Texte intégral
France 2 : La mer a perdu son plus ardent défenseur, le commandant Cousteau. Votre réaction ?
L. Le Pensec : Que faut-il ajouter à la marée montante des témoignages ? Nous avons perdu une part de nous-mêmes, un grand militant de la cause maritime. Lorsque j'étais ministre de la Mer, je sollicitais souvent l'avis du commandant Cousteau parce que c'était un défricheur des chemins du futur pour la mer. Cet avis a inspiré de nombreuses orientations de la politique maritime pour notre pays mais, au-delà, pour le monde.
France 2 : Vous étiez à Luxembourg pour conclure un accord européen sur les prix agricoles. En gros, la continuité prévaut avec les prix restant globalement inchangés, la reconduction des aides compensatoires, le taux de jachère demeurant à 5 %. Est-ce un bon accord ?
L. Le Pensec : Il est considéré comme tel par les organisations professionnelles. C'était mon premier Conseil agricole. Il présentait des écueils certains. Il est vrai que la France a obtenu satisfaction sur ses deux principales demandes, celles que vous mentionniez, la fixation d'un taux de jachère bas à 5 % qui permet à nos producteurs de prévoir en toute connaissance de cause leurs emblavements pour les temps qui viennent. Vous voyez qu'il arrive que les trains européens arrivent avant l'heure ou du moins partent avant l'heure. C'était une attente très forte du monde agricole.
France 2 : Mais c'est l'accord qui avait été préparé par votre prédécesseur, M. Vasseur.
L. Le Pensec : C'était peut-être les demandes de Vasseur, peut-être, mais il y a les réponses que j'y apporte pour ma part.
France 2 : N’y a-t-il pas le risque que ce soit une victoire à la Pyrrhus dans la mesure où, sur le taux de jachère, sur le problème des économies à faire sur les céréales pour financer les aides à la « vache folle », tout cela n'est que reporté et le Commissaire européen s'en occupera ?
L. Le Pensec : Il n'en demeure pas moins que les écueils qui étaient présents dans ce Conseil agricole n'ont pas empêché que l'essentiel soit sauvegardé. L'avenir reste ouvert : nous avons devant nous de très lourdes échéances agricoles. Je les énonce : l'élargissement aux pays d'Europe de l'Est, qui comptent autant d'exploitants que l'ensemble des Quinze mais qui représentent également des marchés ; et puis il y aura, en cette fin de siècle, les grandes négociations multilatérales, les suites de l'Uruguay Round. C'est dire que, dès le mois de juillet, la Commission va nous faire des propositions et donc, vont s'ouvrir avec les États-membres - mais pour ma part, déjà avec les organisations professionnelles - une concertation sur ce que l'on appelle l'approfondissement de la réforme de la Politique agricole commune.
France 2 : On a assisté ces derniers jours à une nouvelle offensive des États-Unis sur les fromages au lait cru. Quel est votre sentiment ?
L. Le Pensec : Il y a eu offensive. Je crois pouvoir dire que la France et aussi les autres États d'Europe ont déjoué la stratégie américaine en ce domaine. Les États-Unis voulaient voir déclarer hors-la-loi la fabrication et la commercialisation des fromages de lait cru. Il y avait là ce que je considère comme une prétention à imposer au monde un modèle alimentaire unique, le modèle américain. Ils ont échoué dans cette tentative. Je m'en réjouis, pour les producteurs de fromage au lait cru.
France 2 : Pourquoi ont-ils échoué ?
L. Le Pensec : Parce que l'offensive était un peu trop frontale. Il y a eu une riposte salutaire : des pays, notamment la France, considèrent que nous devons sauvegarder notre capacité à produire ce type de fromage qui est une richesse de notre patrimoine et qui répond à ce que l'on pourrait considérer comme l'exigence de qualité, de typicité de nos produits.
France 2 : Cette riposte a eu lieu à Genève ?
L. Le Pensec : Oui, hier, à Genève mais ce n'était pas la seule bonne nouvelle, car il y avait eu aussi hier, à Genève, l'offensive américaine pour que l'Europe soit ouverte à cette hormone, la somatotropine, qui développerait les capacités laitières des vaches. Ceci représente un risque dénoncé par nos organisations mais aussi dénoncé par les États. C'était donc une bonne journée.
France 2 : Les deux ont été bloquées hier à Genève ?
L. Le Pensec : Les deux ont été bloquées, et l'offensive déjouée et dénoncée.
France 2 : La loi d'orientation agricole est en panne puisqu'elle avait été déposée par l'ancien gouvernement qui n'a pas pu la faire adopter. Allez-vous la reprendre ?
L. Le Pensec : Elle avait été déposée, mais la discussion n'a jamais commencé. Le Premier ministre a annoncé que nous reprenons le dossier. Nous allons donc engager les concertations au cours des semaines et des mois qui viennent avec les organisations, mais aussi avec le Parlement, pour élaborer une loi d'orientation agricole qui signifiera en quelque sorte un nouveau contrat entre la nation et ses paysans. C'est avec cette ambition de faire en sorte que non seulement nous gardions une agriculture très vivante mais aussi une agriculture sensible aux attentes de la société : la société attend que l'agriculture continue à alimenter en biens alimentaires de haute qualité ; elle attend aussi que l'on produise dans des conditions plus respectueuses de l'environnement.
France 2 : Vous vous rendez aujourd'hui au Congrès du CNJA ; vous recevez vendredi la Confédération paysanne. Se pose donc toujours la question de la représentativité paysanne. Allez-vous faire évoluer les choses sur ce point ?
L. Le Pensec : J'ai rencontré l'ensemble des dirigeants à ce jour. J'ai cru comprendre qu'il y avait une ouverture à l'examen de cette question. Donc, demain, j'achève le tour de ces dialogues avec les organisations. Je serai en mesure de voir ce qui peut être engagé assez rapidement, je crois, car la discussion et le thème sont en débat au sein des organisations elles-mêmes et plus largement dans la société.
France 2 : Les premiers pas du Gouvernement : ça va bien ?
L. Le Pensec : Il a pris un bon départ. Et puisqu'il s'agit de faire ce que l'on a dit, de tenir le cap, de tenir la distance, je fais, de ce point de vue, confiance à notre Premier ministre.