Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, en réponse à des questions sur les restructurations dans l'industrie d'armement, la dissolution de régiments et les essais nucléaires, à l'Assemblée nationale les 10, 11, 18, 25 et 31 octobre 1995, au Sénat le 19 octobre et le 9 novembre.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Réponse du ministre de la Défense à une question orale de M. Jacques Myard, député des Yvelines à l'Assemblée nationale - 10 octobre 1995

Industrie de l'armement

Q. : Ma question s'adresse au ministre de la Défense et au ministre de l'Industrie. Je ne vous apprendrai rien, en vous disant que l'industrie de l'armement en France rencontre de très sérieuses difficultés, qui sont dues, bien sûr, à la fin de l'affrontement Est-Ouest – les fameux « dividendes de la paix » – et à la réduction des budgets de la défense, mais aussi à l'agressivité des industriels américains de l'armement, largement soutenus par un gouvernement très actif et bénéficiant d'un cours du dollar très compétitif. Le résultat est qu'un peu partout, en France, des entreprises d'armement licencient. Je me bornerai à citer le cas de Thomson, à Sartrouville, que je connais bien. Dans cette usine, les emplois risquent de passer de 1 200 à moins de 300 l'année prochaine. Dans ces conditions, quelle stratégie industrielle comptez-vous adopter pour préserver non seulement l'emploi, mais aussi le savoir-faire d'une industrie que le monde nous envie ?

R. : Vous le savez mieux que personne, monsieur Myard, l'industrie de l'armement traverse aujourd'hui une crise dont les causes sont multiples :

– la première tient à l'évolution technologique, qui entraîne une transformation de cette industrie dans tous les pays du monde ;
– la deuxième cause, c'est la baisse des dépenses de défense dans tous les pays, que ce soit en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou au Canada. Tous ces pays, très développés en matière de défense, ont décidé une baisse draconienne de leurs dépenses d'armement ;
– la troisième cause est la concurrence internationale. Il convient notamment de souligner que les États-Unis ont augmenté d'une manière exponentielle leurs exportations d'armement au cours de ces quatre dernières années, depuis qu'ils ont décidé de diminuer leurs dépenses nationales de défense.

Pour ces diverses raisons, le ministère que je dirige a décidé d'engager, conformément aux directives de M. le Premier ministre, une réflexion stratégique. C'est la mission du comité stratégique, qui doit décider, pour les mois à venir, de la politique qu'il conviendra de mettre en oeuvre pour les industries d'armement. Nous aurons à choisir entre la logique économique et la logique de défense.

Jusqu'à maintenant, compte tenu des facilités budgétaires qu'elle avait, la France n'avait pas choisi entre ces deux logiques. Il sera indispensable qu'elle le fasse. Il est bien évident que nous choisirons la logique de défense, ce qui entraînera naturellement des restructurations de l'industrie de l'armement. Quels objectifs peut-on fixer à celle-ci ? Ils sont doubles :

– d'une part, les industries d'armement doivent diversifier leurs productions et se tourner vers le secteur civil ;
– d'autre part, elles doivent opérer une diversification entre le client national et l'exportation.

Pour ce qui est de Thomson, notre position est claire : nous respecterons le rôle de l'État, qui est triple :

– premièrement, garantir l'indépendance nationale et, par-là, une industrie d'armement indépendante ;
– deuxièmement, assurer la mission d'actionnaire vis-à-vis de l'industrie de l'armement ;
– troisièmement permettre au pays de jouer son rôle de client, sans pour autant subir les oukases de l'industrie de l'armement.

Nous accompagnerons la privatisation de Thomson, décidée le 19 juillet 1993, quand le marché le permettra et quand l'entreprise sera en mesure de vivre cette privatisation. Nous accompagnerons cette entreprise dans ses alliances nationales et internationales. Enfin, nous mettrons tout en oeuvre pour que, en cas de restructurations, il y ait parallèlement reconversions. Je m'engage à étudier chaque cas et chaque situation, pour que, toutes les fois où ce sera possible, il y ait création d'emplois ou réorganisation de l'emploi dans le ministère dont j'ai la charge, afin d'éviter des conséquences qui soient insupportables.


