Interview de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, à RMC le 1er février 1999, sur le plan de lutte contre la délinquance et l'organisation d'une police de proximité dans les quartiers, et sur la cohérence de la gauche plurielle.

Prononcé le 1er février 1999

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - Il y a eu un drame à Vénissieux, la nuit dernière, six pompiers ont été blessés, dont un gravement - il a perdu une jambe - après un incendie apparemment volontaire de voitures. Est-ce qu'on va pouvoir sortir de ce problème un jour ?

- « Nous en sortirons, mais cela ne peut pas non plus se décréter. C'est en agissant tous - élus, Etat, collectivités locales, services publics - que nous réussirons à réinstaller la sécurité dans tous les quartiers. Et notamment nous permettrons à l'ensemble des services publics de pouvoir être présent dans tous les quartiers. Actuellement, je ne suis pas dupe, je sais que dans un certain nombre de quartiers il y a des bandes qui sont tenues par un certain nombre d'adultes, qui essayent de structurer le trafic, et qui voudraient écarter la police, l'ensemble des services publics, les élus, les associations, d'un... »

Q - Ils y ont réussi apparemment...

- « ... d'un certain nombre de ces quartiers, pour pouvoir mener leurs trafics. Il faut qu'ils sachent que nous ne les laisserons pas tranquilles, et que nous casserons cette image qu'ils essayent de donner de nos quartiers, et cette attirance qu'ils peuvent avoir sur un certain nombre de jeunes qui ne sont pas assez structurés. »

Q - Vous avez entendu le maire communiste de Vénissieux, hier : la République doit avoir droit de cité partout. Assez d'impunité, il faut arrêter absolument.

- « En ce qui concerne sa déclaration sur la République, je suis d'accord avec lui. Sur l'impunité, je n'ai pas l'impression qu'elle existe actuellement. »

Q - Il voulait dire par là, que beaucoup de gens connaissent les responsables...

- « Oui, c'est ce que j'allais vous dire. Il a peut-être voulu dire que, nos forces de police ne sont pas, peut-être, aussi bien organisées qu'on devrait le souhaiter pour avoir, à la fois, une action en termes de police judiciaire - afin de casser ces bandes -, et une organisation en termes de police de proximité - pour être au contact avec la population et assurer cette sécurité, dont chacun a besoin. »

Q - Votre prédécesseur, M. Raoult, a eu des mots durs pour le gouvernement, hier : le gouvernement Jospin n'a pas de politique en matière de politique de la ville. Une moitié de Chevènement et une moitié de Guigou ne font pas une politique.

- « A droite, sur les ruines, il ne reste que la formule. Regardez ce qu'ils ont eu l'occasion de faire ces dernières années, et regardez sur le long terme ! La droite n'a pas évolué en termes de sécurité. Ils n'ont pour seul message que la trique. Or, même lorsqu'ils étaient au pouvoir, on s'est rendu compte que cela ne donnait pas de résultats suffisants. Ils n'avaient pour seul remède - afin de donner l'impression qu'ils faisaient quelque chose - d'inciter à ce qu'il y ait moins de plaintes enregistrées. Statistiquement, ils essayaient d'obtenir des résultats en termes de sécurité. Tandis qu'à gauche, depuis les années 80, nous n'avons pas cessé de remettre sur le métier notre travail. Nous avons d'abord... »

Q - C'est plus récent que ça !

- « Non, regardez ! Nous avons commencé avec toute la notion de prévention avec Bonnemaison. Avec P. Quilès, nous avons mis au point les plans locaux de sécurité. Après, il y a eu le discours de Villepinte ; les contrats locaux de sécurité. Et cette volonté indispensable, que nous ressentons, de lier prévention et sécurité. »

Q - Quand E. Raoult dit : Rien ne pourra changer tant qu'il n'y aura pas la volonté politique affirmée - comme elle fut, dit-il, dite à New York et à Londres -, de tolérance zéro, rien ne pourra changer. »

- « Ce sont des mots. C'est ce que je vous disais : sur les ruines, la formule ! "Tolérance zéro" : ça veut dire quoi ? Est-ce que l'on souhaite, comme à New York, augmenter de 25 % les effectifs de police ? Et puis, il faudrait que les libéraux nous disent. On arrête d'augmenter les impôts, disent-ils ! Alors, que faut-il supprimer ? Des enseignants, des postiers, des gens pour les transports ? C'est le règne de la formule ! Lorsque la droite n'a plus rien à dire, elle nous sort Raoult qui nous sort une petite image. Bon ! Moi ce que je souhaite, quand même, c'est qu'on revienne sur la réalité, y compris par rapport à New York. New York a une criminalité bien plus importante que celle que nous constatons en France. Ils ont pris la décision, pour obtenir quelques améliorations - tout en restant quand même la grande agglomération qui connaît le plus de criminalité -, ils ont mis sept fois plus de monde en prison que nous ! Et d'ores et déjà, quand on rencontre les Américains, ils se posent la question de savoir ce que va donner la sortie - parce qu'on ne peut pas non plus garder cette population ad vitam aeternam en prison - ils se posent la question de ce que va donner, en termes d'augmentation de la criminalité, du Sida et de la toxicomanie, ces populations quand elles vont sortir de prison. Je pense que, là aussi, arrêtons avec ces formules ! Rien ne serait plus terrible pour nos concitoyens de croire qu'il n'y a que des mots et pas d'action qui peuvent permettre de s'attaquer à ce genre de choses. »

Q - Il y a eu un conseil de sécurité intérieure qui a fait grand bruit il y a quelques jours. Est-ce que les mesures adoptées seront mises en place ? Question que chacun se pose : avec quel argent ? Et, est-ce que ça va changer quelque chose pour vous, M. Bartolone, en termes de politique de la Ville ? Est-ce que ça va vous faciliter les choses ?

