Interviews de M. Jean-Louis Debré, secrétaire général intérimaire du RPR, à Europe 1 le 4 juin 1997, RMC le 5 et RTL le 9, sur la préparation des assises nationales du RPR en juillet, le débat interne au RPR et la publication de son livre intitulé "En mon for intérieur".

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RMC - RTL

Texte intégral

Date : Mercredi 4 juin 1997
Source : Europe 1

Europe 1 : C'est donc la guerre ouverte aux couteaux entre P. Séguin, ses amis, les ralliés de marque et A. Juppé, ses blessés et ses rescapés. Au milieu des décombres et des ruines, vous voici donc nommé secrétaire général du RPR par intérim par A. Juppé, son président, qui est en haillons, criblé de flèches. C'est pris, par vos amis, anciens ou actuels, pour une provocation.

J.-L. Debré : Il faut éviter toute passion. Je souhaite que chacun fasse preuve de dignité et de retenue. Notre mouvement a besoin, c'est vrai, de se rénover, de se moderniser, de s'ouvrir. Nos dirigeants, pour s'imposer, pour conduire à la prochaine victoire, ont besoin de l'aval des militants. C'est par eux qu'ils existent. Il faut donner la parole à nos militants. C'est cela, un mouvement démocratique.

Europe 1 : C'est trop tard, c'est trop long. Vos assises, vous les prévoyez avec A. Juppé pour septembre. Pasqua et Sarkozy vous ont déjà dit que c'était inacceptable.

J.-L. Debré : Nos électeurs veulent faire confiance à des hommes et à des femmes qui ont la capacité non pas de monter des coups, mais de rassembler et qui n'ont pas l'obsession de la division. Pour respecter nos militants, pour respecter nos électeurs, il faut préparer sereinement les changements nécessaires. Évitons les règlements de comptes. Cela laisse toujours de traces. Évitons les coups bas. Ça laisse toujours des traces. Évitons l'agressivité. Ça laisse toujours des traces. Évitons les mises à l'index. Il faut rassembler, rassembler nos militants qui sont, aujourd'hui, inquiets. Je souhaite que très rapidement, dès les premiers jours de septembre, l'ensemble du mouvement gaulliste, comme cela a toujours été dans son histoire, se retrouve, et se retrouve pour le changement Ce seront alors les assises de l'unité et du changement. On n'a pas besoin de changement dans la précipitation.

Europe 1 : Mais c'est un discours de tribune qui ne passe plus. Les règlements de compte, ils existent. Les mises à l'index, elles existent. La passion existe. M. Balladur et M. Sarkozy petit-déjeunent avec les balladuriens, une cinquantaine ; M. Séguin fait ce qu'il dit ; M. Pasqua est en train de vous attaquer par ailleurs.

J.-L. Debré : Je suis attaqué par tout le monde. Je ne suis pas candidat à la présidence de mon mouvement. Je suis candidat à un mouvement qui va continuer parce qu'il est important pour la France qu'il y ait un fort mouvement gaulliste. Je souhaite que la rénovation et que la modernisation se fassent dans la sérénité.

Europe 1 : La rénovation peut-elle être conduite par des généraux vaincus ?

J.-L. Debré : Mais la rénovation du mouvement doit être conduite par des militants qui n’ont qu'un souci : non la victoire de tel ou tel clan, mais la victoire du mouvement. Ce mouvement, le RPR, que nous avons reçu de nos parents, qui est une force politique, il doit montrer à tous les Français qu'il sait se moderniser, qu'il sait se transformer dans la tranquillité et la sérénité et la décence.

Europe 1 : Ce n'est apparemment pas le cas. Il y a urgence. Dans la famille Debré, on aime les missions-sacrifice, mais agissez-vous, là, avec les encouragements de J. Chirac ou seul ?

J.-L. Debré : J'agis tout seul, parce que je considère que c'est ma responsabilité. J'ai assumé des responsabilités au sein du mouvement. Je suis un militant depuis toujours. Je suis un défenseur du gaullisme. Par conséquent, je considère que je peux jouer un rôle.

Europe 1 : Qui vous l'a demandé ?

