Texte intégral
Date : Vendredi 24 mai 1996
Sources : RMC/Édition du matin
RMC : Votre réaction après la revendication par le GIA de l’assassinat des sept moines français en Algérie ?
C. Million : C’est un événement horrible. C’est le signe d’un terrorisme intolérant, violent, qui est en train de s’affirmer vis-à-vis des personnes qui consacrent leur vie, simplement à la méditation, à la prière et aux autres. Je voudrais dire combien j’espère que les esprits reviendront à la raison et que chacun comprendra que ce n’est pas dans l’intolérance ou le fondamentalisme violent que l’on peut trouver les voies du salut, soit individuel ou soit d’un peuple. La France doit faire œuvre de témoignage dans la tolérance mais aussi dans une certaine rectitude pour faire respecter les valeurs de liberté en France et dans le monde.
RMC : La situation semble se détériorer en Centrafrique. Bangui a connu hier, sa première manifestation antifrançaise, avec l’incendie du centre culturel. Êtes-vous inquiet ce matin ?
C. Million : Oui, je suis préoccupé par ce qui se passe actuellement en Centrafrique. Je suis préoccupé par ce climat d’anarchie qui est en train de dominer cette situation dramatique. Je souhaite que l’on puisse revenir à une situation de calme et de légitimité pour que les Centrafricains résolvent leurs problèmes dans un cadre institutionnel et non pas à travers des manifestations et des violences.
RMC : Quelles sont les missions que vous assignez ce matin à l’armée française en Centrafrique ?
C. Million : Une première mission qui est de faire respecter la sécurité, en particulier sous l’angle financier et sous l’angle de l’encadrement. Car on aurait à côté de l’armée professionnelle, peu à peu, un corps d’instruction qui devrait se mettre en place.
RMC : GIAT-Industries pour le matériel militaire français, va supprimer plus de 2 500 emplois en trois ans, 20 % de son personnel. N’est-ce pas le début de la fin de l’industrie d’armement français ?
C. Million : Non c’est la réponse raisonnée et grave du ministère de la défense, du gouvernement, d’une direction d’entreprise à une situation préoccupante. Depuis un certain nombre d’années, on avait laissé aller le GIA. C’est vrai qu’il va y avoir des baisses d’effectifs mais il n’y aucun, je dis bien aucun, licenciement sec. Par contre, il y a un plan économique de redressement et de redéploiement. Il paraît évident que le GIAT a des atouts dans les mains, par exemple, le char Leclerc, le projet de véhicule blindé de combat d’infanterie. Il faut que la France puisse réaffirmer son rôle dans ce domaine de l’industrie de défense. Non seulement pour pouvoir exporter et garantir des emplois, mais aussi pour pouvoir offrir au gouvernement une industrie indépendante qui garantisse l’autonomie de la politique de défense française.
RMC : Ce plan est-il négociable ou ne pourra-t-on pas bouger des chiffres qui ont été annoncés hier ?
C. Million : Il est évident que toutes les bonnes idées seront étudiées et que s’il y a des propositions qui nous semblent intéressantes et qui n’ont pas été retenues, nous les ajouterons. C’est pourquoi, au niveau de chaque région, il y a une convention-cadre qui a été signée entre le ministère de la défense et la région pour définir les modes d’intervention des régions, des départements, des communes, de l’Europe et de la nation. Ceci pour reconvertir des bassins d’emplois, pour accompagner des redressements ou des redéploiements d’entreprises. S’il y a des propositions, je suis preneur.
Date : Dimanche 26 mai 1996
Source : France 3/Édition du dimanche
France 3 : Vous avez publié, ce matin, un communiqué de démenti. Vous le maintenez dans les mêmes termes ?
H. de Charette : Bien sûr. On ne va pas transformer ce qui est une tragédie en un feuilleton médiatique. Pendant ces deux très longs mois, j’ai été frappé de l’extraordinaire dignité des familles qui se sont comporté avec une sérénité, un sang-froid. Et ce, alors qu’elles étaient très sollicitées. Ce n’est pas l’heure de se plonger dans ce jeu qui dégrade l’atmosphère de sang-froid, l’atmosphère d’unanimité autour des valeurs qui sont les nôtres.
