Texte intégral
G. Leclerc : Est-ce que la majorité ne s'est pas fait piéger ? De quoi faut-il parler : un avertissement, un vote sanction ?
A. Lamassoure : Oui, c'est un avertissement et disons que, pour prendre une comparaison sportive, nous sommes menés à l'issue de la première mi-temps, mais le match n'est pas du tout décidé et nous entendons bien remporter la seconde.
G. Leclerc : Est-ce que ce n'est pas davantage un vote de mauvaise humeur des Français à l'égard du gouvernement plutôt qu'une véritable adhésion à la gauche, à ses idées et son programme ?
F. Hollande : Pour l'instant, sans doute oui, c'est un vote moral en tout cas. L'opinion publique a sanctionné à la fois des promesses qui n'avaient pas été tenues, a sanctionné également une dissolution qu'elle n'a pas comprise, et a sanctionné une majorité sortante. Elle n'a pas adhéré à une majorité nouvelle - c'est l'enjeu d'ailleurs du second tour. À nous de convaincre le peuple français qu'il y a, non seulement une majorité de rechange - je crois que cela, personne n'en doute - mais une politique de rechange avec, notamment pour l'emploi, des solutions nouvelles.
G. Leclerc : A. Juppé a dit, dès hier soir, que la majorité devait entendre le message des Français. Qu'est-ce que cela veut dire ?
A. Lamassoure : Je crois que les Français sont pour le changement, c'est incontestable. En même temps, ils souhaiteraient avoir une idée plus précise du changement qui leur est proposé et peut-être aussi participer davantage eux-mêmes à l'action. Je crois que s'il y avait deux messages à retenir pour la majorité, à l'issue de cet avertissement du premier tour, c'est : occupez-vous davantage de nos préoccupations quotidiennes qui sont l'emploi, qui sont la précarité, qui sont aussi la sécurité, dont on a très peu parlé, et en même temps, dites-nous où vous nous amenez et faites-nous participer au changement. Il faut que, par exemple, en matière de décentralisation et de participation des citoyens à l'action politique quotidienne, nous soyons plus précis.
G. Leclerc : Quelle campagne, concrètement, cela signifie pour le second tour ? Est-ce qu'il faut continuer à montrer les failles, les erreurs de la gauche ou, au contraire, davantage préciser vos propositions ?
A. Lamassoure : Je crois qu'il faut faire les deux et il faut être dans la campagne beaucoup plus simple. En proposant., par exemple, pour le bilan, de comparer la situation de la France en 1997 et la situation de la France en 1993. Il faut bien comprendre que, maintenant que la gauche est en tête, mène à la marque, c'est à elle qu'un certain nombre de questions précises vont aussi être posées : qu'est-ce que vous allez faire en matière de politique économique ? Il semble que la position du PS n'est pas la même que celle du PC ou des Verts. Qu'est-ce que vous allez faire vraiment sur l'Europe ? Qu'est-ce que vous allez faire en matière fiscale ? Qu'est-ce que vous allez faire en matière de lutte contre l'insécurité ? Sur tous ces sujets, la gauche a été très absente, elle était dans une situation assez commode. Nous avons fait des propositions, nous avons agi, maintenant on va pouvoir comparer.
G. Leclerc : Est-ce que vous avez le sentiment maintenant d'être en première ligne et de devoir, justement, préciser toutes ces réponses ?
F. Hollande : On est en première ligne depuis le début de cette campagne électorale car les seules propositions dont on parle - on peut les critiquer, on peut les approuver -, les seules dont on fait écho dans ce débat, ce sont les nôtres, c'est-à-dire à la fois la relance de la consommation, la baisse de la TVA, les 700 000 emplois pour les jeunes, la réduction du temps de travail. Moi, je veux bien, et je le souhaite d'ailleurs, que l'on parle encore de nos propositions parce qu'il faut que cette élection serve à quelque chose. Au premier tour, elle a servi à lancer, effectivement, un avertissement et peut-être plus encore, une sanction à l'égard de la majorité sortante mais on ne doit pas gagner une élection simplement par rejet des autres, il faut gagner une élection par adhésion. Et donc, moi, je suis tout à fait prêt, tout au long de la semaine, avec tous les socialistes et tous les hommes et femmes de gauche qui veulent aller aux responsabilités, à expliquer et expliquer encore ce que nous attendons en matière d'emploi, ce que nous voulons faire en matière de lutte contre l'insécurité, ce que nous pensons faire en matière de décentralisation, de démocratie de nos institutions. Je crois que, effectivement, il ne faut surtout pas repousser ce débat, il faut que ce soit un débat d'avenir. Et honnêtement, je ne crois pas que ce soit un débat sur les bilans respectifs des uns et des autres. Si on veut faire un débat sur le bilan, on n’intéressera personne. Il faut faire un débat sur l'avenir et notamment sur l'emploi.
