Interviews de M. Nicolas Sarkozy, membre du bureau politique du RPR, à France-Inter le 26 mai 1997 et RTL le 2 juin, sur la stratégie de la droite entre les deux tours de l'élection législative de 1997 et la victoire de la gauche le 1er juin.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL

Texte intégral

Date : Lundi 26 mai 1997
Source : France Inter/Edition du matin

J.-L. Hees : D’abord, félicitations, vous êtes un des très rares députés à être élus au premier tour.

Nicolas Sarkozy : Je suis très content parce qu’en plus, c’est la première fois que j’avais tant de candidats dans la circonscription, 14, ce qui n’est pas très simple. Aussi bien à Puteaux qu’à Neuilly, les gens m’ont fait confiance.

J.-L. Hees : Vote sanction à l’encontre de la majorité, vote défouloir ou bien simple avertissement pour une correction de tir au second tour ?

Nicolas Sarkozy : Franchement, j’aimerais que ça ne soit qu’un avertissement, mais qui peut le dire ? Qui peut dire exactement ce qui se passera dans la tête des électeurs au deuxième tour ? Ce qui est certain, c’est que nous avons reçu un avertissement au premier tour. C’est l’expression d’un mécontentement et il ne sert à rien de nier ce qui est une réalité. Il me semble qu’à partir de là, il faut en tirer un certain nombre de conséquences car rien n’est perdu, tout est jouable, la majorité peut l’emporter car une élection se joue sur le deuxième tour. Le deuxième tour, il ne s’agira pas de manifester de mauvaise humeur, il s’agira de choisir la majorité qui fera rentrer la France dans le XXIe siècle.

J.-L. Hees : Mais ce n’est pas évident à comprendre tout de même, puisqu’on a entendu hier soir Alain Juppé dire : « le changement, c’est nous ». C’est rare qu’on entende une formation qui est au pouvoir, au moment d’une législative dire : « votez pour nous, c’est nous le changement » ?

Nicolas Sarkozy : D’abord vous avez raison, ces élections ne sont pas faciles à comprendre puisque, pour la première fois depuis extrêmement longtemps toutes les possibilités sont ouvertes. Il n’en reste pas moins que la décision de changer, c’est le président de la République lui-même qui l’a prise, en provoquant la dissolution et en proposant un nouvel élan.

J.-L. Hees : C’est une erreur ?

Nicolas Sarkozy : Non, ce n’est pas une erreur et ça prouve que ce n’était pas une décision de confort. Le président de la République lui-même a indiqué que, compte tenu des problèmes de la France, des réformes à engager et du calendrier européen, il fallait bousculer les échéances pour proposer un nouvel élan. Donc, la décision de changement, elle n’a pas été proposée par M. Jospin, pas par M. Le Pen, elle a d’abord été proposée par le président de la République. Et sans doute n’avons-nous pas assez expliqué en quoi cela avait changé et pourquoi les électeurs de la majorité se reconnaîtraient davantage dans cette seconde étape proposée par Jacques Chirac que dans la première.

P. Le Marc : Les résultats de la droite, de la majorité, c’est un constat de déficit, alors qu’est-ce qu’il a manqué au projet de la majorité pour bouleverser le scrutin ?

Nicolas Sarkozy : D’abord, j’ai reconnu que c’était un avertissement. Maintenant ça va, je ne vais pas non plus me couvrir la tête de cendres et expliquer que c’est un déficit, un très grand déficit, etc. Ce n’est pas comme ça que ça se passe les élections. Moi j’engage le deuxième tour avec beaucoup d’ardeur, parce que je n’ai pas…

P. Le Marc : Pas d’autocritique et pas de critique sur ce qui s’est passé dans la majorité au cours du premier tour ?

Nicolas Sarkozy : Je suis désolé, j’ai commencé en disant que c’était un avertissement pour nous.

P. Le Marc : Mais pourquoi ?

Nicolas Sarkozy : Mais entre l’autocritique et le moral dans les chaussures, il y a une différence. Moi, j’engage ce combat-là pour gagner parce que c’est très important pour la France, alors pourquoi ? La question se pose effectivement : qu’est-ce qui s’est passé ? C’est l’analyse qu’il faut que nous fassions.

