Texte intégral
Entretien avec France 2 – Extraits – (Paris, 18 mai 1997)
France 2 : Est-ce que l'euro est bon pour la France ?
Hervé de Charette : Premièrement, l'euro est essentiel pour le succès de la France. Les agriculteurs le savent bien depuis l'origine. Les PME savent que maintenant le marché c'est le marché unique européen. Les grandes entreprises françaises savent que désormais pour gagner il faut être présent dans le monde entier. Donc, nous pensons, en effet, que la monnaie unique c'est tout à fait important précisément pour éviter les crises du type de celle de la fin 1992 que nous avons connues lorsque sur ce marché unique on a vu la lire s'effondrer, la peseta s'effondrer, la livre s'effondrer, provoquant de grands dégâts dans nos entreprises et donc pour nos emplois et nos salariés. Ainsi nous avons besoin de la monnaie unique.
Cette monnaie unique, il faut la faire dans des conditions qui soient conformes à l'intérêt de la France. Vous ne pouvez pas refaire le débat de Maastricht tous les matins. Il a été fait. Il n'empêche que ce débat s'est terminé en 1992 et que l'on ne peut pas le remettre sur la table tout le temps. Toutefois, il faut mettre sur la table ce qui a été négligé. Je reconnais que tout n'est pas parfait. Il faut qu'en face de la Banque centrale de la monnaie unique, les politiques économiques et budgétaires soient concertées. Et il faut – c'est notre intérêt – que le maximum de pays entre dans l'euro, selon l'application du traité tel que c'est prévu. Et je peux vous annoncer à cet égard le calendrier : au printemps prochain, les quinze chefs d’État et de gouvernement se réuniront et la position de la France sera de soutenir l’entrée du maximum de pays dans l’euro.
France 2 : Monsieur le ministre, l'ambassade de France au Zaïre – maintenant Congo –, avait donné pour conseil aux industriels de revenir à Kinshasa. Après l'assassinat des deux ressortissants, des deux industriels, pensez-vous que ce conseil soit toujours d'actualité ?
Hervé de Charette : Il ne faut pas présenter les choses comme cela, que je juge, si vous me le permettez, un peu tendancieuses.
Nous avons, au contraire, il y a de nombreuses semaines, demandé à nos ressortissants de quitter Kinshasa, comme d'ailleurs de quitter l'ensemble du territoire du pays. La plupart, il est vrai ont décidé de rester ; ce qui est vrai pour les Français est vrai pour les autres communautés étrangères présentes au Zaïre et je vous rappelle que la France n'est pas la première communauté présente au Zaïre de loin d'ailleurs. Ce sont les Belges. Il y a aussi beaucoup d'Italiens, pas mal d'Américains, etc. Ceci étant, dans les derniers moments, c'est-à-dire il y a 24 heures, nous avons fait savoir ce que les nouvelles autorités zaïroises avaient dit, qu'elles souhaitaient le retour. Quoi qu'il en soit, nous avons eu à déplorer deux victimes et nous tenons en effet, les nouvelles autorités de Kinshasa pour responsables de la sécurité en ville, et notamment responsables de la sécurité des ressortissants français.
France 2 : Plus généralement, on parle beaucoup de sentiments anti-français là-bas. Sur l'antenne d'Europe 1, un des ressortissants qui vient d'être assassiné avait émis justement quelques craintes que ces sentiments anti-français prennent de plus en plus d'ampleur.
Hervé de Charette : Je crois qu'il ne faut pas que vous traitiez les questions du Zaïre comme cela, c'est-à-dire vu de Paris et sans en connaître l'ensemble des éléments.
Depuis maintenant plusieurs mois, il y a eu une guerre civile au Zaïre. Elle a été, il est vrai, soutenu par un certain nombre de ses voisins de diverses façons. Nous avons depuis le début soutenu le plan de retour à la sérénité qui a été voté par le Conseil de sécurité ; ce plan prévoyait quatre points ; mais tout cela ne s'est pas réalisé. La guerre civile s'est poursuivie et M. Kabila et ses troupes sont arrivés désormais à Kinshasa et contrôlent, sinon la totalité du territoire, du moins, la grande majorité de celui-ci.