Réponse du ministre de la Défense à une question orale de M. Gilbert Meyer, député du Haut-Rhin à l'Assemblée nationale - 11 octobre 1995

Q. : Monsieur le président, ma question s'adresse au ministre de la Défense. Vous avez présenté, le 27 septembre dernier, les orientations de votre ministère pour l'année 1996. Nous y avons tous relevé les mesures de restructurations, qui vont plus loin que ne le prévoyait la loi de programmation militaire du 23 juin 1994. Les restrictions envisagées sur des unités opérationnelles concernent de nombreux régiments. Or, bien des départements ne se sont pas encore remis des démantèlements opérés depuis trois ans. Ils souffrent encore des dissolutions réalisées sans compensation réelle et incitative de l'État. Je prends pour exemple le Haut-Rhin où, depuis 1992, trois unités principales ont fait les frais du plan « Armées 2000 ». Les restructurations proposées pour 1996 toucheraient le premier régiment de France, à savoir le 152e régiment d'infanterie, ainsi que le centre mobilisateur 104, deux unités stationnées à Colmar. La loi de programmation militaire n'avait nullement prévu ces restructurations. Dès lors, les engagements pris par le Gouvernement en 1994 ne seraient pas respectés. Je vous demande donc, monsieur le ministre, de bien vouloir reconsidérer votre position quant au 152e régiment d'infanterie et au CM 104.

R. : Monsieur le député, les restructurations actuellement engagées ont deux objectifs essentiels : la modernisation de notre outil de défense, d'une part, la réduction des déficits et la meilleure utilisation de nos fonds budgétaires, d'autre part. Compte tenu de la conjoncture, j'ai été conduit à faire connaître certaines mesures de restructuration qui vont au-delà de ce qui avait été prévu par la loi de programmation, et ce, pour la raison simple que la situation budgétaire ainsi que la modernisation de notre outil de défense l'imposent.

Les créations de postes pour les engagés volontaires de l'armée de terre ne sont pas en nombre suffisant pour compenser la réduction du nombre d'appelés qu'on constate aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle je vous confirme, monsieur le député, la suppression de l'une des huit compagnies du 152e régiment d'infanterie qui restera néanmoins, je le souligne, le plus gros régiment d'infanterie de l'armée de terre.

Quelles sont, me demanderez-vous, les compensations ? Il n'y en a aucune. Seules des mesures d'accompagnement sont prévues. Ainsi, vous connaissez l'investissement du ministère de la Défense pour ce qui est d'Atika System, d'Eurométal et de Raeth. Je vous promets que je mettrai tout en oeuvre pour continuer à décliner des mesures d'accompagnement. Mais, vous le comprendrez mieux que quiconque, monsieur le député, nous sommes dans une situation budgétaire difficile et nous voulons avoir un outil de défense performant : nous devons en accepter les exigences.


Réponse du ministre de la Défense à une question orale de M. Paul Quilès, député du Tarn à l'Assemblée nationale - 18 octobre 1995

Essais nucléaires

Q. : L'un des deux essais nucléaires effectués ces dernières semaines avaient pour objectif de valider la tête nucléaire TN 75. Même si l'on partage l'opinion que cet essai était nécessaire, il apparaît de plus en plus évident que ceux qui sont encore programmés seront inutiles. C'est en tout cas ce que pensent de nombreux scientifiques et experts. C'est ce que nous pensons. C'est aussi ce que vient de déclarer l'un de nos collègues de la majorité, ancien président de la République, M. Giscard d'Estaing qui a écrit un article dans Le Figaro il y a quelques jours dans lequel il dit : « Notre force de dissuasion n'a pas besoin, dans les prochaines années, d'être perfectionnée ; elle est largement dimensionnée par rapport à des menaces stratégiques nucléaires qui n 'existent pas dans le présent et dont on n'aperçoit pas l'apparition à échéance prévisible. » Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt à demander au président de la République d'arrêter le programme d'essais nucléaires en cours ? Cela apaiserait l'émotion considérable qu'a provoqué, en France et dans le monde, sa décision du 13 juin. Cela permettrait aussi à notre pays, sans meure en cause sa capacité de dissuasion, de retrouver l'autorité morale, diplomatique et politique indispensable au moment où le monde doit s'engager dans la désescalade nucléaire et dans la lutte contre la prolifération. Prendre cette décision aujourd'hui serait certainement perçu comme un service rendu à la France.

