Texte intégral
RMC : M. Lalonde, où en êtes-vous et que comptez-vous faire ?
M. Lalonde : Toujours travailler pour l’écologie et essayer de contribuer au renouvellement de la vie publique française. Je crois qu’elle en a besoin quand même. On a une espèce de couvercle qui pèse. En revanche, on a toujours l’impression, en France, que cette vie publique hésite entre un parti unique, qui est l’ENA – Ecole nationale d’administration – ou Le Pen, Tapie. C’est donc : le modèle unique ou les dingues. On a du mal à créer une autre politique réformiste nouvelle, qui ne soit pas le fait des énarques. Les énarques, c’est très bien, mais ce n’est pas à eux de décider. C’est la haute administration et puis c’est tout.
RMC : Comptez-vous faire comme D. Voynet qui apparaît aux côtés de la gauche pour gagner quelques sièges aux prochaines élections ?
M. Lalonde : Non. Je pense que l’indépendance est, pour les écologistes, la seule formule raisonnable.
RMC : Le problème c’est que cette indépendance a fait qu’avec 8 % des voix en 1993, ils n’ont eu aucun siège.
M. Lalonde : Oui, mais c’est passé de très près. Il faut accepter les règles du jeu. Si c’est le scrutin uninominal, il faut dire à nous deux scrutin majoritaire et on aura quand même des sièges, et on aura quand même des députés au Parlement. Nous y parviendrons. Cela n’interdit pas de passer des accords et de travailler. Dans toutes les villes où nous sommes élus, nous travaillons avec les municipalités. Au fond, c’est vrai qu’un écologiste doit accepter de travailler avec les modérés, quel que soit leur bord.
RMC : Vous avez tenté de vous rapprocher de l’UDF à un moment. Pensez-vous continuer dans cette direction-là ?
M. Lalonde : Je n’ai pas d’ennemi. À Génération Écologie, on n’a pas d’adversaire. C’est assez difficile dans la vie politique française. Les adversaires sont les extrémistes ou le Front National. En revanche, oui, l’UDF pourquoi ? Parce que c’est un parti qui est en train de se renouveler, de renouveler ses équipes dirigeantes. C’est un parti qui n’a pas beaucoup de projets, qui stagne autour de 10 %. Par conséquent, l’idée qu’un des partis politiques français décide, par un acte fondateur nouveau, de créer un projet politique différent – et notamment intégrant l’écologie – pourquoi pas ? Nous travaillons toujours à ce projet-là. Nous sommes toujours prêts à travailler avec une force politique qui accepterait de créer du neuf. En attendant, travaillons sur l’écologie. Restons indépendants, restons serviables et essayons d’aider notre pays.
RMC : Serez-vous candidats aux élections législatives en 1988 en Ille-et-Vilaine ?
M. Lalonde : Vraisemblablement.
RMC : On prête à C. Lepage la volonté de créer un parti écologiste rattaché à la majorité. Qu’en pensez-vous ?
M. Lalonde : Il y a beaucoup de bruit, de mouvements écologistes un peu gaulois. Donc, que Mme Lepage crée le sien, eh bien plus on est de fous plus on rit.
RMC : Votre sentiment sur le fait que la centrale de Tchernobyl fonctionne toujours ainsi que d’autres centrales semblables. Fait-on ce qu’il faut ?
M. Lalonde : Non. On n’a pas vraiment l’impression que les hommes politiques aient envie de faire ce qu’il faut. Il y a progressivement une chose qui a changé depuis Tchernobyl : c’est un mouvement vers la mondialisation de l’énergie nucléaire. Je pense que c’est dans ce sens qu’il faut aller. L’énergie nucléaire a été l’un des moyens les plus puissants du nationalisme. Ça a été, après la Seconde guerre mondiale, le moyen de la puissance industrielle, de la puissance militaire, et du choc entre les nations. Maintenant une nouvelle génération d’États est prête à se servir du nucléaire, veut le feu nucléaire : l’Irak, la Corée du Nord. Il y a une espèce de désordre nucléaire qui s’installe. Donc il y a une course de vitesse. Ou bien c’est le désordre nucléaire. Ou alors les grandes puissances se mettent d’accord. Il y a un nouvel ordre nucléaire mondial et une gestion mondiale du nucléaire.
RMC : À votre avis, on prend quel chemin ?
M. Lalonde : On hésite. Le G7 c’est le premier acte. C’est la première fois que les chefs d’Etat du monde entier acceptent de se réunir pour ne parler que du nucléaire. Simplement les résultats ne sont pas à la hauteur.
