Texte intégral
Les promesses de M. Jospin
(…) Si j’ai bien lu le sondage, les Français sont convaincus que M. Jospin veut tenir ses promesses : alors, je suis dans les 42 %. Cela étant, le problème est de savoir s’il pourra les tenir et comment tout le monde a entendu ces promesses. (…).
Pas de procès d’intention : telle est la position générale du patronat aujourd’hui.
« Ni accablé ni rassuré »
Je ne suis ni accablé, ni rassuré (…). Le Gouvernement de M. Jospin prend un certain nombre de directions. Il a, c’est manifeste, un souci de dialogue. Moi, je veux essayer de lui montrer que, dans ces directions, il y en a certaines qui sont dangereuses et lui dire pourquoi, et j’espère être entendu. Donc, je ne pars pas battu.
La signification des élections législatives
(…) Je crois que les Français sont déçus et que, par conséquent, ils ont tendance à voter contre le sortant. Cela me parait être la première réaction des Français plus qu’une adhésion à toutes les orientations qui leur ont été promises par le rentrant.
Croissance, chômage et déficits
L’état de la France peut être caractérisé par trois choses :
Premièrement, après une période de très faible croissance dans laquelle nous nous sommes traînés depuis le deuxième semestre 95, pendant toute l’année 96 et encore au premier trimestre 97, il semble que la croissance augmente légèrement. Mais elle demeure beaucoup plus faible que ce qu’elle est dans la moyenne du monde (…).
Deuxièmement, le chômage touche 12,8 % de la population active. C’est un des plus mauvais taux de chômage de tous les pays avancés.
Troisièmement, un effort douloureux et difficile a été entrepris pour réduire les déficits publics afin d'assainir la situation de nos finances publiques, mais on en est qu'au début.
Question : Cette situation est-elle due à la politique de M. Alain Juppé ?
Réponse : Ce diagnostic n'est pas seulement le résultat des deux dernières années. Il faut remonter beaucoup plus loin. (…) Il faut probablement analyser les dix dernières pour arriver à voir pourquoi on en est là.
Faut-il relancer la consommation par une hausse des salaires ?
Je pense qu'aujourd'hui la relance par la consommation est extrêmement difficile à réaliser sans aboutir à un dérapage des dépenses publiques. (…) Il faut bien voir à quel point maintenant – c'est un de nos grands malheurs – toute notre action dans le domaine économique et social dépend de l'État. C'est d'ailleurs une des choses qu'il faut absolument changer dans ce pays. La population semble (…) résignée et attendre tout de l'État. (…) Il me paraît absolument évident que nous ne pouvons pas relancer la consommation par les salaires sans que tout un tas de phénomènes pervers aillent immédiatement accroître les déficits publics, avec toutes les conséquences que vous connaissez. (…)
La réduction de la durée du travail
J’ai dit que la réduction de la durée du travail de 39 heures à 35 heures sans perte de salaire (…) était effectivement une erreur grave. (…) Il faut tout de même bien voir que la réduction de la durée du travail (…) augmente le coût de l’heure de travail. Par conséquent, dans un pays où le coût du travail – notamment pour les bas salaires – est le plus élevé du monde, après l’Allemagne et la Belgique (…), elle diminue la compétitivité des entreprises, c’est-à-dire la possibilité pour notre pays de créer des richesses et de l’emploi (…). Cela ne veut pas dire qu’il n'y ait pas des diminutions de la durée du travail qui soient intelligentes quand elles peuvent être compensées par autre chose. (…) Mais cela ne peut être réglé qu’entreprise par entreprise. Et, dans la plupart des cas, il n’y a pas de solution s’il n’y a pas au moins un blocage des salaires et, la plupart du temps, une baisse des salaires.