J.-L. Debré : Mais c'est moi qui l'ai souhaité.

Europe 1 : Qui vous l'a demandé ?

J.-L. Debré : C'est moi qui l'ai souhaité. J'ai souhaité assumer cette fonction.

Europe 1 : Qui vous l'a demandé ?

J.-L. Debré : Quand j'ai vu qu'il y avait un affrontement entre des clans et entre des hommes, les uns et les autres, je les connais et je les aime et j'ai envie de leur dire, parce que je porte un nom dans ce mouvement : « Arrêtez, et préparons la suite. »

Europe 1 : Mais ceux que vous avez envie de servir vous contestent. Est-ce A. Juppé qui vous l'a demandé ?

J.-L. Debré : Je comprends parfaitement qu'on soit déçu. Je comprends parfaitement qu'ils soient amers. Je comprends parfaitement qu'ils se disent : « Il faut aller vite pour rénover notre mouvement. » Moi, je vais préparer les assises. Je vais les préparer avec eux. Comme ça, ils seront élus dans la plus grande transparence.

Europe 1 : Mais ils n'en veulent pas !

J.-L. Debré : Eh bien, ils ont tort. Je souhaite qu'ils réfléchissent.

Europe 1 : Est-ce que J. Chirac soutient cette stratégie ?

J.-L. Debré : Le Président de la République est Président de la République, il a d'autres choses à faire que s'occuper de notre mouvement.

Europe 1 : C'est un peu « langue de bois », non ?

J.-L. Debré : Pas du tout. M'avez-vous entendu parler la langue de bois ?

Europe 1 : Quelquefois. A. Juppé n'est-il pas l'ultime bouclier ? Après, on attaquera directement le Président de la République.

J.-L. Debré : Je ne le souhaite pas. Si je peux servir quelque chose, qu'ils concentrent leurs attaques sur moi.

Europe 1 : Il a dû y avoir des maladresses pour que les balladuriens et les hommes de Séguin se liguent contre A. Juppé et vous ?

J.-L. Debré : Ils ne se liguent pas contre Debré. La lutte pour le pouvoir est quelque chose de féroce. Derrière tout cela, c'est la préparation d'autres échéances.

Europe 1 : À quoi pensez-vous ?

J.-L. Debré : Je pense aux présidentielles dans quelques années. Ma seule échéance, c'est de faire en sorte que mon mouvement traverse une nouvelle crise en restant uni et rassemblé.

Europe 1 : Ce n'est pas le cas.

J.-L. Debré : Ce sera le cas.

Europe 1 : Qui doit arbitrer ?

J.-L. Debré : Les militants.

Europe 1 : N'y a-t-il pas un moyen de réunir beaucoup plus vite votre mouvement ?

J.-L. Debré : On est déjà en juin. Je ne vois pas comment on peut le faire avant le premier jour de septembre, c'est-à-dire dans trois mois.

Europe 1 : Est-ce que c'est tenable ?

J.-L. Debré : Oui, si les uns et les autres font preuve de dignité et de décence.

Europe 1 : N’avez-vous pas l'impression que le président est nu ?

J.-L. Debré : Le président, il est à sa fonction et doit l'exercer dans des conditions difficiles.

Europe 1 : Un peu seul ? Il y a même des divisions dans son propre camp. Qui le soutient ?

J.-L. Debré : Le problème n'est pas de savoir s'il est seul ou pas. Le problème, c'est qu'il doit conduire la nation avec fermeté.

Europe 1 : Quand J. Chirac a voulu dissoudre, les prévisions chiffrées dont vous disposiez vous donnaient-elles vainqueur ?

J.-L. Debré : Il n'y avait pas que mes prévisions chiffrées : il y avait tous les sondages qui étaient publiés. Nous pensions que ce serait difficile.

Europe 1 : À quel moment avez-vous pensé que ce serait perdu ?

J.-L. Debré : Au soir du second tour.

Europe 1 : Pas avant ?

J.-L. Debré : Avant, c'était des intuitions.

Europe 1 : Pourquoi y avait-il des CRS devant la Maison de l'Amérique latine, dimanche soir, après la victoire du PS ?