P. Le Marc : C’est la question que je posais.

Nicolas Sarkozy : Oui mais vous l’assortissiez de commentaires, j’avais le droit aussi de commenter vos commentaires.

P. Le Marc : Pas du tout.

Nicolas Sarkozy : S’il est possible. Mais si je n’avais pas le droit, vous n’aviez qu’à me le dire en m’invitant ce matin. La question qui se pose est très importante : il me semble que cet avertissement a pu nous être donné notamment parce qu’une partie de l’électorat traditionnel de la majorité ne s’est pas déplacée ou quand cette partie s’est déplacée, a estimé qu’il fallait nous adresser un avertissement en se déployant sur d’autres candidats que les candidats de la majorité. C’est cela. Donc, il nous faut remobiliser cet électorat qui a pu être déçu pour deux raisons : la première étant que certains ont dû considérer qu’on n’avait pas été assez loin dans la mise en place d’une politique rendant de la liberté à la société française. Car finalement, nous ne sommes pas socialistes, nous n’avons pas l’intention de le devenir et il n’est pas anormal que la politique que nous proposions soit fondamentalement différente de celle des socialistes. Il faut donc mieux expliquer en quoi on donnera la liberté aux Français qui le souhaitent.

P. Le Marc : Là, il y a du travail parce que ce n’est pas très clair effectivement, il y avait différents projets au sein de la majorité : il y a le projet Juppé, le projet Balladur, le projet Madelin, le projet Séguin. C’est dur de s’y retrouver pour un électeur de la majorité ?

J.-L. Hees : Est-ce qu’il y a le projet Juppé qui a été sanctionné ?

Nicolas Sarkozy : Qu’il y ait du travail, j’en suis le premier conscient. Moi, j’essaie de faire une analyse. Et cette analyse me conduit à dire que si on veut remobiliser notre électorat, il faut être fier des convictions de la majorité, mieux les expliquer et garantir à nos électeurs qu’ils ne seront pas déçus par la mise en place de cette politique. En quelque sorte, il faut une deuxième chance pour la majorité. Est-ce que c’est A. Juppé qui est sanctionné ? Vous avez certainement noté que ces deux dernières années, il m’est arrivé d’être en désaccord avec A. Juppé, et je n’ai pas le caractère à masquer mes désaccords, y compris lorsque je venais à ce micro. Certains en étaient étonnés, d’autres en étaient parfois choqués – je ne les ai jamais cachés. Eh bien, ça ne m’en donne que plus de forces aujourd’hui pour dire que réduire le résultat de ce premier tour à la seule question d’A. Juppé serait passer très largement à côté de l’analyse qu’il faut faire de ces élections. La personnalisation à ce point, la recherche d’un bouc émissaire à ce point ne nous permettraient pas d’éclairer et de trouver les vraies réponses à l’insatisfaction de nos concitoyens. Donc pour moi, c’est la majorité dans son ensemble qui a reçu une leçon, moi compris, bien sûr. Et je ne voudrais pas que ce matin, au lendemain de ce premier tour, on donne ce spectacle qui consiste à dire : c’est pas moi, c’est lui. Moi aussi, j’ai reçu l’avertissement de nos électeurs. Et c’est collectivement que nous pouvons réagir. Et c’est collectivement que nous pourrons réussir. Et c’est ensemble que nous pourrons gagner, mais pour peu que ceux qui sont les électeurs de la majorité comprennent que leur place est avec nous.