La conférence nationale
(…) Bien entendu, nous participerons à cette conférence. J’ai suggéré au Premier ministre (…) de ne pas convoquer cette conférence avant septembre car il me semble qu’elle doit être préparée, car il y a un lien entre tout. Il y a également un lien avec la protection sociale et son financement. On ne peut pas dire que l’on va transformer les cotisations de sécurité sociale en points de CSG, c’est-à-dire, en impôts, sans regarder les conséquences que cela aura sur les salaires des gens qui ne paieront plus ces cotisations (…), sur les entreprises et sur les retraites. Tout cela se tient complètement (…).
Quelle flexibilité ?
(…) Dans ce pays, le mot flexibilité est assorti d’une connotation péjorative. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de le faire car je pense, pour ma part, que la flexibilité est le contraire de la précarité. (…)
Question : La conférence nationale peut-elle déboucher sur quelque chose de positif ?
Réponse : (…) Si cette conférence est préparée, elle débouchera sur quelque chose de positif. Elle débouchera sur des zones de prise de conscience et d’accord des différents partenaires autour de la table, mais aussi sur des zones de désaccord. (…)
Réformes et pédagogie
En ce qui concerne les réformes, il faut les poser sur la table. (…) Comment va-t-on maintenir et accélérer la maîtrise des dépenses de santé ? Comment va-t-on traiter ce problème qui n’a pas été traité par le Gouvernement Juppé ? Seuls les partenaires sociaux ont actuellement traité le problème des retraites complémentaires pour l’avenir. Le problème des retraites de base de la CNAV, c’est-à-dire la sécurité sociale, comme celui des retraites des régimes spéciaux (…), doit être mis sur la table.
Question : Comment peut-on s’y attaquer sans mettre les gens dans la rue ?
Réponse : (…) Nous avons les uns et les autres, c’est-à-dire, les hommes politiques, les partenaires sociaux (…), les médias et les enseignants, à faire de la pédagogie pour que les gens comprennent.
Le pessimisme des Français
(…) Le problème est de savoir comment on peut faire en sorte que, dans ce pays, tout le monde – en tout cas la majorité des gens – croie que l’avenir va être meilleur que le présent. Aujourd’hui, si ça va mal dans ce pays, c’est parce que la majorité des gens pensent que demain ne peut être que pire ; alors, ils s’accrochent à tout ce qu’ils ont. (…)
La création d’entreprises
(…) Un chef d’entreprise investit quand il pense qu’il va avoir un marché. (…) Or, si le climat pessimiste persiste, ne pensez-vous pas que les gens vont d’abord commencer par épargner avant de dépenser ce qu’on leur aura donné ? (…)
L’embauche
Il est tout à fait évident que vous ne forcerez jamais une entreprise à embaucher quelqu’un si ce n’est pas dans un projet de développement économique et de croissance. (…) Vous ne ferez pas embaucher des gens s’il n’y a pas d’activité à leur donner. (…)
Question : Quelle est la solution Gandois pour donner du dynamisme au pays ?
Réponse : Il n'y a pas de solution Gandois. Il y a une solution tout court qui est une solution difficile. Il s'agit d’abord de repérer ce que l'on peut faire pour développer ensemble les activités dans ce pays. Il est tout de même curieux que nous soyons, par rapport à tous les pays voisins, celui où il y a le moins de créations d'entreprises vivant plus qu'un petit temps et le moins de créations d'entreprises de haute technologie. (…)
Essayons d'avoir une vraie politique poussant à la création d'entreprises. (…) Pour cela, il faut deux choses principales. (…) La première, c'est qu'il faut susciter des vocations d'entrepreneurs. (…) La deuxième, c'est qu'il faut qu'il y ait un accompagnement de personnes et d'argent, et que les gens en question puissent avoir le capital nécessaire pour développer leurs entreprises.
Comment créer 350 000 emplois pour les jeunes ?
(…) Il va falloir que nous identifiions quels sont les secteurs où un ensemble de mesures cohérentes peuvent créer un développement qui lui-même entraînera des créations d'emplois. (…) Il y aura des secteurs entièrement privés et il y en aura d'autres qui seront mixtes. (…) Un travail en commun peut être fait par des associations, par des organismes publics et par des entreprises privées dans certains domaines.
