Interviews de M. Charles Pasqua, tête de liste du Rassemblement pour la France et l'indépendance de l'Europe aux élections européennes de 1999 et sénateur RPR, à France 2 le 1er avril 1999, à Europe 1 le 6 et à RTL le 14, sur les risques d'extension du conflit au Kosovo, la légitimité contestable de l'intervention de l'OTAN, l'accueil des réfugiés kosovars et la liste commune constituée avec Philippe de Villiers pour les élections européennes.

Prononcé le 1er avril 1999

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

jeudi 1er avril 1999 - France 2

France 2 :
On ne vous a pas beaucoup entendu depuis le début de l’offensive de l’OTAN en Serbie. Il fallait y aller ou il ne fallait pas y aller ?

Charles Pasqua :
Je crois que c’est une erreur. Je pense qu’on ne résoudra rien de cette manière. Je crains qu’on ne soit entraîné dans un engrenage qu’on aura du mal à maîtriser. Les risques sont considérables. Je recevais la semaine dernière M. Louchkov, le maire de Moscou, qui sera peut-être demain président de la Russie. Il avait vu d’ailleurs le président de la République et d’autres personnalités. Il était porteur d’un message du président Eltsine. Il ne m’en a pas donné la teneur, mais compte tenu des entretiens que nous avons eus, je l’ai trouvé extrêmement préoccupé, me disant notamment : « Si cette affaire perdure, si les bombardements continuent, la solidarité slave ne manquera pas de jouer. Nous aurons toutes les peines du monde à empêcher que des volontaires russes n’aillent là-bas, et finalement, sous la pression de la Douma, qui est majoritairement communiste, en définitive qu’on ne fournisse des armes. » Il y a donc un risque de contagion dans cette région. Naturellement, tout cela est difficile, mais je crois qu’au plus vite on trouvera un moyen de reprendre les négociations, au mieux cela vaudra. Ce n’est pas simple, j’en suis bien convaincu.

France 2 :
Hier, trois soldats américains ont été portés disparus à la frontière entre la Macédoine et la Serbie – on ne sait pas bien dans quelles circonstances. La flotte russe se rapproche de la zone. Est-ce que tout cela confirme un risque, si ce n’est d’offensive terrestre, en tout cas d’extension du conflit ?

Charles Pasqua :
Je crois que l’envoi de troupes au sol serait un pas dans l’escalade. Je rappelle que la Serbie – la Yougoslavie de l’époque – avait affronté les armées allemandes, et que pendant quatre années d’occupation, l’armée allemande n’est jamais arrivée à bout des Serbes. Et je rappelle aussi au passage que les Serbes étaient nos alliés pendant les deux guerres mondiales. Je pense que ce qu’il y a de plus regrettable dans cette affaire, c’est que nous suivions les Américains et que nous soyons entraînés dans ce processus alors que la France avait probablement un autre rôle à jouer.

France 2 :
Est-ce qu’on n’a sous-estimé aussi le jeu diplomatique des Russes, d’abord en les laissant à l’écart quand on a pris la décision d’attaquer en Yougoslavie, et ensuite en traitant peut-être avec un peu de désinvolture la tentative de médiation de M. Primakov ?

Charles Pasqua :
Oui, je le crois. Le fait que M. Primakov – d’ailleurs à la demande du président de la République, Jacques Chirac – ait accepté de se rendre à Belgrade et tenté de convaincre Milosevic n’aurait pas dû être pris à la légère. Et on n’aurait pas dû, avant même qu’il ait rendu compte du résultat de ses entretiens, considéré cela comme tout à fait négligeable. Je crois que les Américains ont une mauvaise évaluation de la situation. Nous, nous sommes Européens. Nous connaissons un peu mieux les problèmes, et nous devrions mettre en garde contre les conséquences de cette affaire qui sont incalculables à l’heure actuelle. Incalculables ! Y compris sur l’évolution de la situation en Russie, demain.

