Texte intégral
Date : Vendredi 9 mai 1997
Source : France 2/Édition du matin
France 2 : Deux jours après J. Chirac, L. Jospin s’adresse à son tour aux Français par une tribune qui paraît dans la presse aujourd’hui. Il ne convainc, a priori pas tout le monde. Libération parle d’un texte général, d’eau tiède et puis le RPR, J.-F. Mancel parle de phrases banales, de mots creux, d’un manque de souffle. Qu‘en pensez-vous ?
J. Lang : Cette lettre est une lettre d’avenir. Par contraste avec la lettre du président qui était tournée vers le passé, la lettre de L. Jospin s’adresse aux Français, pour construire le futur. C’est un texte écrit avec raison et avec cœur. En même temps, je note au passage un vrai acte de démocratie, puisque tous les journaux français l’ont reçu, et non pas certains qui auraient été sélectionnés à l’avance. Je crois que le maître-mot du texte, c’est le mot respect Nous voulons substituer à une politique du cynisme et du mépris une politique fondée sur le respect. Pourquoi ? Parce que c’est normal en démocratie respect de la parole donnée, respect de l’argent public, respect du dialogue avec les Français. Mais aussi parce que si vous ne rétablissez pas la confiance de nos concitoyens dans leur gouvernement, rien ne changera, rien ne bougera ; ni la lutte contre le chômage, ni la lutte contre l’insécurité, ni la lutte pour la protection sociale. Dans un pays comme le nôtre, aujourd’hui, si vous voulez avancer, il faut que les Français apportent leur talent, leur énergie, leur imagination au pays et il faut qu’ils respectent leur gouvernement. Et pour qu’ils respectent leur gouvernement, il faut d’abord que celui-ci les respectent. Par conséquent, le thème central du texte, c’est changer la politique pour changer de politique. C’est un préalable et c’est ça le thème central du texte de L. Jospin. Il veut changer la politique pour changer la politique du chômage, la politique de l’insécurité, la politique de la famille, de la santé. Il veut faire rebattre, dit-il, le cœur de la France.
France 2 : A. Juppé a abordé les thèmes que vous venez d’invoquer sous forme de quatre questions posées à L. Jospin sur la hausse des impôts, sur l’immigration, sur les ministres communistes, sur les nationalisations. A. Juppé a dit qu’il n’y avait pas eu de vraies réponses.
J. Lang : Vous savez le caractère surréaliste de la situation ? Le Premier ministre je respecte la personne se conduit comme s’il était dans l’opposition, déjà dans l’opposition, et s’adresse à nous comme si nous étions déjà au gouvernement. C’est le monde à l’envers, d’ailleurs c’est le signe que l’actuelle majorité sent qu’elle est en perte de vitesse. Parlons clair : on parle des impôts ?
France 2 : Oui, justement parlons-en.
J. Lang : Mais l’homme qui parle des impôts, c’est A. Juppé qui, s’il y avait un festival de Cannes des surimpositions, aurait la Palme d’or. Il est champion des Jeux olympiques de la surimposition. Il a matraqué les Français, avec 140 milliards d’impôts supplémentaires. Comment peut-on croire que demain, l’homme qui a été vraiment le champion des prélèvements obligatoires, baisserait les impôts alors que nous disons, nous, qu’il n’y aura pas un centime d’impôt de plus. Les lois Pasqua, les clandestins ?
France 2 : Effectivement, si on les supprime ça veut dire que l’immigration clandestine va revenir.
J. Lang : D’abord l’immigration clandestine, ou irrégulière, est là. Elle a même augmenté depuis quatre ans, pour une bonne raison, c’est que les lois Pasqua et autres sont des lois qui sont des fabriques à clandestins et à irréguliers. Ils ont commis cet exploit extraordinaire de faire une loi qui, soi-disant, prétendait juguler l’immigration clandestine et qui, en réalité, l’a augmentée. Par ailleurs, aucune action menée par l’actuel Gouvernement pour lutter contre les négriers qui exploitent les travailleurs, qu’ils font venir par bateau ou par avion, de l’extérieur afin d’obtenir les meilleurs profits.
France 2 : Si on prend l’exemple des ministres communistes...
J. Lang : Éventuels.
France 2 : Éventuels, ce n’est pas sûr ?
J. Lang : Éventuels, ça veut dire que rien n’est établi à l’avance. M. Juppé se trompe d’époque, sur ce sujet, comme sur tant d’autres. Ils sont à côté de leurs pompes s’agissant du temps où nous vivons. Le mur de Berlin est tombé, Staline est mort il y a 40 ans.
France 2 : Mais il y a quand même des différences très nettes, par exemple sur l’Europe, entre les communistes et ce que disent les socialistes. Alors qui aura raison à l’arrivée ?
J. Lang : Je voudrais d’abord rappeler avec clarté, sans vouloir exercer la moindre hégémonie, que le Parti socialiste est le cœur du cœur de la gauche. Nous sommes l’ossature, nous sommes l’axe principal, et au total...
France 2 : Oui, mais R. Hue, hier, a bien dit qu’il refusait cette hégémonie du Parti socialiste et puis il a dit qu’il fallait tenir les engagements, par exemple, sur le refus de l’Europe libérale et sur le refus de l’austérité. Il a dit cela de manière claire et nette, hier, sur France 2.
