Interview de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, à Radio France internationale le 29 avril 1996, sur la situation politique en Afrique et la politique de coopération.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q. : Notre première question concerne le Cambodge. Le roi du Cambodge, le roi Sihanouk, était à Paris la semaine dernière. Vous-même, vous revenez d’un récent voyage au Cambodge. Alors, quels sont les domaines qui font l’objet d’une coopération entre Paris et Phnom-Penh ?

R. : Il y a beaucoup de domaines dans lesquels nous travaillons ensemble. Je vais vous en citer quelques-uns : le déminage dans la région des temples de Siem-Reap. C’est une opération onéreuse mais, quand on sait les milliers de petites victimes, d’enfants, qui courent dans les sous-bois où il y a des mines, c’est une belle œuvre que nous faisons. En plus, cela facilite la réhabilitation des temples pour lesquels l’École française d’Extrême-Orient fait un magnifique travail. Également, coopération dans le domaine médical, hospitalier, Phnom-Penh même, dans le domaine culturel, de l’enseignement, j’en passe. Il y a beaucoup d’actions conjointes que nous menons avec le Cambodge.

Q. : Globalement cela représente une somme financière de combien, cette aide française ?

R. : Je ne peux pas vous donner le chiffre exact. C’est un chiffre qui, effectivement, ‘est pas négligeable, mais vous connaissez les liens historiques très privilégiés qui existent entre le peuple Khmer et la France. La visite du roi il y a quelques jours, visite officielle, a scellé le retour même du roi à Paris alors qu’il rendait la visite que le général de Gaulle avait faite au Cambodge il y a trente ans le 1er septembre 1966. Cela a été le grand discours de Phnom-Penh. Donc, cela vaut bien notre modeste coopération aujourd’hui.

Q. : L’académie en Afrique, c’est notamment, depuis le début de l’année, le retour des miliaires sur le devant de la scène politique. Je pense au Niger, à la Guinée, au Congo, à la République centrafricaine. Quelle est votre analyse ? Est-ce que c’est simplement une péripétie ?

R. : Attendez, dans la liste que vous venez d’établir, vous parlez de gens élus, à part le Niger où il va y avoir…

Q. : Je pense, notamment, aux séries de mutineries.

R. : Ah oui, le retour des militaires, pas à des postes de gouvernement. Alors, en Guinée en particulier, en République centrafricaine, les mutineries n’ont pas eu le succès qu’elles espéraient puisque le pouvoir, légalement élu est resté en place tout à fait légitimement. Le pouvoir militaire qui s’est installé à N’djamena va organiser des élections à la demande de la France dans les semaines qui viennent. Donc, de façon générale, l’option de l’élection reste essentielle pour nous pour que les accords entre la France et ces pays soient des accords solides.

Q. : Vous n’êtes pas inquiet ?

R. : On peut toujours surveiller, observer, mais au total, la démocratie s’installe, je pense, définitivement. Vous savez, cela fait quand même, relativement peu d’années que c’est la règle. Or, combien de pays reste-il aujourd’hui pour que la règle s’institue définitivement ? Très peu. Il ne reste guère que le Tchad.

Q. : Le Niger : Malgré tout, il y a eu ce putsch du 27 janvier ?

R. : Oui, c’est vrai. Il y a eu une prise de pouvoir le 29 janvier. Je préfère dire « prise de pouvoir » parce que vous allez constater que les deux protagonistes, qui ne sont plus au pouvoir aujourd’hui, le Premier ministre et le Président de la République, ont manifesté leur accord avec l’arrivée du colonel Barré, lequel va, à notre demande, se soumettre au test des urnes dans les semaines qui viennent.

Q. : Est-ce que si lui-même est candidat, cela ne va pas grever le retour à la démocratie ?

R. : Écoutez, les candidatures sont libres et la France met d’ailleurs de l’argent dans l’organisation des élections pour que les candidatures et les votes soient libres et les plus commodes possibles pour les populations. Donc, la France tient toujours beaucoup et par-dessus tout au fait du suffrage universel.

Q. : Je reviens à cette série de mutineries. Je pense à la dernière à Bangui. Il a fallu payer un milliard de francs CFA, je crois, de solde aux mutins pour les calmer. Quelle a été la contribution de la France ?

