Texte intégral
Ouest-France : Jeudi 15 mai 1997
Les priorités d'Arlette Laguiller
Lutte ouvrière présente six cent candidats et suppléants pour que le courant qui s’est exprimé en 1995 sur ma candidature puisse se manifester de nouveau et plus largement encore. Depuis 1995, la situation des travailleurs n’a cessé de s’aggraver.
Les grands partis promettent tous de combattre le chômage. Ce sont des mensonges. Ni les uns ni les autres ne peuvent rien contre le chômage qui est la conséquence d’une économie capitaliste anarchique et irrationnelle. Le combat contre le chômage se réduit au mieux à des incantations mais, plus encore, il ne sert qu’à offrir au patronat, sous prétexte d’« aides à l’emploi », des dégrèvements fiscaux, des réductions de charges sociales, des subventions de toute nature.
Depuis vingt ans, des centaines de milliards ont été versés au patronat à fonds perdus. Le seul résultat en a été d’accroître les bénéfices des entreprises, les fortunes personnelles de leurs propriétaires et actionnaires. Mais le chômage n’a pas cessé de s’aggraver, les pauvres sont toujours plus pauvres, les riches encore plus riches.
Cela ne peut pas durer. On ne peut pas supprimer la crise, mais on peut en protéger les travailleurs. Depuis des années, le patronat et les financiers, les bourgeois et les gouvernements font peser le poids de la crise sur les travailleurs. Aujourd’hui, si nous ne voulons pas être acculés de plus en plus nombreux à la misère, il faut déplacer les sacrifices et faire payer la bourgeoisie sur les profits qu’elle a accumulés !
Ni Le Pen, ni Juppé, bien sûr, ni même Jospin ou Hue ne menacent de réquisitionner sans indemnité les entreprises qui font des bénéfices et qui prévoient des licenciements. Les entreprises devraient servir à la collectivité et pas seulement à produire des bénéfices pour une minorité.
Aucun de ces hommes ne propose de modifier la législation sur le secret commercial, sur le secret bancaire, afin de permettre à la collectivité d’avoir accès à la comptabilité des grandes entreprises, aux compte en banque de leurs dirigeants et de leurs actionnaires. On verrait alors au profit de qui ces gens-là décident de fermer une usine, ruinant toute une ville, une région, réduisant à la misère des milliers de familles.
Aucun ne dit non plus qu’il faut cesser toutes les aides, toutes subventions au patronat et que l’Etat utilise l’argent ainsi économiser pour créer directement des emplois utiles à la collectivité, dans les hôpitaux, dans les transports en commun, dans l’éducation, dans la construction de logements populaires.
La moitié des bénéfices des grandes entreprises suffirait à assurer un salaire convenable à tous les chômeurs, sans exception. Obliger les entreprises à les embaucher en répartissant le travail entre tous permettrait de réduire les horaires de travail et de diminuer les cadences.
Ce programme, je l’avais défendu lors de la campagne présidentielle en 1995. C’est ce programme que défendent les candidats de Lutte ouvrière qui demandent à tous ceux qui ont voté pour moi en 1995 de refaire le même geste en votant pour les candidats de Lutte ouvrière. Mais je demande aussi à ceux qui n’ont pas voté pour moi, mais qui considèrent que la situation imposée aux travailleurs est intenable, de nous rejoindre.
Les 5,3 % que j’avais obtenus ont été le signe que quelque chose était en train de changer dans le monde du travail. Ce n’était cependant pas suffisant pour faire pression sur les dirigeants de la gauche, pour qu’ils tiennent compte du mécontentement qui monte. Il faut que plus nombreux encore soient ceux qui, en votant Lutte ouvrière, contribueront à créer un mouvement capable d’inquiéter les grands partis politiques et, derrière eux, le grand patronat.
Date : Jeudi 15 mai 1997
Source : Le Parisien
Jean Darriulay : Vous affirmez qu’il faut donner la priorité aux luttes sociales mais, depuis un quart de siècle vous faites partie du décor à chaque élection…
Arlette Laguiller : D’abord, je ne me considère pas comme in meubles (rires…) Ensuite, si nous sommes des révolutionnaires, nous savons bien qu’il faut l’irruption de la classe ouvrière sur le terrain politique pour changer vraiment la société. Et les campagnes électorales sont importantes pour l’affirmation de nos idées, pour dénoncer la trahison des partis de gauche et les mensonges de la droite au service du patronat.
Jean Darriulay : L’opinion publique, selon les sondages, trouve cette campagne ennuyeuse. Est-ce qu’elle vous fait, vous aussi bâiller ?
Arlette Laguiller : Si vous vous ennuyez, moi pas ! On peut trouver très ennuyeuse la manière dont Jospin et Juppé parlent du chômage par exemple. Mais je peux vous dire que dans mes meetings, lorsque j’explique qu’on peut créer tout de suite trois millions d’emplois en prenant sur les bénéfices des grandes entreprises, sur la richesse du patronat et de la bourgeoisie, croyez-moi, je suis très applaudie.