France 2 :
Vous êtes le seul, aujourd’hui dans l’opposition, à tenir ce discours. Vous sentez-vous seul ? Et deuxièmement, est-ce que c’est dans la tradition des amitiés anciennes avec la Serbie ?

Charles Pasqua : Il y a deux choses : premièrement, c’est vrai, il y a les liens anciens qui nous unissent à la Serbie. Mais il y a aussi une analyse. L’analyse est relativement simple : nous avons un État indépendant ; dans cet État indépendant, il y a une province dans laquelle il y a une rébellion ; des pays extérieurs décident d’intervenir pour trouver une solution pacifique à ce problème et comme on n’arrive pas immédiatement à trouver cette solution pacifique, on intervient militairement. Est-ce que demain on ferait la même chose en Espagne ? Est-ce qu’on ferait la même chose en France ou ailleurs ? Pourquoi est-ce qu’on n’intervient pas en Turquie ? J’ajouterai au passage ceci : c’est qu’on a bien vu les limites à des opérations militaires. Est-ce que par exemple les Américains sont arrivés à résoudre le problème en Irak ? Ils n’y sont pas arrivés.

France 2 :
Les communistes italiens menacent de quitter le gouvernement s’il n’y a pas de trêve au moment de Pâques dans les bombardements. En France, est-ce que vous pensez que les communistes français, qui sont opposés aux bombardements, doivent quitter le gouvernement ?

Charles Pasqua :
C’est un problème de conscience pour eux et de logique. Je crois qu’effectivement il est difficile de continuer à jouer longtemps de cette façon. J’ajouterai que ce qui me choque le plus, dans tout cela, c’est la position du président des États-Unis qui dit qu’il n’y aura pas de trêve et que les frappes continueront pendant les fêtes de Pâques. Ce qui veut dire que le véritable décideur dans cette affaire, c’est lui. Et les Européens, qu’est-ce qu’ils font ? Ils sont à la remorque des États-Unis. Alors on voit bien que l’Europe a du mal à exister.

France 2 :
J’ai bien compris que vous ne voulez pas rentrer dans la polémique politique française sur l’idée qu’il y ait une partie de la majorité qui ne soit pas tout à fait sur la ligne Jospin-Chirac, en ce qui concerne les attaques aériennes.

Charles Pasqua :
C’est relativement secondaire.

France 2 :
Vous comprenez les communistes, les hésitations du Mouvement des citoyens ?

Charles Pasqua :
Je comprends jusqu’à un certain point : je veux dire par là que, devant une situation aussi difficile et aussi grave, on ne peut être à la fois dedans et dehors. Il y a bien un moment où il faut trancher. Alors, chacun le fait en fonction de sa conscience.


mardi 6 avril 1999 - Europe 1

Europe 1 :
La France refuse pour le moment d’accueillir des réfugiés, sinon au cas par cas, est-ce que vous lui donnez raison ou tort ?

Charles Pasqua :
D’abord, tout le monde naturellement est consterné et extrêmement choqué par tout ce qui se passe. Et compte tenu de ce que nous avons, d’une part, la guerre au cœur de l’Europe et, d’autre part, cet exode massif de population qui, semble-t-il, n’avait pas été prévu, tout ça se déroule dans la plus grande pagaille, si j’ose dire. Je suis un peu étonné que les chefs d’État et de gouvernement n’aient pas jugé utile de se réunir, puisque qu’après tout ce devrait être avant tout une affaire qui concerne les pays européens. Alors, je ne crois pas que la solution consiste à disperser les réfugiés dans un certain nombre de pays. Je crois, au contraire, qu’il faudrait apporter immédiatement, non seulement une aide humanitaire – ce qui se fait tant bien que mal –, mais également une aide économique importante aux pays de la région qui ont une économie, qui ont des moyens faibles, de façon à éviter leur déstabilisation.

Europe 1 :
Ça a commencé et, d’autre part, l’urgence, c’est l’aide humanitaire.