J. Lang : Les engagements que nous prenons pour l’Europe, nous les tiendrons. C’est-à-dire que notre doctrine européenne restera inchangée. Je veux dire par là que nous sommes pour une Europe plus volontaire dans le domaine social, plus volontaire dans le domaine économique, plus volontaire dans le domaine de la jeunesse, de l’éducation et par conséquent...
France 2 : Donc les communistes devront accepter ça ?
J. Lang : Nous avons fixé notre orientation pour l’Europe. C’est une question qui est vitale pour le pays et pour l’Europe. Il n’est pas question, je le dis et je le répète, de sacrifier notre conception de l’Europe sur l’autel de je ne sais quelle préoccupation électorale. L’intérêt de la France doit l’emporter et je crois que si R. Hue est de bonne foi et il l’est il constatera que depuis l’origine, notre volonté est de construire une Europe sociale, une Europe volontaire, une Europe qui va de l’avant. Mais nous ne modifierons pas d’un iota notre programme sur l’Europe pour satisfaire tel besoin électoral.
France 2 : Les sondages progressent mais ils montrent que beaucoup de Français restent indécis, voire indifférents face à la campagne. Qu’en pensez-vous ?
J. Lang : Moi, je pense que les choses vont se cristalliser dans les prochains jours. Il reste de notre part à donner un bon dernier coup de rein pour enjamber l’obstacle, pour passer la barre. Personnellement, je suis relativement optimiste, surtout...
France 2 : Vous pensez que vous allez gagner ?
J. Lang : Nous avons entre les mains la possibilité de l’emporter si nous menons dans les quinze jours qui viennent une campagne ardente, volontaire, optimiste, respectueuse des personnes. Il ne s’agit pas du tout d’attaquer untel ou untel, surtout pas la personne du Premier ministre. Mais ce sont deux politiques qui s’affrontent et je crois que les Français, le moment venu, se demanderont : faut-il donner un chèque en blanc à ceux qui ont échoué ou faut-il choisir la voie de l’avenir et de l’espoir, avec une nouvelle politique ?
Date : Mercredi 14 mai 1997
Source : France 2/Édition du soir
D. Bilalian : Depuis la fin de la semaine dernière, les sondages pour la gauche, l’opposition, sont légèrement à la baisse, alors qu’est-ce qui ne va pas dans votre campagne ?
J. Lang : Les sondages vont et viennent, je pense qu’il faut les observer avec le sens de la relativité. Vous citez certains sondages ; aujourd’hui même...
D. Bilalian : Mais si vous aviez une petite critique à vous faire ?
J. Lang : Non, écoutez, aujourd’hui même, je vais vous répondre...
D. Bilalian : Il y en a une ?
J. Lang : Lorsque l’on interrogeait les Français sur la question de savoir quel est le programme économique le plus solide et le plus sérieux, c’est le programme du Parti socialiste qui était cité en tête. Et dans un sondage relatif aux différents leaders politiques, les leaders de la gauche connaissent une vraie remontée. Mais ce que je voudrais vous dire, c’est ce que je ressens moi-même. Je sillonne différents départements le mien, d’autres départements et sur le terrain, on sent que progressivement, nos concitoyens prennent conscience de l’enjeu du scrutin. Et ce que je ressens en particulier, c’est d’abord un sentiment de colère, une colère contenue vis-à-vis de l’actuel Gouvernement. Beaucoup de nos compatriotes, de toutes catégories, des médecins aux ouvriers, des étudiants aux retraités, ont le sentiment qu’ils ont été, si j’ose dire, roulés dans la farine. Des promesses leur ont été faites, en particulier voici deux ans. Pour ne prendre qu’un seul exemple, on leur avait dit il y a deux ans : l’impôt tue l’impôt. On avait annoncé, déjà à ce moment-là, une baisse des impôts. Résultat : ils ont grimpé et M. Juppé, qui parlait à l’instant avec sa superbe habituelle, peut être sacré, si le festival de Cannes distribuait des récompenses ou donnait de sanctions, Palme d’or de la surimposition, de la surtaxation, parce qu’il a réalisé l’exploit d’atteindre le chiffre le plus élevé des prélèvements obligatoires depuis une vingtaine d’années. Alors ce que nos compatriotes disent c’est : qui a menti mentira. Comment croire les promesses, nous avons été grugés... Vous m’interrogez sur le climat, je vous dis : la volonté apparaît de plus en plus de sanctionner les sortants. Et puis, il y a un autre élément que je sens...
A. Chabot : Est-il possible de vous poser une question quand même, excusez-moi.
J. Lang : Je vous en prie.
A. Chabot : Sur les promesses, vous ne croyez pas quand même quand vous accusez le Gouvernement de ne pas avoir tenu les promesses de campagne de J. Chirac qu’en matière de promesses, les Français se disent : ok, là, à nouveau on entend du côté des socialistes, par exemple, 700 000 emplois... Alors, est-ce qu’ils ne se disent pas : est-ce qu’ils vont tenir leur promesse aussi, les socialistes ? Est-ce qu’il n’y a pas un doute sur la crédibilité aussi de votre programme quand même ?
