Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur la loi de programmation militaire, la restructuration de l'industrie de défense, la réforme des modes d'acquisition des armements et la construction de l'Europe de l'armement, Paris le 23 janvier 1997.

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Circonstance : Clôture des 4èmes rencontres parlementaires sur la défense, à Paris le 23 janvier 1997

Texte intégral

Permettez-moi, d'abord, de remercier Arthur Paecht qui m'a invité à clôturer ces quatrièmes rencontres parlementaires sur la défense. Nous savons tous le rôle éminent qu'il joue à l'Assemblée nationale sur toutes les questions qui touchent notre défense. Je tiens à lui exprimer, en plus de mon amitié, toute ma reconnaissance. Je voudrais également saluer les présidents Boyon et de Villepin, qui ont animé les tables rondes de votre colloque et dont le soutien à la politique du gouvernement, à la tête des commissions de la défense de l'assemblée et du Sénat, a permis aux projets de réforme d'aboutir.

Il y a un an, jour pour jour, j'ai eu l'honneur de clôturer les troisièmes rencontres parlementaires sur la défense et de vous présenter l'état des réflexions en janvier 1996 sur l'évolution de la défense nationale et sur son élargissement à l'Europe. Je voudrais aujourd'hui, que nous nous arrêtions un instant pour examiner, ensemble, le chemin parcouru pour ce qui concerne l'équipement de nos forces, notre industrie d'armement et la construction européenne en la matière.

Annonçant, le 22 février dernier, les orientations de la réforme de notre défense nationale, le Président de la République a consacré le passage à l'armée professionnelle, confirmé notre volonté de moderniser nos forces, tout en maîtrisant nos dépenses publiques et engagé une profonde transformation de notre appareil industriel d'armement. Notre nouvelle politique repose ainsi sur quatre piliers :

* Loi de programmation militaire 1997-2002

La loi de programmation militaire 1997-2002 constitue le premier pilier de l'édifice.

Consacrant le passage à l'armée professionnelle, la loi de programmation, votée, par le Parlement en juin dernier, fixe le cadre de l'évolution de nos forces armées et de la modernisation de leur équipement. Nous connaissons, tous, les termes du débat sur les programmations « en trompe l'œil », les programmations jamais achevées, à peine engagés, voire jamais mises en œuvre. La loi de programmation 1997-2002 rompt définitivement avec ces pratiques.

La loi de programmation militaire pour les années 1997-2002 traduit une réduction significative des dépenses d'équipement des armées par rapport à la programmation précédente. Mais elle offre aussi aux armées et aux industries de défense un ensemble de garanties qu'elles n'ont jamais eues. Elle s'accompagne en particulier d'un engagement du chef de l'État sur le niveau des ressources qui seront mises à la disposition du ministère de la défense. Cette garantie permet aux états-majors et aux entreprises d'armement de disposer de la visibilité nécessaire pour réaliser, dans les meilleures conditions, des programmes d'équipement longs et complexes.

Des craintes légitimes se sont exprimées ici où là. Mais la fin de la gestion 1996 et le vote d'une loi de finances pour 1997, strictement conforme à la première annuité de cette programmation, sont une illustration, s'il en fallait, de notre volonté de faire coïncider la réalité des budgets avec le niveau souvent théorique, par le passé, des lois de programmation.

* Industrie de défense (restructuration)

Le deuxième pilier de l'édifice est la restructuration de l'industrie de défense.

Depuis le début des années 1960, sous l'impulsion du général de Gaulle, l'industrie de défense a contribué largement à notre autonomie stratégique et au rang de la France dans le monde.

Mais notre industrie de défense est aujourd'hui soumise à une compétition acharnée. Si nous n'y prenons garde, si nous ne menons pas à bien les transformations profondes qui s'imposent, c'est la destruction assurée de notre potentiel industriel que nous risquons. Les défis que nous devons relever sont à la hauteur de l'ambition industrielle qui a animé notre pays depuis quarante ans. Il s'agit de :

- jouer un rôle à la mesure de notre rang dans la constitution d'une base industrielle et technologique de défense européenne ;
- retrouver le chemin de la compétitivité et affronter avec succès la concurrence internationale et conquérir des marchés extérieurs.

* Industrie de défense (concentration des industries françaises)

Pour ce faire, la concentration des forces industrielles est un préalable indispensable à la construction d'une industrie européenne de défense.

Le périmètre des différentes entreprises de défense a peu évolué au cours des quinze dernières années. Pour sa part, l'industrie de défense américaine s'est structurée, à partir de 1990, en pôles de taille mondiale. Ces pôles ont acquis une dimension industrielle et financière qui leur permet de faire face aux aléas de la conjoncture et les dote d'une capacité d'intervention accrue sur les marchés extérieurs. Comme leurs partenaires occidentaux, les grands maîtres d'œuvre industriels français doivent atteindre une taille suffisante pour dégager des économies d'échelle, des capacités financières d'investissement suffisantes et, d'une manière générale, pour renforcer leur compétitivité sur le marché mondial.