Charles Pasqua :
Oui, l’urgence, c’est l’aide humanitaire. Mais je crois que ce qu’il faut, c’est faire en sorte que les populations soient accueillies dans les pays limitrophes du Kosovo. Pour cela, qu’on donne à ces pays le soutien économique et financier nécessaire parce que l’ambition de tous ces réfugiés, c’est de rentrer chez eux. Et c’est l’intérêt de l’Europe. Faute de quoi nous aurons plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées et nous aurons une situation à la palestinienne en Europe.

Europe 1 :
C’est-à-dire que vous êtes d’accord : la France ne doit pas ouvrir ses frontières et ses bras sans limite aux réfugiés ?

Charles Pasqua :
Oui, absolument. Mais, ce que je ne comprends pas non plus, c’est comment M. Schröder, qui est le président en exercice de l’Union européenne, peut prendre les initiatives qu’il a prises sans en rendre compte à ses homologues, parce qu’il est bien évident que, compte tenu de la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’espace Schengen, dès lors que des gens ont été accueillis en Allemagne, ou dans un autre pays de l’Union, ils pourront se déplacer librement.

Europe 1 :
Est-ce que vous voyez l’influence – vous qui avez été ministre de l’intérieur – de la politique d’immigration de Jean-Pierre Chevènement ?

Charles Pasqua :
Non, je ne crois pas du tout qu’il faille examiner les choses sous cet angle. Je crois, qu’en réalité, on doit être préoccupé par les conséquences à terme. Il y a naturellement l’émotion, c’est légitime : il faut aider les populations qui sont dans cette situation. Il faut une aide massive et il faut apporter, notamment à la Macédoine et à l’Albanie, les soutiens économiques nécessaires. Et, dans le même temps, il faut prendre garde à ce que nous n’ayons pas, aux frontières de ces différents pays, une implantation de réfugiés avec tout ce que cela peut représenter comme base arrière pour des mouvements qui ont choisi de leur côté la lutte armée ; et d’autre part, la dispersion de centaines de milliers de gens déracinés à travers l’Europe.

Europe 1 :
Hier, Bernard Kouchner rappelait la nécessité, dans certains cas, du devoir d’ingérence, Jean-Paul II comme Emma Bonino réclament un « couloir humanitaire », avec probablement intervention militaire rapprochée. Vous êtes d’accord pour qu’un jour ou l’autre, on puisse obtenir et réaliser le retour des Kosovars au Kosovo ?

Charles Pasqua :
Je voudrais rappeler ceci : la guerre se termine toujours par un armistice, et puis par la paix. À l’heure actuelle, nous avons une situation dramatique au Kosovo avec l’expulsion de ces centaines de milliers de gens et, par conséquent, cette espèce d’épuration ethnique. Il ne faut pas oublier que les Serbes en ont également subi les conséquences en Bosnie : 200 000 Serbes ont été expulsés, ça n’a choqué personne. D’autre part, en Serbie…

Europe 1 :
Ce n’est pas une manière de justifier ou d’accepter ce que fait Milosevic ?

Charles Pasqua :
Je n’accepte pas, mais bien entendu.

Europe 1 :
On sait bien qu’il avait commencé le nettoyage ethnique avant et pendant Rambouillet.

Charles Pasqua :
Je n’accepte pas du tout. Mais, ce que je constate c’est que pendant, avant et pendant Rambouillet, il y avait des observateurs de l’organisation de sécurité européenne sur place, et que ça limitait tout de même la liberté de mouvement du gouvernement serbe. On a arrêté les conversations de Rambouillet dès lors qu’on a eu l’accord des Kosovars, et puis on a semblé accepter comme une éventualité tout à fait normale d’attaquer et de bombarder la Serbie. Ça me paraît aberrant ! Il aurait mieux valu continuer les négociations. Lorsque j’ai reçu le maire de Moscou – M. Chirac l’avait vu avant moi –, j’avais dit : « Si actuellement ça ne bute que sur la présence de troupes de l’OTAN, essayons de trouver une autre solution. Envoyons des troupes françaises et des troupes russes, par exemple ».

