Interview de M. Philippe Séguin, président RPR de l'Assemblée nationale, dans "Le Monde" du 14 mai 1997, sur la mission de l'école, la politique de l'enseignement et les relations entre l'enseignement et l'entreprise.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Le Monde : Le gouvernement n’a-t-il pas baissé les bras, s’agissant de l’égalité des chances à l’école républicaine ? Y aurait-il des mesures d’urgence à prendre dans ce domaine ?

Philippe Séguin : Votre question m’étonne par son postulat – le Gouvernement aurait d’ores et déjà baissé les bras –, un postulat qui est profondément injuste. Quant aux solutions au problème que vous évoquez, elles relèvent à l’évidence de mesures politiques de fond et non pas de mesures d’urgence.

Mais, procédons par ordre… D’abord, pour rappeler ce qui devrait constituer une évidence : la question de l’égalité des chances est bien l’une des questions les plus importantes que nous ayons à traiter dans notre République, régime institutionnel qui est beaucoup plus qu’une démocratie ordinaire. Il s’agit d’une communauté de destin et de valeurs, dans laquelle l’égalité des chances constitue un des ciments du pacte collectif.

Ensuite, pour répéter qu’il ne faut pas transformer l’école en bouc émissaire. Il en va de l’égalité des chances comme de tous les maux que l’école est censée résoudre : on l’attaque, on lui reproche d’être la source de toutes nos difficultés alors qu’elle n’en est que le point de convergence, le précipite. Prise dans l’étau de nos graves difficultés sociales, dans l’étau du chômage, dans l’étau de l’exclusion, elle en reproduit nécessairement tous les symptômes. Bref, la lutte pour l’égalité des chances est un combat global qui engage toute la politique du gouvernement, telle qu’elle a été définie par le Président de la République : réduction du chômage, lutte contre l’exclusion, politique de la ville. Domaines dans lesquels, on en conviendra, le Gouvernement doit surmonter quinze à vingt ans d’échecs et de régression…

Enfin, pour rappeler que ce gouvernement est le premier depuis l’action d’Alain Savary et la création des ZEP, les zones d’éducation prioritaires, à attaquer résolument aux inégalités scolaires, par la politique d’aménagement des rythmes de vie de l’enfant, conduite à l’initiative de Guy Drut, en liaison avec le ministère de l’éducation nationale et les collectivités territoriales. Politique que je connais bien, Épinal en a été le terrain d’essai… Politique qui a pour but de lutter contre l’échec scolaire, en répartissant mieux l’effort ; de rendre l’école plus attractive, tout en développant les potentialités de l’enfant ; de favoriser son insertion sociale et de rendre les activités périscolaires gratuites et accessibles à tous… Politique dont Jacques Chirac a fait l’une des grandes ambitions de son septennat et dont je sais qu’il aura à cœur de la conduire à son terme.

Le Monde : Tout le monde se félicite du rapprochement école-entreprise. Est-ce la vraie mission de l’école ?

Philippe Séguin : En tout cas, pas pour la période de la scolarité obligatoire, de six à seize ans. L’école a et conserve une mission majeure : former des citoyens. Elle doit donner à chacun les moyens de son épanouissement, personnel et social, lui apporter une culture générale, l’insérer dans la collectivité, lui conférer les moyens de continuer à se former tout au long de la vie. Elle n’est pas faite, à titre principal, pour former des salariés clés en main. Ce n’est pas sa vocation. Ce n’est pas non plus son métier. L’évolution des professions et des besoins imposerait à l’éducation nationale des à-coups brutaux. Les entreprises sont mieux à même de former des techniciens – quitte à ce que ce soit en partenariat avec l’école, par l’alternance – et peuvent même trouver là – voyez l’Allemagne – leur intérêt.

Au fond, le discours sur le rapprochement de l’école et de l’entreprise relève de la stratégie du bouc émissaire que j’évoquais à l’instant. On rend l’école responsable du chômage ; on lui demande en conséquence de s’adapter. Le résultat est que l’école risque de devenir moins efficace dans ses missions naturelles – la formation du citoyen – sans évidemment que cela change quoi que ce soit à la situation de l’emploi.

Le Monde : Entre un référendum sur l’éducation et la politique très prudente, jusqu’à être qualifiée d’immobilisme, menée par François Bayrou, quelle est la meilleure voie ?

Philippe Séguin : Mais les deux démarches ne sont pas contradictoires, bien au contraire ! En tout cas, pas nécessairement… Lorsqu’il a parlé d’un référendum sur l’éducation, le Président de la République n’a pas voulu annoncer je ne sais quel passage en force d’une réforme de l’éducation nationale conduite contre les acteurs du système éducatif. Il a souhaité qu’à l’issue d’une période de concertation, dont la commission Fauroux a été la première étape, la réforme du système éducatif, conduite selon un mode aussi consensuel que possible avec l’ensemble des partenaires du système éducatif, fasse l’objet d’un pacte solennisé et authentifié, si je puis dire, par le suffrage universel. C’est ce que j’avais compris. S’agissant des réformes mises en œuvre par M. Bayrou, le fait qu’elles ne donnent pas lieu à tapage médiatique, ou ne se heurtent pas à des manifestations contraires, n’est pas un symptôme d’immobilisme. En matière d’éducation, point n’est besoin de réformes fracassantes et bruyantes ; sur ce point, on a déjà donné, et bien donné…

Le Monde : Faut-il obligatoirement soumettre l’école et l’université au régime sec des restrictions budgétaires ?

Philippe Séguin : Formulée comme elle l’est, votre question appelle nécessairement de ma part une réponse négative. L’école est prioritaire de l’action gouvernementale et doit être traitée comme telle, y compris sur le plan budgétaire. Pour l’avenir d’un pays, il n’est pas d’investissement plus rentable que l’école, et il faut toujours s’en souvenir au moment des arbitrages politiques.

Il apparaît, au demeurant, que tel a été le cas en 1997. Il y a eu des suppressions d’emplois dans l’enseignement primaire et dans l’enseignement secondaire, c’est vrai, mais dans un contexte de baisse du nombre des élèves. Quant à l’enseignement supérieur, il bénéficie, en 1997, d’un effort budgétaire exceptionnel, si l’on tient compte du fait que le nombre des étudiants est désormais stationnaire. Les 2 700 créations d’emploi inscrites dans la loi de finances pour 1997, dans un contexte budgétaire dont vous connaissez l’extrême rigueur, permettront une amélioration des taux d’encadrement en 1997-1998. Alors que ces taux d’encadrement se sont dégradés dans la période 1988-1993.