Texte intégral
Réponse du secrétaire d'État à l'action humanitaire à une question orale de M. François Rochebloine, député de la Loire.
Mines antipersonnel
Q. : Cent dix millions de mines, principalement des mines antipersonnel, sont aujourd'hui dispersées sur le territoire de soixante-quatre États parmi les plus pauvres de la planète qui parviennent difficilement à sortir de guerres souvent civiles. La mine antipersonnel, qui doit mutiler ou tuer l'homme, la femme ou l'enfant qui a le malheur de la toucher ou de la heurter, est en effet une arme du pauvre, puisque son prix oscille entre 2 et 10 dollars, ce qui permet d'en disperser des quantités énormes sur le terrain des opérations militaires pour ralentir les troupes adverses et limiter leur approvisionnement.
C'est aussi une arme de la haine et de la terreur qui, éparpillée par hélicoptère vise à atteindre les populations civiles. Certains modèles, dits « papillons » utilisés en Afghanistan, avaient l'aspect de jouets pour mieux attirer les enfants...
C'est enfin une arme qui ignore les processus de paix, demeure active aussi longtemps qu'elle n'a pas rempli son office de mort ou qu'elle n'a pas été désamorcée. Ces 110 millions de mines gênent les communications, au point d'augmenter le coût des secours aux populations civiles, interdisent l'exploitation des champs et des rivières, déciment les troupeaux et, surtout, tuent de 10 000 à 20 000 personnes par an et en mutilent peut-être le double. L'Angola et le Cambodge détiennent le triste record d'un amputé respectivement pour 470 habitants et pour 236 habitants. Or, être mutilé, dans les campagnes du tiers monde, c'est bien souvent devenir une charge pour ses proches.
Les ONG telles que la Croix-Rouge ou Handicap international apportent leur aide aux victimes, notamment en développant des techniques d'appareillage compatibles avec les moyens locaux.
Restent enfin toutes les actions de cartographie des zones minées et de déminage. Malheureusement, les opérations de déminage coûtent très cher – environ 1 000 dollars pour neutraliser une mine – et, si 100 000 engins sont détruits chaque année, 2 à 5 millions de nouvelles mines sont posées pendant le même temps.
Dans ces conditions, que faire ? Pour qu'à l'avenir il n'y ait plus de dispersion de ces engins de mort, il faudrait interdire la production, le stockage, la commercialisation et l'utilisation des mines antipersonnel, y compris celles qui sont dites intelligentes, c'est-à-dire qui seraient, si elles fonctionnaient correctement, capables de s'autodétruire au bout d'un certain délai, lequel n'a bien entendu aucune raison de coïncider avec le terme du conflit.
Pour sa part, la France est certainement l'un des pays qui s'est le plus investi dans la lutte contre ce type d'arme, en intervenant régulièrement dans le cadre des négociations internationales sur la révision de la convention de 1980 sur les armes classiques. Malgré ses efforts elle n'a pu que constater l'échec des travaux de la conférence de Vienne, en octobre 1995, quatre pays s'étant alors opposés à une interdiction totale des mines antipersonnel.
La France a également été le premier grand pays industrialisé à prôner leur bannissement total en décidant pour ce qui la concerne un moratoire, et en lançant un programme de destruction de ses stocks. D'autres pays ont adopté des positions analogues, notamment les États-Unis.
S'agissant de l'actualité immédiate, une nouvelle conférence s'est tenue à Genève du 22 avril au 3 mai dernier. L'opinion internationale fondait d'importants espoirs sur cette conférence. Hélas ! les 57 pays représentés en son sein n'ont pu parvenir qu'à un accord limité, en retrait par rapport à ce que l'on était en droit d'attendre.
Si j'en juge par les trop rares informations en ma possession ; l'accord serait même à bien des égards fort décevant puisqu'il se contenterait de réglementer, à partir de janvier 1997, les seules conditions d'emploi et de transfert des mines antipersonnel, sans qu'aucun mécanisme de vérification n'ait été défini.
Aussi, monsieur le Secrétaire d'État à l'action humanitaire, aimerions-nous connaître votre sentiment sur cet accord et sur les conditions dans lesquelles il a pu être obtenu.
Mais, pour éliminer les conséquences du passé, il faut neutraliser 110 millions de mines, ce qui coûterait 33 millions de dollars et, au rythme actuel, prendrait onze siècles. Le déminage est une opération risquée. Pour 5 000 engins neutralisés, on compte la mort d'un démineur et la mutilation de deux autres. La mise sur le marché de mines en plastique risque d'accroître la difficulté de la tâche puisque la « poêle à frire », c'est-à-dire le détecteur de métaux, et la sonde à main sont les seuls moyens de détection. La France s'est également beaucoup investie dans les opérations de déminage, soit au travers d'organismes placés sous la tutelle de l'État, soit grâce à des ONG, tel Handicap International, qui tantôt procèdent aux opérations, tantôt forment des équipes locales. Mais, l'espoir peut venir de la recherche, qui progresse au sein d'entreprises françaises ou étrangères ; elle devrait permettre la mise au point de procédés plus sûrs, plus efficaces et moins onéreux.
Monsieur le Secrétaire d'État, pouvez-vous faire le point sur l'état de ces recherches, sur les conditions et les délais de mise en œuvre de ces moyens nouveaux de détection et de neutralisation. L'interdiction absolue pour l'avenir et la destruction des engins déjà posés, tels sont, encore et toujours, les objectifs à atteindre sans que, bien entendu, soient négligés l'aide et le secours aux populations victimes de ce fléau.