Europe 1 :
Ce n’est plus le cas, on est dans une autre situation, on est en train de bombarder la Serbie, il y a le problème des réfugiés. Vous dites : « Toutes les guerres se terminent par des négociations et par la paix. » Mais encore faut-il qu’il y ait deux partenaires…

Charles Pasqua :
Ça me paraît évident.

Europe 1 :
Et là jusqu’à présent, toutes les propositions qui ont été faites à Milosevic n’ont pas été acceptées…

Charles Pasqua :
Est-ce que vous vous rendez compte, qu’à l’heure actuelle, la conséquence des bombardements, c’est de ressouder la totalité de la population serbe autour de Milosevic ! Parce que les Serbes n’ont pas d’autres informations que celles que leur donne leur télévision nationale. Ils ont donc le sentiment d’être injustement attaqués.

Europe 1 :
Vous voulez dire que, pour vous, la France se trompe ?

Charles Pasqua :
Je crois que ce n’est pas seulement la France qui se trompe. Je crois que l’ensemble des pays de l’Union européenne se trompe. Quant à la France, je regrette qu’elle ait été… elle est depuis qu’elle est rentrée dans l’OTAN, elle est naturellement solidaire. Je le regrette parce que, là, elle aurait eu un rôle à jouer qu’elle ne peut pas jouer.

Europe 1 :
Vous mettez en cause les choix stratégiques du président de la République ?

Charles Pasqua :
Écoutez, je ne suis pas en train de mettre en cause les choix du président de la République. Je constate que la France n’a pas la liberté de manœuvre qu’elle devrait avoir. Partant de là, et compte tenu de la situation dans laquelle nous sommes, et compte tenu de ce que les statuts de l’organisation des Nations unies prévoient, les pouvoirs de police appartiennent au Conseil de sécurité qui est le seul, habilité à décider de l’emploi de la force. Je pense qu’il faut réintroduire le Conseil de sécurité dans cette affaire et que le Conseil de sécurité prenne ses responsabilités, et impose, à ce moment-là, à Milosevic, ce qu’il refuse.

Europe 1 :
Le président de la République s’est entretenu ce week-end avec Kofi Annan aux Nations unies, ce qu’on a, c’est vrai, trop tendance à oublier. Aux États-Unis, les politiques et la presse, qui étaient jusqu’ici réservés, veulent « la guerre à outrance », je les cite, « à Milosevic, par tous les moyens possibles y compris des troupes américaines au sol. » Est-ce que vous êtes favorable, le moment venu, à des opérations terrestres ?

Charles Pasqua :
Non, je n’y suis pas favorable parce que je considère que c’est un pas de plus dans l’engrenage, dans lequel nous sommes engagés, et que cela ne résoudra rien du tout. Bien au contraire.

Europe 1 :
Est-ce que, vous, vous réclamez, comme on l’a entendu à droite, la démission des trois ministres communistes ?

Charles Pasqua :
Ça, c’est une question d’éthique personnelle et aussi de responsabilité du Premier ministre. Je pense qu’on peut difficilement continuer, quand on n’est pas d’accord, à rester au gouvernement. Mais c’est leur problème.

Europe 1 :
Pour le moment, ils n’ont pas l’intention de s’en aller, et puis à cela…

Charles Pasqua :
Ça ne m’a pas échappé.

Europe 1 :
Et les ministres qui émettent des doutes sur la stratégie suivie, des doutes, des critiques même quand ils se taisent…

Charles Pasqua :
C’est leur problème.

Europe 1 : Est-ce que vous pensez que l’Europe a fait des progrès. L’Europe s’est comportée, cette année, comme elle ne s’est jamais comportée il y a huit à dix ans. C’est-à-dire qu’elle est, semble-t-il, un peu plus organisée. En tout cas, elle n’a pas laissé faire un dictateur. Est-ce que pour vous c’est un progrès ?

Charles Pasqua : Ce n’est pas l’Europe.