J. Lang : Naturellement, quand le doute est instillé par les actuels dirigeants ! Mais en même temps, les engagements que nous prenons sont des engagements raisonnables, sérieux. Nous voulons remettre le pays en marche, créer une nouvelle dynamique en relançant l’investissement prive, l’investissement public et, en effet, en sortant de la difficulté un grand nombre de jeunes qui aujourd’hui, sont sans espoir. Mais ce que je voudrais dire aussi pour revenir au climat sur le terrain, c’est que nos compatriotes n’ont pas seulement un sentiment de colère qui se trouvera dans les urnes à travers une sanction contre le Gouvernement sortant ils ont aussi un sentiment de peur de l’éventuelle reconduction des actuels dirigeants et ils se disent : si M. Juppé ou ce gouvernement est remis en selle, ça veut dire les pleins pouvoirs pour cinq ans. Et c’est un point important, les actuels dirigeants se croiront alors tout permis. Ils feront, je dois le dire, ce qu’ils n’ont jamais osé faire complètement depuis deux ans : privatisations à tout va, démolition du service public, précarisation. Ils seront, il faut le savoir, les maîtres absolus de tout jusqu’en 2002, et je crois que les Français n’ont guère envie d’en reprendre plein les gencives pour cinq ans.
D. Bilalian : On verra ça le 25 mai. En attendant, vos adversaires vous accusent d’une certaine forme d’archaïsme. Ce qu’ils visent notamment, là, c’est votre alliance avec le Parti communiste. Alors que se passe-t-il avec le Parti communiste ? Est-ce que c’est un allié positif pour vous, ou est-ce que c’est quelque chose qui vous empêche de ressembler au nouveau parti travailliste anglais, par exemple, si les communistes n’étaient pas avec vous ?
J. Lang : Écoutez, on ressort de vieilles histoires, des vieilleries. Les temps ont changé, le mur de Berlin est tombé, les temps se sont modifiés. Quand je lis, j’entends que M. Juppé, qui ne craint pas les outrances, nous annonce je ne sais quelle composition du gouvernement qui fait obstacle à l’Europe, c’est assez cocasse ! Voilà que M. Juppé volontiers autoritaire, on le sait se met à composer le futur Gouvernement de la gauche. Je dirais qu’un Premier ministre de la gauche, et parlons justement de l’Europe, ce serait un atout pour la France, en Europe, puisque deux tiers des gouvernements européens sont sociaux-démocrates. Ce serait par conséquent un nouveau souffle dans la ligne de J. Delors qui, par ailleurs, fait partie de notre équipe, de notre équipe de France pour gagner dans quinze jours. Voilà ce que je souhaite dire sur ce plan.
A. Chabot : Sur le fond des divergences avec les communistes, vous dites : s’il y a une majorité de gauche, ce sera sur notre ligne, sur nos idées, ou bien comme dit R. Hue, faudra discuter parce que, nous aussi, on compte ?
J. Lang : Nous avons maintenant fixé la ligne, une orientation. Le Parti socialiste représente en gros 29 à 30 % des voix. Nous sommes la majorité dans la majorité future, et il est normal pour la politique étrangère que nous fassions passer avant toute chose les intérêts de la France et en l’occurrence, les intérêts de la France dans l’Europe.
D. Bilalian : Revenons un peu à la politique, à l’économie et à l’emploi. A. Juppé se propose de continuer sa série de baisse des impôts dont vous disiez tout à l’heure qu’il les avait augmentés dans un premier temps, mais là, il continue la baisse. Est-ce que vous, chez les socialistes, pour créer les emplois, vous serez prêts à arrêter les baisses d’impôts prévues ?
J. Lang : Nous l’avons dit lisez nos textes il n’est pas question d’augmenter d’un centime les impositions ou d’augmenter d’un centime les dépenses publiques. Mais puisqu’on parle de notre programme, j’observe qu’on s’y intéresse beaucoup. D’ailleurs, on parle de notre programme et très étrangement, on ne parle pas du programme du gouvernement sortant, et pour cause, il est vide. Il y a surtout une chose assez étrange qu’un homme comme M. Juppé, qui est un homme intelligent on ne peut pas lui contester cette vertu ait fabriqué en bout de table, comme cela, sur le coin d’une table, un programme dont il ne parle jamais parce qu’il n’est pas montrable. La vérité, c’est que derrière ce programme vide, il y a un vrai projet qui, lui, est inavoué, qui n’est pas montrable. Il s’agit, je crois, pour le Gouvernement sortant s’il était reconduit et remis en selle de pratiquer en France une politique à la Thatcher, une politique ultra-capitaliste, en particulier, ce qu’il appelle le moins d’État : moins d’infirmières pour la santé, moins de policiers pour la sécurité, moins de professeurs pour nos enfants et pour l’école, moins de magistrats pour la justice. Il s’agirait, dans une polémique de ce genre, d’ouvrir le feu vert aux charrettes de licenciements, de faciliter on l’a découvert aujourd’hui la réduction des salaires, puisque M. Monory qui est le deuxième personnage de l’État, président du Sénat, nous annonce qu’il veut remettre en cause le Smic. Nous, nous sommes contre cette démission de l’État. Nous voulons, au contraire, un État qui aille de l’avant, un État qui donne l’impulsion, en particulier de la modernisation, et qui assure dans ce pays...