La France reconnaît les États, elle ne reconnaît pas les gouvernements. Par conséquent, la France constate qu'il y a désormais de nouvelles autorités au Zaïre. Elle prend acte de cette situation. À partir de là, nous faisons valoir à l'égard de ces nouvelles autorités les quatre préoccupations qui sont les nôtres. La première, évidemment est la sécurité de nos concitoyens, je viens d'en parler. Nous serons très insistants sur ce point, comme cela est normal à l'égard de toute autorité nationale qui a le devoir d'assurer la sécurité des ressortissants étrangers présents chez eux.
Deuxièmement, nous rappelons notre attachement à l'intégrité territoriale du Zaïre, du Congo. Intégrité territoriale qui est l'une des bases de la stabilité en Afrique de manière générale, dans la région en particulier.
En troisième lieu, il nous paraît qu'il n'y a pas de sortie durable de la crise que ce pays a connue sans la mise en œuvre d'un processus démocratique. Il faut donc que dans les délais les meilleurs, ce processus démocratique puisse avoir lieu, c'est-à-dire des élections, contrôlées avec l'aide des organisations internationales. Enfin, la France rappelle la préoccupation que j'ai exprimée de façon forte à plusieurs reprises concernant la situation dramatique des réfugiés dans le centre et dans l'est du Zaïre, réfugiés qui sont pour l'essentiel des populations du Rwanda mais aussi du Burundi, sans compter des villageois zaïrois qui ont été chassés de leur village. Venir au secours de ces personnes devient maintenant une lourde responsabilité et s'il y a quelque chose qui m'a laissé profondément troublé au cours de ces derniers mois, c'est l'indifférence générale, l'indifférence mondiale à l'égard de ce drame qui a fait, certainement, des dizaines de milliers de morts, peut-être plus, peut-être beaucoup plus, nous n'en savons rien. Il faut que non seulement on y voit clair, mais que les organisations internationales, sous l'égide de l'ONU, puissent venir enfin, sans réserve, largement et humainement au secours de celles et ceux qui s'y trouvent encore.
France 2 : Toujours sur le Congo, est-ce que les Français n'en sont pas réduits désormais à tenter de faire de l'humanitaire pendant que les Américains font de la politique et prennent un par un les espaces qui étaient autrefois tenus par les Français. C'est du moins, ce qui se dit, ce qui s'écrit, c'est ce qui apparaît dans les faits puisqu'il semble bien que ce soient les Américains qui aient favorisé l'arrivée au pouvoir des nouvelles autorités pendant que les Français défendaient celles qui étaient mises dehors.
Pour compléter cette question, acceptez-vous cette critique qui revient d'un journal à l'autre en France sur le désastre de la politique africaine de la France ?
Hervé de Charette : J'accepte toutes les critiques mais je me réserve d'y répondre. Je crois que, très franchement, dans tout ce que vous venez d'exprimer l'un et l'autre, ce que vous dites, je le lis dans de nombreux journaux, c'est une analyse assez sommaire de la réalité des choses. Il est vrai que les Américains sont au fond et par tradition davantage liés dans cette partie de l'Afrique aux pays de l'Est de cette Afrique centrale, des pays plutôt anglophones. Nous-mêmes, au Zaïre, nous sommes présents mais je rappelle que ce n'était pas une colonie française, mais belge. Nous n'avons pas d'intérêts économiques considérables. Les intérêts étrangers qui sont présents dans ce pays depuis toujours sont des intérêts belges et américains. Nous avions une influence politique depuis une vingtaine d'années.
Au début, je conviens avec vous qu'il y avait une différence d'analyses entre les États-Unis et la France sur les moyens de résoudre cette crise. Progressivement, les choses ont beaucoup évolué et au cours des derniers mois, avec le gouvernement américain, nous avons engagé une coopération assez étroite et dont, personnellement, je suis satisfait.
Vous avez mis Mobutu du côté du gouvernement français, Kabila du côté du gouvernement américain. Franchement, c'est une vue tout à fait excessive des choses et éloignée de la réalité. Si vous aviez, non pas moi mais Mme Albright, sans doute vous dirait-elle la déception qui a été la sienne depuis un certain temps de voir comment les choses évoluaient dans ce pays. Nous avons essayé, les uns et les autres, en liaison en particulier avec l'Afrique du Sud, qui a joué un grand rôle et qui a montré à cette occasion qu'elle était une puissance appelée à avoir beaucoup d'influence en Afrique, et notamment dans la partie sud du continent africain, nous avons essayé, je dirais, de trouver une solution conforme à la résolution du Conseil de sécurité, c'est-à-dire, une solution d'arrangement et de conciliation. Nous continuerons à travailler avec les Américains et essayons de faire progresser les choses.
