Article de M. Bernard Stasi, vice-président de Force démocrate, et député européen, dans "Démocratie moderne" du 1er mai 1997, sur les conditions posées par le PS à la création de l'Euro, intitulé "L'Hypothèse d'une trahison".

Prononcé le 1er mai 1997

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Média : DEMOCRATIE MODERNE

Texte intégral

On comprend la gêne de M. Jospin et de ses amis lorsqu’ils abordent la partie européenne du programme socialiste.

Chaque fois qu’ils sont sommés de s’expliquer sur ce point, les socialistes restent prudemment dans le flou – un flou qui ne parvient pas à dissimuler les contradictions.

Bien entendu, les socialistes proclament tout d’abord leur volonté de voir se poursuivre la construction européenne, notamment à travers la création de l’Union monétaire. Mais les quatre conditions préalables qu’ils posent à la mise en service de la monnaie unique, ou bien resteront lettre morte, ou bien, si un futur gouvernement Jospin prétendait qu’elles soient acceptées par nos partenaires, rendraient pratiquement impossible la mise en service de la monnaie unique.

Bien entendu, comme les socialistes, nous souhaitons que le plus grand nombre possible d’États membres fassent partie du premier peloton de l’Union monétaire. Et comment la France pourrait-elle ne pas former des vœux ardents pour que l’Espagne et l’Italie soient parmi les pays sélectionnés ? Mais déterminer à l’avance les heureux élus, en s’affranchissant du respect de tout critère, serait trahir la lettre et l’esprit du Traité instituant l’Union monétaire – un traité qui, les socialistes feignent parfois de l’oublier, a été négocié et signé par le président Mitterrand et un gouvernement socialiste. Agir ainsi, ce serait aussi se condamner à créer une mauvaise monnaie. En effet, créé dans de telles conditions, l’Euro n’inspirerait confiance ni aux Français ni aux marchés. Les taux d’intérêt s’élèveraient immédiatement, ce qui aurait de fâcheuses conséquences pour la croissance et pour l’emploi. Exiger la mise en place d’un « gouvernement économique européen » pour contrôler la banque centrale européenne, c’est se livrer à une inutile rodomontade. Formulée en ces termes, cette revendication n’aurait pas davantage de chances d’être satisfaite par nos partenaires après une éventuelle victoire de la gauche que ce ne fut le cas lorsqu’ils le refusèrent au gouvernement socialiste au moment où il négociait le traité.

Par ailleurs, à quoi bon utiliser l’expression « gouvernement économique », alors que le Traité de l’Union européenne prévoit toutes les procédures nécessaires pour renforcer, entre les États membres, cette coordination économique qui est effectivement indispensable au bon fonctionnement de l’Union monétaire ? Vouloir remplacer le « pacte de stabilité et de croissance » dénoncé comme facteur d’austérité, par un « pacte de solidarité et de croissance », c’est jouer sur les mots. Tel qu’il a été conçu, le pacte de stabilité et de croissance a précisément pour objet de créer les conditions d’une croissance saine, stable et soutenue. Que pourrait ajouter de plus un changement de dénomination ?

Enfin, poser comme condition à la création de l’Euro qu’il ne soit pas surévalué par rapport au dollar, c’est se laisser aller à de pieuses et vaines incantations. Par quel tour de force pourrait-on fixer à l’avance le cours d’une monnaie qui n’existe pas et prévoir son évolution ? Le cours de l’Euro sera fixé par les marchés et non par les gouvernements, fussent-ils socialistes.

Décidément, les socialistes français éprouvent encore de sérieuses difficultés à s’adapter à l’esprit d’une économie libre. À supposer – Mais ce serait une supposition absurde – que nos partenaires de l’Union acceptent de prendre en considération les conditions posées par un éventuel gouvernement de gauche à la création de la monnaie unique, il serait alors impossible de respecter les échéances. Or, reporter la création de la date prévue pour la création de l’Euro, serait provoquer une crise grave dans les institutions européennes. En montrant son impuissance à tenir ses engagements, l’Europe donnerait une mauvaise image d’elle-même et perdrait beaucoup de sa crédibilité sur la scène internationale.

Par ailleurs, le report serait interprété par les marchés comme la volonté de mettre fin aux efforts d’assainissement budgétaire. Les perturbations financières et la hausse des taux d’intérêts qui en résulteraient seraient préjudiciable à l’investissement, à la croissance et à l’emploi.

Enfin, au-delà de toute polémique électorale, un constat s’impose : la mise en application de diverses dispositions du programme économique des socialistes risquerait de mettre assez vite notre pays dans une situation délicate par rapport aux « critères de Maastricht ». On comprend que les socialistes    aient le souci d’assouplir quelque peu ces critères. Pourquoi ne pas l’avouer : on éprouve un certain malaise à voir une grande famille politique française qui, à l’instigation, notamment, de Jacques Delors, de François Mitterrand, de Michel Rocard, a, au cours de ces dernières années, joué un rôle important dans l’engagement européen de la France, prendre aujourd’hui le risque de faire avorter l’Union monétaire. Certes, l’Europe que nous voulons construire ne se réduit pas à la monnaie unique. Mais un échec dans ce domaine ébranlerait et fragiliserait l’Union européenne au moment où elle doit affronter la crise économique et l’accélération de la mondialisation, tout en réformant ses institutions et en doublant, en une dizaine d’années, le nombre de ses membres. Pour faire ce difficile chemin, l’Europe a besoin d’être guidée par une France forte et déterminée. Telles sont peut-être la principale motivation et la plus forte justification de la décision prise par le président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale : seuls un président et un Gouvernement français partageant les mêmes convictions et assurés de la durée permettront à notre pays d’assumer les responsabilités qui sont les siennes dans la construction de l’Europe.

En revanche, de quelle autorité disposerait, pour défendre nos intérêts et faire prévaloir nos points de vue au sein de l’Union européenne, pour faire progresser l’Union, un pouvoir français affaibli par la cohabitation et une majorité soumise aux pressions et aux chantages du Parti communiste ?

Les Français, dans leur sagesse, épargneront cette épreuve à leur pays. Ils épargneront cette aussi aux socialistes, par la même occasion, la honte d’un reniement.