J.-L. Debré : Parce qu'on nous l'avait demandé.

Europe 1 : Qui « on » ?

J.-L. Debré : D'abord, c'était ma responsabilité d'éviter tout incident Deuxièmement, lorsqu'un certain nombre de personnes ont voulu rentrer à la Maison de l'Amérique latine, on nous a demandé de mettre une protection pour éviter que n'importe qui rentre.

Europe 1 : Les personnes qui voulaient rentrer, c'était les sans-papiers et les sans-abri ?

J.-L. Debré : Tout à fait.

Europe 1 : C'est le mois des catas et des cauchemars : vous publiez un livre qui a été achevé en avril, qui était prévu pour mai et qui s'appelle « En mon for intérieur », éditions Lattès. Vous y parlez de toute votre action, le terrorisme, le débat interdit, l'islam en France, la réforme de la police pour raffermir la République, la loi très controversée qui porte votre nom. Elle va être abrogée, cette loi ?

J.-L. Debré : C'est de leur responsabilité, pas la mienne. J'ai écrit ce petit livre pour dire comment un ministre de l'intérieur traverse ces périodes difficiles, à travers un certain nombre de dossiers, notamment celui du terrorisme. Au moment de quitter le ministère de l'intérieur, je voudrais dire à mon successeur deux choses.

Europe 1 : Peut-être M. Vaillant ?

J.-L. Debré : Je ne sais pas qui ce sera. Je voudrais lui dire deux choses : d'abord, il faut aimer la police et la respecter. Quand j'ai vu, le 14 juillet dernier, défiler la police aux Champs-Élysées et le fait que les écoles de police vont bientôt défiler au prochain 14 juillet, c'est pour moi la nécessité de faire respecter la police. Aimez la police et faites-la respecter. Et puis, soyez animé d'un souci de promouvoir un État impartial. Toutes les nominations que nous avons faites dans la police et dans l'administration ont été animées d'un souci : celui de retrouver des grands fonctionnaires de l'État.

Europe 1 : Ne regrettez-vous pas d'avoir laissé à la place qu'il occupait O. Foll ?

J.-L. Debré : Pas du tout, parce que la brigade criminelle a été remontée grâce à O. Foll.

Europe 1 : Ne pensez-vous pas que vous fabriquez peu à peu des hommes providentiels, s'il y en a, qui deviennent très vite ou des recours ou des rivaux ?

J.-L. Debré : Je souhaite simplement que l'alternance, les changements se fassent dans la sérénité et la tranquillité.

Europe 1 : J'espère que vous savez manier le sabre, le couteau, le flingue !

J.-L. Debré : Je sais recevoir les coups.

 

Date : Jeudi 5 juin 1997
Source : RMC

RMC : Vous venez de signer un livre qui sort aujourd’hui et qui s'appelle « En mon for intérieur ». D'abord je voudrais un mot d'appréciation de votre part sur le Gouvernement Jospin tel qu'on l'a découvert hier soir.

J.-L. Debré : Je n'ai aucun commentaire à faire. Je souhaite que ce gouvernement travaille et continue à poursuivre l'action du Gouvernement d'A. Juppé qui a été le redressement de notre pays.

RMC : Vous voulez dire que vous attendez du Gouvernement Jospin qu'il poursuivre l'action du Gouvernement Juppé ?

J.-L. Debré : J'attends du Gouvernement Jospin qu'il tourne la route à la démagogie.

RMC : Est-ce que vous appréciez votre successeur désigné hier soir ?

J.-L. Debré : Je n'ai aucun commentaire à faire sur mon successeur. Je souhaite qu'il soit animé, comme je l'ai été au ministère de l'intérieur, du sens de l'État et qu'il ait une vision claire de la place et du rôle de la police nationale. Je crois qu'on ne peut pas être ministre de l'intérieur si on a des a priori sur la police. Moi, j'ai une très grande admiration pour la police nationale, pour la police française qui fait, dans ce pays, un travail exceptionnel – on l'a vu, et je le dis dans mon livre, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, contre tous les terrorismes. Toutes les composantes de la police nationale doivent être respectées et aimées et toute l'action du ministre doit être de renforcer leur action.