France 2 : Prenons les choses à l'inverse, est-ce que cela signifie alors que, contrairement à ce que l'on avait pu croire ou laisser croire, à ce que vous-même aviez laissé penser à d'autres périodes, il n’y aurait plus d'hégémonisme américain dont on pourrait voir quelques traces ?
Hervé de Charette : Je vous arrête à l'instant, je n'ai jamais parlé d'hégémonisme américain en Afrique.
France 2 : Vous l'avez laissé entendre. J'ai cru entendre dire qu'il y avait une puissance américaine qui vous semblait avoir tendance à s'arroger tous les droits.
Hervé de Charette : Ne me prêtez pas des propos que je n'ai pas tenus sauf à me donner les propos exacts que je tiens. Si vous voulez que nous parlions des relations franco-américaines, je peux y consacrer la suite de l'émission, vous verrez que c'est infiniment plus nuancé que la façon abrupte que vous exprimez.
France 2 : Pour répondre à ma question, y a-t-il ou pas hégémonisme américain ?
Hervé de Charette : Puisque nous parlons de l'Afrique, je ne crois pas qu'il y ait une tentation hégémonique américaine en Afrique. La réalité est plutôt différente. Pendant très longtemps, les États-Unis portaient peu d'intérêts à l'Afrique. Nous-mêmes, nous avons sollicité les Américains pour s'y intéresser davantage et en particulier de maintenir, voire de développer une aide importante aux pays pauvres, notamment aux pays africains. Au G7 de Lyon, il y a un an, nous avons concentré une partie de nos efforts, avec succès, pour que les grands pays du monde, y compris naturellement en tête les États-Unis, première puissance mondiale, maintienne et développe l'aide au développement dont les pays les plus pauvres – beaucoup sont en Afrique – ont besoin. Voilà la ligne française et il n'y a pas, sur des sujets comme celui-là, une confrontation franco-américaine ; il y a au contraire, je crois, même avec des différences d'appréciation, d'analyses, mais grosso modo, une ligne franco-américaine commune.
France 2 : Juste un petit élément quand même, la présence de la France en Afrique, vous me couperez si je dis des bêtises, mais elle est liée à la francophonie ; or, la francophonie, dans ces pays-là, recule. Il est intéressant de voir que l'une des premières initiatives des nouveaux « patrons » si j'ose dire de la République démocratique du Congo a été de débaptiser les rues qui étaient en français pour les mettre en anglais ; ce sont quand même des signes.
Hervé de Charette : D'abord, les relations françaises avec l'Afrique intéressent un certain nombre de pays avec lesquels nous avons des liens privilégiés. Mais c'est une politique qui concerne l'ensemble du continent africain. Il y a, tous les deux ans, un sommet franco-africain. Le dernier s'est tenu en décembre 1996 à Ouagadougou. Tous les pays d'Afrique, tous, sauf un ou deux avec lesquels le monde a des relations délicates, étaient là sans exception. Ce fut très impressionnant de voir rassemblés autour du président Chirac, l'ensemble de ces chefs d'État et de gouvernement dans un dialogue exceptionnel et qui n'a pas d'équivalent au monde. Donc, il faut bien que vous considériez que la politique française en effet a des liens privilégiés avec certains pays africains mais qu'elle a pour objectif d'entretenir avec l'ensemble du continent africain des relations étroites et chaleureuses. Vous me parlez de ce recul de la langue française. Encore, les incidents que vous m'indiquez, je ne vais pas les nier, simplement j'évite, je crois avec une certaine sagesse, de considérer, d'entrer de jeu que c'est un drame qui se traduit par un recul profond. Le Zaïre est aujourd'hui dans une situation de crise dont il est en train de sortir. Prenons notre temps pour juger.
France 2 : (Sur les échéances européennes)
Hervé de Charette : Si l'affaire européenne est importante, c'est que nous avons devant nous, en effet, trois échéances importantes, d'inégale importance, mais qui le sont toutes à certains égards.
D'abord, il y a dans l'ordre du calendrier, cette fameuse Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire en fait, la réforme des institutions de l'Union des institutions de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale. Deuxièmement, il y a tout ce qui concerne la sécurité en Europe, c'est-à-dire la rénovation de l'Alliance atlantique, son élargissement et ses relations avec la Russie. Vous savez que la semaine prochaine, nous allons signer, à Paris, un accord historique entre l'OTAN et la Russie. Il y a dix ans, pareille perspective aurait paru fantasmagorique.