A. Ardisson : Qui doit conduire la campagne de la majorité pour le deuxième tour, qui doit donner l’impulsion première ?

Nicolas Sarkozy : Franchement, dans mon esprit, la place du président de la République qui a proposé le nouvel élan, qui a choisi de prononcer la dissolution, c’est lui qui, me semble-t-il, peut le mieux expliquer les contours de ce nouvel élan et le mieux s’adresser aux électeurs de la majorité pour leur dire : j’ai besoin que vous me donniez une majorité cohérente pour éviter quand même ce formidable bond en arrière qui consisterait pour notre pays à choisir pour cinq ans une majorité avec le seul Parti socialiste d’Europe qui n’a pas évolué, le seul, avec le seul Parti communiste d’Europe qui n’ait pas changé de nom. J.-L. Hees, vous êtes un féru d’histoire : nous avons le seul Parti communiste d’Europe fier de l’être. Et avez-vous entendu M. Hue, que vous allez recevoir tout à l’heure, fort du score qu’il fait ? M. Hue sera un partenaire fort incommode pour le Parti socialiste. Ce n’est pas une force d’appoint. Alors, est-ce que nous voulons cela ou pas ? Moi, je ne souhaite pas qu’on fasse ce choix. Alors, on va me dire : oui mais attention, il ne faut pas caricaturer. Vous savez, je ne caricature pas, je ne serais pas plus sévère avec le bilan des deux septennats Mitterrand que l’a été à d’innombrables reprises Lionel Jospin. Lionel Jospin lui-même nous dit : deux septennats socialistes avec François Mitterrand, dont j’ai été le ministre pendant des années, ce n’était pas terrible. C’est suffisamment peu clair, ces deux septennats socialistes, que Lionel Jospin a passé son temps, pendant la dernière campagne, à se distinguer et à se distancier de ce bilan. Pourquoi voulez-vous que ce que ne trouvent pas bon les socialistes eux-mêmes, les Français veuillent le prendre pour cinq ans ? C’est quand même un élément qui mérite réflexion.

A. Ardisson : Vous demandez que ce soit le président de la République qui explique. Quand ? En fin de semaine, comme l’ont laissé penser certaines rumeurs ou s’il doit s’engager, est-ce qu’il ne faut pas qu’il le fasse plus tôt, compte tenu des circonstances ?

Nicolas Sarkozy : Je ne demande pas vous me posez une question, j’y ai répondu. Vous me dites : qui le mieux-peut expliquer…

A. Ardisson : Vous souhaitez alors ?

Nicolas Sarkozy : Celui qui propose le nouvel élan. Mais il est bien évident que c’est chacune et chacun d’entre nous qui vont devoir aller au charbon, se battre pour convaincre jusqu’au deuxième tour.

J.-L. Hees : Je voudrais qu’on parle du Front national, qui est en position d’arbitre dans plus d’une centaine de circonscriptions. Quel doit être l’attitude de la majorité : tendre la main ou pas de compromis sur le plan moral avec le Front national ?

Nicolas Sarkozy : Certainement pas. Depuis que je suis candidat aux élections, j’ai toujours eu un candidat du Front national contre moi. Je ne partage en rien le combat du Front national. Je veux simplement dire que notre position, me semble-t-il, la plus compréhensible pour nos électeurs, c’est que partout où cela est possible, nous devons maintenir nos candidats. Dans une élection et dans une démocratie, personne ne peut reprocher à une majorité de maintenir ses candidats…

J.-L. Hees : Au risque de faire gagner l’autre ?

Nicolas Sarkozy : De maintenir ses candidats, qu’ils se battent sur leurs couleurs, sur leur drapeau et avec leurs convictions. J.-L. Hees, vous êtes trop averti de ces questions pour dire cela. Ne dites pas cela « au risque de », personne n’en sait rien. Regardez Vitrolles : nous avions retiré notre liste, ça n’a rien empêché du tout. Donc, nous devons réfléchir à cela sérieusement et pas s’envoyer des slogans « au risque de ». Moi, ce que je dis, c’est qu’en démocratie, il faut avoir le courage de présenter des candidats et que ces candidats aient le courage de se battre sur leurs convictions, point final. Et prenons garde les uns et les autres : l’idée d’un front républicain, de quelque manière que cela soit, c’est un formidable service à rendre à J.-M. Le Pen. J’ajoute que, de la même façon, c’est un formidable service à rendre à J.-M. Le Pen l’atonie du débat droite-gauche qui a nourri l’extrémisme. Quand la droite n’assume pas ses convictions et quand la gauche disparaît et se cache, il y a un débat politique qui n’existe pas, qui génère l’ennui et c’est l’extrémisme qui s’en tire toujours gagnant. Donc, tirons les conclusions de cela.

J.-L. Hees : Vous vous êtes ennuyé pendant la campagne ?

