Texte intégral
Le Figaro, 6 février 1999
Le Figaro : Comment expliquez-vous que Charles Pasqua ne veuille pas de vous comme numéro deux sur la liste qu’il entend conduire ?
Philippe de Villiers : Ah, bon ? Première nouvelle !
Le Figaro : Vous envisagez donc encore de faire liste commune avec lui pour les européennes ?
Philippe de Villiers : Je continue à penser qu’il vaut mieux faire une addition qu’une soustraction. Nous avons, Charles Pasqua et moi, la même analyse sur la question européenne mais, selon son expression, il « suit sa démarche personnelle ». Depuis l’affaire de la régularisation de tous les sans-papiers, il voit plus souvent des personnalités socialo-communistes que moi…
Je ne suis pas sûr que l’idée d’une liste transversale droite-gauche soit une bonne idée. Pour ma part, j’irai jusqu’au bout, et je souhaite faire campagne contre tout ce qui défigure la France, la grande dérive de l’Europe technocratique socialiste.
Le Figaro : Quand Charles Pasqua demande « aux hypocrites de quitter la salle de bal », à qui fait-il allusion, selon vous ?
Philippe de Villiers : Sans doute à la salle de bal du RPR !
Le Figaro : Vous êtes déjà en campagne électorale. Elle va coûter cher. Avez-vous réuni les 15 millions de francs nécessaires ?
Philippe de Villiers : Oui. Le Mouvement pour la France bénéficie chaque année, depuis 1997, de 7 600 000 francs de financement public, plus les cotisations et les dons. Je m’apprête à lancer une grande souscription nationale pour mener notre campagne, afin de défendre une Europe qui ne se fasse pas sans les Nations, ni contre les libertés publiques.
Le Figaro : La multiplication des listes, le décès du milliardaire franco-britannique Jimmy Goldsmith qui vous avait tant aidé pour votre campagne de 1994… Le contexte n’est-il pas nettement moins favorable pour vous cette année ?
Philippe de Villiers : Je pense le contraire. Car plusieurs éléments nouveaux sont intervenus dans la vie politique. D’abord, l’alliance RPR-UDF-DL est en train d’exploser. On n’entend plus ses leaders, on ne les voit plus, ils ne protestent plus. Rien ne les sépare de Lionel Jospin sur l’Europe. Et ils sont comme inhibés par un socialisme soporifique qui les a endormis. Ils sont contaminés, exténués par le « politiquement correct ». L’absence des dirigeants de l’alliance à la grande manifestation de la jeunesse contre le PACS est à cet égard significative.
Nous assistons, en outre, à un processus d’autodestruction du FN qui me fait penser à ces combats de coqs de barbarie, interdits en Europe, qui perdurent en Amérique latine : les coqs s’entretuent cruellement, il y a un vainqueur, mais les deux meurent.
Le Figaro : Vous avez participé à la manifestation du 31 janvier contre le PACS. Dans ce combat, peut-il y avoir un vainqueur ?
Philippe de Villiers : De la même façon que François Mitterrand avait retiré en 1984 son projet de démantèlement de l’école libre, à la suite d’une grande manifestation populaire, il serait raisonnable que Lionel Jospin retire son texte sur le PACS. S’il faut organiser une nouvelle manifestation avec, cette fois, un million de personnes, beaucoup de gens sont prêts à le faire. C’est possible et même souhaitable. Je constate que le Sénat est à nouveau – c’est son honneur – dans un rôle de résistance au socialisme idéologique. Je suis scandalisé de voir les attaques dont fait l’objet la Haute Assemblée. Et je suis persuadé que le Sénat bloquera le texte sur le PACS, qui est inutile et dangereux.
Le Figaro : Selon vous, l’enjeu des prochaines élections européennes demeure « franco-français » ?
Philippe de Villiers : Il est double : à la fois européen et national. Je vais me battre contre l’Europe d’Amsterdam et contre le socialisme en France. Ceux qui pensent que l’on peut dissocier la politique française de la politique européenne se trompent, ou nous trompent.