Enfin, il y a la troisième phase de l'Union économique et monétaire, c'est-à-dire la création de la monnaie unique. Voilà les trois grandes échéances.
France 2 : La position de l'Allemagne dans la perspective de la Conférence intergouvernementale d'Amsterdam serait la défense d'un noyau stable. D'autre part, il y a les partisans d'une Europe flexible. Quelle est la position française par rapport à ce débat ?
Hervé de Charette : Ce sont des réflexions intéressantes et importantes parce que nous sommes à un moment où il faut essayer d'avoir une vision sur l'avenir de l'Europe et la vision d'hier n'est pas bien adaptée en effet à l'évolution des choses. Il y a devant nous une Europe qui comprend aujourd'hui 15 pays et qui, dans les dix ans, va s'élargir progressivement, par étape, aux pays d'Europe centrale et orientale. Cela pose quelques problèmes techniques importants, notamment si ces pays sont prêts, sur le plan politique, économique, sur le plan du droit, etc. Et nous-mêmes, sommes-nous prêts à les accepter sans que cela provoque chez nous les conséquences négatives ? Nous examinerons tout cela à la loupe et à la lumière des intérêts de la France. Mais, ceci étant, c'est le sens de l'Histoire qui est devant nous. Dans cette Europe élargie, le concept fédéral n'a pas de place. C'est forcément une Europe dans laquelle le rôle des nations est fort et c'est pourquoi la construction européenne aujourd'hui connaît une inflexion et une évolution significative à laquelle je constate d'ailleurs que ceux qui sont européens, comme je le suis, consacrent peu de réflexions, et le mérite de M. Schaüble c'est d'y réfléchir. Les propos qu'il tient sont des propos anticipateurs. Pour l'instant, nous avons ces échéances dont je viens de parler, il faut les accomplir. En particulier, pour la monnaie, notre objectif n'est pas qu'il y ait un petit nombre de pays qui soient dans la monnaie unique. Au contraire, notre objectif est qu'il y en ait le plus possible et s'il pouvait y en avoir quinze, ce serait très bien. Je suis prêt à parler plus en détail de la monnaie qui pose toute une série de problèmes que, je le dis au passage, les négociateurs du traité de Maastricht n'ont pas traité. Notre idée n'est pas de réduire le nombre des participants, c'est au contraire de faire en sorte que le plus grand nombre des membres de l'Union européenne participent à la monnaie, comme d'ailleurs c'est l'objectif même du traité de l'Union économique et monétaire.
Quand tout cela sera fait, il est vrai que nous pensons qu'un certain nombre de pays européens pourraient avoir l'idée d'aller plus vite et plus loin. C'est ce que nous avons appelé, dans la négociation institutionnelle de la Conférence intergouvernementale, les coopérations renforcées.
Nous voulons que cette Europe s'élargisse, mais nous voulons aussi que ceux qui veulent aller plus vite et plus loin puissent le faire ensemble. Deux solutions : on le fait en dehors des traités, c'est possible, ou on le fait à l'intérieur avec une sorte de contribution des institutions européennes et avec quelques règles que l'on se fixe ensemble, à quinze, même si quelques-uns iraient plus vite et plus loin. C'est un débat technique mais aussi un débat politique. Veut-on agir en restant dans le système général de l'Union européenne, ou peut-on s'autoriser à le faire en dehors ? Quoi qu'il en soit, l'idée qu'un groupe de pays conduirait ainsi une dynamique plus vive, qui est une idée que développe M. Schaüble, est une idée à laquelle je souscris.
France 2 : Sur la monnaie, vous vous êtes exprimé sur la participation ou non de l'Italie. Est-ce une raison, une conditionnalité forte de la France ?
Hervé de Charette : Vous en parlez car les socialistes ont dit, nous mettons quatre conditions à l’entrée de la France dans la monnaie unique. Voilà des gens qui ont négocié le traité de Maastricht, qui nous l'ont proposé au référendum en 1991 et qui se réveillent en 1997 quinze jours avant une élection et visiblement pour des raisons électorales, en disant la monnaie d'accord mais à quatre conditions sine qua non. Il fallait y penser en temps utile.