France (puissance mondiale)

R. : En vous écoutant me revenait en mémoire le jugement d'un ancien ministre des Affaires étrangères, M. Cheysson, qui, lorsqu'il a pris connaissance de la position de certains dignitaires socialistes sur la campagne d'essais nucléaires, a dit simplement : « J'ai honte d'être socialiste. » En vous écoutant, monsieur le député, m'est revenue la prise de position d'un ancien ministre de Défense, M. Chevènement, qui a expliqué sur tous les tons et avec grande pertinence que la France devait absolument avoir une force de dissuasion nucléaire si elle voulait rester une grande puissance influente. En vous écoutant, monsieur le député, m'est revenue en mémoire l'analyse du philosophe Glucksmann qui expliquait que si la France voulait pouvoir intervenir pour faire respecter les droits de l'homme en Bosnie, elle devait être une grande puissance, et que, aujourd'hui, l'un des attributs d'une grande puissance c'était la détention d'une force qui évite la guerre, qui dissuade l'ennemi : une force de dissuasion nucléaire.

Je tiens à dire à M. Quilès qu'il devrait prendre des cours de lecture et relire l'article signé par l'ancien président de la République, M. Valéry Giscard d'Estaing. Selon lui, les essais qui ont actuellement lieu en Polynésie, à Mururoa, doivent avoir un double objectif. Premier objectif : valider la TN 75. Second objectif : permettre l'accumulation de données scientifiques pour pouvoir effectuer les simulations et accorder une crédibilité certaine à notre force de dissuasion. Alors je sais, monsieur Quilès, erreur en deçà, vérité au-delà ! Lorsque vous étiez ministre de la Défense, vous êtes allé vous baigner dans le lagon de Mururoa pour prouver l'innocuité des essais nucléaires et vous jugiez alors qu'ils étaient nécessaires. Mais maintenant que vous êtes dans l'opposition, vous changez de position, au mépris de la France !


Réponse du ministre de la Défense à une question orale de M. Christian Bonnet, sénateur du Morbihan au Sénat - 19 octobre 1995

Restructurations (Lorient, Vannes, Poitiers)

Q. : Monsieur le ministre de la Défense, vous me connaissez assez pour savoir que je suis prêt à voter les décisions les plus impopulaires qu'appelle l'ampleur des déficits publics. Mais vous me connaissez assez aussi pour savoir que je ne puis laisser passer sans réagir des mesures inéquitables parce que discriminatoires à l'endroit du département dont je suis l'élu.

Qu'une contraction des crédits du ministère de la Défense s'impose, j'en suis mille fois d'accord. Ce que je ne puis admettre, c'est que celle-ci affecte, par deux fois, le Morbihan, ce qui me conduit à vous poser des questions très précises :

En ce qui concerne Lorient, ville à bien des égards sinistrés par une récente mesure intéressant la défense, la lettre que vous avez adressée aux parlementaires le 16 octobre dernier est frappée du sceau de l'ambiguïté, dès lors qu'elle peut s'analyser en un catalogue de bonnes intentions, sans précision aucune. Pouvez-vous confirmer que, pour être différées, les frégates 5 et 6 seront bien construites ? Et combien d'heures de travail l'arsenal et les sous-traitants créanciers de plusieurs millions d'heures à l'égard d'autres sites, sont-ils en droit d'attendre en 1996, puis en 1997 ?

S'agissant maintenant de Vannes, dans ce même courrier du 16 octobre, vous évoquez des « contraintes opérationnelles et économiques » pour justifier le transfert d'une unité d'élite. Contraintes opérationnelles ? La hiérarchie militaire se serait-elle égarée en vantant depuis quelques années, les mérites de la synergie entre le RICM et le 3e RIMA ? Contraintes économiques ? Est-il exact que la nouvelle implantation, envisagée dans une cité dont les casernements sont totalement inadaptés à une unité de professionnels, permet à l'État de réaliser une économie ? Dans l'affirmative, à qui incombera la charge financière de l'implantation du régiment et du logement des familles ? L'État touche-à-tout en viendrait-il à transférer ses attributions régaliennes ?

« Il faut aimer l'État », tel est le titre d'un récent ouvrage de l'un de mes amis, le secrétaire général de la Défense nationale. Je crois être du petit nombre – trop petit nombre, hélas ! – de ceux qui ont toujours aimé l'État. Encore faudrait-il que, dans la répartition des sacrifices, aujourd'hui indispensables, l'État patron ne fasse pas litière de l'État justicier !

R. : Monsieur le sénateur, je suis suffisamment attaché, comme vous, à une France, une et indivisible, pour ne pas calculer la répartition des efforts budgétaires commune par commune, département par département ou région par région. Il ne s'agit pas de savoir si le Morbihan supporte plus de charges que l'Alsace ou si cette dernière supporte un effort plus important que l'Ille-et-Vilaine. Ma réponse prendra en compte l'intérêt national, ce qui est suffisant.