D. Bilalian : Qui engage des fonctionnaires ?
J. Lang : Absolument pas. Nous n’avons jamais prévu cela. Simplement, nous voulons engager ce pays sur la voie de l’an 2000 et recréer une volonté d’action et de modernisation.
D. Bilalian : Quand on vous entend, vous n’êtes pas dans la caricature un peu en dénonçant le programme de la majorité ? Vous n’en faites pas un peu trop ? Et vous n’entendez pas le Président de la République qui dit : parlons du fond, pas de polémique, n’en rajoutons pas ?
J. Lang : Le Président de la République s’est exprimé, je crois, ce matin, en disant à ses ministres : pas de polémiques. Le premier à ne pas obéir, c’est le Premier ministre puisqu’il vient à nouveau de cogner contre les socialistes, ce qui est une manière de reconnaître que les chances de victoire de notre mouvement et de la gauche toute entière ne sont pas minces. Mais ce que je voudrais dire, c’est que, pour venir aux choses simples, notre souci quel est-il ? En remettant la France en marche, en remettant la France sur les rails de la croissance, c’est de proposer à nos concitoyens, jeunes ou moins jeunes un emploi, un toit, un avenir. Et l’ensemble des propositions que nous faisons vont dans ce sens.
D. Bilalian : En vous écoutant, est-ce qu’il n’est pas terrible pour un pays où, chaque fois que l’on propose l’alternance à un autre pouvoir, on ne trouve rien de bon à justifier dans le programme qui a été appliqué avant ?
J. Lang : Cela c’est la démocratie. C’est le débat On ne peut pas dire à la fois : gauche et droite, c’est du pareil au même ce qu’on entend parfois et puis reprocher que le débat prenne un tour vif. Je crois qu’il est très important que nos concitoyens prennent conscience, et je m’adresse à travers vous à ceux qui hésitent ou à ceux qui sont indifférents et je leur dis : mettez-vous en marche, ne laissez pas, le 25 mai, les autres décider à votre place. Le vote du 25 mai est un vote grave. Et si le Gouvernement actuel est remis en selle, je le pense vraiment, et je le dis en pesant mes mots : ce sera trop tard, et vous n’aurez que vos yeux pour pleurer. Je pense que notre pays, au contraire, doit retrouver la confiance en lui-même.
A. Chabot : La confiance tout le monde le dit : dans le discours de la majorité...
J. Lang : La confiance en effet ne se décrète pas, ne se proclame pas, elle se mérite. Et pour mériter la confiance, il faut que les dirigeants de demain, premièrement, respectent la parole donnée, deuxièmement, respectent l’argent public, et troisièmement, respectent nos concitoyens par un vrai dialogue, notamment sur un plan social. C’est à cette condition que nous recréerons une dynamique d’espoir. Personnellement, j’y crois et je m’engage de toutes mes forces dans ce beau combat que j’espère nous gagnerons.
Date : Mercredi 21 mai 1997
Source : RTL/Édition du matin
RTL : Le Président de la République a dit hier soir : « La France tiendra ses engagements européens. J’y veillerai. » Est-ce l’annonce d’une cohabitation, si elle devait se produire, en forme de confrontation ?
J. Lang : On ne peut pas se plaindre d’entendre le Président de la République plaider en faveur de l’Europe. On l’avait connu, naguère, moins fervent partisan de l’Europe. L’Europe qui est la nôtre, aujourd’hui, c’est précisément l’Europe de F. Mitterrand et de J. Delors, qui d’ailleurs a été renforcée sous les périodes de cohabitation, en particulier lorsque J. Chirac lui-même était Premier ministre : le marché unique, qui est l’un des éléments de cette Europe nouvelle, a été consolidé à l’époque où il y avait, au gouvernement, J. Chirac d’un côté et F. Mitterrand de l’autre, de même que lorsqu’il y a eu une crise sur le franc, on a vu le Président Mitterrand et le Premier ministre Balladur faire front pour soutenir le franc sur les marchés internationaux. Mon sentiment, c’est que la voix de la France sera d’autant plus forte que toutes les familles de pensée font bloc autour de la construction européenne et d’une place rayonnante de la France en Europe.
RTL : Vous vous imaginez, en tant que ministre de gauche, expliquer à un Président de la République de droite ce que doit être la politique de la France ?
J. Lang : Il y a plusieurs choses dans la cohabitation : il y a des éléments partagés, en particulier la politique étrangère c’est la question posée à propos de l’Europe. De ce point de vue, un Premier ministre de gauche pourra apporter à la construction européenne, en harmonie avec le Président de la République, l’amitié qui est la sienne, avec la moitié des chefs de gouvernement sociaux-démocrates d’Europe je pense en particulier à notre ami T. Blair. Par conséquent, je crois que la cohabitation pourra être la source d’un nouveau souffle pour l’Europe qui, il faut bien le dire, est aujourd’hui un peu en panne.