- « J'espère que vous ne prenez pas cette majorité pour des gens pas sérieux. Nous avons eu l'occasion de démontrer que... »

Q - Non, non, non...

- « Pensez-vous réellement, que L. Jospin et son gouvernement, auraient fait de telles déclarations - alors que nous savons tous que nous sommes très attendus sur ce sujet par l'opinion - pour dire : voilà, on essaye d'éteindre la passion qui existe dans ce pays depuis le 1er janvier sur le problème de la sécurité; et puis tout cela va s'oublier ? Non ! Nous aurons l'occasion, dans les jours qui viennent, de démontrer comment, jour après jour, nous mettrons ce plan en oeuvre ; comment nous réussirons, à la fois, à tenir un discours de main tendue en direction des jeunes en particulier. Pour une grande majorité d'entre eux, ils vont bien ces jeunes ! Mais aussi un discours de fermeté pour montrer que, quel que soit le quartier où l'on habite, on a le droit à la sécurité. »

Q - C'est vrai que les chiffres se sont alourdis, beaucoup, ces derniers mois.

- « Oui! La délinquance des mineurs augmente maintenant d'une manière régulière, depuis la fin des années 80. Cette année, nous avons constaté une petite augmentation, mais il y a aussi une augmentation liée à la décision du Gouvernement. Quand nous donnons comme instruction, aux chefs des établissements scolaires, à la police, à la justice, de ne rien laisser passer, de tout déclarer en ce qui concerne les actes d'incivilité ou les actes de délinquance commis par les mineurs, il est normal que le thermomètre parte à la hausse. »

Q - Qu'est-ce que c'est que la politique de la ville, indépendamment des questions de sécurité dont on vient de parler ?

- « Si j'avais à la formuler d'une phrase, je dirais : c'est permettre à chacun, quel que soit l'endroit où il habite, de pouvoir mener une vie normale. »

Q - Où en est-on ?

- « Ecoutez, ça avance, et pour un certain nombre de villes, elles obtiennent des résultats remarquables. Mais, ces 20 dernières années, on ne s'est peut-être pas rendu compte de l'impact de cette politique de la Ville, dans la mesure où elle a été inventée en France, ces 20 dernières années. Elle a été appliquée, elle a été élaborée en même temps que s'abattait sur ce pays la plus grande crise urbaine et sociale que nous n'ayons jamais eue à connaître. Et du coup, cette politique a plus été un amortisseur social qu'un outil de développement social. Avec le retour de la croissance, j'espère que nous aurons une action déterminée pour permettre à tous nos concitoyens, notamment celles et ceux qui vivent dans des quartiers difficiles, de pouvoir connaître une vie normale. »

Q - 100 000 personnes ont défilé dans les rues de Paris, hier, contre le Pacs, qui est un projet venant des parlementaires. Est-ce de nature à changer la politique du gouvernement et son attitude, face à cette réforme prévue ?

- « Non, il y a la volonté du Gouvernement de faire voter ce texte qui a été présenté par les parlementaires. Nous aurons l'occasion de l'améliorer encore, au cours de la navette parlementaire. Mais nous ne bougerons pas. »

Q - Il faut combien de personnes pour que ça bouge ?

- « Il est normal que sur une manifestation où il y avait l'ensemble de la droite, l'extrême droite, où il y avait un certain nombre de responsables religieux, qui appelaient à manifester, ils aient réussi à mettre du monde dans la rue. Mais ils attendaient eux-mêmes 200 000 personnes ; c'est eux qui avaient annoncé ce chiffre. Donc la mobilisation a été deux fois moins importante que celle qu'ils nous annonçaient. »

Q - Vous avez tenu séminaire avec vos collègues du gouvernement ; vous avez dit que l'ambiance était bonne. Mais franchement, vous avez attaqué l'opposition disant qu'elle était divisée et que vous vous étiez cohérents. Quand on regarde sur l'Europe, les sans-papiers, la politique de sécurité, on voit bien qu'il y a des différences énormes au gouvernement. Comment pouvez-vous affirmer votre cohérence et accuser l'opposition qui...

- « Mais, L. Jospin n'a jamais dit : silence dans les rangs ! Nous savons tous - et c'est la raison d'ailleurs pour laquelle nous avons gagné les dernières élections législatives - que nous sommes pluriels. »

Q - Quelle est la différence entre « pluriel » et « divisé » ?

- « C'est, aussi, une différence entre droite et gauche. C'est que, nous, nous discutons avant de décider ; et après nous faisons notre unité en tenant compte de la sensibilité des uns et des autres. Tandis qu'à droite, ils proclament leur unité, et dès qu'ils l'ont déclarée c'est la pluralité qui se fait jour. Je ne crois pas que cela donne une véritable piste à l'ensemble de nos concitoyens pour savoir ce qu'appliquerait l'opposition si un jour, par malheur, elle devait être majoritaire. »

Q - Dans quelques mois il y a les élections européennes. On attend toujours la tête de liste socialiste. Votre préférence c'est J. Lang ou F. Hollande ?

- « Moi, j'aime bien les deux ! Voyez, c'est, aussi, un des avantages d'être socialiste. »

Q - Vous êtes diplomate.

- « Non, non, c'est pas une question de diplomatie. Ils ont beaucoup de qualités tous les deux. Et quel que soit celui des deux qui sera tête de liste, il nous permettra de faire une belle campagne et de faire un bon score aux élections européennes. »