R. : C’est une affaire intérieure, je dirais, au Trésor de ces pays-là. Nous avons agi pour que le pouvoir reste à la loi.

Q. : C’est-à-dire que vous avez aidé…

R. : C’est une affaire interne de la République centrafricaine et c’est l’affaire personnelle du Trésor de ce pays.

Q. : Le Zaïre : le Président Mobutu était en visite privé Paris, la semaine dernière. Vous l’avez rencontré, Jacques Chirac également. Vous avez annoncé la reprise partielle de la coopération française ?

R. : Oui, tout à fait. Vous savez, le Zaïre, aujourd’hui comme hier d’ailleurs, est un très grand pays mais il y a quelque chose en plus et qui peut-être, pour lui et pour tout l’équilibre de la zone, un grave inconvénient il y a un million huit cent mille réfugiés sur son sol. La présence de réfugiés pose un énorme problème, comme tous les réfugiés dans le mode d’ailleurs. On le voit au Moyen-Orient. Et si la communauté internationale se désintéressait de ce fait qui est sous nos yeux, elle porterait, pour l’avenir, une très lourde responsabilité. Donc, nous reprenons notre coopération avec le Zaïre, notamment à propos des réfugiés mais aussi parce qu’un certain nombre de situations humaines se dégradent au Zaïre aujourd’hui. Je pense aux problèmes de santé, en particulier, où il y a des risques d’épidémie, et également au domaine de l’enseignement où il est, je crois, normal que nous venions aider les jeunes Zaïrois qui veulent faire des études, en particulier supérieures.

Q. : À l’issue de sa rencontre avec Jacques Chirac, le Président zaïrois Mobutu, évoquait également une aide financière de la France pour l’organisation d’élections au Zaïre l’année prochaine.

R. : Oui. C’est effectivement une hypothèse à laquelle nous poussons et, d’ici à l’année prochaine, le Zaïre prendra des dispositions pour que des élections puissent avoir lieur, c’est sûr.

Q. : Et est-ce que la France s’est engagée à aider le Zaïre pour ces élections, pour l’organisation, de façon financière ?

R. : Ah, nous ne reculons jamais quand il s’agit d’installer encore plus ou mieux, ou faire naître la démocratie.

Q. : Cela fait six ans que le Président Mobutu promet ces élections. Est-ce que vous pensez-vous que ses promesses peuvent être tenues ?

R. : Écoutez, cela lui appartient mais nous ferons tout pour y pousser et pour qu’il les organise.

Q. : Le ministre belge des Affaires étrangères a critiqué ces rencontres entre le Président Mobutu et le Président Chirac. Qu’est-ce que vous lui répondez ?

R. : Je ne commente pas les propos du ministre belge mais, vous savez, des rencontres internationales, il y en a quand même eu beaucoup depuis quelques années sur lesquelles, ni la Belgique, ni aucun autre pays n’a rien dit.

Q. : Le C.F.A., vous êtes passé à N’Djamena, très récemment, pour faire un bilan deux ans et quelques mois après sa dévaluation. Il y a encore des pays où la dévaluation coûte très cher à la population. Alors, quel effort particulier allez-vous faire ?

R. : Écoutez, il faut comprendre ceci, c’est qu’un certain nombre de responsables politiques français avaient indiqué, à l’avance, les inconvénients de la dévaluation. Il faut rendre hommage à ceux qui ont manifesté leur réticence parce que, sans celle-ci, fortement exprimée à l’époque, peut-être n’y aurait-il pas eu de mesures de compensations. Elles ont été prises et l’action du gouvernement précédent, celui d’Alain Juppé, avait été d’imaginer des fonds spéciaux d’adaptation sur les problèmes de médicaments, sur le problème des livres. Ces fonds ont été renouvelés puisque nous avons créé des fonds sociaux d’adaptation qui sont très créateurs d’emplois. Ce sont des petits chantiers de proximité créateurs d’emplois. Alors, s’il y a effectivement des cas spécifiques dans lesquels les populations, localement, ont à pâtir de la dévaluation, nous continuons à abonder, excusez-moi, cette ligne de crédits particulièrement. Mais, au total, je voudrais dire tout de même que, compte tenu de ces compensations, cette dévaluation a fait du bien sur le revenu agricole – et vous savez que l’Afrique est quand même peuplée en zone rurale de l’ordre de 80 à 90 % –, donc a fait du bien aux zones rurales. Les cours des produits vivriers, sont à un très bon niveau et, de ce point de vue-là, il n’y a rien à regretter.