* Dassault Aviation - Aérospatiale

C'est pour constituer des pôles industriels européens forts qu'ont été engagées, en France, différentes opérations de restructuration. La fusion de Dassault Aviation et d'Aérospatiale est, de ce point de vue, tout à fait exemplaire. Nous assistons, en effet, à la constitution du plus grand groupe aéronautique et spatial europ6en. Envisagée depuis près de vingt ans, cette opération, qui avait laissé incrédule nombre d'observateurs, vient aujourd'hui confirmer la capacité de l'industrie française à réaliser des mouvements stratégiques de cette envergure.

* Aérospatiale - DASA

Notre volonté est de poursuivre cette première étape de la privatisation du nouvel ensemble et de favoriser la constitution, à terme, d'un grand pôle aéronautique européen, civil et militaire regroupant les principaux acteurs du secteur. Je forme le vœu pour que les avancées enregistrées entre les partenaires Airbus, les rapprochements engagés entre Aérospatiale et DASA, Dassault Aviation et British Aerospace soient les prémices d'une telle évolution.

* Restructurations étatiques (GIAT Industries - DCN)

Mais de profondes restructurations sont parfois nécessaires pour retrouver le chemin de la compétitivité : c'est le sens des réformes engagées par GIAT Industries et par la DCN. Pour ces deux opérateurs industriels, la valorisation des compétences qu'ils recèlent passe par une réorganisation profonde et une amélioration de leur productivité.

Leurs situations, telles qu'elles ont été constatées dès juin 1995, étaient particulièrement inquiétantes. S'agissant de GIAT Industries, les pertes cumulées depuis le changement de statut en 1990 s'élevaient à plus de 12 milliards de francs.

Quant à la DCN, elle voyait structurellement ses coûts dériver alors même que la compétition internationale n'a jamais été aussi acharnée.

C'est donc, dans les deux cas, par un redéploiement volontariste que nous serons en mesure de rétablir la situation. La transformation passe par une stratégie de conquête de marchés et d'amélioration des modes d'organisation et de gestion. Elle passe également par une adaptation des effectifs à l'activité prévisionnelle.

Les premiers résultats sont là : succès des projets de diversification de la DCN dans l'offshore, perspectives de coopération sous-marine avec le Chili, coopération entre GIAT Industries et l'Indonésie en matière d'armement terrestre, accord sur la réduction du temps de travail à GIAT Industries. D'autres projets sont en préparation qu'il s'agisse de marchés ou d'alliances industrielles.

* Mode d'acquisition des armements (réforme)

Le troisième pilier de l'édifice est constitué par la réforme de la DGA et du processus d'acquisition.

En effet, la modernisation de notre appareil de défense ne pourra se faire sans une redéfinition complète des modes d'acquisition des armements et des relations entre l'État investisseur et le tissu industriel de défense. Les transformations du contexte géostratégique, technologique et économique nécessitent une remise à plat du processus de réalisation des armements. L'objectif que j'ai fixé au délégué général pour l'armement, doit se traduire par une diminution de 30 % des coûts et des délais de réalisation des programmes, répartie sur les six années de la programmation militaire.

C'est tout d'abord par une réforme des structures de la DGA que passe cette évolution. Les nominations, lors du conseil des ministres d'hier, des directeurs de la nouvelle DGA marquent l'aboutissement de cette réforme en profondeur. C'est, en quelque sorte, une mise en ordre de bataille pour affronter les défis que devra surmonter la DGA et, à travers elle, le ministère de la défense tout entier :

- la diminution dans les mêmes proportions du coût d'intervention de l'administration dans leur réalisation ;
- la mise en œuvre, pour ce faire, de méthodes de gestion modernes, ayant fait leurs preuves dans le secteur concurrentiel, en particulier pour ce qui concerne la conduite des programmes ;
- la plus grande intégration de la dimension européenne dans les questions d'armement ;
- l'implication accrue dans le suivi et le soutien de nos exportations de défense.

L'administration du ministère de la défense s'est donc mise en ordre de bataille pour remplir les objectifs d'efficacité et d'économies qui lui ont été fixés.

* Méthodes globales innovantes (mise en œuvre)

Pour autant, la réforme ne peut se réduire à une modification des structures de la DGA. La diminution des coûts des programmes passe par la mise en œuvre de méthodes globales innovantes :

- c'est, par exemple, les commandes pluriannuelles qui constituent une de nouveautés de la loi de programmation et pour lesquelles un travail systématique d'analyse et engagé. Il faut s'assurer de la pertinence de telles procédures au regard de l'avancement des programmes et des économies engendrées ;
- je citerai, en illustration, les discussions en cours concernant le programme Rafale. Les premières conclusions relatives aux objectifs de diminution des prix sont aujourd'hui arrêtées grâce aux efforts consentis par les partenaires du programme, notamment Dassault Aviation.

