Texte intégral
G. Leclerc : La coopération était une grande idée voulue, lancée et développée par de Gaulle. C'était il y a presque 40 ans mais les choses ont beaucoup changé, les données politiques aussi. Quel est l'esprit de la politique française de coopération ?
J. Godfrain : Préparer un grand continent, l'Afrique, à entrer dans le XXIe siècle. Nous sommes convaincus que ce sera un grand continent de ce siècle à venir, tous les indices le prouvent. Si je vous disais qu'aujourd'hui, en Afrique, il y a des taux de croissance de + de 5 % que nous aimerions bien avoir en France.
G. Leclerc : On a vu que votre ministère avait failli être absorbé par les Affaires étrangères.
J. Godfrain : Ce qui compte c'est la volonté du président de la République J. Chirac qui est un « grande Africain » qui aime l'Afrique, qui est aimé par l'Afrique, a bien dit que « le ministère de la Coopération devait rester l'adresse des Africains à Paris ».
G. Leclerc : L'Afrique reste la base de coopération, et A. Juppé, dans la lettre de mission qu'il vous adressait, quand vous avez pris vos fonctions, disait que « c'est la zone d'action privilégiée ».
J. Godfrain : Oui et en particulier l'Afrique francophone, mais au-delà de l'Afrique francophone qui reste notre priorité, le ministère de la Coopération a étendu sa présence dans 70 pays plus l'Afrique du Sud, catalogués par les Nations unies comme pays relativement pauvres.
G. Leclerc : Vous avez dit, dans un article au Figaro, que « notre besoin d'Afrique a changé, évolué ».
J. Godfrain : Il a évolué car la France a une vocation mondiale. Du reste grâce à de Gaulle, je crois que notre présence en Extrême-Orient par exemple, ne doit pas être génée par notre présence en Afrique. Pour nous, ministère de la Coopération, l'Afrique reste effectivement une priorité.
G. Leclerc : Au Zimbabwe, d'où vous rentrez, vous avez signé un accord pour cartographier le pays avec le satellite Spot. En Afrique du Sud, vous partez avec une grande délégation d'hommes d'affaires.
J. Godfrain : Le ministère de la Coopération est en recherche de voies nouvelles pour coopérer et comme l'aide publique au développement ne peut pas s'appliquer partout, nous sommes aussi pour des aides à l'investissement privé. C'est dans notre ligne et je vais en Afrique du Sud dans ce but. Je suis allée en Angola, récemment, de la même manière, accompagné d'entreprises privées. Un chiffre, pour bien prouver que la coopération n'est pas de l'argent jeté par les fenêtres comme quelques-uns le croient : dans la zone francophone, où les entreprises françaises ont un chiffre d'affaires de 35 milliards, le budget de la coopération française est de 7,5 milliards.
G. Leclerc : Ça veut donc dire que la coopération ce n'est pas simplement ouvrir le portefeuille français.
J. Godfrain : Pas du tout ! C'est un partenariat. Ces pays ont payé le prix du sang il y a quelques années, il ne faut pas l'oublier, et aujourd'hui ils ont des filières de productions qui nous intéressent. C'est à travers des accords mutuels que nous pourrons bien coopérer.
G. Leclerc : La politique française de coopération peut-elle se résumer à une politique plus politicienne, une influence politique sur le continent africain ?
J. Godfrain : D'une certaine manière je ne dis pas politicien mais Politique avec une majuscule. Nous aidons ces pays à accéder à la démocratie. Aujourd'hui, dans trois ou quatre de ces pays, il y a un système de cohabitation, un président de la République qui n'est pas dans le même parti politique que son Premier ministre ou son gouvernement. Et cela marche. Il y a un pluralisme de la presse, j'insiste beaucoup là-dessus car il m'arrive de lire des choses très désagréables à mon sujet. Il y en a de très agréables aussi, sans que les journalistes soient condamnés.
G. Leclerc : Vous êtes donc sur la ligne de F. Mitterrand qui disait à La Baule en 1990 : « vouloir associer l'aide financière à la démocratisation » ?
J. Godfrain : Oui, nous sommes pour le pluralisme politique en Afrique qui a effectivement été dicté à La Baule. Mais ce n'est pas à La Baule que cela a été lancé, c'est quelques années plus tôt.
G. Leclerc : Finalement la coopération est-ce aussi un moyen de pression politique ?
J. Godfrain : Pour la démocratisation oui, clairement. Un pays qui ne se soumettrait pas à des élections, qui refuserait la liberté de la presse, un pays dans lequel la liberté et l'État de droit seraient en danger, effectivement serait un pays avec lequel nous ne pourrions plus coopérer.
G. Leclerc : La tentation est grande quand même de vouloir faire pression aussi pour choisir la politique d'un pays en échange de… quelques deniers…
J. Godfrain : Si vous saviez à quel point ces pays, les hommes politiques de ces pays, sont susceptibles sur les prérogatives, je crois que ça aurait l'effet exactement inverse.
G. Leclerc : On entend encore des gens parler de coopération en disant que c'est finalement un dossier un peu sulfureux, avec le pré carré français en Afrique, avec des affaires qui sont un peu liées à des négociations souterraines et en échange d'une certaine forme de coopération.
J. Godfrain : Les choses sont transparentes. Il est évident qu'il y a un passé entre les pays et nous-mêmes qui font qu'il y a des liens personnels qui se sont institués et heureusement. Car l'Afrique n'est pas idéologue, l'Africain fait confiance à l'homme. C'est peut-être à travers cette analyse que l'on fait du tempérament africain, que l'on dit des choses qui sont souvent erronées.
G. Leclerc : Finalement l'avenir de la coopération, de votre ministère, n'est-il pas qu'il disparaisse, peut-être pas quand vous l'occuperez, mais quand un jour on pourra imaginer que l'Afrique n'ait plus besoin de partenaires de coopération ?
J. Godfrain : Totalement, ce ministère ne disparaîtra pas mais évoluera et il évolue tous les jours. Le statut du coopérant classique, fatalement un jour évoluera. Nos aides sont beaucoup plus liées aux organismes internationaux et la notion de privatisation entre en ligne de compte.