on relèvera un handicap ou une maladie, on le dirigera vers un établissement hospitalier pour qu’il puisse se soigner. Pour ceux qui se révèlent dans l’incapacité d’écrire, de lire, de compter, on les dirigera aussi vers des modules de formation. C’est la raison pour laquelle nous pensons que ce rendez-vous citoyen sera une seconde chance pour ces jeunes qui sont marginalisés et nous souhaitons qu’à l’occasion de ce rendez-vous citoyen, ils puissent être réinsérés dans la société. Il y a un certain nombre de jeunes qui ont fait une mauvaise orientation professionnelle. On espère à cette occasion-là pouvoir les aider à revenir sur une orientation professionnelle.

La deuxième période, ça va être le point d’aboutissement de l’instruction civique qui ne va pas se faire d’une manière académique, d’une manière classique, il y aura des personnes qui viendront porter témoignage. Il y aura des discussions sur les institutions, sur les enjeux de la Défense, sur comment est organisée l’armée, comment sont organisées les institutions.

Troisièmement, il y aura une information sur les volontariats. Et c’est là une chose très nouvelle, parce que l’on va proposer aux jeunes d’êtres volontaires soit dans la sécurité et la défense, et il pourra être volontaire dans les armées, il y aura 27 000 places pour eux dans les armées et la gendarmerie. Deuxièmement, c’est le volontariat pour la cohésion sociale. Ils pourront aller dans des actions de lutte contre l’illettrisme, participer à des actions pour l’insertion par le sport, etc. Troisièmement, il y aura le volontariat pour la coopération internationale.

Q. : Et si la Patrie est en danger ?

R. : D’abord, si l’on a fait cette réforme des armées, c’est-à-dire passer de l’armée de conscription à l’armée professionnelle, ce n’est pas pour baisser l’efficacité de l’armée, mais pour l’augmenter. Car on a fait une analyse des conditions géostratégiques, des menaces et l’on sait qu’aujourd’hui que les menaces peuvent être jugulées par une armée professionnelle soit dans le domaine de la dissuasion, soit dans le domaine de la projection, soit dans le domaine de la protection, soit dans le domaine de la prévention. Ensuite, il faut dire les choses telles qu’elles sont, le service national aujourd’hui n’assure plus le brassage social à cause des exemptions, de la réforme, à cause des reports, à cause aussi des affectations diverses. Il y en a certains qui vont faire leur service national dans un poste d’expansion économique à Los Angeles ou à Tokyo, et l’autre qui est comme simple soldat dans un régiment de train en France. Et l’égalité n’est plus respectée. A partir de ce moment-là, il était nécessaire de réfléchir à une réforme et nous pensons qu’à travers le rendez-vous citoyen et le volontariat, on peut répondre à cette aspiration de civisme.

Je voudrais revenir sur la méthode que j’ai choisie et que je respecte au cours des réformes qui j’ai à mettre en œuvre. Premier point : je crois que pour réussir une réforme, il ne faut faire d’effet d’avance, parce que le citoyen est majeur et que si vous faites des effets d’annonces, il a l’impression que vous le prenez en otage. Et c’est pourquoi, il y a trois étapes à respecter si l’on veut mettre en place cette réforme. Il y a d’abord un audit, au niveau des armées, elles-mêmes, puisque dès que j’ai été nommé, j’ai mis en place un comité stratégique qui a analysé la situation de nos armées. C’est ce que j’ai fait aussi dans le domaine de l’armement. On a pu constater que GIAT Industries accusait une perte de trésorerie importante et que la DCN avait besoin de se redéployer.

Ensuite cela demande une concertation avec tous les acteurs, parce que c’est évidemment politique. Je vais vous donner un seul exemple : la réforme de la DGA a nécessité 10 000 entretiens individuels avec des responsables pour savoir comment il fallait faire cette réforme. Enfin, il faut prendre la décision qui a permis à la réforme de la défense d’être engagée.