Extraits d'une déclaration de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et président de Force démocrate, sur les relations entre le centre et l'UDF, et la réflexion sur la réforme, Paris le 9 mars 1996, publiés dans "Démocratie moderne" du 1er mars 1996.

Prononcé le 1er mars 1996

Intervenant(s) : 
  • François Bayrou - ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et président de Force démocrate

Circonstance : Conseil national de l'UDF, à l'Assemblée nationale, Paris le 9 mars 1996

Média : DEMOCRATIE MODERNE

Texte intégral

Conseil politique, le 9 mars 1996

Un conseil politique élargi aux délégués Force démocrate du deuxième collège du Conseil national de l'UDF, s'est tenu le samedi 9 mars à l'Assemblée nationale. Parmi les principaux thèmes abordés : l'Europe et l'enjeu de l'élection du président de l'UDF le 31 mars prochain.

Avant l'ouverture des débats, qui devaient être consacrés à la question européenne et à la préparation du Conseil national de l'UDF, François Bayrou a rendu hommage à Jeanine Bonvoisin, député de Seine Maritime, décédée le 3 mars. S'attardant quelques instants sur la personnalité de Jeanine Bonvoisin qui a élevé seule huit enfants et vécu une épreuve cruelle avant d'être frappée par la maladie, François Bayrou a souligné la force, le rayonnement et la joie de vivre qui émanaient de cette femme simple et généreuse, avant d'appeler les membres du Conseil politique à observer une minute de silence.

Europe : « Reprendre une longueur d'avance »

Pierre Bernard-Reymond, député européen et maire de Gap, a ouvert le débat sur la question européenne par un rapport introductif sur l'évolution institutionnelle de l'Union européenne.

Dressant la liste d'un certain nombre de maux dont l'Europe est, aujourd'hui, tenue pour responsable et qui entament gravement sa popularité, Pierre Bernard-Reymond a souligné qu'il regrettait que les centristes qui, longtemps, ont montré le chemin en matière de construction européenne, aient beaucoup perdu de l'inspiration, de la créativité et de l'élan qui ont porté les fondateurs de l'Europe. Il a invité Force démocrate à revivifier sa foi européenne et à « reprendre une longueur d'avance : ceci est conforme à notre identité et nécessaire à la majorité, à la France et à l'Europe ».

Pierre Bernard-Reymond a alors présenté les grandes lignes d'un projet de réforme institutionnelle permettant à l'Union européenne de se doter des moyens de répondre à une triple ambition : bâtir une puissance, constituée en une communauté de nations portant sur un projet de civilisation.

« Il manque une voix et un visage à l'Europe : un homme en qui chaque européen se reconnaisse et qui symbolise l'Union aux yeux de tous les peuples du monde » a-t-il déclaré en proposant de faire du président du Conseil européen, choisi ou non parmi les membres du Conseil, le président de l'Europe élu pour une durée qui pourrait être de l'ordre de trois ans. Il s'est en même temps déclaré hostile à l'idée que le président de l'Union assume les fonctions de président de la Commission, laquelle ne doit pas être reléguée au rang de simple secrétariat général du Conseil européen. Afin de préserver l'efficacité de la Commission, notamment dans la perspective de l'élargissement, il a également plaidé pour la réduction du nombre des commissaires et pour le renforcement du pouvoir de son Président.

Il a suggéré par ailleurs, que les parlementaires soient soumis à une procédure électorale uniforme, élaborée par eux, et qui s'impose aux Etats.

Il a, en outre, réclamé, avec insistance que soit dressé l'inventaire des domaines qui relèvent respectivement de la compétence de l'Union et de la compétence des nations proposant qu'un « Haut Conseil de la subsidiarité » soit chargé de faire appliquer les règles de la subsidiarité.

Pierre Bernard-Reymond a également évoqué quelques pistes en matière de politique étrangère et de sécurité commune, suggérant notamment que l'Union européenne soit dotée de la personnalité internationale et qu'elle siège, à ce titre, au Conseil de sécurité de l'UNO, avant de s'interroger sur les moyens qui permettraient aux pays qui veulent aller plus vite et plus loin dans la voie de la construction européenne, d'organiser de nouvelles solidarités compatibles avec la vie et le fonctionnement de l'Union européenne.