France 3 : Le père Gérard donne un certain nombre de détails ?
H. de Charette : Pas de détails concernant l’envoyé du gouvernement français. Pour le reste, je n’en sais rien. Il n’y a pas d’envoyé français. D’ailleurs, ayons un peu de bon sens. Ces malheureux moines ont été détenus dans une zone montagneuse, très peu accessible, où des terroristes de tous ordres se cachent, et parfois se battent entre eux. Cela n’aurait pas été accessible sans beaucoup d’arrangements, de facilités, y compris des autorités algériennes. La France, en tous cas, n’a pas de responsabilité dans ce que j’entends dire.
France 3 : Comment interpréter le quasi silence du gouvernement algérien ?
H. de Charette : Le gouvernement algérien a fait des déclarations, il y a quelques heures, marquant sa compassion pour ces sept malheureux moines. Ces déclarations sont les bienvenues.
France 3 : N’y-a-t-il pas un problème d’interlocuteur en Algérie ?
H. de Charette : La situation en Algérie est celle que l’on connaît : d’un côté, un président qui a été élu dans des conditions démocratiques, qui a reçu une majorité de suffrages. De l’autre, des mouvements de rébellion armés. C’est la raison pour laquelle nous n’avons cessé de dire – c’est mon devoir de le dire – à ceux qui sont là-bas, y compris aux religieux qui sont là-bas dans des conditions isolées, qu’ils prennent de grands risques. Je suis respectueux de leur courage, que je salue et que j’admire. En même temps, je dis que c’est de grands risques, de très grands risques.
France 3 : Bangui : est-ce que la France a vocation à jouer les gendarmes, à protéger les régimes en place ?
H. de Charette : Écoutez ! Il y avait là-bas 4 000 étrangers, dont 2 500 Français. Si nous n’étions pas intervenus, alors que la ville était à sac, alors que des manifestants se répandaient en ville, pillaient, et menaçaient les ressortissants étrangers, vous m’inviteriez et vous me diriez : « qu’est-ce que c’est ? La France ne fait rien ? » Nous avons été sollicités par les autorités de Centrafrique pour que nous aidions à récupérer nos ressortissants et les ressortissants étrangers. Ce que nous avons fait.
France 3 : Mais ce sont des Français qui ont mené des négociations entre les deux camps.
H. de Charette : On me l’a demandé. Nous l’avons fait aussi pour rendre service à un pays qui est un pays démocratique, dont le président a été élu démocratiquement. Nous avons été sollicités, encouragés par l’ensemble des pays de la région. Nous avons accompli notre mission et notre devoir. Naturellement, maintenant, la responsabilité revient aux autorités du pays, de rechercher les solutions à la crise. Solutions qui ne peuvent être que des solutions d’union nationale pour apporter le remède qui est à la fois politique et sociale.
France 3 : Israël : vous aviez employé l’expression : « Israël est en danger de paix ».
H. de Charette : La paix n’est pas un danger pour Israël, la paix c’est l’espoir. On voit bien qu’Israël est dans un moment d’hésitation sur son destin : quel chemin choisir pour arriver à stabiliser et consolider la vie de l’État d’Israël dans cette région complexe. Vu du point de vue français, la préoccupation majeure est que le processus reprenne. Et pour cela, il faut qu’il y ait une volonté de tous.
France 3 : Vous rentrez d’une visite au Mexique. Les entretiens ont beaucoup porté sur l’économie et le développement des relations commerciales. C’est une pierre dans le jardin américain ?
H. de Charette : Il ne faut pas voir les choses comme ça. L’Amérique latine, c’est 600 millions d’habitants, c’est plus, en termes de production, que l’Asie du Sud-Est. Il faut que nous regardions le monde qui change, il faut que nos priorités diplomatiques s’y adaptent. L’une de ces priorités, c’est l’Amérique latine, qui est une région qui vient de trouver une certaine stabilité politique, un retour à la démocratie, un développement économique fort. Nous sommes chargés d’être les représentants de l’activité économique française, qu’elle soit là-bas rayonnante, qu’elle prenne des places ! Elle n’a pas des places que notre importance justifie. Il faut donc y aller !