RTL : La France ne risque-t-elle pas d’être isolée ? H. Kohl, à l’Élysée, hier soir, a dit : « On ne va pas reparler de ce qui a déjà été décidé, notamment sur les critères de Maastricht ou sur l’euro. »
J. Lang : C’est un autre sujet C’est le contenu de négociations qui, de toute façon, sont prévues dans le Traité de Maastricht initié par Delors et F. Mitterrand. Le moment venu, il faudra bien prendre une décision politique qui sera une décision prise d’un commun accord par les différents pays la France aura son mot à dire, l’Allemagne, et puis les pays trancheront.
RTL : Quand A. Juppé dit que L. Jospin joue l’échec de l’euro pour faire plaisir aux communistes, que lui répondez-vous ?
J. Lang : Je considère que ce n’est pas digne d’un homme d’État de dire des choses comme celles-là. Je ne l’avais pas entendu. Ce n’est pas normal. En campagne électorale, on n’a pas le droit de tout dire. L. Jospin est un homme d’État. Nous plaçons au-dessus de tout l’intérêt de la France et de l’Europe. C’est inacceptable ! Nos positions sur l’Europe sont connues depuis longtemps. Elles n’ont rien à voir avec je ne sais quel accord électoral, avec celui-ci ou celui-là.
RTL : L. Jospin disait, hier soir, dans Le Monde, qu’il n’était pas possible de tout faire à la fois : diminuer le temps de travail, augmenter les salaires et créer des emplois. Quel serait le changement si la gauche arrivait au pouvoir ?
J. Lang : D’abord, un changement politique. Cela veut dire que nous respecterions les engagements que nous avons tenus. Il faut en finir avec ce système politique dans lequel des responsables prennent des engagements je pense à ceux pris voici deux ans pour baisser les impôts, pour augmenter les salaires tout aussitôt déchirés et oubliés le lendemain. C’est inacceptable. Dans une démocratie, le commencement du commencement, c’est de changer la méthode du gouvernement. Il faut qu’à l’avenir, un gouvernement respecte la parole donnée. Voilà le premier changement. Pour le reste, il s’agira de remettre le pays sur les rails, de redonner un nouveau souffle à la croissance et de faire en sorte que la justice sociale devienne réalité.
RTL : En novembre dernier, lorsque je vous avais invité, vous m’aviez dit : « Oh, j’aimerais retrouver l’esprit de 1981, non la lettre, mais l’esprit, pour remettre le pays en mouvement. » Qu‘est-ce qui, dans le programme actuel de la gauche et les intentions de L. Jospin, qui parle « d’audace maîtrisée », permet de dire que le pays sera remis en mouvement ?
J. Lang : Je crois que nous formons une équipe de battants. Nous sommes une sorte d’équipe de France pour gagner, pour faire gagner la France, pour la remettre en marche, en mouvement, à partir d’un vrai changement politique, d’un vrai changement de conception de la gestion des relations entre le pouvoir et les citoyens, respecter les citoyens, dialoguer avec eux, et non pas, comme cela a été le cas depuis quelque temps, les mépriser.
RTL : Cela se traduit concrètement de quelle manière ?
J. Lang : Par toute une série de réformes que nous avons proposées sur la démocratie, sur la réhabilitation du Parlement, sur la suppression du cumul des mandats, sur la concertation avec l’ensemble des mouvements, associations, syndicats, sur la conférence nationale sur les salaires et l’emploi et, naturellement, par toute une série de réformes sur l’éducation. Il y en a assez que l’éducation soit mise au pain sec ! Il faut la remettre en mouvement. Il y en a assez que la culture soit asphyxiée ! Il faut lui redonner toute sa place. Il y en a assez que la répartition des profits bénéficie toujours aux mêmes ! Il faut restaurer un peu de justice sociale en changeant la loi fiscale. Voilà des changements qui nous avons exposés. Mais ce que je voudrais dire, aujourd’hui, puisque nous sommes à quatre jours...
RTL : Est-ce que ça vous barbe que la campagne soit pratiquement axée exclusivement sur l’économique et le social ?
J. Lang : Non, mais tout est lié. La machine économique ne se remettra en route que si la confiance est restaurée. La confiance ne sera restaurée que si les citoyens ont le sentiment d’être respectés par le Gouvernement. Ce que je voudrais dire, précisément, c’est que nos concitoyens ont le sentiment d’avoir été roulés dans la farine, trompés, grugés, depuis quelques années. Ils sont mécontents. Je m’adresse à ceux d’entre eux qui peuvent hésiter encore et être indécis : il faut qu’ils disent ce mécontentement dans les urnes, dimanche prochain. C’est le bon sens même. Il faut qu’ils disent leur refus de l’injustice sociale, leur refus de l’augmentation inconsidérée des impôts et des déficits. La logique voudrait que nos concitoyens mécontents disent « non » au gouvernement sortant parce qu’à l’inverse, si l’actuelle majorité était reconduite, cela voudrait dire donner les pouvoirs absolus à un clan qui mettrait le pays en coupe réglée, qui se croirait tout permis. Or, je ne crois pas que les Français soient masochistes. S’ils l’étaient, ils auraient une solution pour satisfaire cet instinct : ce serait de voter UDF-RPR, parce qu’à ce moment-là, ils seraient gâtés ! Au bout du compte, ils dégusteraient. Mais surtout, qu’on n’aille pas nous dire après : « On ne savait pas », ce sera trop tard. Il est temps, encore, d’ici dimanche, de réfléchir, de peser le pour et le contre, que chacun, en son âme et conscience, s’interroge au fond de lui-même pour savoir ce qui est le mieux : donner pleins pouvoirs à un clan ou à un parti qui, depuis plusieurs années, a échoué, ou bien rééquilibrer, faire respirer la démocratie et permettre à une politique nouvelle d’avoir ses chances.