Jean Darriulay : Les scores d’Arlette Laguiller sont très personnels, basé sur la sympathie et la sincérité que vous dégagez. Pensez-vous pour autant que la société française soit aujourd’hui pré-révolutionnaire ?
Arlette Laguiller : Un million six cent mille Français ont voté pour moi à la présidentielle de 1995. Cela représente un électeur sur vingt. Nous verrons bien si les 321 candidats de LO arrivent à dépasser ce score. Je le crois, car la situation sociale s’est aggravée : il y a aujourd’hui plus de cinq millions de gens en difficulté. Dans le même temps, les profits des cinq cents premières entreprises de ce pays ont encore considérablement augmenté.
Jean Darriulay : Que pensez-vous de l’engagement du PS de créer 700 000 emplois ?
Arlette Laguiller : Je n’y crois pas. Quand le PS parle de 350 000 emplois dans les services publics et les collectivités locales, s’agit-il de sous-emplois, les gens seront-ils vraiment embauchés, avec quels contrats ? D’un autre côté, il nous dit 350 000 emplois privé. Mais ça, c’est la même politique que la droite : le PS parle de primes, et la droite d’exonérations de charges sociales. Il s’agit encore de donner de l’argent au patronat. Et le patronat fera comme d’habitude : ce qu’il voudra.
Jean Darriulay : Quelle sera la consigne de LO pour le deuxième tour ?
Arlette Laguiller : Etant donné la similitude des programmes, nous ne donnerons pas de consigne au second tour.
Jean Darriulay : Pour quelles raisons avez-vous refusé de vous joindre à la manifestation anti-Front national de Strasbourg ?
Arlette Laguiller : Nous n’avons pas de preuves d’antiracisme et d’antifascisme à donner. Mais nous ne pensons pas mener ce combat avec ceux dont la politique aboutit, avec le chômage, au renforcement du Front national dans les classes populaires.
Jean Darriulay : Cela veut-il dire qu’aux yeux d’Arlette Laguiller il n’y a aucune cause qui puisse être consensuelle dans ce pays ?
Arlette Laguiller : Moi je suis très méfiante lorsqu’on dit qu’on peut se battre contre Le Pen au nom de la citoyenneté. Cela veut dire que les licencieurs, les grands patrons, pourraient manifester bras dessus bras dessous avec les ouvriers contre la monté du Front national, au nom de la citoyenneté ? C’est vraiment un mensonge destiné à tromper les travailleurs. Parce que, si l’extrême droite peut trouver un terrain favorable, c’est bien parce que le chômage et la misère augmentent.
Date : 20 mai 1997
Source : La voix du Nord
La voix du Nord : Au bout du compte, à quoi aura servi la dissolution de l'Assemblée nationale ?
Arlette Laguiller : On verra à quoi elle servira pour Chirac ou pour Jospin, au lendemain du 1er juin. Pour le monde du travail, cette dissolution ne servira à absolument rien. À moins que les travailleurs profitent du premier tour pour dire qu'ils ne sont pas dupes des discours démagogiques du milliardaire Le Pen, des hommes de droite qui sont ouvertement au service du patronat, et de ces faux hommes de gauche qui, s'ils reviennent au gouvernement, feront la même politique que la droite, comme il y a 15 ans. En 1995, j'ai recueilli 1 600 000 voix sur un programme qui défendait l'idée d'interdire tous les licenciements sous peine de réquisition des entreprises, sans indemnité. Je demandais que l'État cesse de financer des grands patrons pour des emplois qui n'ont jamais vu le jour. Si les candidats de LO recueillaient encore plus de voix, cela pèserait sur les états-majors.
La voix du Nord : Les vraies questions ont-elles été abordées pendant la campagne ?
Arlette Laguiller : Par les hommes politiques des grands partis d'extrême droite, de droite et de gauche, la réponse est non. La question cruciale pour les travailleurs est celle du chômage. Or, tout homme politique qui ne dit pas qu'il faut s'en prendre aux profits et aux richesses du grand patronat est un bonimenteur. Cela ne résoudra pas forcément le problème du chômage pour tout le monde. Mais au moins, cela transférerait les sacrifices qu'actuellement les pauvres sont les seuls à supporter, sur les classes riches. À leur tour de faire des sacrifices.
La voix du Nord : On vous a peu entendu pendant cette campagne. Est-ce que l'affrontement droite-gauche a couvert votre voix ?
Arlette Laguiller : Où avez-vous vu un affrontement droite-gauche, à part des duels de petites phrases qui recouvrent une même volonté de faire payer les travailleurs et de faire de nouveaux cadeaux au patronat ? Non, si on m'a peu entendue dans les médias, c'est que ceux-ci ont donné chichement la parole aux militants de Lutte ouvrière. Mais cela ne veut pas dire que mes camarades et moi ne se sont pas fait entendre par une campagne dans les entreprises, dans les quartiers et au travers des meetings que j'ai faits dans toute la France.