Nicolas Sarkozy : Celle-ci, non, je vous garantis que je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer. Je souhaite simplement que nous tous maintenant, nous décidions d’aller avec notre drapeau, de ne pas jouer petit bras et d’expliquer aux électeurs de la majorité que cette fois-ci, la politique qu’ils souhaitent sera mise en œuvre.


P. Le Marc : Quel doit être le rôle d’Édouard Balladur dans cette campagne du second tour et quel service peut-il rendre à la majorité au cours des prochaines semaines ?

Nicolas Sarkozy : Édouard Balladur a joué un rôle très important dans cette campagne puisqu’il n’a cessé de courir d’une circonscription à l’autre pour soutenir les candidats de la majorité. Je voudrais d’ailleurs dire qu’en la matière, Édouard Balladur, François Léotard ou moi-même, en matière d’union de la majorité, nous avons toujours répondu présents, il y a deux ans et aujourd’hui. Parce que dans le combat qui est engagé, faire prévaloir des questions de destin personnel sur le destin collectif du pays serait irresponsable. La situation est suffisamment difficile, chacun de ceux qui nous écoutent doit savoir qu’une victoire de la gauche est effectivement possible pour que nous nous mobilisions tous au service de tous les candidats de la majorité qui en ont besoin. Et le reste, après le deuxième tour, il appartiendra au président de la République d’en tirer les leçons, c’est comme ça que ça se passe dans la Ve République, et à chacun d’entre nous de faire l’analyse politique qui convient.

J.-L. Hees : On a l’impression que la cohabitation, ça ne fait pas vraiment peur aux Français ?

Nicolas Sarkozy : Oui, c’est certain puisqu’ils l’ont connue pendant déjà deux expériences.

J.-L. Hees : Je crois que ça leur plaît même.

Nicolas Sarkozy : Je voudrais simplement leur dire qu’il faut faire attention quand même ; la cohabitation est tout à fait possible, je l’ai vécue moi-même – j’ai été pendant deux ans ministre avec François Mitterrand présidant le conseil des ministres, François Mitterrand que j’ai combattu pendant toute ma vie politique. Il n’en reste pas moins qu’avec le calendrier des réformes nécessaires pour la France et le calendrier européen, aller à ces échéances avec un président d’une majorité et une majorité d’une autre tendance, c’est prendre un risque et c’est beaucoup compliquer les choses. Quand Édouard Balladur a eu à renégocier le GATT et l’accord de Blair House – vous savez, ceux de nos auditeurs qui sont en campagne comprennent bien ça parce que leur vie professionnelle en dépendait – le fait qu’il y ait eu une distance entre le président et le Premier ministre a beaucoup compliqué les choses. Donc c’est vrai, la cohabitation est possible mais je dis que ce n’est pas un bon choix pour la France parce que ça complique les choses.


Date : Lundi 2 juin 1997
Source : RTL/Edition du matin

RTL : Pourquoi, à votre avis, les électeurs ont-ils châtié à ce point la majorité sortante ?

Nicolas Sarkozy : D’abord, c’est une sanction, c’est exact. Et il est sans doute un peu tôt pour en faire une analyse aussi précise. Disons, puisque vous me posez la question – je vais m’essayer à y répondre : parce que nous n’avons pas su, ou nous n’avons pas voulu nous inscrire dans une véritable rupture. Nous nous sommes inscrits dans un discours de trop stricte continuité, avec une politique que les Français ne comprenaient pas visiblement.

RTL : Vous étiez en colère hier soir, pourquoi ?

Nicolas Sarkozy : Pour une raison très simple : en colère, en colère contre moi-même, parce que je crois que jamais nos idées, paradoxalement, n’ont été si majoritaires.

RTL : Vous pouvez dire ça après un scrutin pareil !

Nicolas Sarkozy : Oui, bien sûr. Je ne pense pas que ça soit les idées de liberté qui, partout dans le monde, remportent des succès considérables, qui ont été sanctionnées. Je ne pense pas que les Français ont adhéré aux idées communistes, aux idées socialistes d’un autre siècle et d’un autre temps. Je pense profondément que, plutôt que nos idées, c’est la manière dont nous les avons défendues, ou plutôt refusé d’assumer.

RTL : La gauche dit : « C’est une façon de gouverner arrogante qui a été sanctionnée ».