RTL : Est-ce que le Parti socialiste est vraiment prêt à gouverner ? L. Jospin semblait revenir sur sa parole en ce qui concerne les privatisations : au début, il était question de pragmatisme ; ensuite, il n’était pas question de privatisations ; puis maintenant, il dit qu’on va consulter les employés de France Télécom.
J. Lang : Les entreprises publiques sont parmi les plus beaux fleurons de notre industrie. Il n’est pas normal de les brader à bas prix pour boucher les trous béants creusés par la gestion catastrophique de certains responsables politiques. C’est pourquoi nous avons dit : « Nous stoppons. » Alors, que sur France Télécom il faille éventuellement interroger les personnels, c’est une possibilité qui a été ouverte par L. Jospin hier, voilà, je n’en dirais pas davantage aujourd’hui. Je note, au passage, que les grands contrats dont on se glorifie aujourd’hui, en Chine, les contrats pour les avions, ou en Arabie Saoudite, sont des contrats qui sont le résultat d’actions et de productions d’entreprises nationales. C’est bien la preuve que ces entreprises sont parmi les fers de lance de la croissance économique française.
Date : Jeudi 22 mai 1997
Source : France 3/Édition du soir
France 3 : On l’a vu, Toulouse, c’est la ville de F. Mitterrand, là où il finissait toutes ses campagnes. Est-ce que vous n’avez pas le sentiment que l’héritage de l’ancien chef de l’État a été un peu escamoté dans cette campagne à gauche ?
J. Lang : Ce fut une campagne courte. Elle a été voulue d’ailleurs par le Gouvernement pour être courte, de façon à pouvoir saisir les Français par surprise. Or, une campagne courte ne permet pas de tout évoquer et je crois que l’œuvre, la pensée de F. Mitterrand ont constamment été présentes, et ce soir même, à Toulouse, je crois que L. Jospin y pense très fort.
France 3 : Alors justement, est-ce que vous avez eu le sentiment que cette campagne, à la fois courte et sans passion a profité au PS.
J. Lang : Oui, sans passion mais quand vous regardez localement dans les circonscriptions, je vois ce qui se passe par exemple dans mon département, les coups bas venant des partis conservateurs ou de l’extrême-droite pleuvent Ce n’est pas la conception que nous avons de la démocratie. Nous croyons qu’il vaut mieux avoir un débat loyal, franc, et direct. Je dirais simplement, puisque nous avons peu de temps et que le scrutin a lieu dans trois jours, je voudrais m’adresser justement aux indécis, aux hésitants, à ceux qui s’interrogent et leur dire, puisque la majorité d’entre vous est mécontente, et même parfois en colère des médecins aux ouvriers, des étudiants à ceux qui n’ont pas de travail , exprimez ce que vous avez sur le cœur et dites, dimanche prochain, dans l’urne, votre mécontentement. Sanctionnez l’échec du gouvernement sortant. Cet échec que nous constatons aujourd’hui même à travers vos reportages. Voyez ce qui se passe à l’éducation nationale, la violence, la violence à l’école, la violence dans les quartiers, l’insécurité. Ne laissez pas à d’autres citoyens le soin de décider à votre place.
France 3 : Vous l’avez dit, il y a énormément d’indécis alors qu’on est qu’à trois jours du premier tour. Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a pas eu des manques dans cette campagne ? Est-ce que vous avez des regrets ?
J. Lang : Mon regret c’est que nous n’ayons pas disposé du temps suffisant pour expliquer, exposer et convaincre, comme c’est normal dans une vraie démocratie. Mais je crois qu’il y a assez de temps quelques minutes - pour dire à ceux qui hésitent : le choix de dimanche il est simple : c’est oui ou c’est non. Voulez-vous ou ne voulez-vous pas remettre en selle pour cinq ans A. Juppé ? Voulez-vous lui donner un pouvoir absolu pour aller jusqu’au bout de ses idées, qui consistent, vous le savez, à infliger à notre pays une politique de régression ? Et si demain cette majorité sortante était reconduite, elle aurait les pleins pouvoirs, sans aucune limite ; elle se croirait tout permis pour aller jusqu’au bout de sa conception d’un ultra-capitalisme dur et dérégulé. Moi, je crois qu’il faut que notre pays choisisse une autre voie, et ce que nous proposons, c’est de remettre sur rail notre pays. Nous proposons de le remettre en mouvement. Face à nos grands concurrents, il faut redonner vitalité, croissance, espoir, confiance. Personnellement, j’y crois. Je crois que notre ambition c’est de redonner à chaque Français le droit à un emploi, à un toit, à un avenir et l’équipe de rechange est là, prête à gouverner, une équipe renouvelée, transformée, avec beaucoup de femmes ; et, je peux vous le dire pour y participer depuis des semaines, l’équipe d’action et de rénovation de la France est prête à prendre la relève.
