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Menaces - Défense nationale
Certes, les Français cultivent une propension à douter d’eux-mêmes, à se laisser aller au scepticisme. Des menaces bien réelles, d’offre sanitaire ou écologique, remettent profondément en cause la notion de progrès. Après la brève euphorie de la fin de la guerre froide, la purification ethnique, le terrorisme ou l’intégrisme religieux violent soulignent plus que jamais le caractère tragique de l’histoire.
Pourtant, nos compatriotes ne cèdent ni au fatalisme, ni à la lassitude. Jamais la légitimité de disposer d’une défense nationale n’a été à ce point reconnue, à preuve la disparition du vieil antimilitarisme traditionnel, la force du lien entre l’armée et la nation, la fierté de ce que les soldats français accomplissent partout où ils s’engagent. À mille lieues de toute « volonté d’impuissance », notre pays demeure fermement attaché à ses responsabilités, à ses solidarités, son action en faveur de la stabilité et de la paix. Au moment où se répand le mythe d’une guerre sans risque et sans pertes, la France a parfaitement mesuré le sens et la portée du sacrifice de cinquante-cinq de ses soldats en ex-Yougoslavie.
Réforme des armées (crédits et effectifs en baisse, professionnalisation)
C’est dans cette perspective que s’inscrit la refondation de notre outil de défense voulue par le président de la République et le gouvernement. Aujourd’hui, la réforme est en marche. Réduction des dépenses militaires, professionnalisation, restructuration de l’industrie de défense, nouvel élan européen : ce sont les orientations qui ont été traduites dans la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 ; ce sont autant de façons de se libérer des schémas du passé pour répondre aux défis du XXIe siècle.
Votée en juin dernier par le Parlement, la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 dessine le modèle d’année du siècle prochain. Elle marque d’abord un renouveau dans la méthode. Notre pays a trop souvent cédé à la facilité de confondre priorité politique et augmentation des dépenses publiques. En définissant l’objectif d’une défense plus efficace et moins coûteuse, le président de la République a rompu avec cette tradition néfaste pour les finances publiques, préjudiciable à l’économie nationale et à remploi : avec 185 milliards de francs 1995, la programmation 1997-2002 est en retrait de près de vingt milliards de francs sur la précédente. Ainsi, la défense a ouvert la voie d’une démarche qui se traduit aujourd’hui, dans le projet de budget pour 1997, par une inflexion historique des dépenses de l’État. Pour autant, cette programmation résistera à l’épreuve du temps. Pour la première fois, la programmation des ressources couvre la totalité des dépenses militaires. Ces ressources, garanties par un engagement personnel du président de la République, seront actualisées chaque année. La Défense est la plus ancienne des missions régaliennes. Sa profonde mutation est à la fois le symbole de la capacité de l’Etat à se remettre en cause et le moteur de son indispensable réforme. En rupture avec la loi du nombre, la professionnalisation consacre une véritable révolution stratégique.
La disparition de la menace militaire massive qui existait à proximité de nos frontières terrestres a remis en cause le lien étroit et continu entre service national, forces classiques et dissuasion nucléaire ; elle a fait perdre sa principale justification au maintien de forces armées supérieures à cinq cent mille hommes.
Projection
Rendue nécessaire par la nouvelle donne stratégique, la professionnalisation va permettre à la France de disposer de forces cohérentes, disponibles, rompues à la coopération avec des unités alliées, et de professionnels aguerris, entraînés, aptes à assurer, en toutes circonstances, notre supériorité sur le terrain. La professionnalisation répond également à un nouvel équilibre des grandes fonctions opérationnelles de notre défense. Ainsi le développement de la projection de puissance est-il un élément clé de la réforme. La nouvelle géographie des risques et des crises fait de la projection « le champ prioritaire de nos forces classiques ». Désormais, nous devons avoir la capacité de soutenir une opération avec des moyens significatifs à des distances qui sont sans aucune mesure avec celles de la guerre froide. Il ne s’agit pas, pour la France, de se lancer dans des aventures extérieures, mais bien d’assurer, dans le cadre européen, atlantique ou celui de ses autres engagements internationaux, la défense de ses intérêts essentiels.
Dissuasion nucléaire
La priorité nouvelle accordée à la projection ne remet aucunement en cause la place centrale de la dissuasion dans notre système de défense. Malgré l’effondrement de l’empire soviétique, l’existence de plusieurs milliers de têtes nucléaires, et ce pour des dizaines d’années, la prolifération d’armes de destruction massive de toute nature confirme la dissuasion comme garantie de nos intérêts vitaux contre toute menace, d’où qu’elle vienne. La réforme tire parti de la pause stratégique actuelle pour redéfinir notre posture nucléaire. L’articulation de nos forces nucléaires en deux composantes modernisées, unique en Europe occidentale, fait véritablement passer notre dissuasion d’une ère à une autre.