RMC : Est-on sous la menace d’accidents ?
M. Lalonde : Oui bien sûr. Nous le savons tous. Jamais un accident n’aura été aussi prévisible. Nous savons qu’il y a une vingtaine de réacteurs nucléaires qui ne respectent pas les conditions de sécurité minimale, c’est surtout une affaire d’hommes. La sûreté nucléaire, ce n’est pas uniquement de la quincaillerie, des tuyaux. ? Ce n’est pas uniquement de l’argent. C’est aussi des hommes de chair et de sang qui travaillent, qui se donnent du mal. Tant que nous avons des hommes comme A. Nikitine – cet officier de marine russe qui est en prison parce qu’il travaille sur la liste des sources de pollution radioactive dans la flotte des sous-marins nucléaires russes – qui sont en prison, il faut tout craindre : des grandes puissances qui combinent le secret et la puissance nucléaire.
RMC : Et les « vaches folles » ? Vous êtes exprimés sur ce nouveau problème. J. Chirac demandait que les experts décident, enfin, donnent un diagnostic.
M. Lalonde : Mais vous avez raison. Les hommes politiques, c’est à eux de prendre les décisions. Et, c’est vrai que le monde actuel…
RMC : Mais il faut avoir des bases pour prendre des décisions ?
M. Lalonde : Les bases on les a depuis 1992. Depuis 1992 on sait qu’il y a un risque que la maladie de la « vache folle » passe à l’homme. Maintenant on a quelques craintes que cela soit déjà fait. Qu’est-ce qu’on fait ? Il y a un certain nombre de mesures à prendre. Quel que soit l’avis des experts, il faut recommander de ne pas consommer les abats de la viande. Tandis qu’en revanche le muscle, les biftecks, tout ça, il y a très peu de risque semble-t-il. Donc on peut y aller. Et puis, il faut interdire les farines d’origine animale données aux autres animaux. Je ne suis même pas sûr que cela soit fait. Pour le reste, écoutez il faudrait dire au Président de la République – lui qui aime tellement les agriculteurs – qu’il est temps de lancer une nouvelle alliance entre l’agriculture et l’écologie. Et que l’élevage intensif commence à créer des ravages. Vous savez que maintenant, ce n’est même plus l’élevage intensif, c’est l’élevage de clones ! Parce que c’est presque les mêmes animaux que la sélection génétique conduit à créer, et que l’on bourre d’antibiotiques, de tout ce que l’on veut. Et on finit par avoir des ennuis. La France est un pays qui a énormément d’herbe, d’espace et on a choisi le modèle néerlandais. C’est-à-dire le modèle d’agriculture où il n’y a pas d’espace. C’est invraisemblable ! Utilisons nos armes, nos outils et aidons l’agriculture à utiliser l’écologie pour faire les meilleurs produits, occuper l’espace, créer des emplois. Alors que pour l’instant, on a l’impression qu’on va vers le Tchernobyl agricole.
RMC : Vous n’en rajoutez pas un peu là, non ?
M. Lalonde : Moi la « vache folle », je trouve cela très effrayant. Et j’aimerais bien que l’on se rende compte que l’on ne joue pas avec la biologie, avec les microbes. C’est vrai que c’est inquiétant. Chaque fois que l’on change considérablement les conditions du milieu, chaque fois que l’on injecte beaucoup d’antibiotiques, chaque fois que l’on s’approche ou que l’on joue avec les chaînes alimentaires, on a toujours le risque de créer un nouveau réservoir pour des bactéries, des virus ou des micro-organismes nouveaux. Donc faisons attention à cela. C’est un chapitre nouveau. Moi, je pense qu’on va surmonter cette crise. Simplement, je ne crois pas que les hommes politiques doivent attendre tout des scientifiques. Les scientifiques peuvent donner uniquement leur avis scientifique. En général, il y a peu de choses !
RMC : Le bilan d’un an du Gouvernement Juppé à quelques jours près ?
M. Lalonde : Je pense que, progressivement, la politique nous intéresse de moins en moins parce que elle est réservée à une petite noblesse d’État, toujours les mêmes, qui gardent un pouvoir considérable, qui essaient de contrôler les moyens d’informations, qui essaient de tout régenter et qui nous disent : laissez-moi, je m’occupe de tout, faites-moi confiance ! Au bout d’un certain temps, la majorité des Français se désintéresse de la politique parce qu’elle a l’impression – et sans doute que c’est vrai – que le sort de la société française, que le sort de chacun, se joue ailleurs. C’est triste, mais c’est comme ça.