Date : Vendredi 23 mai 1997
Source : Europe 1/Édition du matin
Europe 1 : La boucle du premier tour sera bouclée ce soir. N’êtes-vous pas impressionné par la pugnacité, l’entrain, le moral de vainqueur d’A. Juppé et de F. Léotard qui a réussi un retour en force dans cette campagne ?
J. Lang : Ah, il faut dire qu’ils ne manquent pas d’air ! Je suis toujours assez surpris quand je vois l’aplomb et la superbe avec lesquels le Gouvernement sortant assène, affirme, attaque, comme s’ils ne traînaient pas derrière eux un bilan désastreux, tel un boulet dont ils ne peuvent pas se défaire : bilan financier, des gestions catastrophiques, des déficits abyssaux qui sont peut-être beaucoup plus graves qu’on ne l’imagine ; un chômage grandissant à la vitesse grand V, sans compter les promesses qui n’ont pas été tenues et qui donnent le sentiment au pays d’avoir été trompé et grugé.
Europe 1 : Comment expliquer que les sortants, comme vous les appelez, ont toujours eu dans cette campagne l’initiative ? Sont-ils bons ou l’êtes-vous moins ?
J. Lang : C’est beaucoup moins vrai depuis deux semaines, car depuis deux semaines, nous avons réussi à la fois à mettre en valeur ce que sera notre programme d’action et de transformation dans deux semaines, si nous sommes élus. Par ailleurs, nous avons contesté point par point la gestion du gouvernement sortant. Vous observerez aussi que non seulement ils n’osent pas assumer leur bilan désastreux mais, en plus, ils n’osent pas avouer leur vrai programme, il est vrai quasiment inavouable, qui consiste premièrement, à déréguler l’économie française et à appliquer à la France, au fond, le remède de cheval qui avait été infligé par Mme Thatcher à la Grande-Bretagne. Ce vrai programme dont je parle à l’instant, vous le découvrez non pas dans la feuille de chou qui a été publiée il y a trois semaines, rédigée à la hâte entre deux portes, mais à travers les déclarations ici et là, des uns et des autres...
Europe 1 : Exemple ?
J. Lang : M. Léotard, hier, annonçant on ne l’a pas assez remarqué un plan Sécu Juppé II, c’est-à-dire, un tour de vis supplémentaire à trois tours, ou encore annonçant la remise en cause des retraites du service public, ou M. Monory, il y a quelques jours, préconisant la suppression du Smic.
Europe 1 : Le programme du PS n’est déjà plus ce qu’il était au début de la campagne. Devient-on plus pragmatique, plus raisonnable quand montent les parfums du pouvoir ?
J. Lang : Le programme n’a absolument pas été changé ! Sur quelques points, des précisions ont été demandées, elles ont été apportées. Disons que notre ambition reste la même : nous voulons tourner le dos d’abord à la politique du cynisme et du mépris. Nous voulons que, dans ce pays, fonctionne une vraie démocratie dans laquelle chacun soit respecté, à commencer par le contrat passé avec le peuple et par ailleurs, avec un vrai dialogue social et démocratique à instaurer, un Parlement réhabilité. Surtout, nous voulons remettre sur rails l’économie française face aux grands concurrents que sont le Japon et les États-Unis. Nous voulons redonner vitalité, croissance par la relance de la consommation, par la relance de l’investissement par la libération des initiatives. Notre ambition, c’est de nous fixer comme objectif de donner à chaque Français un emploi, un toit, un avenir et j’ajouterais une retraite, puisque de graves menaces pèsent aujourd’hui sur les retraites des Français.
Europe 1 : M. Juppé vous répond ce matin dans Le Figaro : « Le programme socialiste, c’est moins d’Europe, plus d’impôts à coup sûr, soit au total plus de chômage. L. Jospin propose sur à peu près tous les sujets les vieilles recettes du socialisme.
J. Lang : J’ai l’impression que M. Juppé a retrouvé là cet art ancien qu’on appelle l’autoportrait : il se décrit admirablement ! A. Juppé, ce fut depuis deux ans plus d’impôts, 140 milliards de matraquage fiscal et social. A. Juppé, ce fut pendant deux ans plus de chômage et depuis quatre : ans, c’est 450 000 chômeurs de plus. Dans le même temps, les services publics sont remis en cause, la santé, l’éducation nationale. Soyons concrets : je trouve que les Français doivent juger les gouvernants sur leurs actes et pas seulement sur leurs paroles. Parlons tout simplement de ce qui se passe depuis deux jours : la violence à l’école, l’insécurité grandissante. Nous avions mis au point, L. Jospin et moi-même, un plan antiviolence à l’école, qui a été abandonné pendant trois ans et vaguement repris l’année dernière. Nous voyons aujourd’hui la situation s’aggraver ici et là, dans les banlieues.
Europe 1 : Vous n’allez pas dire que c’est la faute de F. Bayrou et d’A. Juppé !