Je sais que, tant au niveau diplomatique que sur le terrain, votre action, que je tiens à saluer avec toute l'admiration qu'elle appelle, est marquée par l'opiniâtreté dans l'effort, nécessaire pour éradiquer le mal ainsi que par la générosité à l'égard des victimes.
R. : Monsieur le député, la Conférence visant à examiner la Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques a clos ses travaux le 3 mai dernier à Genève, au terme de trois ans de négociations particulièrement difficiles. La France, vous l'avez rappelé, est à l'origine de la révision du protocole 2 sur les mines antipersonnel. Je me propose, en réponse à votre question, d'examiner avec vous les acquis de la conférence de Genève.
Je rappellerai tout d'abord la position défendue par la France dans les négociations. Notre pays visait le renforcement du protocole 2 sur quatre points principaux :
Premièrement, l'extension de la portée du protocole aux conflits internes ; deuxièmement, l'interdiction des mines les plus dangereuses ; troisièmement, le soutien des opérations de déminage et la protection des missions humanitaires ; quatrièmement, l'introduction d'un mécanisme de consultation associé à un régime de sanctions. Par ailleurs, la France proposait que la convention dans son ensemble soit soumise à révision tous les cinq ans, à la demande d'un État partie, afin d'éviter que le texte ne soit figé.
Je considère que le compromis adopté à Genève représente une étape importante pour atteindre l'objectif d'interdiction des mines antipersonnel. J'y relève d'ailleurs des progrès majeurs par rapport au texte actuel :
– premièrement, la portée du protocole est étendue aux conflits internes ;
– deuxièmement, l'interdiction immédiate des transferts de mines non détectables a été décidé, l'application de cette décision étant immédiate ;
– troisièmement, l'emploi de mines non détectables, après une période de transition pour certains États, est interdit ;
– quatrièmement, le principe de consultations régulières entre les États parties a été retenu. Il revêt une plus grande ampleur que prévu. Il repose sur un régime de réunions annuelles et de mesures de transparence – échange obligatoire de rapports annuels sur l'application de la convention – et prévoit des procédures d'interpellation ;
– cinquièmement, le principe de sanctions nationales en cas de violation des dispositions du protocole 2 avec l'obligation de poursuivre pénalement les responsables de ces violations, et celui de l'engagement de consultations entre les États parties sur toute question soulevée par l'interprétation et l'application du protocole, ont également été retenus ;
– sixièmement, le renforcement de la protection des missions humanitaires dans les zones où des mines ont été utilisées a été décidé ;
– enfin, septièmement, les mesures concernant la coopération technique ont été renforcées, en particulier en ce qui concerne le déminage.
Bien sûr, je ne suis pas entièrement satisfait des résultats de cette négociation car l'application de l'interdiction de l'emploi des mines antipersonnel non détectables pourra être différée par certains États pendant une période de neuf ans sans contraintes particulières sur les conditions d'utilisation. La France espère que ces États montreront la plus grande retenue à cet égard. Je regrette qu'il n'ait pas été possible de parvenir à un accord sur un dispositif de contrôle de l'application du protocole par le biais d'enquêtes en cas d'allégation de violation des engagements pris. Il s'agit là d'une lacune importante qu'il faudra s'efforcer de combler dès que possible.
Au total cependant, je me félicite de l'adoption du protocole. Il devrait faciliter encore davantage les opérations de déminage, interdire à terme l'utilisation des mines les plus dangereuses et donner une nouvelle impulsion à la lutte contre la prolifération de ce type d'armes. Il offre une sécurité juridique qui devrait à l'avenir réduire le nombre de victimes des mines antipersonnel. Enfin, les nombreuses mesures unilatérales annoncées par les États pendant la conférence, à l'exemple de l'annonce du moratoire français, marquent un véritable renversement de tendance dans l'opinion publique internationale. Cette dynamique internationale en faveur de l'interdiction lancée par la France me fait envisager avec un certain optimisme la possibilité de relever le défi de l'élimination totale des mines antipersonnel. Au plan français, la réalisation de cet objectif passe par une réflexion sur l'utilité militaire des mines antipersonnel, dont notre pays ne saurait faire l'économie.
Pour conclure, je voudrais vous donner quelques éléments de la philosophie qui anime les projets de déminage financés par la France au Cambodge, en ex Yougoslavie, au Mozambique, en Angola et au Tchad.
Le déminage est un processus lent, coûteux et dangereux. Les mines constituent autant un problème humanitaire qu'un problème de développement et les pays les plus touchés vont devoir vivre avec ce fléau pendant de très longues années. L'approche retenue doit donc être une approche à long terme, intégrant la prévention, le déminage et l'assistance aux victimes.
- La prévention passe par la sensibilisation des populations, en particulier des enfants, aux risques présentés par les mines. Pour empêcher les accidents, le secrétariat d'État à l'action humanitaire d'urgence souhaite favoriser la cartographie des zones minées afin d'en permettre le marquage et la signalisation.
- Le déminage proprement dit doit renforcer les capacités locales. Les projets qu'appuie la France visent à soutenir les institutions nationales chargées du problème des mines, en particulier en formant des équipes de démineurs localement.
- Quant au troisième volet, l'assistance aux victimes, elle dépasse les aspects médicaux. Certes, il faut soigner les blessés et appareiller les mutilés, mais il faut aussi soigner le traumatisme psychologique ; donner aux handicapés les moyens de subvenir à leurs besoins en les réinsérant dans la société – on sait que la mutilation est source d'exclusion : des femmes et des enfants sont abandonnés par leurs familles – et en leur donnant une formation. Un paysan qui perd un membre perd tout moyen de survie.
Pour relever ce défi, il nous faut impliquer conjointement tous les acteurs de l'aide humanitaire et de l'aide au développement.