G. Leclerc : A. Lamassoure, est-ce que le Président de la République doit intervenir ? Et est-ce que, dans la façon d'organiser la campagne de la majorité, il y a des changements à opérer par rapport au premier tour ?
A. Lamassoure : Sur la campagne de la majorité, il faut être plus simple et plus concret et en même temps, il faut être plus unis. Si l'on entend des voix différentes, je crois que cela affaiblit la majorité et qu'il faut maintenant se concentrer sur un message simple, clair et unique.
G. Leclerc : C'est M Pasqua, M Séguin ?
A. Lamassoure : De manière générale. Ce sont les échos que nous avons eus de nos électeurs, notamment dans la campagne sur le terrain, et je crois en effet que le Président de la République, qui est le chef de l'État et le chef suprême de la majorité, devrait donner son sentiment. Il est clair que si l'on devait s'orienter vers une situation dans laquelle, pour une durée de cinq ans, il y avait, à la tête de l'État, deux politiques différentes, la politique qu'incarne le Président de la République et la politique qu'incarnerait une coalition faite par le Parti communiste et le Parti socialiste, je crois que ce serait grave pour la France et qu'il est clair que chacun devra, à ce moment-là, prendre ses responsabilités.
G. Leclerc : Il faut un grand débat Jospin-Juppé à la télévision ?
A. Lamassoure : C'est aux médias de faire des propositions. Je crois qu'il est bon, effectivement, que les Français puissent se positionner en fonction des projets d'avenir des uns et des autres et de leur crédibilité.
G. Leclerc : F. Hollande, comment mobiliser la gauche ? Est-ce que cela passe par des meetings communs avec le Parti communiste et puis, justement, d'une façon générale, est-ce que cet allié communiste ne risque pas d'être un peu encombrant ?
F. Hollande : Non, la gauche est plurielle, elle l'a toujours été ; le Parti socialiste en est la force principale, c'est vrai, cela ressort assez bien de ces élections. Donc, je ne crois pas qu'il y ait à être gêné par qui que ce soit, au contraire, dans cette élection. Il faut rassembler, et rassembler très large : rassembler la gauche, bien sûr, mais rassembler même au-delà de la gauche, parce que ce qui est clair, c'est que si la majorité sortante était reconduite - et c'est tout à fait probable, ou possible, en tout cas, rien ne laisse indiquer que ce ne sera pas le cas, le jeu est ouvert -, on sait aujourd'hui que cette majorité sortante refera exactement la même politique. Donc, il faut que nous, nous expliquions aux Français, et très largement, à tous, qu'il y a une possibilité de changement, que ce changement n'est incarné que par nous. Pour le reste, s'ils sont satisfaits de la situation actuelle, il faut qu'ils reportent leurs suffrages sur la majorité sortante.
G. Leclerc : Une des données du premier tour, ce sont les abstentionnistes, qui sont très importants. A. Lamassoure, vous pensez que c'est là que votre succès au second tour existe ?
A. Lamassoure : Les abstentionnistes auront un rôle très important. Il y a d'abord tous ceux qui ont dispersé leurs voix sur ceux qu'on appelle « les petits candidats ». Je suis frappé de voir que, dans ma circonscription par exemple, il y a eu 5 % de bulletins blancs. Il y a eu manifestement un vote protestataire. Il faut maintenant que les Français se déterminent, ils ont leur avenir entre leurs mains. Est-ce qu'ils veulent voir revenir des politiques de gauche qui ont toujours échoué ces dernières années et des hommes et des femmes dont ils n'étaient pas du tout satisfaits en 1993 ?
Est-ce qu'ils veulent donner un nouvel élan à la politique de changement engagée par le Président de la République en 1995 ? Et la clé, elle est très largement chez ceux qui n'ont pas voté hier.
G. Leclerc : F. Hollande, même question, brièvement : le réservoir des abstentionnistes n'est-il pas plutôt à droite ?
F. Hollande : Écoutez, on verra bien. Je crois que les abstentionnistes, souvent, ils se partagent : il y en a autant de gauche que de droite, mais ce sont des gens qui n'ont peut-être pas compris la dissolution. C'est vrai que c'est assez difficile à comprendre, parce que si, ce matin, le Président de la République nous regarde, il doit se poser la question : « Mais pourquoi a-t-on dissous l'Assemblée nationale qui avait une majorité aussi, forte ? ». Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas compris cela. Et puis, deuxièmement, il y a des Français, ils sont nombreux, qui s'interrogent : est-ce que ça peut changer ? Est-ce que demain peut être meilleur qu'aujourd'hui ? Nous, nous disons que oui et c'est les propositions que nous faisons dans ce débat Il faut absolument que cette campagne de second tour soit sur l'avenir, sur l'emploi et sur ce qui peut effectivement changer dans ce pays.