Bernard Bosson, président de l'association des députés Force démocrate et député-maire d'Annecy a, quant à lui, renvoyé notre famille politique à ses responsabilités. Au moment où ceux qui ont voté oui à Maastricht comme ceux qui ont voté non, demandent que l'Europe prenne sa taille politique, ce qui est une formidable chance, nous avons notre rôle à assumer. Le pire serait que le nouveau traité ne soit qu'un simple traité d'adaptation institutionnelle, incompréhensible pour nos peuples, et que ce deuxième traité construise une Europe imperceptible, éclatée et multiple « (…) » Il me semble que nous pouvons avoir plusieurs exigences. La première, c'est que ce traité rappelle aux peuples quelles sont les valeurs pour lesquelles nous voulons l'Union européenne (défense des droits de l'homme, démocratie vécue, protection sociale organisée pour tous) : « (…) » et la deuxième exigence, au-delà des valeurs de l'Europe doit servir, c'est d'inventer le système qui permette l'approfondissement et l'élargissement « (…) » Si on veut une Europe claire, transparente, démocratique, le moment n'est-il pas venu d'exiger que la réflexion de nos chefs d'Etat et de gouvernement aboutisse à la mise en place d'un cadre institutionnel unique regroupant des compétences aujourd'hui éclatées, qui contribuent à l'opacité de l'Union ?

Jacques Barrot, ministre du Travail et des Affaires sociales a, pour sa part, démontré que l'Europe est la mieux à même d'assumer les conséquences de la mondialisation galopante de l'économie. « Nous sommes à la veille de restructurations importantes dans le secteur bancaire, dans les secteurs de l'armement et de l'habillement avec leur cortège de difficultés sociales qui risquent d'alimenter le populisme d'extrême-droite. C'est dire la nécessité de construire avec nos partenaires européens un modèle social. Cette question renvoie tout naturellement à l'Europe politique, même si elle ne doit se faire qu'à quelques-uns dans un premier temps. »

André Santini, s'est quant à lui, joint à Claude Goasguen et à Bernard Bosson pour lancer que « pas une voix ne doit manquer à François Léotard, dès le premier tour » pour conforter la position de Force démocrate au sein de l'UDF.


François Bayrou : « Le centre ne peut se construire qu'au centre »

-Extraits-

« Nous devons assurer la tâche de redressement dont les Français nous ont confié la charge. C'est pourquoi il ne nous paraît pas juste que des procès soient constamment nourris à l'intérieur de la majorité contre le gouvernement qui assume le redressement que les Français ont voulu. S'il faut corriger tel ou tel aspect de l'action gouvernementale, c'est à l'intérieur de la majorité qu'il faut le faire, sans donner de tour public aux discussions, parce qu'elles sont toujours prises comme des critiques et, donc, qu'elles affaiblissent l'autorité du gouvernement.

Nous devons aussi essayer de dessiner pour les Français le visage de la France que nous voulons construire. Et, de ce point de vue là, l'UDF et Force démocrate ont une responsabilité particulière. Ce qui va se jouer le 31 mars, c'est d'abord une question de message politique. Si j'avais à résumer ma pensée sur l'équilibre de la vie politique française et de la majorité, je dirais que la France manque de centre. Le Centre ne peut se construire qu'au Centre. Le Centre ne peut pas se construire à droite. La seule proposition qui réunisse les deux critères de crédibilité et de positionnement au Centre, c'est celle que nous présentons avec François Léotard. Et c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de conduire la liste que notre alliance présentera. Force démocrate, Parti républicain et adhérents directs, au Bureau politique.(…) Nous avons besoin en France d'une pratique sociale nouvelle. Pour l'instant, nous ne l'avons pas trouvée. Nous n'avons pas réussi à faire naître au niveau où il devrait naître un dialogue social dont le pays se trouverait témoin et qu'il pourrait un jour ou l'autre arbitrer. C'est à nous de l'inventer, parce que c'est dans notre famille politique que s'est faite la rencontre entre les valeurs de la société libre que nous défendons et le monde du travail. Pour cela, il faut réfléchir à la méthode de la réforme. Nos sociétés sont-elles encore gouvernables ? Sommes-nous condamnés à cette fatalité qui se décline en deux actes successifs. Premier acte, dès que les réformes cessent d'être des mots et qu'elles commentent à devenir une réalité : « La réforme jamais, retirez la réforme ». Je sais que l'opinion publique, les pouvoirs, et plus encore les observateur, sont portés à l'impatience. Mais on ne change pas un corps social en profondeur en ne respectant pas ses rythmes. Il faut aussi associer les acteurs à chacune des décisions que l'on prépare. C'est très difficile, parce que cela impose, en particulier au monde administratif et politique marqué par son ascendance technocratique, un changement culturel fondamental. Mais notre tradition politique est d'avoir reconnu dès le début qu'il existant une légitimité dans l'expérience, qui était au moins aussi grande que la légitimité de l'expertise.