J. Lang : Je dis que cet incident est à l’image d’une situation dans laquelle l’État démissionne. D’ailleurs, c’est le seul élément qu’avoue le Gouvernement sortant : ils veulent moins d’État. Cela veut dire moins d’infirmières, donc moins de santé, moins de policiers, donc moins de sécurité, moins de magistrats, donc moins de justice, alors que nos concitoyens, eux, souhaitent que l’État reprenne le pouvoir pour redonner vitalité et énergie au pays.
Europe 1 : Donc, c’est « Nous ou le chaos » ?
J. Lang : Je ne dis pas « Nous ou le chaos ».
Europe 1 : À peu près !
J. Lang : Si vous voulez ! Je crois qu’à ce stade, il faut que chacun pèse et soupèse et se décide en son âme et conscience. La question est simple : c’est oui ou non. Oui pour la remise en selle du gouvernement Juppé : ceux qui sont heureux, ils n’ont qu’une seule chose à faire, c’est de mettre dans l’urne un bulletin UDF-RPR et ils seront servis. Ils auront ce qu’ils veulent, c’est-à-dire, pleins pouvoirs au gouvernement sortant pour mener une politique archi-capitaliste et ils ne seront pas déçus. Pour les autres, je leur dis : dimanche prochain, si vous êtes mécontents, mettez votre colère dans l’urne et dites non au gouvernement sortant.
Europe 1 : Au premier tour ?
J. Lang : Oui, et au second tour. Faites-en sorte que ce pays puisse respirer autrement, faites-en sorte que nous puissions regarder l’avenir avec un peu plus d’optimisme. Donnez à une équipe nouvelle et renouvelée et rajeunie et transformée la responsabilité de conduire les affaires du pays.
Europe 1 : Que se passe-t-il lundi à gauche ? Des réunions PC-PS ? Des meetings communs, comme le demandait M. Hue ?
J. Lang : Non. Nous allons continuer notre campagne. La discipline républicaine fonctionnera comme elle a toujours fonctionné dans les élections de ce type. Nous mènerons, en tant que mouvement socialiste, notre campagne dans un esprit de large ouverture et de large rassemblement, en espérant même qu’au-delà de la gauche, tous ceux qui souhaitent que la France soit dirigée par un gouvernement d’innovation et de justice sociale puissent l’emporter.
Europe 1 : L’Europe a fini par prendre place dans la campagne. On a l’impression que la réalité va plus vite : un Conseil européen prépare aujourd’hui aux Pays-Bas la révision du traité de Maastricht, le compromis pour le compléter dans trois semaines à Amsterdam. Tout doucement, l’Europe politique se renforce. Est-ce bien ou insuffisant ?
J. Lang : Personnellement, je m’en réjouis. Se met en application ce que F. Mitterrand et J. Delors ont souhaité. C’est l’Europe dont ils ont rêvé qui se met progressivement en application.
Europe 1 : L’héritage de Mitterrand, vous ne l’oubliez pas dans la campagne ?
J. Lang : Absolu1nent pas, pas du tout : chaque fois que nous évoquons un de ces sujets, tel ou tel d’entre nous met en valeur ce qu’a été l’apport essentiel, notamment sur le plan international, de F. Mitterrand. Les deux rendez-vous dont vous parlez, celui du mois de juin en Hollande pour la conférence intergouvernementale, celui de l’année prochaine sur l’euro, sont deux rendez-vous qui avaient été programmés dans le traité de Maastricht. Je suis très heureux que les choses avancent Mais elles n’avancent pas à un pas suffisamment alerte. C’est pourquoi je pense qu’un Premier ministre de gauche pourra donner un souffle supplémentaire à une construction européenne qui, pour l’instant, demeure un peu molle, un peu gnangnan.
Europe 1 : Quelques avancées vont être décidées aujourd’hui. Ce sera la première sortie européenne de T. Blair.
J. Lang : Je m’en réjouis. Vous observerez d’ailleurs que deux tiers des gouvernements européens sont sociaux-démocrates ou à majorité social-démocrate. Par conséquent, ce serait un atout pour la France de pouvoir disposer d’un Premier ministre de gauche qui trouvera des alliés parmi les autres chefs de gouvernement pour faire avancer l’Europe sociale, l’Europe de la jeunesse, l’Europe de l’éducation et, surtout, une Europe du développement et de la croissance.
Europe 1 : Le ministre des affaires étrangères allemand, K. Kinkel, prévoit des négociations finales âpres en juin, lors de ce qu’il a appelé avec un mauvais goût exquis la « nuit des longs couteaux ». Est-ce qu’avec vous, ce sera du retard pour l’Europe, l’isolement de la France, comme le dit encore ce matin A. Juppé ?
J. Lang : Je n’insisterai pas sur le propos assez étrange du ministre des affaires étrangères allemand, mais ce que je crois, c’est que précisément, avec un gouvernement nouveau, l’Europe prendra un coup de jeune, un coup d’accélération. Je suis convaincu personnellement que J. Chirac et L. Jospin ont l’un et l’autre assez le sens de l’intérêt de l’État, de l’intérêt du pays et de l’Europe pour pouvoir travailler d’un même pas, d’un même mouvement pour construire une Europe nouvelle.