RICM (déplacement de Vannes à Poitiers)

Vous me demandez pourquoi le RICM va quitter Vannes pour Poitiers. J'assume pleinement, vous le savez, les décisions que je viens de prendre et je ne les modifierai pas car elles répondent – selon mon jugement, et ceux du Gouvernement, de M. le Premier ministre et de M. le président de la République – à l'intérêt national :

La première raison est de nature opérationnelle. Vous le savez aussi bien que moi, monsieur le sénateur, ce régiment vient d'être doté d'AMX 10 RC et de VAB-Hot. Or il n'existe actuellement à Vannes aucun espace d'entraînement pour ce type d'équipements.

La seconde raison est de nature économique. Oui, à Poitiers, il existe actuellement des espaces et des emprises qui nous permettent de réaliser des économies importantes en matière de casernement. Ce transfert sera donc opéré dans un souci d'économies budgétaires. À Vannes, est cantonné un autre régiment connu auquel je rends hommage, le 3e RIMA. Par ailleurs, est implanté un établissement de matériel. Demain – M. Bonnet le sait bien.

Y seront établies des unités opérationnelles dans le cadre de la réorganisation de l'armée française. Donc, il n'y a pas de déshabillage ni de déménagement.

Constructions navales à Lorient (frégates)

Vous avez également abordé la question de Lorient et de la DCN, la direction de la construction navale. En ce qui concerne Lorient, je confirme qu'il y aura une révision du calendrier de la fabrication des frégates, mais sans remise en cause de la fabrication des frégates 5 et 6, comme vous le souhaitez. Par ailleurs, compte tenu de la répartition du travail entre les différents arsenaux, certains travaux seront évidemment confiés à Lorient dans le cadre du programme des frégates saoudiennes – le programme « Mouette » – et pour le carénage de certains bâtiments.

C'est la raison pour laquelle je compte sur le sens de l'État et de l'intérêt national de tous les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, pour soutenir le plan de restructuration des armées françaises. Celui-ci obéit à deux objectifs. Le premier est de baisser les dépenses publiques afin de pouvoir diminuer les charges fiscales et sociales, et permettre à l'initiative de se développer dans les entreprises. Le second objectif est d'améliorer notre outil militaire compte tenu de la défense nationale et de la défense européenne.


Réponse du ministre de la Défense à une question orale de M. Patrice Martin-Lalande, député du Loir-et-Cher à l'Assemblée nationale - 25 octobre 1995

Giat Industries (Le Mans, Salbris, Tarbes et Rennes)

Q. : La situation de GIAT Industries est devenue très inquiétante à court terme, avec l'annonce que les sites du Mans, de Salbris, de Tarbes, de Rennes risquaient de fermer, et avec l'annonce de pertes de 2,9 milliards en 1994, soit le double des prévisions, dont 1,5 milliard en raison d'opérations financières inconsidérées. Mes questions, auxquelles s'associent mes collègues Lefebvre et Geveaux, sont les suivantes : que compte faire l'État en tant qu'actionnaire pour opérer une recapitalisation urgente, en tant qu'autorité de tutelle, d'une part pour mieux aider à rechercher des marchés à l'exportation, et, d'autre part, pour exiger la mise au point d'un véritable programme de diversification et de reconversion à chaque fois qu'un site risque d'être touché à terme par la baisse d'activité et d'emplois, en tant que client pour maintenir le plan de charge d'un secteur comme les munitions dont on avait annoncé en juillet dernier qu'il serait épargné par le gel des crédits et qui va subir dans le budget de 1996 une diminution de 11 % .

R. : La situation de la société GIAT est grave. C'est celle que nous avons trouvée. Elle est préoccupante à bien des titres.

État (actionnaire)

Voyons d'abord ce que compte faire l'État en tant qu'actionnaire. Dès que j'ai eu la responsabilité du ministère de la Défense, j'ai demandé un audit sur la société après le changement de président-directeur général. Les résultats doivent nous être transmis avant la fin du mois d'octobre, c'est-à-dire dans quelques jours. J'ai indiqué au président de la commission de la défense nationale que je me tenais à sa disposition pour tenir informée la représentation nationale de toutes les évolutions et de toutes les analyses qui peuvent concerner la situation financière de la société. Cela dit, je déconseillerai tout nouvel investissement, c'est-à-dire toute recapitalisation, tant que l'on n'aura pas une vue saine et claire de la situation.