RMC : Juste un mot : vous venez de demander que le Gouvernement Jospin poursuive l'action du Gouvernement Juppé. Il y a quand même un domaine – le vôtre – où la gauche a annoncé qu'elle mènerait une politique différente. Cela concerne les lois dont vous êtes l'auteur et dont elle a annoncé la suppression.

J.-L. Debré : Dans le domaine du ministère de l'intérieur, il n'y a pas que les lois de lutte contre l'immigration illégale qu'ils veulent supprimer – mais là, ils sont fidèles à eux-mêmes et je crois qu'ils font une erreur et prennent une grande responsabilité à l'égard de l'avenir –, il y a toute l'action dans le domaine de la sécurité civile, dans le domaine de la police, dans le domaine du renseignement. Tout cela c'est le ministère de l'intérieur, et je souhaite naturellement que l'action qui a été engagée de reprise en main du ministère de l'intérieur et pour éliminer un certain nombre de réformes absurdes qui avaient été faites du temps des socialistes, eh bien qu'on n'en revienne pas à l'ancien temps.

RMC : Rififi dans votre parti du RPR. On peut dire cela quand même ?

J.-L. Debré : Vous pouvez dire ce que vous voulez.

RMC : C'est l'impression que tout le monde a ?

J.-L. Debré : Oui mais je crois que les choses se calment, à part certains qui s'agitent pour qu'on ne les oublie pas. Mais je crois que maintenant tout le monde redevient raisonnable. Il va y avoir un conseil national, mercredi prochain, puis des assises seront organisées dans la sérénité, dans la responsabilité, c'est comme cela que nous allons moderniser le mouvement gaulliste.

RMC : Vous estimez normal, parce que beaucoup de gens ont dit que la tradition républicaine et démocratique veut que, dans les pays démocratiques, un parti qui perd des élections change son chef. Est-ce que vous avez trouvé normal que M. Juppé veuille demeurer président du RPR ?

J.-L. Debré : Moi, je trouve tout à fait normal qu'une grande formation comme la nôtre s'interroge après un échec et je trouve normal qu'on respecte les procédures et les statuts de notre mouvement. Il y a des assises qui seront convoquées rapidement et le président du mouvement tient sa légitimité du vote des militants. Je crois qu'il est important de faire respecter l'État de droit au sein de notre formation. Je suis de ceux qui pensent qu'il faut, après une défaite, s'interroger ; après une défaite, il faut changer les structures, probablement changer les hommes. Mais pas n'importe comment, il faut le faire dans la responsabilité, dans la sérénité et dans la réflexion.

RMC : Cela veut dire que vous pensez que l'action de M. Séguin, de M. Balladur est un coup de force ?

J.-L. Debré : Je souhaite que chacun fasse valoir son point de vue et que lors du conseil national, mais surtout lors de nos assises, nos militants puissent dire qui ils veulent pour les diriger à la tête de notre mouvement Je comprends parfaitement, qu'ici ou là, certains veuillent, disent ou ambitionnent la présidence de notre mouvement. C'est tout à fait légitime ! Je crois que cette légitimité va s'éclater au moment des assises.

RMC : Est-ce que la volonté de M. Juppé de rester à sa fonction était celle du Président de la République ?

J.-L. Debré : En deux ans de fonction de ministre de l'intérieur, vous ne m'avez jamais entendu parler à la place du Président de la République et ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer.

RMC : Un mot qui est tellement large que les gens s'interrogent, c'est le mot « rapidement » pour les assises. Cela veut dire quoi « rapidement » ? Vous avez dit qu'il y avait beaucoup de problèmes matériels extrêmement difficiles à régler. Il y a des gens pressés.

J.-L. Debré : Vous pensez bien que réunir plusieurs milliers de personnes, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Moi, je souhaite qu'elles se tiennent courant juillet.

RMC : C'est-à-dire le mois prochain.

J.-L. Debré : Vous savez bien compter.