Nous avons un premier ministre fondamentaliste qui casse la France avec le traité d’Amsterdam, qui casse l’entreprise avec les 35 heures, et qui casse la famille avec le PACS. Il faut donc lutter pied à pied contre le socialisme, en France comme en Europe. Je ne veux pas d’une Europe de la surenchère fiscale, de la dépénalisation de la drogue, du laxisme en matière de sécurité.
Le Figaro : Envisagez-vous de vous rapprocher de Charles Million et mener campagne avec lui en juin prochain ?
Philippe de Villiers : Charles Million est un homme courageux : il l’a prouvé. Il a été sacrifié dans des conditions choquantes. Car, ce qui lui a été reproché en Rhône-Alpes par les dirigeants de l’alliance, c’est de ne pas avoir donné la région à la gauche. Or, personne ne dit rien quand Anne-Marie Comparini, la nouvelle présidente UDF de la région, est soutenue par la gauche socialo-communiste. Pour le reste, Charles Million va voter le traité d’Amsterdam. La conception de l’Europe de l’ancien président du groupe UDF à l’Assemblée est proche de celle de l’actuel président de l’UDF, François Bayrou : celle d’une Europe fédérale.
Europe 1 – mardi 23 février 1999
Europe 1 : Quand on est hostile à l’Europe, comme vous l’êtes…
Philippe de Villiers : Non, non, pas du tout !
Europe 1 : Attendez, attendez, je finis… telle qu’elle se fait, aujourd’hui, telle qu’elle se pratique – voilà, j’ai fini par le dire –, est-ce qu’on se réjouit de la réforme de la PAC dont on discute, depuis hier, à Bruxelles ?
Philippe de Villiers : Non, parce que justement, moi, je suis un européen convaincu, et que je crois à ce qui était l’idée maîtresse du traité de Rome : l’idée du marché commun. Et aujourd’hui, dans la semaine qui vient, l’Europe est en quelque sorte à la fourche : ou bien on continue avec un modèle agricole qui, depuis 1992 – application du GATT – est destructeur en matière d’emploi – puisqu’on a perdu le tiers de nos agriculteurs, en France, depuis 92 –, en matière de santé publique, d’environnement, par l’intégration en quelque sorte, de l’agriculture européenne au marché mondial ; ou bien, on choisit ce moment historique en quelque sorte, pour renverser la perspective et imaginer mettre en œuvre un nouveau modèle agricole européen, fondé sur ce que j’appellerais « une zone européenne de qualité agricole supérieure ». Or, ça n’en prend pas le chemin, puisqu’on continue à abaisser les prix, et à démanteler ce qui était le fondement du marché commun : la préférence communautaire.
Europe 1 : Mais, il y a une concurrence mondiale, de toute façon ! Et, si on essaie d’ajuster les prix pour faire face à la concurrence mondiale, on est bien obligé de le faire ! Est-ce que la PAC ne protège pas au contraire les agriculteurs ?
Philippe de Villiers : La politique agricole commune, vous avez raison, protégeait les agriculteurs. L’idée de la PAC, c’était génial : c’est l’idée d’un marché commun, ce n’est pas une zone de libre-échange. C’est l’idée d’avoir une communauté de producteurs et de consommateurs – les consommateurs européens – consommant par priorité les produits fabriqués en Europe. Or, depuis 1992, et avec le projet d’agenda 2000, on tourne le dos à ce principe. On démantèle la préférence communautaire ; on abaisse les prix ; et on dit aux agriculteurs : désormais, vous allez travailler aux coûts mondiaux. Comment voulez-vous ?!? Le maïs aux États-Unis est trois fois moins cher ; la viande bovine d’Argentine est trois fois moins chère que chez nous. Donc, on condamne en réalité nos agriculteurs à un modèle ultra-productiviste, dont on voit les catastrophes, aujourd’hui, depuis 1992.
Europe 1 : Donc, sur ce sujet, vous rejoignez les socialistes, les écologistes. Vous êtes tous d’accord ?