Aujourd'hui, nous avons un traité ratifié par la France. La France est un pays qui respecte sa signature et ses engagements. Dans le cadre de ses engagements, comment les choses vont-elles se passer : nous aurons, au début de l'année 1998, des propositions de la Commission qui a reçu la charge, par le traité de dire quels sont à son avis, les pays qui sont prêts, qui le seront dans le cadre des critères du traité de Maastricht. Ensuite, les chefs d'État et de gouvernement, avant le 1er juillet 1998, devront se réunir et décider quel pays entre dans la monnaie. Je peux vous dire que la position française sera évidemment de pousser à ce que le plus grand nombre de pays puissent entrer dans la monnaie unique. Nous sommes attentifs à la présence de l'Espagne et de l'Italie ; ce que je vous dis sont des propos sages, dans la ligne des traités que nous avons signés.
ENTRETIEN AVEC "RADIO SHALOM" - EXTRAITS - (Paris, 21 mai 1997)
Afrique - Congo - Situation humanitaire – Etats-Unis
Q - Monsieur le Ministre, l'ambassade de France au Zaïre - maintenant Congo -, avait donné pour conseil aux industriels de revenir à Kinshasa. Après l'assassinat des deux ressortissants, des deux industriels, pensez-vous que ce conseil soit toujours d'actualité ?
R - Il ne faut pas présenter les choses comme cela, que je juge, si vous me le permettez, un peu tendancieuses.
Nous avons, au contraire, il y a de nombreuses semaines, demandé à nos ressortissants de quitter Kinshasa, comme d'ailleurs de quitter l'ensemble du territoire du pays. La plupart, il est vrai ont décidé de rester ; ce qui est vrai pour les Français est vrai pour les autres communautés étrangères présentes au Zaïre et je vous rappelle que la France n'est pas la première communauté présente au Zaïre de loin d'ailleurs. Ce sont les Belges. Il y a aussi beaucoup d'Italiens, pas mal d'Américains, etc... Ceci étant, dans les derniers moments, c'est-à-dire il y a 24 heures, nous avons fait savoir ce que les nouvelles autorités zaïroises avaient dit, qu'elles souhaitaient le retour. Quoiqu'il en soit, nous avons eu à déplorer 2 victimes et nous tenons en effet, les nouvelles autorités de Kinshasa pour responsables de la sécurité en ville et notamment responsables de la sécurité des ressortissants français.
Q - Plus généralement, on parle beaucoup de sentiments anti-français là-bas. Sur l'antenne d'Europe 1, un des ressortissants qui vient d'être assassiné avait émis justement quelques craintes que ces sentiments anti-français prennent de plus en plus d'ampleur.
R - Je crois qu'il ne faut pas que vous traitiez les questions du Zaïre comme cela, c'est-à-dire vu de Paris et sans en connaître l'ensemble des éléments.
Depuis maintenant plusieurs mois, il y a eu une guerre civile au Zaïre. Elle a été, il est vrai, soutenu par un certain nombre de ses voisins de diverses façons. Nous avons depuis le début soutenu le plan de retour à la sérénité qui a été voté par le Conseil de sécurité ; ce plan prévoyait quatre points ; mais tout cela ne s'est pas réalisé. La guerre civile s'est poursuivie et M. Kabila et ses troupes sont arrivés désormais à Kinshasa et contrôlent, sinon la totalité du territoire, du moins, la grande majorité de celui-ci.
La France reconnaît les Etats, elle ne reconnaît pas les gouvernements. Par conséquent, la France constate qu'il y a désormais de nouvelles autorités au Zaïre. Elle prend acte de cette situation. A partir de là, nous faisons valoir à l'égard de ces nouvelles autorités les quatre préoccupations qui sont les nôtres. La première, évidemment est la sécurité de nos concitoyens, je viens d'en parler. Nous serons très insistants sur ce point, comme cela est normal à l'égard de toute autorité nationale qui a le devoir d'assurer la sécurité des ressortissants étrangers présents chez eux.
Deuxièmement, nous rappelons notre attachement à l'intégrité territoriale du Zaïre, du Congo. Intégrité territoriale qui est l'une des bases de la stabilité en Afrique de manière générale, dans la région en particulier.