RMC : Vous venez de signer ce livre qui est publié aux éditions J.-C. Lattès. « En mon for intérieur », en titre ; vous pensez que vous avez raison ?

J.-L. Debré : Quand on dit « en mon for intérieur », cela ne veut pas dire cela. Cela veut dire : c'est ce que je pense très profondément. J'ai passé deux ans exceptionnels au ministère de l'intérieur. J'ai été confronté à des défis du terrorisme – j'en parle naturellement –, des défis de la sécurité, défis du problème islamiste, défis des banlieues et confronté à ces défis voilà ce que je pense, voilà qu'elle est ma conviction. Vous savez A. France disait : « heureux ceux qui n'ont qu'une vérité ; plus heureux et plus grands ceux qui, ayant fait le tour des choses, ont assez approché la vérité pour savoir qu'on ne l'atteindra jamais parce qu'il n'y a pas une vérité, c'est ma vérité. »

RMC : Oui mais votre image, c'est précisément d'avoir une vérité et une fidélité.

J.-L. Debré : J'ai une vérité, c'est sûr. J'ai une vérité, c'est ma vérité mais je ne dis pas qu'il n'y a pas d'autres vérités.

RMC : Vous avez une phrase que j'ai trouvée curieuse, car après avoir donné un coup de chapeau à la République, je vous cite, là, comme un regret vous dites : « les hommes politiques sont appréciés et jugés, non sur ce qu'ils font mais sur ce qu'ils sont, sur leurs goûts plus que sur leurs actes. »

Est-ce que vous avez l'impression que les Français, lorsqu'ils ont voté, dimanche dernier, n'ont pas précisément sanctionné le fait qu'il n’y ait pas de résultats ?

J.-L. Debré : Non, je crois que c'est plus compliqué que cela. Je crois que la médiatisation de la vie politique fait qu'on s'arrête à l'apparence plus qu'aux résultats. Je crois qu'un homme politique doit être jugé non pas à son look, à sa façon de se tenir – en tout cas pas uniquement –, il doit être jugé à ce qu'il a fait vraiment, comment il l'a fait. Méfions-nous de ce cinéma, de cette médiatisation qui fait qu'aujourd'hui il est plus important de paraitre que de faire. Voilà ce que je veux dire.

RMC : Mais vous savez bien que parmi une des raisons de la perte des élections que vous avez subie, les Français ont dit : on a bien compris les promesses mais les actes n'ont pas été au rendez-vous. Est-ce que ce n'est précisément pas le contraire de ce que vous avez écrit ? C'est-à-dire que les Français ont exigé que les faits soient conformes aux promesses ?

J.-L. Debré : Je crois que si la défaite de la majorité s'expliquait uniquement par cela, ça serait simple. Je crois que c'est plus compliqué que cela. Il y a des domaines où la politique du gouvernement n'était pas suffisamment lisible et que dans tous les cas, après 14 ans de socialisme, ce n'est pas en deux ans…

RMC : Quatre ans.

J.-L. Debré : Deux ans de Gouvernement d'A. Juppé, ou quatre ans si vous voulez, si on prend le Gouvernement précédent, mais je préfère prendre le Gouvernement d'A. Juppé, ce n'est pas en deux ans qu'on redresse une situation. Comment voulez-vous que nous puissions retrouver une marge de manœuvre quand on sait que le deuxième budget civil de la Nation depuis quatre ans c'est le remboursement des dettes socialistes et que finalement quand, dans un pays, on dépense plus à rembourser ses dettes qu'à investir, qu'à préparer l'avenir, on n'arrive pas à s'en sortir. Mais je crois que nous n'avons pas su être suffisamment lisible dans notre action et je crois que les résultats qui vont arriver – ce sont les socialistes qui en profiteront –, vont arriver pour la France et je m'en réjouis.

RMC : Vous dites aussi dans un autre paragraphe du livre : « réhabiliter la politique, c'est réintroduire le débat. » Or, l'impression qu'ont les Français, c'est que votre gouvernement, le Gouvernement Juppé était autoritaire et que même lorsqu'il pensait prendre une bonne décision, il préférait l'imposer plutôt que de discuter.