Europe 1 : C’est un progrès de l’Europe, peut-être politique, et, un jour ou l’autre, de l’Europe avec une défense intégrée…

Charles Pasqua : Ce que je constate, c’est que, dans cette affaire, l’absence de défense européenne, l’absence de politique de défense européenne et d’organisation européenne indépendante s’est fait cruellement sentir. En réalité, nous sommes dans l’OTAN. C’est le président Clinton qui nous annonce depuis New York les décisions qui sont prises. Dans cette affaire, nous sommes directement à la remorque des décisions prises par les États-Unis.

Europe 1 : Vous voudriez qu’il y ait un sommet des européens, très vite ?

Charles Pasqua :
Il me semble que ce serait la moindre des choses, et qu’ensuite on rende compte aux opinions publiques.

mercredi 14 avril 1999 - RTL

RTL :
Vous fondez votre réunion avec Philippe de Villiers sur la critique de l’action de l’alliance atlantique en Serbie. Mais jusqu’où peut-on critiquer ces frappes de l’OTAN alors que des aviateurs français sont engagés dans les bombardements ?

Charles Pasqua :
C’est une vraie question. Mais le problème, auquel nous sommes confrontés, est plus vaste. Je veux dire par là : est-ce que ce sont les bonnes décisions qui ont été prises ? A-t-on fait un bon diagnostic ? Et, en définitive, est-ce que la solution retenue peut permettre de résoudre le conflit actuel ? À ces différentes questions, je suis tenté de répondre, non ! Je le fais sans aucun plaisir. Je veux dire par là que, manifestement, les responsables politiques de l’Union européenne ont commis une erreur de diagnostic considérable en imaginant que les Serbes céderaient dès la menace de bombardement. Nous sommes maintenant au 21e ou au 22e jour de frappes aériennes sur la Serbie. Dans le même temps, à partir du moment où on a décidé de faire le constat de l’échec des négociations, où on a retiré les 2 000 observateurs présents au Kosovo et qui limitaient les capacités d’exactions des milices et des forces serbes. On a donc, en réalité, une aggravation générale de la situation.

RTL :
Mais limiter les exactions, c’était un objectif suffisant ?

Charles Pasqua :
Non, ce n’était probablement pas un objectif suffisant. Mais en tous les cas, la situation était moins mauvaise que ce qu’elle est aujourd’hui. Elle ne cesse de s’aggraver.

RTL :
L’autre soir, Jacques Chirac disait : « Il ne faut pas se soumettre à l’esprit de Munich. »

Charles Pasqua :
Il a tout à fait raison. Mais, ne pas se soumettre à l’esprit de Munich, ce n’est pas à moi qu’il faut dire ça ! Je suis de ceux qui, à leur modeste place, ont combattu contre le nazisme, etc. Ne pas se soumettre à l’esprit de Munich, ça veut dire aussi : « conserver à la France, sa souveraineté. » Il ne faudrait pas l’oublier.

RTL :
Justement, la France milite actuellement, au sein de l’Union européenne, avec l’Allemagne d’ailleurs, pour un recours à l’ONU et l’implication des Russes dans la recherche d’une solution.

Charles Pasqua :
C’est une démarche que j’approuve. J’avais moi-même reçu le maire de Moscou, qui avait rencontré le matin même le président de la République. Il était porteur d’un message de Boris Eltsine. Il s’était montré très inquiet en indiquant que, si cette situation devait perdurer, les risques de voir la solidarité slave mise à rude épreuve – à savoir, la Russie être obligée d’accepter l’envoi de volontaires et la fourniture d’armes –, ces risques étaient réels. Donc, au plus tôt on réintégrera l’ONU dans le jeu et au plus tôt également on réintègre les Russes, au mieux cela vaut. Car les meilleurs interlocuteurs en direction des Serbes, ce sont les Russes. C’est certain.

RTL :
Dans ce contexte, vous souhaitez un report du sommet de l’alliance atlantique qui doit avoir lieu à Washington à la fin de la semaine prochaine ?

Charles Pasqua :
Certainement pas. Je pense, comme tous ceux qui observent cette situation, au plus vite les responsables des nations se réunissent, examinent la situation et voient comment faire évoluer les choses, et au mieux cela vaut.

