Texte intégral
L’Humanité : 5 juin 1997
L’Humanité : Quelle est votre première réaction après votre nomination au Gouvernement ?
Michelle Demessine : D’abord la surprise. Je me suis demandé : pourquoi moi ? Ensuite, le poids de responsabilités. Cette nuit, je me suis souvenue de mon premier acte militant. C’était au mois de mai 1968. Un piquet de grève avait été installé devant mon entreprise (les établissements Promodès). Et, ce jour-là, j’ai décidé de ne pas passer le piquet. Ainsi a débuté ma vie citoyenne.
L’Humanité : À qui pensez-vous en ce moment ?
Michelle Demessine : Je pense à tous mes camarades communistes, à tous mes amis, à tous mes voisins, à tous ceux de ce coin du Nord, à tous ceux qui souhaitent le changement. Je pense à eux, sans aucune peur de la responsabilité qui m’incombe, car je reste totalement parmi eux. Je pense à ma famille, car il faudra bien faire ensemble. Et puis, je vous le dis franchement : l’heure n’est pas à chipoter, il faut tout mettre en œuvre pour répondre à la fantastique demande populaire de construire autre chose. Je suis une militante contre la souffrance et pour la solidarité.
L’Humanité : Comment appréhendez-vous votre secrétariat d’État ?
Michelle Demessine : D’abord en restant moi-même. J’ai toujours respecté cette règle. Je veux rester parmi les miens, ceux qui m’ont tout appris et apporté. Je veux rester près des hommes et des femmes de ma région, de mon pays. Je veux continuer de vivre avec eux et pour eux. Pour être compétente au Gouvernement, il faut d’abord, selon moi, rester fidèle aux siens.
L’Humanité : 28 juin 1997
L’Humanité : Après avoir reçu les professionnels et les élus concernés par le tourisme, quels premiers constats pouvez-vous faire ?
Michelle Demessine : Le tourisme a connu un essor important dans les trente dernières années. On assiste aujourd’hui à un tassement de l’activité, dû essentiellement à la situation économique. Les Français continuent à partir en vacances, mais à moindre coût. Au niveau mondial, le tourisme français occupe toujours une très bonne place mais, dans un marché en pleine croissance, sa part de marché a baissé de 13 % à 10 % ces dernières années.
L’Humanité : Comment peut-on relancer la machine ?
Michelle Demessine : En mettant à mal l’idée que le tourisme est un secteur qui roule tout seul, que seuls l’exceptionnelle beauté de nos paysages, la bonne volonté et la compétence des acteurs de l’activité suffisent à assurer la pérennité de ce secteur. Même si le tourisme a réussi à prospérer sur cette base de nombreuses années. Les professionnels du domaine associatif, public et privé, ont conscience de la nécessité de ce nouveau dynamisme. La création de ce secrétariat, la concertation engagée avec eux a fait émerger ce besoin de trouver un interlocuteur au plus haut niveau de l’État. Un interlocuteur capable de les défendre auprès de tous les autres ministères partenaires, car le tourisme est impliqué aujourd’hui dans des domaines d’activités multiples, la culture, l’environnement, l’agriculture, les petites et moyennes entreprises. J’insiste d’ailleurs sur ce dernier point. Les PME et PMI se retrouvent aujourd’hui confrontées à des problèmes de réglementation, de charges et d’abondance de paperasseries qui, sur des petites structures de dix à vingt salariés, les empêchent d’aller de l’avant. Même les chefs d’entreprise sont de ce fait tirés sur des tâches improductives au détriment du développement de leur société, de la formation de leur personnel. Cela peut apparaître comme un détail, mais l’activité touristique existe aussi grâce à ce maillage commercial dont il faut absolument tenir compte.
L’Humanité : Le développement de l’emploi a été l’une de vos premières préoccupations en arrivant au secrétariat. Avez-vous déjà dessiné quelques pistes de travail ?
Michelle Demessine : Elle est ma première préoccupation car c’est le rôle essentiel qui a été assigné à ce Gouvernement. L’ensemble du secteur est très sensibilisé à ce sujet, les attentes et les marges de progrès sont importantes. Je pense qu’au niveau du tourisme, le développement économique, le développement de l’emploi, (le secteur draine deux millions d’emplois dont huit cent mille emplois directs) et la satisfaction des besoins vont ensemble. Le secrétariat d’État participera très activement au plan d’action qui va être mené par Martine Aubry en matière d’emploi. Je tiens aussi à souligner les efforts à engager en matière de formation. L’industrie touristique est essentiellement composée de main-d’œuvre peu ou pas qualifiée ; elle a besoin de compétences spécifique et de reconnaissance.