En troisième lieu, il nous paraît qu'il n'y a pas de sortie durable de la crise que ce pays a connue sans la mise en oeuvre d'un processus démocratique. Il faut donc que dans les délais les meilleurs, ce processus démocratique puisse avoir lieu, c'est-à-dire des élections, contrôlées avec l'aide des organisations internationales. Enfin, la France rappelle la préoccupation que j'ai exprimée de façon forte à plusieurs reprises concernant la situation dramatique des réfugiés dans le centre et dans l'est du Zaïre, réfugiés qui sont pour l'essentiel des populations du Rwanda mais aussi du Burundi, sans compter des villageois zaïrois qui ont été chassés de leur village. Venir au secours de ces personnes devient maintenant une lourde responsabilité et s'il y a quelque chose qui m'a laissé profondément troublé au cours de ces derniers mois, c'est l'indifférence générale, l'indifférence mondiale à l'égard de ce drame qui a fait, certainement, des dizaines de milliers de morts, peut-être plus, peut-être beaucoup plus, nous n'en savons rien. Il faut que non seulement on y voit clair, mais que les organisations internationales, sous l'égide de l'ONU, puissent venir enfin, sans réserve, largement et humainement au secours de celles et ceux qui s'y trouvent encore.
Q - Toujours sur le Congo, est-ce que les Français n'en sont pas réduits désormais à tenter de faire de l'humanitaire pendant que les Américains font de la politique et prennent un par un les espaces qui étaient autrefois tenus par les Français. C'est du moins, ce qui se dit, ce qui s'écrit, c'est ce qui apparaît dans les faits puisqu'il semble bien que ce soient les Américains qui aient favorisé l'arrivée au pouvoir des nouvelles autorités pendant que les Français défendaient celles qui étaient mises dehors. Pour compléter cette question, acceptez-vous cette critique qui revient d'un journal à l'autre en France sur le désastre de la politique africaine de la France ?
R - J'accepte toutes les critiques mais je me réserve d'y répondre. Je crois que, très franchement, dans tout ce que vous venez d'exprimer l'un et l'autre, ce que vous dites, je le lis dans de nombreux journaux, c'est une analyse assez sommaire de la réalité des choses. Il est vrai que les Américains sont au fond et par tradition davantage liés dans cette partie de l'Afrique aux pays de l'Est de cette Afrique centrale, des pays plutôt anglophones. Nous-mêmes, au Zaïre, nous sommes présents mais je rappelle que ce n'était pas une colonie française, mais belge. Nous n'avons pas d'intérêts économiques considérables. Les intérêts étrangers qui sont présents dans ce pays depuis toujours sont des intérêts belges et américains. Nous avions une influence politique depuis une vingtaine d'années.
Au début, je conviens avec vous qu'il y avait une différence d'analyses entre les Etats-Unis et la France sur les moyens de résoudre cette crise. Progressivement, les choses ont beaucoup évolué et au cours des derniers mois, avec le gouvernement américain, nous avons engagé une coopération assez étroite et dont, personnellement, je suis satisfait.
Vous avez mis Mobutu du côté du gouvernement français, Kabila du côté du gouvernement américain. Franchement, c'est une vue tout à fait excessive des choses et éloignée de la réalité. Si vous aviez, non pas moi mais Mme Albright, sans doute vous dirait-elle la déception qui a été la sienne depuis un certain temps de voir comment les choses évoluaient dans ce pays.
Nous avons essayé, les uns et les autres, en liaison en particulier avec l'Afrique du Sud, qui a joué un grand rôle et qui a montré à cette occasion qu'elle était une puissance appelée à avoir beaucoup d'influence en Afrique, et notamment dans la partie sud du continent africain, nous avons essayé, je dirai, de trouver une solution conforme à la résolution du Conseil de sécurité, c'est-à-dire, une solution d'arrangement et de conciliation. Nous continuerons à travailler avec les Américains et essayons de faire progresser les choses.
Q - Prenons les choses à l'inverse, est-ce que cela signifie alors que, contrairement à ce que l'on avait pu croire ou laisser croire, à ce que vous-même aviez laissé penser à d'autres périodes, il n'y aurait plus d'hégémonisme américain dont on pourrait voir quelques traces ?
R - Je vous arrête à l'instant, je n'ai jamais parlé d'hégémonisme américain en Afrique.
Q - Vous l'avez laissé entendre. J'ai cru entendre dire qu'il y avait une puissance américaine qui vous semblait avoir tendance à s'arroger tous les droits.