J.-L. Debré : Là aussi, c'est une question d'appréciation. Je n'ai pas le sentiment que lorsque j'ai fait débattre à l'assemblée, pendant près de 110 heures, des lois sur l'immigration illégale, le travail clandestin, les filières d'immigration clandestine, nous avons occulté le débat Je n'ai pas le sentiment, depuis deux ans, qu'en ce qui concerne la réforme de la Sécurité sociale nous ayons occulté le débat. Je crois qu'il doit y avoir un temps pour le débat, je crois qu'il faut impérativement, dans ce pays, réintroduire la politique, c'est-à-dire, la décision politique et non pas laisser aux technocrates, aux fonctionnaires, le soin d'agir mais à partir du moment où on a débattu, bien débattu, il faut aussi décider.


Date : Lundi 9 juin 1997
Source : RTL

RTL : « En mon for intérieur », c'est le titre de votre livre publié chez J.-C. Lattès, vous y racontez votre expérience de ministre de l'intérieur. Vous avez retardé sa publication. Aujourd'hui, le RPR est en proie à des déchirements après la défaite. Quand avez-vous eu le sentiment que c'était perdu ?

J.-L. Debré : Dimanche soir. Une élection n'est jamais perdue ou gagnée avant que le dernier électeur ait mis son bulletin dans l'urne et que le dépouillement, ait eu lieu.

RTL : Même après le premier tour, vous n'avez pas dit : ça va être extrêmement difficile avec 31 % ?

J.-L. Debré : Il fallait se battre jusqu'au bout. Je crois qu'il y a des raisons à cet échec, et je souhaite pour ma part qu'on parle de l'avenir et qu'on ne se retourne pas indéfiniment sur le passé.

RTL : Justement, l'avenir, c'est celui du RPR. Vous en êtes toujours secrétaire général par intérim. On peut dire que P. Séguin a emporté l'adhésion de tous ?

J.-L. Debré : Ce n'est pas tout à fait comme ça que les choses se présentent. Je crois qu'il est important dans la vie politique française qu'il y ait une pérennité pour le courant gaulliste qui représente une certaine idée de la France, une certaine conception de l'Europe, une certaine conception de l'État et une certaine conception de la vie en société. Nous avons une place qui n'est ni à droite, ni à gauche, nous avons notre originalité. Il est important, pour l'équilibre de la société politique française qu'il y ait un mouvement gaulliste fort, sinon, je crains que certains de nos électeurs et de nos électrices aillent vers des extrémismes que je ne veux pas.

RTL : C'est une thèse que vous défendez dans votre livre ?

J.-L. Debré : Tout à fait. Et par conséquent, il nous importe, à la suite d'une défaite, de regarder l'avenir, de construire un mouvement qui porte ces idées et je crois que dans cette optique, il est nécessaire qu'il y ait des changements d'hommes. Les changements d'hommes ne veulent pas dire que l'on condamne ceux qui étaient là auparavant. Ils ont fait leur travail, et je crois que l'histoire leur rendra hommage, notamment à l'égard d'A. Juppé. Il est arrivé dans une situation difficile. Un pays comme la France ne peut pas être un pays indépendant fort et respecté si le deuxième budget de la nation c'est le remboursement des dettes. Qu'est-ce qu'a fait A. Juppé ? Il a essayé de reconstruire l'indépendance et la force de la nation sur le remboursement de nos dettes, sur un retour à l'équilibre. Mais, peu importe, nous avons été battus. Et je crois qu'il faut regarder les raisons de la défaite, et il faut se fortifier grâce à cette défaite. Car il faut – ainsi que le rocher de Sisyphe – toujours reconstruire, reconstruire.

RTL : La semaine dernière c'était plutôt se déchirer que se fortifier ?

J.-L. Debré : Naturellement, il y a toujours des moments difficiles. Souvenez-vous du congrès de Rennes avec les socialistes. Mais je crois que chacun...

RTL : Il y a des courants maintenant au RPR ?