RTL :
Votre liste avec Philippe de Villiers dit : « Nous voulons l’indépendance de l’Europe. » Mais l’indépendance de l’Europe repose aussi sur une défense européenne, sur une politique étrangère commune. Tout le monde veut ça et c’est dans le traité d’Amsterdam !

Charles Pasqua :
Mais, tant mieux si tout le monde veut cela ! Mais pas de la même manière.

RTL :
Quelle est la différence alors ?

Charles Pasqua :
Je pose une question aux différents gouvernements européens qui souhaitent une défense et une politique étrangère communes : sont-ils décidés à s’en donner les moyens ? Et, la première question est simple : veut-on une Europe indépendante ou pas ? Pour le moment, le conflit qui se déroule actuellement au Kosovo, c’est plutôt le constat d’absence d’Europe.

RTL :
En fait, les Européens ont voulu ce qui s’est passé ?

Charles Pasqua :
Oui, naturellement, je crois qu’ils l’ont voulu ! Mais, comme ils étaient incapables de le faire eux-mêmes, ils s’en sont remis à l’OTAN et à la puissance américaine qui était la seule à pouvoir le faire. Vous voyez, les choses sont compliquées.

RTL :
Pourquoi vous allier à de Villiers ? Quel est l’intérêt pour vous ? Il est à droite de la droite parlementaire ?

Charles Pasqua :
Le problème n’est pas d’être à droite ou à gauche. La construction européenne : d’abord, je constate que cette affaire du Kosovo permet à un certain nombre de responsables de partis politiques de faire ce qu’ils souhaitent, c’est-à-dire : ne pas parler du tout de la construction européenne, des perspectives de cette construction et des choix qui s’offrent à nous. Il se trouve qu’avec de Villiers, nous avons la même analyse : nous avons eu la même attitude sur Maastricht ; nous avons eu la même attitude sur Amsterdam, que nous avons refusé. Dans le traité d’Amsterdam – parce que, finalement, il y a toujours une possibilité d’agir – dans ce traité, il y a une disposition qui impose aux gouvernements la nécessité de proposer, dans un délai d’un an, une nouvelle organisation de l’Union européenne. Ce sera donc le moment d’essayer de remédier aux insuffisances de l’Union européenne actuelle.

RTL :
Dites-moi, ceux de gauche vous ont laissé en plan quand même ! Vous leur avez offert, par exemple, la régularisation de tous les sans-papiers…

Charles Pasqua :
Mais ça n’a strictement rien à voir. Ne donnez pas dans la provocation, ce matin ! Peut-être viendront-ils ! Nous verrons bien.

RTL :
Vous conservez l’espoir ?

Charles Pasqua :
Oui.

RTL :
Avec Philippe de Villiers ?

Charles Pasqua :
Mais pourquoi pas ? Un rassemblement – qui est la démarche que je conduis dans la tradition gaulliste – ça concerne tout le monde : à la fois les gens de gauche, de droite. Je ne m’adresse pas – comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire – particulièrement aux dirigeants. Je n’ai jamais imaginé que M. Hollande me rejoindrait, ni M. Hue !

RTL :
Non, mais M. Chevènement !

Charles Pasqua :
M. Chevènement est au gouvernement : ça lui est difficile. Mais cette démarche s’adresse aux électeurs. Nous verrons bien, le 13 juin, ce que cela représente.

RTL :
Dans les sondages, de Villiers fait cinq points ; Pasqua fait cinq points. Alors Pasqua plus de Villiers, ça fait dix ?

Charles Pasqua :
Vous savez que les sondages, à deux mois des élections, alors qu’on ignore le nombre de listes, ça ne veut rien dire du tout. Si vous voulez avoir une analyse objective sur la valeur des sondages, demandez à M. Chirac, il vous l’expliquera !

RTL :
Vous dites de Philippe de Villiers : « Je l’aime bien. » C’est un laconique, non ?

Charles Pasqua :
Comment, c’est laconique ! Mais ce n’est déjà pas mal, non ?