R - Ne me prêtez pas des propos que je n'ai pas tenus sauf à me donner les propos exacts que je tiens. Si vous voulez que nous parlions des relations franco-américaines, je peux y consacrer la suite de l'émission, vous verrez que c'est infiniment plus nuancé que la façon abrupte que vous exprimez.
Q - Pour répondre à ma question, y-a-t-il ou pas hégémonisme américain ?
R - Puisque nous parlons de l'Afrique, je ne crois pas qu'il y ait une tentation hégémonique américaine en Afrique. La réalité est plutôt différente. Pendant très longtemps, les Etats-Unis portaient peu d'intérêts à l'Afrique. Nous-mêmes, nous avons sollicité les Américains pour s'y intéresser davantage et en particulier de maintenir, voire de développer une aide importante aux pays pauvres, notamment aux pays africains. Au G7 de Lyon, il y a un an, nous avons concentré une partie de nos efforts, avec succès, pour que les grands pays du monde, y compris naturellement en tête les Etats-Unis, première puissance mondiale, maintienne et développe l'aide au développement dont les pays les plus pauvres – beaucoup sont en Afrique - ont besoin. Voilà la ligne française et il n'y pas, sur des sujets comme celui-là, une confrontation franco-américaine ; il y a au contraire, je crois, même avec des différences d'appréciation, d'analyses, mais grosso modo, une ligne franco-américaine commune.
Q - Juste un petit élément quand même, la présence de la France en Afrique, vous me couperez si je dis des bêtises, mais elle est liée à la Francophonie ; or, la Francophonie, dans ces pays-là, recule. Il est intéressant de voir que l'une des premières initiatives des nouveaux "patrons" si j'ose dire de la République démocratique du Congo a été de débaptiser les rues qui étaient en français pour les mettre en anglais ; ce sont quand même des signes.
R - D'abord, les relations françaises avec l'Afrique intéressent un certain nombre de pays avec lesquels nous avons des liens privilégiés. Mais c'est une politique qui concerne l'ensemble du continent africain. Il y a, tous les deux ans, un sommet franco-africain. Le dernier s'est tenu en décembre 1996 à Ouagadougou. Tous les pays d'Afrique, tous, sauf un ou deux avec lesquels le monde a des relations délicates, étaient là sans exception. Ce fut très impressionnant de voir rassemblés autour du président Chirac, l'ensemble de ces chefs d’État et de gouvernement dans un dialogue exceptionnel et qui n'a pas d'équivalent au monde. Donc, il faut bien que vous considériez que la politique française en effet a des liens privilégiés avec certains pays africains mais qu'elle a pour objectif d'entretenir avec l'ensemble du continent africain des relations étroites et chaleureuses. Vous me parlez de ce recul de la langue française. Encore, les incidents que vous m'indiquez, je ne vais pas les nier, simplement j'évite, je crois avec une certaine sagesse, de considérer, d'entrer de jeu que c'est un drame qui se traduit par un recul profond. Le Zaïre est aujourd'hui dans une situation de crise dont il est en train de sortir. Prenons notre temps pour juger.
Union européenne - CIG - OTAN-Russie - Allemagne - Monnaie unique
Q - (sur les échéances européennes)
R - Si l'affaire européenne est importante, c'est que nous avons devant nous, en effet, trois échéances importantes, d'inégale importance, mais qui le sont toutes à certains égards. D'abord, il y a dans l'ordre du calendrier, cette fameuse Conférence intergouvernementale, c'est-à-dire en fait, la réforme des institutions de l'Union dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale. Deuxièmement, il y a tout ce qui concerne la sécurité en Europe, c'est-à-dire la rénovation de l'Alliance atlantique, son élargissement et ses relations avec la Russie. Vous savez que la semaine prochaine, nous allons signé à Paris, un accord historique, entre l'OTAN et la Russie. Il y a dix ans, pareille perspective aurait paru fantasmagorique. Enfin, il y a la troisième phase de l'Union économique et monétaire, c'est-à-dire, la création de la monnaie unique. Voilà les trois grandes échéances.
Q - La position de l'Allemagne dans la perspective de la Conférence intergouvernementale d'Amsterdam serait la défense d'un noyau stable. D'autre part, il y a les partisans d'une Europe flexible. Quelle est la position française par rapport à ce débat ?