L’Humanité : La saisonnalité du tourisme a tendance à précariser l’emploi dans ce secteur. Peut-on y remédier ?
Michelle Demessine : À court terme, il est difficile d’échapper à ce phénomène si ce n’est en favorisant l’étalement des vacances dans le temps. On voit aujourd’hui poindre des ouvertures dans lesquelles il faut s’engager : l’aspiration aux loisirs et aux vacances de courte durée émergent chez les jeunes générations. La diminution du temps de travail peut aussi permettre de dégager du temps libre.
L’Humanité : Du temps libre et des moyens pour en profiter…
Michelle Demessine : Justement, pour que tout le monde ait accès aux vacances, il faut, entre autres, que l’activité touristique soit plus structurée, moins saisonnière, ce qui allégerait les charges des professionnels et permettrait un abaissement des coûts de l’hébergement, de la restauration, des activités culturelles et sportives… On assiste aujourd’hui à une modification des besoins des vacanciers. Ce temps privilégié est consacré au repos, mais aussi à la découverte de sites, à la rencontre avec l’histoire du pays, à la quête de sens. Le secrétariat peut aider à la réalisation de ces nouvelles aspirations, en rendant accessible financièrement toutes les destinations, en travaillant aussi à faire tomber les barrières entre le littoral et l’arrière-pays, en effectuant un travail de « labellisation » des modes d’hébergement afin qu’ils soient lisibles par tous… en créant une nouvelle qualité de vacances.
Le Parisien : 28 juin 1997
Le Parisien : À quelques heures des premiers grands départs, comment s’annonce la saison touristique ?
Michelle Demessine : Plutôt bien. Les relevés de fréquentation de janvier à avril que l’on vient de me transmettre sont d’assez bon augure pour l’été. Par exemple, le taux d’occupation dans l’hôtellerie a progressé de 2 % par rapport au premier trimestre de l’an dernier. Le chiffre d’affaires des agences de voyages connaît une hausse de 5,4 %. Les déplacements effectués ces dernières semaines par les Français sont, eux, en légère baisse (- 4,6 %), mais un récent sondage indique que, cette année, davantage de nos concitoyens comptent partir en vacances : 63 % contre 60 % en 1996. Il s’agit peut-être d’un sursaut de confiance signifiant que l’étau est desserré.
Le Parisien : Il reste malgré tout 40 % de Français qui passeront encore l’été à la maison…
Michelle Demessine : Je serai aussi leur ministre. Concrètement, j’entends me battre pour que le maximum de gens puissent avoir accès aux vacances. À ce titre, il me paraît anormal que les salariés des petites entreprises ne puissent pas bénéficier du chèque vacances, contrairement au personnel appartenant à des sociétés dotées d’un comité d’entreprise. Il y a eu un million de bénéficiaires en 1996. Mais laissez-moi encore quelques semaines pour résoudre ce problème.
Le Parisien : Quel est votre rôle face à des élus qui, pour drainer le plus de touristes, ont tendance à un peu trop urbaniser le littoral ou, maintenant, les abords des parcs ?
Michelle Demessine : Le tourisme marche bien en France et c’est, pour nous, un atout, mais il ne marche pas tout seul. Le ministre du tourisme est un ministre de partenariat, c’est-à-dire qu’il doit travailler avec tous les autres comme celui de l’environnement. Le développement du tourisme dot être au cœur de toutes les discussions avec le Gouvernement, avec l’administration, mais aussi avec les associations locales car elles connaissent tous les sites de leur région et leurs intérêts pour les vacanciers. On a dépassé le temps du seul farniente sur la plage. Il faut un tourisme continu entre les différents paysages. Mon rôle est de parvenir à faire travailler ensemble tous les professionnels du tourisme de toutes les régions.
Le Parisien : Quelles sont justement les revendications premières des professionnels ?
Michelle Demessine : Pour l’instant, j’essaie d’en rencontrer le plus possible. Je suis une maniaque de la concertation. Le 16 juin dernier, j’étais dans l’Hérault, lundi je serai en Corse pour deux jours. La revendication qui me revient le plus actuellement concerne les PME-PMI du tourisme. Elles réclament une fiscalité qui leur soit spécifique pour les aider à se développer.