Texte intégral
L'Événement du Jeudi : L'arrivée à la tête de l'UDF de François Léotard, et le départ de Giscard, c'est une aubaine pour la gauche ?
Jack Lang : C'est une bonne chose pour la démocratie, car c'est une personnalité brillante. Mais ce qui m'a marqué, c'est la façon dont on a tiré sur Giscard, que j'ai pourtant beaucoup combattu : certaines de ses qualités ne m'ont pas laissé insensible, et il y avait quelque chose de moche dans cette mise à mort-là ... Et puis, pourquoi évoquer sa fin ? Pour moi, ce n'est pas un homme fini.
L'Événement du Jeudi : On dit beaucoup que le véritable patron, c'est Bayrou...
Jack Lang : L'homme est vif, habile, indéniablement. Mais il me conduit à me poser des questions. Comment diable fait-il pour être au service à la fois de l'État et d'un parti ? Je suis admiratif. Quand j'étais à l'Éducation nationale – j'y suis resté onze mois –, mes nuits dépassaient rarement cinq heures. Ce genre de cumul est une catastrophe. Quand j'étais ministre et que j'appelais mes collègues par l'interministériel, je ne joignais plus personne à partir du jeudi après-midi. Tous dans leur mairie, leur circonscription ! Il fallait attendre le mardi suivant pour les joindre. Ce qui a toujours provoqué la stupéfaction des étrangers.
L'Événement du Jeudi : Fallait-il baisser les crédits du CNRS ?
Jack Lang : Dès que la droite arrive au pouvoir, elle coupe les crédits de la recherche. C'est plus fort qu'elle. Elle l'a fait en 1986, en 1993. Elle continue sur sa lancée.
L'Événement du Jeudi : Les socialistes ont-ils raison de soutenir à ce point Henri Emmanuelli quand deux Français sur trois lui donnent tort ?
Jack Lang : Aujourd'hui, les gens ne sont pas d'accord avec nous, au nom d'un vieux réflexe qui veut que, si les juges le condamnent, c'est donc qu'il est coupable. Mais je crois en une sorte de bon sens populaire. Il y aura bien un moment où les gens vont se dire : trop, c'est trop. Pourquoi lui et pas les autres dirigeants socialistes ? Pourquoi les trésoriers des autres partis sont-ils épargnés ?
Le cas Emmanuelli est d'autant plus douloureux pour nous qu'il nous renvoie à ce que nous n'avons pas fait. Certes, il y a eu l'abolition de la peine de mort et des juridictions d'exception. Mais qu'avons-nous fait pour la justice quotidienne ? Trop peu. À présent, cette histoire nous revient comme un boomerang en plein visage.
L'Événement du Jeudi : Le PS ne s'est guère exprimé sur les lois Pasqua qu'il est question de durcir...
Jack Lang : Pour moi, ces lois, il faut les abroger ou les modifier profondément. Elles sont inefficaces : elles créent de l'immigration clandestine car, devant l'imbroglio juridique auquel ils sont confrontés, les gens plongent dans la clandestinité. Bref, Pasqua a fabriqué une usine à clandestins ! En plus, ces lois sont inhumaines car elles coupent en deux les familles. Alors, quand j'entends qu'il s'agit maintenant de les durcir et quand je lis les intentions que l'on prête au ministre de l'Intérieur, Jean-Louis Debré, je me dis que c'est Vichy. Oui, Vichy. Qu'est-ce qu'on veut, nous transformer en délateurs ? Bravo !
L'Événement du Jeudi : La loi Toubon sur la délinquance des mineurs, c'est aussi du fascisme ?
Jack Lang : Dans cette affaire, je dis halte à l'angélisme. La délinquance des mineurs, ce n'est pas un fantasme, c'est une réalité que tous les maires de France vivent au quotidien. Certaines dispositions de la loi Toubon sont bonnes, même si le texte n'est pas assez respectueux des droits de la défense. La vérité, c'est que dès 3 heures de l'après-midi, les jeunes des collèges sont jetés à la rue. Bien souvent, ils sont alors délinquants ou victimes. Il faut bien remédier à cela.
L'Événement du Jeudi : Le Parti socialiste n'aurait-il pas dû se mobiliser contre le renouvellement de la concession à TF1 ?
Jack Lang : Écoutez, il faut savoir ce qu'on veut. Tantôt on reproche aux socialistes de trop en faire, tantôt pas assez. Le PS n'est pas une juridiction, il n'a pas à se substituer au CSA, dont le président, Hervé Bourges, a été nommé par François Mitterrand.
L'Événement du Jeudi : Cela ne vous gêne pas de devoir nombre de vos victoires dans les partielles au petit jeu du Front national ?
Jack Lang : Je vous répondrai par la phrase d'Épictète : « Il y a ce qui dépend de nous, et ce qui ne dépend pas de nous. » En l'occurrence, il s'agit du deuxième cas, d'une bataille entre les droites. Nous en profitons, et alors ? Le FN ne nous manipule pas et qui peut dire que nous partageons les mêmes valeurs ?
L'Événement du Jeudi : Vous continuez à manger de la viande de bœuf ?
Jack Lang : Je ne l'ai jamais autant prisée. Je me suis même jeté sur le bœuf durant les trois derniers jours. Samedi, je suis allé chez mon boucher acheter une côte de bœuf et, quand je l'ai dégustée, je l'ai trouvée merveilleuse.