Question : 350 000 emplois, est-ce possible ?
Réponse : Je ne me prononcerai pas sur un chiffre de ce genre. Cela dépend sur quelle durée (…) et comment on va le faire. Il faut que ce soient de vrais emplois et non des emplois « bidon » comme on en voit tellement actuellement dans les collectivités locales avec des CES (…) dont une grande partie sont des emplois « bidon ».
Les 35 heures en Allemagne
(…) Au début de l'année 1995, la métallurgie allemande a signé un accord sur les 35 heures. (…) C'est à partir de ce moment-là que les choses ont vraiment commencé à tourner mal. (…) Le montant des investissements étrangers en Allemagne a diminué de manière considérable et le montant des investissements allemands allant vers l'étranger et les délocalisations ont augmenté de façon considérable, également. (…) Si bien que, en dehors de cas très particuliers, (…) on constate des dérogations aux 35 heures pour remonter à 37 heures ou 38 heures.
Aujourd'hui, il n'y a pas de pays au monde où l'on considère que la réduction de la durée du travail soit une solution au chômage. Je sais bien que nous, Français – et c'est un de nos graves problèmes – nous sommes toujours plus intelligents que les autres, que nous voulons toujours faire des choses que les autres ne font pas, mais moi (…) quand je suis tout seul à faire quelque chose dans le monde (…), je me dis : si les autres ne font pas comme moi, il doit y avoir une raison. Eh bien, nous Français nous ferions peut-être bien de nous demander cela de temps en temps.
Le Smic
(…) Il est absolument fondamental que nous réfléchissions une nouvelle fois sur le sens à donner au Smic. Je voudrais bien que la conférence dont nous parlions tout à l'heure soit l'occasion de cette réflexion. (…) Je ne suis pas pour la suppression du Smic. (…) Mais, je veux que l'on ne trahisse pas son sens économique (…). Si le Smic doit augmenter, il faut considérer que c'est un supplément donné pour la solidarité nationale, c'est-à-dire, une augmentation des dépenses publiques, qui ne doit pas être supportée par les entreprises. (…)
La législation sur les licenciements économiques
Je considère qu’aujourd’hui cela fonctionne mal. Tout dépend évidemment du sens dans lequel M. Jospin veut réexaminer la loi. Le rôle du judiciaire dans les licenciements économiques est beaucoup trop important. Au-delà du problème des connaissances en matière économique et sociale d’un certain nombre de tribunaux, il y a le fait que les délais du judiciaire ne sont pas compatibles avec ceux de l’entreprise. (…) Il faut des procédures plus claires. (…) Tout ce qui est trop compliqué est source de litiges, de contestations et d'insécurité juridique pour les salariés comme pour les entreprises. (…) Je suis pour ce qui rend l'adaptation des entreprises plus facile et qui donne des garanties minima aux salariés pour qu'ils ne soient pas traités de manière arbitraire. (…)
Les fonds de pension
Question : Le Premier ministre a parlé de remise en cause des fonds de pension.
Réponse : Ce serait une très profonde erreur. (…) Mais je n'ai pas vu dans son discours une remise en cause des fonds de pension. (…) Le problème est celui de l'exonération des charges sociales jusqu'à un certain niveau de salaire. Peut-être que ce niveau est considéré par le Premier ministre comme trop élevé. Si c'est ce problème-là, on peut en discuter. J'espère qu'on y touchera le moins possible car le signal pour l'extérieur serait très mauvais et pour l'économie française, ce ne serait pas bon (…).
Le secteur public
Les entreprises publiques ne sont pas chargées de tous les défauts, loin de là. Mais elles ont, dans un monde très évolutif, lorsqu'il s'agit d'entreprises du secteur concurrentiel, deux défauts essentiels. (…) Premièrement, les États sont pauvres et les entreprises dans le monde d'aujourd'hui ont besoin d'actionnaires riches. (…) L’État ne peut plus suivre comme actionnaire. Deuxièmement, et c'est plus grave, on a besoin (…) d'alliances internationales. (…) Or, dans les autres pays (…), les entreprises sont privées. (…) Les lapins ne se marient pas avec les oiseaux (…).