J.-L. Debré : Mais non, il n'y a pas de courants. Il y a un courant gaulliste. Et il y a des hommes et des femmes qui sont conscients de leurs responsabilités, conscients de la nécessité – parce qu'ils incarnent un certain nombre d'idées fortes – de retrouver leur unité dans le compagnonnage.

RTL : Donc c'est P. Séguin ?

J.-L. Debré : Ce sont les militants qui le diront parce que c'est ça un mouvement démocratique. Je crois qu'il est le seul candidat, et par conséquent, ce sera autour de lui que se reconstruira le mouvement gaulliste, en harmonie avec nos idées, nos engagements pour une France moderne.

RTL : 1997 n'efface pas 1995, a déclaré P. Séguin.

J.-L. Debré : Tout à fait parce que 1995, J. Chirac a été élu sur un grand espoir de réduction de la fracture sociale, du pacte républicain. Peut-être que nous n'avons pas, pendant deux ans, montré avec assez clarté que nous avions pris ce chemin de la réforme et de l'élaboration du pacte républicain. À nous de montrer que l'espoir qui était celui des Français en 1995, s'incarne aujourd'hui encore dans le mouvement gaulliste. Et je vais y contribuer.

RTL : Mais c'est un homme affaibli avec un RPR affaibli et divisé.

J.-L. Debré : Le Président de la République n'est pas l'homme du RPR. C'est le président de tous les Français. On n'est pas affaibli lorsqu'on fait fonctionner les institutions de la Ve République normalement. On n'est pas affaibli lorsqu'on consulte le peuple. La légitimité en démocratie, ce n'est pas une légitimité donnée par un parti, la légitimité vient du peuple. Or, le Président de la République, J. Chirac, a fait comme le général de Gaulle, il a voulu consulter le peuple. Et c'est au peuple de dire ce qu'il veut. Eh bien, le peuple a tranché. Eh bien nous continuerons dans cette voie de la rénovation.

RTL : Une cohabitation moins tendue qu'en 1986 ?

J.-L. Debré : Une cohabitation, conformément aux institutions de la Ve République, c’est-à-dire où chacun a son rôle et où chacun exprime une volonté de construire une France moderne.

RTL : C. Trautmann évoquait hier les lois Pasqua-Debré qui ont créé une précarisation et un arbitraire.

J.-L. Debré : D'abord, il ne faut pas dire n'importe quoi, parce que les lois que j'ai fait voter ne sont pas encore rentrées en application. Donc on ne peut pas dire que ça a entrainé une précarisation. Deuxièmement, et le problème est là, est-ce que nous sommes oui ou non des républicains ? Or, qu'est-ce que la République ? Je le dis dans mon livre. C’est l'application de la loi pour tous, quelle que soit sa couleur de peau, quelle que soit son origine, quelle que soit sa religion. Or, quand vous avez des hommes et des femmes qui disent : nous sommes en situation illégale et nous voulons être régularisés, c'est un encouragement à l'amenuisement de la République. La France est une terre d'accueil. La France a une tradition d'hospitalité à l'égard des étrangers, mais à une condition : qu’ils respectent les lois de la République. Et si nous voulons intégrer à la communauté nationale les étrangers, comme ça a été le cas dans l'histoire de France, il faut être extrêmement fermes à l'égard de celles et ceux qui violent les lois de la République. C'est ça la République.

RTL : Dans votre livre, vous avez écrit : les socialistes parviennent peut-être à s'opposer, mais ils ne parviennent pas à convaincre. Vous réécririez aujourd'hui la même chose ?

J.-L. Debré : Tout à fait. Je crois que les socialistes ont été élus – encore faudrait-il bien regarder la carte électorale puisque dans certaines circonscriptions, ils ont été élus à 50 voix et dans d'autres grâce au FN – mais aujourd'hui, ils ont été élus surtout parce que nous n'avons pas assez clairement montré quelle était la politique du gouvernement, et cette politique n'était pas assez lisible. Peut-être que, dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre l'immigration, elle était lisible, on pouvait être pour ou contre. Mais dans le domaine économique et social, nous n'avons pas montré assez clairement que cette politique était la condition indispensable à la restauration de l'unité nationale et au retour du pacte républicain.