Sécurité publique intérieure
Terrorisme, trafics, chantage aux représailles, développement de « zones grises » : à l’évidence, la protection du territoire national, exigence permanente de notre défense, ne peut plus se limiter à contrer les menaces d’ordre militaire. La contribution des forces armées à la sécurité publique sera renforcée par l’accroissement des compétences et des moyens de la gendarmerie nationale, qui verra ses effectifs augmenter. La protection du territoire prendra désormais en compte l’action de tous les acteurs de la sécurité intérieure comme la police nationale et les douanes. Elle s’appuiera sur une coopération accrue avec nos partenaires européens.
Prévention
Enfin, l’évolution rapide et les incertitudes du contexte géostratégique donnent à la prévention un rôle majeur. Pour garantir notre autonomie d’analyse et de décision, le renseignement, dans toutes ses dimensions, et en particulier les satellites comme Helios et Horus feront toute la différence. Les forces prépositionnées continueront, pour leur part, à participer activement à la prévention des conflits.
Réforme de l’industrie de défense
La deuxième dimension de la réforme est industrielle. La profonde restructuration du secteur de l’armement français prépare l’avènement de l’industrie européenne de défense du siècle prochain. Fusion Aérospatiale-Dassault, privatisation de Thomson SA, retour à l’équilibre de Giat industries, rationalisation de la direction des constructions navales, réforme de la direction générale pour l’armement l’immense chantier que le gouvernement mène à bien entraîne une révolution des mentalités. Excellence technologique, culture de la concurrence et conquête des marchés doivent être désormais indissociables, car c’est en les rendant compétitifs que nous protégerons les secteurs d’importance stratégique.
Réforme dans une perspective européenne et transatlantique
Cette restructuration va cependant bien au-delà du cadre national, puisqu’elle exprime un choix politique, stratégique et industriel résolument européen. Construire une base industrielle et technologique compétitive est en effet une condition essentielle de l’identité européenne de défense. C’est l’objectif fondamental auquel contribuera la structure franco-allemande de l’armement, qui devrait s’élargir, dès sa création effective, à la Grande-Bretagne et à l’Italie ; les Pays Bas et la Belgique souhaitent également s’y joindre. La proposition de la France pour la construction de l’avion de transport futur, agréée par nos principaux partenaires, en particulier l’Allemagne et la Grande-Bretagne, va également dans ce sens. Cette méthode libérale fait correspondre à l’engagement des industriels celui des États sur un certain nombre d’options fermes. Construire une industrie européenne de défense implique, dans les choix d’équipements des nations européennes, une démarche volontariste qui prenne en compte, au-delà de l’intérêt financier immédiat, une stratégie de défense européenne à long terme.
La réforme de notre outil de défense est en parfaite cohérence avec l’active participation de la France à la redéfinition de la sécurité européenne du XXIe siècle :
Depuis 1945, l’Europe était surtout témoin de l’histoire. La fin de la guerre froide lui offre une chance exceptionnelle de devenir acteur de son propre destin. L’Europe doit saisir cette chance, car si elle abdiquait toute ambition politique, si elle renonçait définitivement à assurer elle-même sa défense, elle perdrait à la fois son sens et sa légitimité. C’est pourquoi la France travaille à l’affirmation de l’identité européenne de défense au sein d’une Alliance rénovée. C’est pourquoi la France a pris, à partir de décembre 1995, des initiatives fortes en ce qui concerne la structure militaire, mais aussi les structures politiques de l’organisation. Traduire l’identité européenne à tous les niveaux de l’Alliance, tel est l’enjeu majeur d’un nouveau partenariat euro-atlantique. Si nous parvenons à un accord, alors, et alors seulement, la France reprendra toute sa place dans l’Alliance.
Réforme avec une nouvelle culture de défense
Mais la défense nationale, c’est, au-delà de l’outil, un esprit de défense. Conséquence de la professionnalisation, la disparition du service national dans sa forme classique va permettre à la nation française d’inventer de nouvelles formes de brassage social et d’engagement citoyen. La mise en place d’un rendez-vous citoyen universel, rassemblant l’ensemble des garçons et des filles d’une classe d’âge répond à la nécessité d’une véritable rencontre entre la nation et sa jeunesse la nation ne doit pas être un concept froid, mais une communauté chaleureuse de citoyens partageant les valeurs constitutives du pacte républicain esprit de défense, fraternité et ouverture aux autres.
Quant aux volontariats, ils offriront à tous les jeunes, sans exception, une possibilité de consacrer un moment de leur vie au bénéfice du bien commun. D’un siècle de conscription militaire universelle, débutée en 1905, les jeunes Français vont passer au civisme du XXIe siècle : une façon personnelle, librement choisie et assumée de vivre sa citoyenneté. Ce projet n’est pas, comme certains pourraient le croire, un sous-produit nostalgique du service national. Dans une époque en manque de rêve, en panne d’espoir, il offrira à la jeunesse l’occasion, par un engagement dans le domaine de la sécurité et de la défense, dans celui de la solidarité ou de la coopération internationale, d’exprimer sa fierté nationale et de manifester sa foi en la France.