Texte intégral
Dissuasion nucléaire (du faible au fort)
Le 6 août 1945, après l'explosion de la bombe atomique à Hiroshima, le général de, Gaulle se dit « tenté par le désespoir en voyant paraître le moyen qui permettra, peut-être, aux hommes de détruire l'espèce humaine » Qui, à cinquante ans de distance, ne partagerait pas cette émotion ? Et pourtant le général de Gaulle, contre vents et marées, dotera la France, quelques années plus tard de la force de frappe. Le paradoxe n'était qu'apparent. Le général de Gaulle avait parfaitement compris le « pouvoir égalisateur de l'atome » qui faisait qu'un « faible » (la France) pouvait dissuader un « fort » (l'URSS ou tout autre) de se lancer dans une guerre de conquête. Il pressentait que la détention de l'arme nucléaire modifierait de fond en comble la nature des relations internationales : les voies de la puissance tout comme l'équilibre des forces militaires en sortiraient bouleversés. Il percevait également à quel point le caractère radical et effrayant de l'arme nucléaire allait conférer à la dissuasion une dimension tout à fait nouvelle. D'un mal est sorti un bien : pendant cinquante ans, l'équilibre de la terreur a préservé la planète d'une nouvelle guerre mondiale.
Risques de guerre – Recours à des armes massives
À la veille de la dernière campagne d'essais nucléaires français, il est urgent de dissiper les illusions, et de mettre un terme au faux procès comme celui qui accuse la France de se servir de ces essais pour développer des armes nouvelles ! À la veille de cette dernière campagne, il est dangereux de laisser le monopole du discours de la paix à ceux qui font de l'« écologisme » une profession et du pacifisme un fonds de commerce. On ne bâtit pas une paix durable sur des rêves ou des utopies : il n'y a pas de fin de l'histoire, et l'ère nucléaire est loin d'être dépassée. La dissuasion nucléaire n'a pas perdu de sa pertinence depuis l'effondrement de l'empire soviétique. L'instabilité de la Russie, première puissance nucléaire du continent, la guerre dans le Caucase et les Balkans, la multiplication des foyers de conflit autour de la Méditerranée, la poursuite des essais nucléaires chinois, les tensions dans le continent asiatique justifient en elles-mêmes la crainte d'un conflit grave et de l'éventuel recours à des armes de destruction massive.
L'engagement du Président de la République de signer, dès 1996, le traité d'interdiction complète des essais nucléaires ?
Ces essais sont vraiment devenus l'enjeu d'une bataille passionnelle et symbolique qui est souvent le masque d'un conflit de puissances et d'intérêts économiques. Il est pour le moins surprenant de constater le recours à des méthodes éculées de manipulation des foules : on détourne les bons sentiments, on récupère l'idéalisme, on joue sur des fausses images, on spécule sur des peurs erronées. Pis, on transforme la cause de la paix en une certaine forme d'idéologie de la paix : elle a la couleur de la paix, le goût de la paix, mais ce n'est pas la paix... C'est déjà l'idéologie de « la paix à tout prix » qui a paralysé les démocraties des années 30 face à la montée des périls. Abritées derrière le paravent de la non-intervention, elles ont supporté Guernica. Soulagées par Munich, elles ont implicitement préparé les charniers de Katyn et l'enfer de Dachau. Aujourd'hui les populations victimes de la haine ethnique dans l'ex-Yougoslavie nous rappellent quotidiennement que le nouvel ordre mondial, fondé sur le droit et la sécurité collective, n'est toujours pas à l'ordre du jour. Elles nous interdisent de céder une fois de plus à l'illusion des dividendes de la paix.
N'en déplaise à ceux qui la caricaturent, la France n'est ni égoïste, ni passéiste, ni arrogante dans sa démarche. Elle entend tout simplement être souveraine dans un domaine fondamental : celui de sa défense. Son engagement en ex-Yougoslavie pour la défense des droits de l'homme et la recherche de la paix, les risques qu'y assument ces hommes, parfois au prix de leur vie, démontrent suffisamment qu'elle ne joue pas la carte du repli sur soi. Son action constante pour construire l'Europe – une Europe qui aura besoin demain de la dissuasion française –, l'importance de son aide en faveur des pays sur la voie du développement sont autant de contributions à l'établissement des conditions d'une paix globale et durable. La France est une nation libre, « qui refuse de s'abandonner au fatalisme et à l'irresponsabilité », comme l'a rappelé le Président de la République, Jacques Chirac, aux obsèques de deux « Casques bleus » français tombés à Sarajevo. C'est peut-être justement ce qu'on ne lui pardonne pas. Jacques Chirac a eu le courage de toucher aux tabous de l'idéologie de la paix. Désormais, il est temps que le dialogue l'emporte sur l'insulte, que la raison prenne le pas sur la spirale des passions. Si nous n'y parvenons pas, ce sera une fois de plus la victoire d'une pensée unique qui ne débat pas mais qui combat en jouant des faiblesses émotionnelles de nos démocraties.
Armes nucléaires
Or seule la détention de l'arme nucléaire peut dissuader un agresseur d'utiliser ce type d'armes, quelle que soit leur nature. Constatons-le, il ne suffit pas, pour empêcher la prolifération, de réduire les arsenaux nucléaires des grandes puissances. Tout pays cherchant à acquérir la puissance nucléaire est (élite de passer outre aux conventions internationales. C'était le cas, hier, d'un Saddam Hussein, ce sera le cas, demain, je le crains, d'une puissance terroriste qui réussirait à tourner les mécanismes de contrôle, Oui, la notion gaullienne de dissuasion tous azimuts conserve tout son sens. Tant de sornettes sont dites ou écrites ici ou là qu'il faut sans doute rappeler quelques principes, même si notre société est souvent plus sensible au passionnel qu'au rationnel :
– tout d'abord, la France refuse la banalisation de l'arme nucléaire. Malgré tous les procès d'intention, elle reste farouchement fidèle à la doctrine de la dissuasion nucléaire, qui fait de l'arme nucléaire une arme de non-emploi : cela veut tout simplement dire que c'est sa seule existence – et non son utilisation – qui fait planer une menace telle qu'un agresseur potentiel, fort, faible ou fou, se trouve dissuadé d'attenter à nos intérêts vitaux ;
– ensuite, notre pays contribue à renforcer le régime international de non-prolifération nucléaire. Il a milité activement pour la prorogation indéfinie du traité aux termes duquel les États non nucléaires renoncent pour toujours à l'arme atomique étant entendu que les cinq États nucléaires poursuivent leurs efforts de désarmement et aident les autres pays à accéder à l'usage pacifique de l'énergie nucléaire ;
– enfin, la France refuse la course aux armements nucléaires, Sa dissuasion étant placée sous le signe de la stricte suffisance, il n'est pas question pour elle de développer des armes nucléaires nouvelles, par exemple miniaturisées. Si elle a décidé de procéder à une ultime série d'essais, c'est pour garantir la crédibilité de sa dissuasion, pour vérifier la sécurité et la fiabilité de ses armes au-delà de l'an 2000, pour se doter des données indispensables à la mise au point des instruments de simulation, et en conséquence pour se passer d'essais à partir de 1996.
C'est dire le caractère surréaliste de cette campagne menée ici ou là contre la décision française : pour porter un jugement serein, mettons en parallèle ce 8 essais avec les 1 030 essais américains, les 715 essais de l'ex-URSS, et bien sûr. Les 204 essais français. Pourquoi oublie-t-on régulièrement de rappeler.