Article de Mme Dominique Voynet, porte-parole des Verts, dans "Vert contact" du 30 mars 1996, sur l'attitude des pays occidentaux face au conflit en Tchétchénie et aux violations des droits de l'homme en Chine, intitulé "De la Chine à la Russie, du cynisme en politique...".

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Vert Contact : Comment comprendre l’impardonnable passivité des gouvernements européens face à la guerre, brutale, sans répit, que mène l’Armée rouge, ou du moins ce qu’il en reste, en Tchétchénie ?

Dominique Voynet : On peut, certes, l’expliquer en partie par la panique, fondée sur des analyses purement idéologiques et largement irrationnelles, qui saisit les chefs d’État occidentaux à l’idée que Boris Eltsine, qui promène depuis des années sa face rubiconde et sa bouteille de vodka dans les sommets du G7, pourrait ne pas être réélu en juin président de la Russie.

C’est que les Occidentaux, rejetant d’un même élan le nationaliste Vladimir Jirinovski – dont les vociférations haineuses (1) à l’adresse des parlementaires du Conseil de l’Europe, sont encore dans toutes les oreilles – et le communiste Guennadi Ziouganov – plein de nostalgie pour l’ordre ancien bien qu’hostile à la guerre coloniale menée en Tchétchénie – ont placé tous leurs espoirs en Eltsine, comme hier, en Gorbatchev. Eltsine, malgré le siège de Grozny, malgré la répression sanglante de la prise d’otages de Pervomaïskoïe, malgré le pilonnage de Samachki. Eltsine, à n’importe quel prix. C’est ainsi que le 25 janvier, la Russie a été admise au Conseil de l’Europe, sans avoir pris le moindre engagement, concernant la répression en Tchétchénie, la peine de mort ou le respect des libertés fondamentales. Et qu’un mois plus tard, le FMI accordait un prêt d’un montant exceptionnel de dix milliards de dollars à la Russie pour l’accompagner sur la voie de l’économie de marché (!), dont les ravages sont visibles ici, autant qu’ailleurs.

L’explication est là, d’une simplicité consternante : partout, les gouvernements européens soutiennent ceux qui leur apparaissent comme les meilleurs garants du libéralisme économique – que ce soient Eltsine, les ayatollahs iraniens, les dictateurs africains ou… les gérontes chinois. C’est, en effet, pour Li Peng, le Premier ministre chinois, responsable des massacres de Lhassa, au Tibet, et de la place Tian’ Anmen, en 1989, qu’on déroulera le tapis rouge à Paris, en avril. Arrestations massives de dissidents, innombrables camps de travail forcé, tortures, usage banalisé de la peine de mort, génocide lent des bébés filles et des enfants handicapés… la liste est longue des violences dont se rendent, quotidiennement, coupables les dirigeants chinois. Sans oublier l’absence de libertés politiques, syndicales, et religieuses, et la pression exercée sur la population de Taïwan par l’armée chinoise.

Après le calamiteux (2) voyage de Balladur en Chine, en 1994, l’accueil de Li Peng par le président français relève d’une conception extrêmement cynique des relations internationales : la Chine est un fabuleux marché, qui hante les dirigeants de bien des entreprises nationales. Et où voulez-vous que nous vendions des centrales nucléaires et de gigantesques barrages, si ce n’est dans des pays où les citoyens ne l’ouvrent pas ? Et puis, c’est bien connu, l’argent n’a pas d’odeur…

Pendant les affaires, l’embargo continue à tuer les enfants d’Irak.

1. « Après la présidentielle, nous nous occuperons de la Tchétchénie, et vous oublierez jusqu’à ce nom ».
2. Des arrestations de dissidents avaient été perpétrées pendant le séjour d’Édouard, qui n’avait pas pipé mot…