Enfin, il faut changer nos modes de gouvernement. Je suis persuadé que l'un des problèmes que nous avons rencontré depuis longtemps, c'est l'annuité budgétaire qui nous interdit d'étaler l'effort dans le temps. C'est pourquoi je défends, l'idée de programmation.

Enfin, il nous appartient de dessiner le nouvel horizon européen. Traduire les problèmes européens en termes compréhensibles pour l'opinion publique. Faire de l'Europe une réalité démocratique, en donnant un président à l'Europe et en changeant le mode de scrutin des députés européens. A nous d'être des Européens contrits, des Européens de volonté et non pas des Européens de raison.


Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture ; Secrétaire général de Force démocrate  à « Sept sur Sept »

« Nous sommes le parti européen »

Démocratie moderne : Vous êtes secrétaire général de Force Démocrate dont le président est François Bayrou. Force Démocrate, c'est une des composantes de l'UDF ; l'UDF où la bataille fait rage entre Léotard, Madelin et le troisième homme, Rossinot. Vous êtes Léotard ou Madelin ?

Philippe Douste-Blazy : Je vote pour François Léotard. Je me doute que l'on pense que cette élection à la présidence de l'UDF n'est pas le moment majeur de la vie politique française. Je pense le contraire pour deux raisons, parce qu'il y a un double enjeu : d'abord un enjeu électoral. Si nous voulons gagner en 1998, la majorité doit avoir deux piliers, un pilier à droite, qui est le RPR et un parti au centre de la vie politique française, indépendant du RPR. Il ne s'agit pas de faire la photocopie du RPR, il s'agit de faire et je le pense le plus grand parti de France, la majorité de la majorité… lorsque l'on fait un pari, c'est pour qu'il soit fort. Moi j'y crois. Quelle est la politique de l'UDF ? Je viens de vous dire que je la voulais au centre, est-ce avec Alain Madelin qui, à mes yeux, est non seulement à droite de l'UDF, mais à droite de la majorité ou est-ce avec François Léotard qui est au centre de gravité, comme beaucoup l'ont dit, de l'UDF et qui, surtout, représente une candidature de rassemblement : François Bayrou à Force démocrate, le Parti républicain, les adhérents direct, et beaucoup d'autres personnalités.

Démocratie moderne : J'ai envie de vous demander : qu'est-ce qu'un centriste ? Est-ce quelqu'un qui toujours, entre deux propositions, choisit la voie moyenne, pas tout à fait ceci, pas tout à ait cela ?

Philippe Douste-Blazy : Nous avons une identité positive très forte. Nous avons changé de nom, nous nous appelons Force démocrate. Nous voulons replacer l'homme au cœur de la société. Pour nous ce n'est ni tout à l'Etat, ni tout au marché, à l'argent.

Démocratie moderne : Est-ce que tout le monde ne dit pas cela aujourd'hui ? N'y a-t-il pas une révolution culturelle dans tous les partis qui fait que, justement, les positions extrêmes se sont un peu élimées et qu'aujourd'hui vous êtes rattrapé par tous le monde ?

Philippe Douste-Blazy : Ce n'est pas vrai. Le mot important pour nous, c'est le mot de responsabilité. Regardez les socialistes, en France, en Espagne, ils ont triplé les déficits publics. Regardez sur le plan social : traitement social du chômage, mais 22 % de chômage en Espagne et, en France, on a vu ce qu'ils ont fait. Je crois que les hommes politiques d'aujourd'hui doivent prendre leurs responsabilités et qu'ils doivent donner un sens au présent et à l'avenir. Vous n'y arriverez pas si vous n'êtes pas profondément humaniste. La deuxième caractéristique des centristes, c'est que nous sommes à la fois contre les totalitarismes et les extrémismes. Et enfin, surtout, nous somme le parti européen. Nous sommes les héritiers des pionniers de l'Europe. Pour nous, l'avenir de la France, c'est l'Europe. Nous avons fait le marché unique, l'acte unique, la monnaie unique. Nous avons fait la première puissance économique sans le savoir, faisons la première puissance monétaire du monde. J'allais dire : ne revenons pas sur les trois acquis de l'Europe.