R - Ce sont des réflexions intéressantes et importantes parce que nous sommes à un moment où il faut essayer d'avoir une vision sur l'avenir de l'Europe et la vision d'hier n'est pas bien adaptée en effet à l'évolution des choses. Il y a devant nous une Europe qui comprend aujourd'hui 15 pays et qui, dans les dix ans, va s'élargir progressivement, par étape, aux pays d'Europe centrale et orientale. Cela pose quelques problèmes techniques importants, notamment si ces pays sont prêts, sur le plan politique, économique, sur le plan du droit, etc. Et nous-mêmes, sommes-nous prêts à les accepter sans que cela provoque chez nous les conséquences négatives ? Nous examinerons tout cela à la loupe et à la lumière des intérêts de la France. Mais, ceci étant, c'est le sens de l'Histoire qui est devant nous. Dans cette Europe élargie, le concept fédéral n'a pas de place. C'est forcément une Europe dans laquelle le rôle des nations est fort et c'est pourquoi la construction européenne aujourd'hui connaît une inflexion et une évolution significative à laquelle je constate d'ailleurs que ceux qui sont européens, comme je le suis, consacrent peu de réflexions et le mérite de M. Schaüble c'est d'y réfléchir. Les propos qu'il tient sont des propos anticipateurs. Pour l'instant nous avons ces échéances dont je viens de parler, il faut les accomplir. En particulier, pour la monnaie, notre objectif n'est pas qu'il y ait un petit nombre de pays qui soient dans la monnaie unique. Au contraire, notre objectif est qu'il y en ait le plus possible et s'il pouvait y en avoir quinze, ce serait très bien. Je suis prêt à parler plus en détail de la monnaie qui pose toute une série de problèmes que, je le dis au passage, les négociateurs du Traité de Maastricht n'ont pas traité. Notre idée n'est pas de réduire le nombre des participants, c'est au contraire de faire en sorte que le plus grand nombre des membres de l'Union européenne participent à la monnaie, comme d'ailleurs c'est l'objectif même du Traité de l'Union économique et monétaire.
Quand tout cela sera fait, il est vrai que nous pensons qu'un certain nombre de pays européens pourraient avoir l'idée d'aller plus vite et plus loin. C'est ce que nous avons appelé, dans la négociation institutionnelle de la Conférence intergouvernementale, les coopérations renforcées. Nous voulons que cette Europe s'élargisse, mais nous voulons aussi que ceux qui veulent aller plus vite et plus loin puissent le faire ensemble. Deux solutions : on le fait en dehors des traités, c'est possible, ou on le fait à l'intérieur avec une sorte de contribution des institutions européennes et avec quelques règles que l'on se fixe ensemble, à quinze, même si quelques uns iraient plus vite et plus loin.
C'est un débat technique mais aussi un débat politique. Veut-on agir en restant dans le système général de l'Union européenne, ou peut-on s'autoriser à le faire en dehors ? Quoiqu'il en soit, l'idée qu'un groupe de pays conduirait ainsi une dynamique plus vive, qui est une idée que développe M. Schaüble est une idée à laquelle je souscris.
Q - Sur la monnaie, vous vous êtes exprimé sur la participation ou non de l'Italie. Est-ce une raison, une conditionnalité forte de la France ?
R - Vous en parlez car les socialistes ont dit, nous mettons 4 conditions à l'entrée de la France dans la monnaie unique. Voilà des gens qui ont négociés le traité de Maastricht, qui nous l'ont proposé au référendum en 1991 et qui se réveillent en 1997 quinze jours avant une élection et visiblement pour des raisons électorales, en disant la monnaie d'accord mais à quatre conditions sine qua non. Il fallait y penser en temps utile.
Aujourd'hui, nous avons un traité ratifié par la France. La France est un pays qui respecte sa signature et ses engagements. Dans le cadre de ses engagements, comment les choses vont-elles se passer : nous aurons au début de l'année 1998, des propositions de la Commission qui a reçu la charge, par le Traité de dire quels sont à son avis, les pays qui sont prêts, qui le seront dans le cadre des critères du Traité de Maastricht. Ensuite, les chefs d’État et de gouvernement, avant le 1er juillet 1998, devront se réunir et décider quel pays entre dans la monnaie. Je peux vous dire que la position française sera évidemment de pousser à ce que le plus grand nombre de pays puissent entrer dans la monnaie unique. Nous sommes attentifs à la présence de l'Espagne et de l'Italie ; ce que je vous dis sont des propos sages, dans la ligne des traités que nous avons signés.