État (autorité de tutelle)

En tant qu'autorité de tutelle, il est évident que l'État demandera à la société GIAT de revenir à son rôle, à sa mission telle qu'elle est définie dans son objet social. Il n'est pas question pour nous de couvrir des diversifications objet social. Il n'est pas question pour nous de couvrir des diversifications qui nous paraissent totalement inutiles, coûteuses et souvent déficitaires. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé au nouveau président-directeur général d'étudier tous les moyens à mettre en oeuvre pour permettre à la société de se dégager de tous les investissements aventureux et de se recentrer sur son objet.

État (client)

En tant que client, l'État n'est pas là pour construire une défense nationale en fonction des problèmes rencontrés par les entreprises de l'armement mais en fonction de la sécurité du pays. Je mettrai tout en oeuvre pour accompagner diversifications, reconversions, développements, approfondissements, ouvertures sur des marchés nouveaux, mais, en aucun cas, je ne définirai le budget de la défense nationale en fonction de l'industrie de l'armement. Enfin, à la demande de M. le Premier ministre, j'ai rencontré des représentants de pays qui sont décidés à acheter du matériel français, mais, c'est très clair, il faudra une osmose entre la démarche du ministère de la Défense et celle de l'Industrie de l'Armement, avec un suivi au niveau des pièces détachées, du service après-vente et de la prise en compte du marché extérieur. Je suis sûr que la France sera alors l'un des meilleurs pays en ce domaine.


Réponse du ministre de la Défense à une question orale de M. Charles Fèvre, député du Haute-Marne à l'Assemblée nationale - 25 octobre 1995

Restructurations (dans des zones prioritaires de développement économique)

Q. : La récente loi d'orientation pour l'aménagement du territoire comporte notamment la définition de zones prioritaires de développement économique et de revitalisation rurale. Vous avez décidé, le 27 septembre, une série très importante de dissolutions, de transferts et de restructurations, qui créent de graves problèmes dans certaines petites villes et dans le milieu rural qui les entoure.

Langres (Haute-Marne)

C'est le cas, de Langres, en Haute-Marne, ville de 10 000 habitants – c'est l'une des plus petites villes à être touchées par votre plan de restructuration – qui perd le 711e groupement des essences, soit quarante familles et une certaine d'appelés. Pourtant, il y a un an et demi, j'avais reçu personnellement des assurances formelles de votre prédécesseur. Ce cas n'est cependant pas particulier et, en vérité, il se pose un problème général et de principe. Lorsqu'on sait que Langres et tout le secteur du Sud haut-marnais viennent d'être classés dans les zones prioritaires d'aménagement justifiant, selon l'article 42 de la loi du 4 février 1995, « des politiques renforcées et différenciées » de développement en raison de leurs handicaps, on se demande si les décisions que vous avez prises fin septembre, n'auraient pas dû épargner les secteurs géographiques en difficulté. Cela aurait permis à votre politique d'être en conformité avec les préoccupations du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire. En tout cas, sur le plateau de Langres, zone défavorisée et fragile, votre décision a des effets psychologiques négatifs dans la mesure où elle suscite la résignation plutôt qu'elle n'incite à surmonter les difficultés.

Ma question est donc double. Compte tenu des arguments que je viens de développer, pouvez-vous, monsieur le ministre, revenir sur votre décision ?

Sinon, pouvez-vous vous engager à offrir une compensation sérieuse qui consisterait à délocaliser à Langres une autre unité ou un service de votre ministère ?

R. : Je ne connais pas un seul élu local qui se félicite des restructurations militaires, car il est évident que toute restructuration militaire implique la fermeture d'un certain nombre d'unités et le déménagement d'autres. Toutefois, lorsque l'on réclame une baisse des dépenses publiques, on doit accepter solidairement une réduction des dépenses militaires et donc des restructurations. Vous avez voté cette réduction, je la mets en oeuvre ! Vous me demandez de revenir sur une décision qui concerne quinze familles – je dis bien, quinze familles, car toutes les autres personnes concernées sont célibataires, et qui n'entraîne pas, en fait, de conséquences graves sur l'aménagement du territoire. J'accompagnerai la reconversion et l'aménagement du territoire. Et je suis prêt, si vous le souhaitez, à vous recevoir pour imaginer des solutions qui permettront une adaptation de cette décision. Mais, en toute hypothèse, je ne peux revenir sur celle-ci.