Nicolas Sarkozy : C’est le jeu. Le vainqueur un peu enivré par le succès – ça m’est arrivé aussi, donc je ne serai pas trop sévère – propose des phrases qui sont un peu dures comme cela. On avait déjà eu Jacques Lang avec « le passage de la nuit au jour ». Je crois qu’une autre façon de gouverner – à la fois le Gouvernement et les formations politiques – doit se mettre en place. Il faut plus écouter, plus discuter, plus réfléchir, plus débattre. Je pense que tout ce qui est différent ne doit pas être vécu comme une mise en cause intolérable de l’unité mais au contraire comme une brique amenée à la construction d’un nouvel édifice. Vous savez, les Français savent parfaitement que les problèmes sont très complexes. L’électorat est lui-même extrêmement divers. Il faut donc inventer un système de gouvernement et d’organisation qui fasse de cette diversité un facteur d’unité.

RTL : Sur l’organisation de la droite, on a entendu dire beaucoup de choses hier soir qui n’étaient pas toujours convergentes. Comment cela va-t-il se faire ? Alain Juppé va-t-il rester président du RPR, par exemple ?

Nicolas Sarkozy : Franchement, là encore, si nous ne tirions pas les leçons de ce qui s’est passé dimanche et le dimanche d’avant, alors c’est qu’on n’est décidé à tirer aucune leçon. Il ne s’agit en aucun cas ni de règlements de comptes, ni d’explosion, ni de désigner des boucs émissaires. La sanction qui nous a été adressée va bien au-delà. C’est tout notre comportement et notre capacité à inventer – en France, comme dans toutes les autres démocraties du monde - des formations politiques modernes qui soient capables de représenter cette part de l’électorat attachée à, ces deux idées fortes que sont la liberté et la solidarité.

RTL : On a cru déceler hier soir, peut-être, la naissance d’une aile libérale autour d’Édouard Balladur et puis d’une aile qui se réclame ouvertement et presqu’exclusivement du gaullisme avec Philippe Séguin et Charles Pasqua.

Nicolas Sarkozy : Je crois beaucoup aux idées de liberté, d’Europe, de raison, d’initiative, de travail, de mérite, d’effort. Bref, je pense que ces idées n’ont pas été assez utilisées dans cette campagne. Je crois profondément qu’une partie de notre électorat est restée à la maison parce qu’ils se sont dits : eh bien, ceux pour qui nous avions voté n’assument pas assez pleinement ces convictions qui sont les nôtres. Il y a beaucoup de gens qui ont considéré finalement qu’on avait failli de ce côté-là. Et d’ailleurs, je vois dans la montée si préoccupante du Front national le résultat pour partie, de l’atonie du débat droite-gauche. Quand la droite n’occupe pas son espace – je dis la droite, une droite raisonnable, je ne suis pas hystérique de l’identité – mais quand la droite n’assume pas suffisamment fortement ses convictions, eh bien les extrémistes, notamment les extrémistes de droite, prennent toute leur place.

RTL : C’est une alarme pour vous, à savoir que s’il n’y a pas une reconstruction rapide de la droite, le Front national pourrait prendre la tête de l’opposition au Gouvernement de gauche ?

Nicolas Sarkozy : Mais la rénovation de l’opposition d’aujourd’hui et de la majorité d’hier est une obligation ardente pour chacun d’entre nous. D’ailleurs, qui pourrait imaginer qu’on fasse comme si rien ne s’était passé ?

RTL : Le danger du Front national est pressant, pour vous ?