Q. : Je prends un exemple concret. Quelqu’un qui a une crise sérieuse de paludisme, qui a besoin d’un traitement d’urgence, c’était 20 000 C.F.A. avant la dévaluation, c’est 40 000 aujourd’hui sur un traitement de vingt-quatre heures avec glucose. Qu’est-ce que vous pouvez faire pour empêcher cette énorme ponction sur son revenu ?

R. : Écoutez, nous faisons, en matière médicale, beaucoup en Afrique. Il n’y a pas de doute que s’il y a des cas qui nous sont présentés par les gouvernements dans des secteurs particuliers où il y a des risques d’épidémie, la France fait, dans ce domaine-là, beaucoup.

Q. : Autre sujet d’actualité, c’est la neuvième conférence de la CNUCED, la Conférence des Nations unies pour le Commerce et le Développement. Un certain nombre de personnes disent, aujourd’hui, que cela ne sert plus à rien suite à la création de l’Organisation mondiale du Commerce, cela va faire doublon. Qu’est-ce que vous en pensez ?

R. : Attendez. Je ne suis pas sûr que cela ne serve à rien parce que, entre pays, il y a des lignes de pensée différentes et il est bon que tous ceux qui réfléchissent au développement puissent confronter leur attitude. Vous savez que, pour la France, le développement, c’est surtout une organisation conjointe, c’est une politique de filières et c’est une politique de solidarité, ce n’est pas simplement du libre commerce international. Et je crois qu’il serait bon que la France, les pays francophones – ceux qui ont une idée du développement – proche de celle du progrès et de l’homme – davantage soient plus forts, plus structurés, plus rassemblés pour, dans ces conférences internationales, avoir une doctrine de développement plus puissante que celle toute simple du commerce libre.

Q. : Alors, les pays anglo-saxons n’ont pas l’air d’être sur la même ligne, non ? Cela va créer un débat, cela, apparemment ?

R. : Cela créera un débat mais c’est là l’utilité de la CNUCED. Il faut que notre position sur le progrès et le développement l’emporte pour que l’homme soit au cœur de débat et pas simplement le commerce.

Q. : Cela veut dire qu’il ne faut pas laisse la loi du marché régler tout le commerce entre les pays du sud et les pays du nord ?

R. : Absolument.

Q. : Qu’est-ce que vous allez proposer concrètement à la conférence de Johannesburg ?

R. : Eh bien, la politique des filières, la politique qui est conduite régulièrement entre les pays de la zone franc en particulier sur leur organisation de production. Je pense au coton en particulier, je pense à la banane qui est un sujet difficile, je pense aux ananas, je pense au manioc où il y a des organisations. La filière coton, vous savez, elle est fragile, et si l’on avait laissé faire, entre guillemets, les experts, il y a longtemps qu’elle n’existerait plus et que des populations par milliers seraient aujourd’hui à la dérive. Or, grâce à la force de la France qui s’est imposée pour dire que la filière coton était quelque chose de fondamental, elle existe et des milliers de gens en Afrique, aujourd’hui, mangent à leur faim et travaillent.

Q. : Rapidement, Monsieur le Ministre, parce que le temps nous est compté, dans un dossier autre que le dossier africain, dans la zone Caraïbes, les États-Unis ont récemment gelé leur aide financière à l’île d’Haïti. Quelles sont la réaction et la position de la France sur ce dossier ?

R. : Écoutez, c’est la position des États-Unis. Je constate une chose, c’est que, bien souvent, des embargos sont édictés par nos amis et, lorsqu’ils sont levés, on s’aperçoit qu’ils n’ont pas été respectés. Alors, ce qui m’intéresse, c’est la vie des populations, la proximité des actions que nous menons pour qu’elles ne souffrent pas et qu’elles ne soient pas à l’abandon. Alors la France continuera à faire son action directement pour les populations.