Réponse du ministre de la Défense à une question orale de M. Jacques Brunhes, député du Hauts-de-Seine à l'Assemblée nationale - 31 octobre 1995

Aérospatiale (suppression d'emplois)

Q. : La direction générale de l'Aérospatiale a, jeudi dernier, lors du comité central d'entreprise, annoncé son intention de supprimer près de 4 000 emplois en 1996 et en 1997. Ces suppressions viendront s'ajouter aux adaptations d'effectifs en cours d'application. Les organisations syndicales se sont insurgées contre celle annonce brutale qui n'est l'objet d'aucun accompagnement social, ce qui laisse supposer des licenciements secs. Nous ne méconnaissons ni les exigences de financement de l'entreprise ni les contraintes dues à la faiblesse chronique du dollar. Mais, pour l'essentiel, la dégradation actuelle découle des choix effectués par l'État. L 'aéronautique nationale constitue par son développement, sa recherche, son savoir-faire et son potentiel technologique et humain un fleuron de notre industrie. Lors du dernier salon du Bourget, M. Jacques Chirac n'a-t-il pas déclaré : « La France doit continuer à figurer dans le peloton de tête de ce secteur d'avenir ; c'est une condition de notre souveraineté. » Or, les mesures annoncées sont en contradiction totale avec l'intérêt de la nation, son indépendance, et la nécessité d'impulser une grande politique de développement de l'aéronautique.

Aérospatiale (recapitalisation)

Une telle politique serait possible si l'État assumait impérativement ses responsabilités, notamment dans la recapitalisation de l'entreprise. Les masses financières existent bien dans les sphères boursières, les placements spéculatifs ou les banques. Chacun le sait, c'est seulement sur le long terme que l'on peut raisonner dans ce secteur d'activité. Or, selon les experts d'Airbus Industrie ou de Boeing, les perspectives d'évolution du marché en appareils sont très optimistes : ils prévoient 15 000 demandes d'ici à 2010. Dans ces conditions, que comptez-vous faire pour que soient levées les mesures annoncées pour préserver l'avenir de notre industrie aéronautique et faire de celle-ci une priorité nationale ?

R. : Comme vous venez de le rappeler, l'Aérospatiale est, comme toutes les entreprises de l'armement et de l'aéronautique, confrontée à des difficultés et doit faire face à différents enjeux. Premièrement, elle est confrontée à la baisse du dollar et à une concurrence internationale souvent insupportable. Deuxièmement, l'Aérospatiale subit un retard d'adaptation, comme on peut le constater dans bien des entreprises de ce groupe industriel. Troisièmement, elle doit, depuis 1990, supporter une baisse des dépenses d'équipement relevant du titre V, c'est-à-dire une diminution des investissements de l'État, ce qui a induit des restructurations industrielles et eu des conséquences sur l'emploi.

Plan d'accompagnement économique et social (Aérospatiale)

Vous me demandez quelles seront les conséquences des déclarations du président de l'Aérospatiale. D'abord, je vous précise que celui-ci n'a annoncé ni licenciements ni réductions d'effectifs, il a seulement pris acte de l'existence d'un sureffectif dans le groupe. Dressant ce constat, il a simplement demandé que soit mis en place un plan économique et social. Lors des prochaines semaines, le Gouvernement proposera un plan d'accompagnement économique et social pour l'industrie aéronautique et pour l'industrie d'armement. En effet, il nous paraît évident que les entreprises de ces deux secteurs doivent, d'une part, s'adapter à une compétition internationale exacerbée et, d'autre part, s'engager dans une nouvelle dynamique de modernisation et de croissance. Ce plan d'adaptation sera, je le précise, décliné branche par branche, entreprise par entreprise, étudié avec les directions des entreprises, puis mis en place après consultation des partenaires sociaux.


Réponse du ministre de la Défense à une question orale de M. Grégoire Carneiro, député du Haute-Garonne à l'Assemblée nationale - 31 octobre 1995

Aérospatiale

Q. : Ma question s'adresse à M. Charles Millon, ministre de la Défense, mais, de par sa nature, elle est interministérielle. La presse a rendu compte du comité central d'entreprise de la société Aérospatiale, qui s'est tenu le 26 octobre dernier. À cette occasion, le PDG Louis Gallois a fait état d'une possible suppression de plus de 3 000 emplois. La France, faut-il le rappeler, joue un rôle dans l'aéronautique européenne et mondiale en détenant près de 30 % des parts de marché. Le savoir-faire du personnel a fait d'Aérospatiale un véritable « pôle d'excellence industriel ». Aujourd'hui, l'emploi est en danger. L'entreprise Aérospatiale, ce n'est pas seulement du capital, des tableaux de bord, des stratégies et des chiffres, c'est aussi et surtout des hommes et des femmes qui ont cru en leur maison et qui l'ont fait prospérer. Les salariés ont droit à un peu de reconnaissance !