Je ne dis pas qu'il faut privatiser à cent pour cent. Pour des activités qui sont complètement stratégiques, les gens comprennent que l'État puisse se garder une forme de golden share (…) ou même une minorité de blocage (…).
Les grandes infrastructures
(…) L’équilibre entre les préoccupations légitimes de l’écologie et les préoccupations économiques, d’infrastructures ou industrielles, est toujours difficile à trouver. (…) Je peux comprendre l’arbitrage qui a été fait s’agissant du canal Rhin-Rhône, je le comprends moins dans le cas de Superphénix. (…) Mme Voynet m’a l'air d'une personne tout à fait intelligente. Ce sera une femme de dialogue. Pourquoi pas ?
Le déficit de la sécurité sociale
Je pense que le déficit de la sécurité social en 1997 sera légèrement inférieur à 40 milliards, autant qu'on puisse le dire aujourd'hui. (…)
Les 3 % de Maastricht et la monnaie unique
Si nous n'arrivons pas tout à fait aux 3 %, nous ne serons pas les seuls. Je ne suis pas sûr aujourd’hui que la République fédérale d'Allemagne y arrive. (…) L’arrivée de M. Jospin au gouvernement est l'un des révélateurs de la crise européenne. Ce qui vient de se passer à Amsterdam est grave. (…) Cette longue conférence intergouvernementale (…) a accouché d'une souris. (…) On peut finir par ne plus croire en l'Europe. L'Europe peut être en danger. (…) On peut discuter (…) avec les Allemands si l'on est à 3,3, à 3,4 ou même à 3,5, mais si l'on devait se situer entre 3,5 et 4 % (…), nous serions dans une situation extrêmement difficile. (…)
Le report du collectif budgétaire
Je ne ferai aucun reproche à M. Jospin sur ce sujet-là. J’aurais été à sa place, j’aurai fait pareil, j’aurai reporté le collectif à septembre. (…)
Les Français et les Allemands
Les Allemands nous comprennent mal, nous les comprenons souvent mal. Cela étant, (…) il ne faut pas penser que l’opinion allemande (…) est unie. Il ne faut pas que nous ayons le complexe d’empêcher tout le monde de tourner. M. Jospin a montré qu’il n’avait pas ce complexe. Mais pour pouvoir parler haut et fort, il faut être soi-même irréprochable.
Un message aux PME
Je voudrais demander aux chefs d’entreprise, particulièrement de PME, de ne pas être découragés. (…) Il y a beaucoup à discuter sur différents sujets. Même s’il y a des points qui m’inquiètent (…), nous avons la chance d’avoir un désir de dialogue en face. Nous nous battrons pour que les PME aient l'essentiel pour continuer à se développer dans ce pays. (…)
Le sommet de Denver
Je n'aime pas recevoir des leçons même si elles sont données par un très grand pays comme les États-Unis. Cela étant, on ne va pas être tout seuls à jouer le jeu d'une certaine manière. Cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas avoir des spécificités. (…) Il ne faut pas rester accrochés à nos petits noyaux pendant que les autres mangent des fruits !
Madelin ou Jospin ?
NI avec l'un, ni avec l'autre, mais j'ai de bonnes relations avec les deux. (…) Si le libéralisme est une idéologie économique, je ne suis pas adhérent de cette secte. Mais quand on veut que son pays se développe, qu'il y ait moins de chômage et qu'il trouve sa place dans le monde en train de se créer, il ne faut pas vouloir jouer le jeu de manière totalement différente des autres. Nous sommes beaucoup trop conservateurs. (…) Le nombre de personnes qui ont des acquis dans ce pays ne cesse de reculer et le nombre de ceux qui n'ont aucun acquis et même pas de présent ne cesse d’augmenter. (…)