* Industrie européenne de défense

Le quatrième pilier est celui de la construction de l'Europe de l'armement.

L'ampleur des réformes engagées sur une base nationale ne nous a pas détourné de l'objectif de la construction d'une Europe de l'armement. Je n'évoquerai pas les relations bilatérales et en particulier les relations franco-allemandes dont nous mesurons tous l'importance. Je voudrais simplement illustrer le travail accompli, s'agissant des structures européennes d'armement.

L'année 1996 a en effet connu l'installation de l'OCCAR, première véritable structure européenne de conduite de programme d'armement. C'est l'aboutissement d'un long processus initié par la France et l'Allemagne et motivé par une volonté commune de construire une Europe d'armement et de défense.

Je rappellerai simplement pour donner toute la mesure de l'événement qu'en octobre 1995, la France se heurtait au refus quasiment unanime de ses partenaires du GAEO de constituer une agence européenne d'armement. Les quatre pays membres, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la France ont défini une approche commune de ces questions. Ils s'engagent notamment à consolider la base industrielle et technologique de défense européenne.

Ils s'engagent également à donner la préférence, pour satisfaire les besoins de leurs forces armées, aux matériels au développement desquels ils ont contribué dans le cadre de l'OACCR. C'est la première expression de la préférence européenne en matière d'armement.

* Accompagnement économique et social

Mais toutes ces évolutions n'auraient pas été possibles sans la mise en œuvre d'une politique d'accompagnement économique et social de ces évolutions profondes. Les bassins d'emploi touchés par les restructurations militaires et industrielles sont d'ores et déjà l'objet d'une action vigoureuse d'accompagnement. Le dispositif mis en place vise à mobiliser toutes les énergies locales et nationales pour la création d'activités de substitution et la mise en œuvre de mesures de reconversion. C'est pour assurer la coordination des actions de l'État et des collectivités et acteurs locaux qu'ont été élaborées dix conventions régionales d'accompagnement. Les premières mesures d'accompagnement que j'ai annoncées le 17 décembre dernier ont permis de donner la dimension concrète de cette politique. L'effort est bien entendu maintenu et d'autres mesures d'accompagnement sont en cours de prestation. En effet la réforme industrielle, bien engagée, est appelée bien entendu à se poursuivre.

* Réforme industrielle (à long terme) - SNECMA - SEP

Sur bien des sujets, les objectifs fixés sont à long terme. Je citerai particulièrement la réduction des coûts des programmes et la réforme des méthodes d'acquisition. Il en est de même de la montée en puissance de l'OCCAR qui devrait voir le nombre des programmes qui lui sont confiés augmenter significativement dès cette année. S'agissant de modifications des structures industrielles, la privatisation de Thomson CSF doit, bien entendu, s'inscrire dans la politique de restructuration de l'industrie de défense. Les critères qui s'y attachent sont déterminants pour les orientations que sera amené à prendre le Gouvernement en la matière. Nos objectifs sont simples. C'est, en particulier, la constitution autour de Thomson CSF d'un grand pôle d'électronique de défense apte à jouer les premiers rôles dans la restructuration industrielle européenne, ayant accès aux meilleures technologies et capable de développer une présence forte à l'exportation. Je citerai également, au registre des restructurations industrielles à venir, la rationalisation du groupe SNECMA et la consolidation de ses activités moteurs, d'équipements aéronautique et de propulsion à travers sa filiale SEP.

Vous le savez comme moi, la survie de notre industrie d'armement passe par la conquête de nouveaux marchés à l'exportation. L'amélioration de la compétitivité de nos entreprises est bien entendu un facteur majeur de succès en la matière. Un effort sans précédent est en cours pour améliorer le soutien à nos industries françaises dans tous les domaines d'intervention de l'État, et pour mieux cibler nos actions. Ce chantier devrait s'achever dans les semaines qui viennent et le Gouvernement sera en mesure d'énoncer des mesures concrètes appelées à mobiliser au mieux tous les acteurs concernés.

L'industrie de défense est pour la France et pour l'Europe un enjeu majeur. Sa réforme, engagée particulièrement à celle de nos armées, est une composante essentielle pour la défense nationale de demain et, au-delà, pour l'émergence d'une identité européenne de défense. Réussir la recomposition du paysage industriel européen autour de pôles forts et cohérents, préserver la santé et la capacité d'innovation de notre industrie, gagner la bataille de la compétitivité et des coûts, tels sont les objectifs tracés pour les six années à venir. C'est ensemble que nous relèverons ce grand défi pour la France et pour l'Europe.