Certes, l'État n'est pas resté insensible aux problèmes rencontrés par Aérospatiale puisqu'il a assuré une recapitalisation de 1 milliard en 1987 et de 2 milliards en 1994. De même, les avances remboursables ont été rétablies par le ministère des Transports. Sous l'impulsion de Bernard Pons, 40 millions sont prévus en 1996 pour le « 100 places ». Sont également prévus pour 1996 des crédits de prédéveloppement pour le FLA, autrement dit le Future Large Aircraft. Cependant, la situation de l'aéronautique est encore délicate. Il conviendrait donc d'inclure dans cette nouvelle politique le futur avion A 330, version raccourcie, qu'Aérospatiale et ses partenaires d'Airbus Industrie envisagent de réaliser prochainement. Un tel appareil est en effet indispensable pour occuper le créneau des biréacteurs d'environ 250 passagers et pour concurrencer le Boeing B 767. Le parti technologique retenti, dont il faut saluer la sagesse, rend ce projet relativement peu coûteux. Pour qu'Aérospatiale puisse disposer des moyens lui permettant de financer son développement, il suffirait de réserver à son profit 335 millions de francs sur trois ans, dont 80 millions de francs de crédits de paiement en 1996.

Depuis plusieurs semaines, on nous parle de recapitalisation de l'entreprise, du niveau indispensable des avances remboursables, de regroupement industriel et, surtout, de possibles licenciements. Nous devons refuser ces licenciements. La direction et les cabinets ministériels se renvoient la balle, au mépris de centaines de salariés qui, désormais, doutent de leur avenir. Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement aura à coeur de faire en sorte que notre fleuron de l'industrie aéronautique puisse passer ce cap difficile. Il est grand temps que la direction, que M. Gallois présente de nouvelles pistes de négociation. Mais il faut également que les cabinets ministériels soient à l'écoute, voire fassent part de leurs réflexions. Quand va-t-on enfin sortir de ce fatalisme timoré dont font preuve les technocrates à la langue de bois qui se trouvent dans l'entreprise et dans certains cabinets ? Le Gouvernement ne doit certes pas se substituer aux acteurs industriels et sociaux d'Aérospatiale. Mais nous souhaitons, monsieur le ministre, qu'il joue un rôle de régulateur, d'interface de communication. Il doit demander aux partenaires d'Aérospatiale de réfléchir et de proposer des perspectives d'avenir. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour atteindre de tels objectifs ?

R. : Je ne peux que confirmer les propos que j'ai tenus en début de séance : nous ne sommes absolument pas indifférents au sort de l'Aérospatiale. Nous savons que c'est un fleuron du secteur aéronautique et du secteur de l'armement.

Plan d'accompagnement économique et social (Aérospatiale)

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre en oeuvre, avec la direction de l'entreprise, un plan d'adaptation économique et sociale permettant à la fois d'affronter les enjeux économiques et de résoudre les problèmes sociaux qui sont aujourd'hui soulevés.

Le président de la société Aérospatiale n'a fait, je le rappelle, que constater l'existence d'un sureffectif. Des négociations vont être engagées pour mettre en oeuvre le plan d'adaptation économique et social dont je viens de parler. Ce plan sera décliné entreprise par entreprise, afin non seulement de résoudre le problème social, mais aussi de moderniser l'entreprise. J'ajoute que des conventions d'adaptation régionales liant les régions et l'État seront proposées pour permettre à l'industrie de l'armement et à l'industrie aéronautique de s'adapter aux nouvelles conditions économiques. Ne croyez pas que les ministères soient indifférents au sort de l'aéronautique et de l'industrie de l'armement. Au contraire, ils prennent toutes les mesures nécessaires pour moderniser ces secteurs et résoudre les problèmes sociaux.


