Interview de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, dans "Pèlerin Magazine" du 7 juin 1996, sur le rôle du ministère de la coopération, la démocratisation de l'Afrique et l'aide à l'enseignement et à la santé.

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Pèlerin Magazine : Bon nombre de Français ignorent le rôle du ministère de la coopération. Quel est-il ?

Jacques Godfrain : Pour ma part, j’aimerais, pour rendre compte de ce qu’il est réellement, l’appeler le ministère de la paix.

Pèlerin Magazine : Pourquoi ?

Jacques Godfrain : Parce qu’il œuvre pour le développement et le progrès qui sont des facteurs de paix. Je m’explique : les violences se nourrissent souvent de la pauvreté. Ainsi, les désordres liés à l’extrémisme religieux. En favorisant le développement, nous luttons contre les extrémismes. Autre désordre : les flux migratoires incontrôlés. Seul le développement local incitera les hommes à rester sur leurs terres plutôt qu’à partir grossir les rangs des immigrés.

Pèlerin Magazine : Mais la coopération souffre d’une mauvaise image. On lui reproche de soutenir des dictateurs, de permettre à des dirigeants corrompus d’alimenter leurs comptes en Suisse, de former des militaires…

Jacques Godfrain : Poursuivons l’image : au total, ce serait l’argent du contribuable français qu’on jetterait par les fenêtres.

Pèlerin Magazine : C’est vous qui le dites…

Jacques Godfrain : Bon ! Reprenons ces critiques une à une. D’abord, notre soutien aux dictateurs. Depuis quelques années, notamment après le sommet de la Baule en 1990, nous lions l’aide de la France à une exigence de démocratisation. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un pays africain francophone n’ayant pas encore organisé d’élections : le Tchad. Dans les autres, des élections ont eu lieu ou sont en cours. En Guinée, récemment marquée par une tentative de coup d’État, c’était un président élu démocratiquement qui était visé. C’est pour cette raison que nous l’avons soutenu.

Autre exemple : une alternance vient de se produire au Bénin. Le président sortant a été battu. Le vainqueur, Mathieu Kérékou, a été élu démocratiquement. On semble donc entré dans un jeu normal d’alternance démocratique. Et même parfois de cohabitation : au Togo, par exemple, où le Premier ministre n’appartient pas au parti du président. Au Niger, les militaires, après la prise du pouvoir, ont aussitôt annoncé l’organisation d’élections.

Pèlerin Magazine : Et la corruption ?

Jacques Godfrain : Aujourd’hui, nous avons stoppé notre aide aux budgets nationaux. Nous ne versons rien sans savoir où va l’argent. Nous ne finançons que des projets précis. Nous n’assurons pas les fins de mois.

Pèlerin Magazine : Reste la formation des militaires ?

Jacques Godfrain : C’est vrai, la France a formé la plupart des armées africaines. Mais les militaires ne sont pas des dictateurs en puissance. L’armée a bien souvent sauvé la démocratie.

Pèlerin Magazine : À combien s’élève le budget de votre ministère ?

Jacques Godfrain : Relativement peu. 7,5 milliards sur un total de 45 milliards pour l’ensemble de l’aide publique au développement.

Pèlerin Magazine : Curieusement, l’Europe de l’est n’est pas couverte par votre ministère. Quelles sont ses zones d’intervention ?

Jacques Godfrain : L’Europe de l’Est dépend du ministère des affaires étrangères. De même que le Maghreb. Le ministère de la coopération, lui, limite son action à la coopération Nord-Sud. Au-delà du « champ traditionnel » avec lequel nous entretenons des liens anciens et sentimentaux, il a compétence sur l’ensemble des 70 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), ainsi que sur l’Afrique du Sud.

Pèlerin Magazine : Quels sont les grands axes actuels de la coopération française ?

Jacques Godfrain : Il y en a trois principaux. Le premier porte sur l’enseignement, la formation des hommes. Le second sur leur état sanitaire, la santé. Le troisième, sur l’État de droit. En ce qui concerne l’enseignement, notre aide se traduit par une assistance très forte à l’école et à la pédagogie. Il y a vingt ans, on envoyait surtout des instituteurs, des professeurs. Aujourd’hui, notre action porte aussi sur une aide aux systèmes éducatifs, à la gestion des ressources humaines et la priorité est accordée à l’école « de base ». Dans le domaine de la santé, il s’agit de favoriser les soins et la prévention à travers une médecine de proximité.

Enfin, il y a l’État de droit auquel je tiens beaucoup. Pour deux raisons : d’abord, il signifie libertés publiques, pluralisme de la presse et liberté d’opinion. Ensuite, le développement économique ne peut s’en passer. Les pays d’insécurité juridique et judiciaire n’attirent pas les investisseurs. Or, outre l’aide publique, le progrès doit venir de l’investissement privé qui tient à trouver dans les pays où il s’installe des codes du travail, de commerce, des codes douaniers lui assurant la sécurité des transactions.

Pèlerin Magazine : Parfois, on entend dire que les aides apportées à l’Afrique n’ont servi à rien, que le continent part à la dérive, qu’il faudrait tout arrêter. Qu’en pensez-vous ?

Jacques Godfrain : La presse ne parle de l’Afrique qu’à l’occasion d’une épidémie ou d’une guerre civile et oublie ce qui marche. Je vous rappelle que dans la zone franc, le taux de croissance est actuellement d’environ 5 %. J’aimerais bien voir une telle progression en France. La culture du manioc, des ananas, de la banane est rémunératrice.

La dévaluation du franc CFA a revalorisé les revenus agricoles. On observe une tendance au maintien sur place des populations rurales, voire du retour dans les campagnes de ceux qui étaient partis à la ville. Il n’y a pas ou très peu d’inflation. Et on ne meurt plus de faim en Afrique.

Pèlerin Magazine : Au bout du compte, vous êtes optimiste pour l’avenir et vous estimez que la coopération est utile ?

Jacques Godfrain : Effectivement, même si elle est améliorable tous les jours. On doit pouvoir faire mieux avec moins. D’autant que les restrictions au niveau des budgets publics sont devenues inévitables. D’où mon appui aux organisations non gouvernementales (ONG) et à la coopération décentralisée.

Pèlerin Magazine : Comment ?

Jacques Godfrain : En augmentant les aides aux ONG et en favorisant les rapprochements ou les jumelages entre collectivités territoriales. Quand une commune française vient me voir avec un projet de développement, construction d’un centre social, d’une école ou d’une bibliothèque, et me dit : « Je mets un franc, mon département un deuxième franc et ma région un troisième franc », nous, au ministère de la coopération, doublons la mise.