Nicolas Sarkozy : Imaginez-vous que nous sommes aujourd’hui, un pays qui se réveille, pardon de la comparaison, mais avec grosso modo 15 % de nos concitoyens qui votent pour le Front national, et de l’autre côté – je ne les mets pas sur le même plan, je ne veux choquer personne –, un groupe de députés communistes d’environ 40 parlementaires. Est-ce qu’on peut imaginer en 1997 que l’avenir peut être incarné par un groupe communiste d’une quarantaine de personnes ! Après tout ce qu’on a connu à travers le monde ! Nous avons le seul PC du monde qui n’a pas changé de nom, qui est fier de ses racines, ce qui est parfaitement son droit. Mais franchement est-ce qu’on peut considérer qu’avec ces 15 % d’électeurs – qui s’expriment dans des impasses que sont le vote pour le Front national – et un groupe communiste comme on n’en avait jamais connu depuis des années, est-ce qu’on peut considérer que la France marche gaillardement vers la modernisation ? Je ne veux donner de leçons à personne, j’accepte la sanction des Français, mais moi qui aime mon pays comme tout le monde, permettez-moi de dire que, franchement, je ne considère pas que ça soit un gros progrès. Donc, nous à droite, il nous faut imaginer les contours d’une organisation, d’un projet, de méthodes profondément rénovées, qui vont nous permettre non seulement de garder l’électorat qui nous est resté fidèle et à qui je pense ce matin – parce que lui aussi a reçu un coup sur la tête, est profondément déçu, voire en colère –, et de regagner la confiance de ceux qui estiment que nous les avions laissés de côté, que nous ne les représentions plus. Eh bien pour ça, c’est un travail de rénovation très profond.

RTL : Tout de même, le président de la République n’a-t-il pas été lui-même critiqué par certains responsables de la droite parlementaire, comme par exemple Édouard Balladur qui disait hier soir : « Il faut être cohérent et ne pas affirmer une chose et son contraire » ? À qui pensait-il ?

Nicolas Sarkozy : Je ne sais pas, vous lui demanderez à Édouard Balladur. En tout cas, ce que je peux dire c’est qu’une nouvelle époque s’ouvre, que cette époque va nous conduire à faire deux choses : d’abord à soutenir l’action et la personne du président de la République qui reste président de la République, qui est le garant d’un certain nombre de choses, notamment par rapport aux idées auxquelles je crois ; et deuxièmement, préparer l’avenir. Ce qu’a voulu dire Édouard Balladur, c’est tout simple : c’est que quand on est partisan d’une politique de liberté, ce n’est pas contradictoire avec la solidarité mais c’est contradictoire avec un certain nombre de propositions qui vont au contraire de ce que vous faites, notamment l’augmentation des impôts.

RTL : Qu’attendez-vous du président de la République dans cette période de cohabitation ? Il aura en face de lui un Gouvernement décidé à mener une politique de gauche.

Nicolas Sarkozy : Le président de la République a des pouvoirs institutionnels. Nous verrons comment il s’en sert et comment il fait face. Je lui fais toute confiance. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il faut très rapidement qu’une opposition s’organise, avec un double devoir qui n’est pas très simple : un devoir de vérité d’abord. On ne peut pas jouer les petits bras, on ne peut pas recommencer avec des faux semblants. Et en même temps, avec un devoir d’unité, parce que j’ai bien conscience aussi du risque. L’opposition ne peut pas se payer le luxe de divisions multiples. Donc, se rassembler et en même temps se réformer. Voilà quel est notre programme. Et puis je dois vous dire qu’on va avoir du pain sur la planche à l’Assemblée nationale. Parce que si j’en juge par le programme des socialistes, s’ils le mettent en œuvre, j’aime mieux vous dire qu’on va devoir se mobiliser.

RTL : L’objectif, pour vous, c’est l’espoir d’une dissolution dans un an à dix-huit mois ?

Nicolas Sarkozy : Non, non. D’abord il faut souhaiter bonne chance à cette nouvelle équipe, car c’est tout de même notre pays qui est en cause, c’est la France. Ce ne sont pas nos idées ou nos situations, ou nos petites personnes. Donc, il faut souhaiter leur succès, même si j’en doute. Pour le reste, notre passage dans l’opposition sera très étroitement lié à notre capacité à nous rénover. Plus nous le ferons rapidement, plus nous le ferons profondément et mieux la confiance des Français se reportera pour nous. Je prends juste un exemple : il faudra désormais mieux écouter ceux qui auront été élus parlementaires dans des circonstances si difficiles. Mieux entendre le souci et les interrogations des hommes et des femmes de terrain qui ont gagné la confiance des électeurs.

RTL : Plutôt que les techniciens ?

Nicolas Sarkozy : Il ne s’agit pas, là encore, de désigner des boucs émissaires. Mais quand on s’est fait élire dans les conditions actuelles, je crois que ça mérite de prendre un petit peu de temps pour écouter.