Réponse du ministre de la Défense à une question orale de Mme Berge-Lavigne, sénateur de Haute-Garonne au Sénat - 9 novembre 1995

Aérospatiale

Q. : Le 26 octobre dernier, la direction d'Aérospatiale annoncé 4 000 suppressions d'emplois dans le groupe, dont 1 500 dans la branche Aéronautique civile. Mardi dernier, sur 8 400 salariés que comptent les cinq sites de Toulouse, plus de 7 000 ont manifesté leur inquiétude mais, surtout, leur détermination à se battre pour leur entreprise. L'aéronautique est une entreprise particulière qui a besoin d'un actionnariat tenace, patient et citoyen dans la mesure où les retours d'investissements ne se font qu'à dix ou quinze ans, avec des moments difficiles, durant lesquels il faut tenir bon, préserver l'efficacité des bureaux d'étude, le savoir-faire irremplaçable des personnels et maintenir les programmes de recherche développement.

Recapitalisation

Il faut un actionnariat qui réponde présent quand surgissent, comme actuellement, des difficultés financières dues à la fois à un cours trop bas du dollar et à la faiblesse conjoncturelle d'un marché dont tous les experts reconnaissent pourtant qu'il est appelé à un grand avenir, notamment en Asie. La France ne peut laisser notre industrie phare perdre la place qui est la sienne et céder au formidable bras de fer engagé sur ce terrain par les États-Unis.

M. Louis Gallois, président d'Aérospatiale, a estimé les besoins en recapitalisation de l'entreprise à 10 milliards de francs. Une participation de l'État à cette recapitalisation reconnaîtrait les efforts accomplis par l'entreprise, serait un investissement productif et contribuerait à sauver des emplois.

Je sais bien que d'aucuns vont dire : « Encore une entreprise publique qui coûte cher à l'État ! » Aérospatiale privatisée – puisque telle est l'intention de la majorité depuis la loi de juillet 1993 – coûterait-elle moins cher aux contribuables ? Prenons l'exemple de Boeing, dont le budget recherche et développement est soutenu par les millions de dollars du budget fédéral américain : cela a un coût pour les contribuables ; pour Dasa, en Allemagne, le programme cyniquement baptisé Dolorès, qui prévoit de supprimer un emploi sur quarre, aura également un coût pour les contribuables allemands.

Si, par malheur, Aérospatiale supprimait 4 000 emplois, entraînant ainsi des pertes d'emplois indirectes, les dégâts économiques seraient lourds : ils se traduiraient, en particulier, par des plans sociaux et une augmentation du déficit de la Sécurité sociale. Qui paiera, sinon le contribuable ? Il est temps – je pose ma question, monsieur le Président – que le Gouvernement sorte du silence étrange qu'il observe sur cette affaire. Allez-vous sans mot dire abandonner le potentiel de compétences, de savoir-faire et le capital technologique concentrés dans l'industrie aéronautique ? Ma question est précise, monsieur le Premier ministre, l'État est-il décidé à jouer pleinement son rôle d'actionnaire en participant à la recapitalisation d'Aérospatiale ?

Suppression d'emplois (4 000)

R. : Il est vrai qu'Aérospatiale traverse un certain nombre de difficultés, et c'est la raison pour laquelle le président-directeur général de cette société a expliqué au comité central d'entreprise qu'il faudrait envisager une réduction d'environ 4 000 emplois pour retrouver l'équilibre. Il est vrai aussi que le Gouvernement est attaché à la pérennité de l'industrie aéronautique française, et c'est la raison pour laquelle, depuis un certain nombre de semaines, avec M. Gallois, je recherche des solutions à travers un plan de restructuration qu'il doit me proposer. Il n'est pas question, pour l'État français, de démissionner devant ses responsabilités. Nous assumerons toutes nos fonctions d'actionnaire, mais sans pour autant procéder à une recapitalisation les yeux fermés.

Plan de restructuration

En conséquence, j'ai dit à M. Gallois, comme d'ailleurs à tous les responsables de sociétés nationales qui éprouvent actuellement des difficultés, que nous n'interviendrions qu'à la suite d'un plan de restructuration établi avec les partenaires économiques, après consultation des partenaires sociaux. M. Gallois, que je dois recevoir dans quelques semaines, est en train de faire le nécessaire. Il m'a déjà informé que la réorganisation était prête pour les sites de Bourges et de Châtillon. Je souhaite qu'il en soit de même pour tous les autres qui sont situés sur notre territoire national, en fonction des éventuelles commandes nationales et internationales. J'insiste sur le fait que nous avons bien compris que la concurrence internationale, en particulier les fluctuations du dollar, avaient des répercussions tout à fait négatives sur le chiffre d'affaires d'Aérospatiale. Sachez cependant que nous mettrons tout en oeuvre pour que cette entreprise, qui est une entreprise phare de l'aéronautique française, continue à avoir le rayonnement qu'elle mérite.