Interview de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, dans "Les Échos" le 26 juin 1996, sur l'aide au développement en faveur des pays les moins avancés.

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Circonstance : Sommet des pays industrialisés (G7) à Lyon du 27 au 29 juin 1996

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Les Échos : La France, qui accueille cette année le sommet du G7 à Lyon, a décidé de taire de l’aide publique au développement (APD) l’un des thèmes principaux de cette rencontre. Pour quelle raison ?

Jacques Godfrain : L’aide publique au développement a besoin d’être défendue. La Rance a toujours été à la pointe de ce combat. Elle a décidé de profiter de ce sommet pour tenter de convaincre les autres grandes nations industrialisées de la nécessité d’appuyer les pays les plus pauvres. La tâche n’est pas aisée. Les États-Unis n’ont jamais caché leur peu d’entrain à fournir de l’APD. Peu avant sa mort accidentelle, le secrétaire américain au Commerce, Ron Brown, avait une nouvelle fois répété que l’Afrique intéressait avant tout son pays d’un point de vue commercial. Le Royaume-Uni est un peu sur la même longueur d’onde. Au sein du G7, en fait, seuls l’Allemagne, mais c’est d’abord en direction des pays d’Europe de l’Est, et le Japon conduisent une véritable politique d’aide au développement. Depuis longtemps, la France s’est fait l’avocat des pays africains et de l’APD sur la scène internationale. Elle est bien décidée à enfoncer le clou. Sans elle, les pays les plus pauvres seraient encore plus pauvres. La France a des devoirs vis-à-vis de l’Afrique en raison de ses liens historiques, linguistiques et culturels très forts avec ce continent. Elle les remplit. C’est d’ailleurs son intérêt bien compris. Une déstabilisation du continent africain aurait des répercussions graves sur tout le continent européen, notamment au niveau migratoire.

Les Échos : Si certains pays occidentaux montrent si peu d’enthousiasme à l’égard de I’APD, n’est-ce pas en raison de son peu d’efficacité jusqu’à présent ?

Jacques Godfrain : C’est un mauvais procès. Beaucoup de gens l’ignorent, l’aide publique au développement a produit d’excellents résultats. Malheureusement, on ne les met jamais en avant. Contrairement à une idée reçue, l’Afrique se développe, progresse. La situation sanitaire s’est améliorée dans de nombreux pays. L’âge moyen de vie et le niveau scolaire ont progressé. Certaines filières agricoles, comme le coton, un très bon exemple des réussites de la coopération française, fonctionne très bien. L’Afrique mange aujourd’hui à sa faim. Les famines sont cantonnées aux régions de grande instabilité. L’aide publique se diversifie, profite à de nouveaux secteurs. Certes, une bonne partie des Concours va toujours à la santé, à l’éducation. Mais de plus en plus, l’APD contribue à la mise en place d’un cadre d’accueil favorable à l’investissement privé. La France développe de plus en plus cet aspect de la coopération.

Les Échos : La France se pose facilement en donneuse de leçons dès qu’il s’agit d’aide au tiers-monde. Pourtant, le montant de l’APD française a sensiblement diminué l’an dernier. Les pays du G7 ne risquent-ils pas de souligner cette contradiction ?

Jacques Godfrain : Même si elle a réduit, c’est vrai, le montant total de son APD, la France fait encore beaucoup plus pour le tiers -monde que les autres grands pays industrialisés en pourcentage de son produit intérieur brut. À l’exception du Japon, les autres pays du G7 ont encore du chemin à parcourir pour nous rattraper.

Les Échos : La France est-elle favorable à la vente de l’or du FMI pour financer la FASR pour la période 2000-2005 ?

Jacques Godfrain : La France est favorable à toute solution qui favoriserait un consensus sur la reconstitution de la FASR.

Les Échos : Lors du sommet du G7, le FMI et la Banque mondiale vont proposer une réduction de la dette multilatérale des pays les plus pauvres. La France est-elle d’accord ?

Jacques Godfrain : Comme, je pense, les autres pays membres du G7, la France soutient le principe d’une réduction de la dette multilatérale des pays les plus pauvres. Il reste maintenant à en définir les modalités. La France est prête à contribuer au « Trust Fund » proposé par le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn. Mais il est encore un peu tôt pour en dire plus. Le sommet du G7 devrait donner son feu vert. Le dispositif définitif devrait, lui, être arrêté lors des assemblées annuelles du FMI et la Banque mondiale à l’automne. La France est d’autant plus favorable à cette initiative qu’elle en est en grande partie à l’origine. C’est elle qui a lancé le débat sur l’endettement des pays les plus pauvres. Sur cette question, le gouvernement français fait tout sauf du suivisme.

Les Échos : Lors de sa première réunion, la semaine dernière, le Comité Interministériel de l’aide au développement (Ciad) a examiné le rapport parlementaire Marchand sur « L’entreprise en Afrique subsaharienne », qui préconise notamment la fin de « l’aide liée ». Que pensez-vous de cette proposition ?

Jacques Godfrain : Je ne vais pas être plus royaliste que le roi. Si les entreprises françaises qui travaillent en Afrique y sont favorables, je ne peux qu’être à leur écoute. Les sociétés françaises installé au sud du Sahara sont tout à fait compétitives. Elles n’ont pas besoin d’aide liée pour remporter des marchés. La question de l’aide liée doit toutefois être examinée dans sa globalité. Ce qui est vrai pour l’Afrique n’est nécessairement pas vrai pour l’Asie ou l’Amérique latine.