Philippe de Villiers : Pas du tout parce que, curieusement, les socialistes et les écologistes sont d’accord avec le modèle du libre-échangisme mondial. C’est d’ailleurs extraordinaire qu’aujourd’hui, ni le président de la République et ni le gouvernement ne défendent l’idée fondatrice du traité de Rome, à savoir l’idée du marché commun.
Europe 1 : Mais, ils sont contre la baisse des prix, contre la réforme de la PAC ! Donc vous les rejoignez là-dessus quand même ?
Philippe de Villiers : Mais, ils sont contre et ils ont raison d’être contre. Mais ils ne vont pas au fond du problème. Et ce que proposent, aujourd’hui, les paysans de France, finalement, c’est un cahier des charges fondé sur des normes élevées – de santé publique, d’environnement, d’équilibre du territoire, car on a perdu trop d’emplois et on voit le problème de nos villes avec la surconcentration urbaine –, et d’indépendance alimentaire de l’Europe. À partir de là, à partir de ce cahier des charges, il faut dessiner un cadre, qui est forcément fondé sur la préférence communautaire et des prix rémunérateurs. Car un paysan, c’est un producteur-entrepreneur. Il n’est pas fait pour être rémunéré par des primes. Il est fait pour être rémunéré par des…
Europe 1 : J’ai l’impression, en vous entendant, que vous allez faire campagne avec Dominique Voynet et Daniel Cohn-Bendit, là, sur la défense de l’environnement…
Philippe de Villiers : Certainement pas avec Dominique Voynet et Daniel Cohn-Bendit qui sont pour une Europe fédérale ! J’ai vu d’ailleurs que Cohn-Bendit avait rencontré les…
Europe 1 : Vous êtes content de l’armistice avec les chasseurs ?
Philippe de Villiers : C’est surréaliste ce dialogue avec les Verts et les chasseurs. Car, moi, si j’avais été là, parmi les chasseurs, hier soir, dans ce grand hôtel parisien, face à Daniel Cohn-Bendit, je lui aurais dit : écoutez M. Cohn-Bendit, il y a une loi récente, qui est une loi française votée par le Parlement français…
Europe 1 : Et qui s’oppose à une directive européenne ?
Philippe de Villiers : Voilà ! Donc on n’applique pas la directive, on applique la loi. Et puis j’aurais ajouté : « Ich bin ein Franzose ».
Europe 1 : C'est-à-dire ?
Philippe de Villiers : C'est-à-dire, qu’en France, on applique les lois françaises.
Europe 1 : Vous reprenez, quelques années plus tard, ce que George Marchais disait de Daniel Cohn-Bendit ?
Philippe de Villiers : Je n’ai rien à rajouter. Nous sommes en France, il y a une loi française, votée par le Parlement français : « Charbonnier maître chez soi ! »
Europe 1 : Vous ne trouvez pas qu’on fait de Daniel Cohn-Bendit une cible facile en reprenant des paroles prononcées autrefois ? Vous allez dire qu’il est un représentant de « l’élite mondialisée », comme Jean-Pierre Chevènement ?
Philippe de Villiers : Oui, tout à fait ! Cohn-Bendit, il évoque pour moi les fruits amers d’une société qui a vécu les slogans de 68 : « Il est interdit d’interdire », « l’autodiscipline à l’école », « CRS-SS ». On voit les résultats, aujourd’hui, où on a les fruits de ces slogans de Mai 68. Et c’est contre quoi je me bats. Et en plus, Daniel Cohn-Bendit est devenu, aujourd’hui, le candidat des banquiers centraux. C’est extraordinaire d’arriver à faire voter les jeunes pour une Europe de vieux. C’est pourtant ce qu’il va faire.
Europe 1 : Parlons de ce qui se passe dans l’opposition : comment interprétez-vous l’appel à l’union tardif, lancé par Valéry Giscard d’Estaing ?
Philippe de Villiers : Valéry Giscard d’Estaing sous ses airs de grand cérébral est un grand affectif contrarié. Je pense qu’il a envoyé une petite coulée de lave à Bayrou. C’est le réveil des volcans d’Auvergne. C’est le réveil de Vulcania.
Europe 1 : Contrarié parce qu’on ne lui a pas proposé, à votre avis, la tête de liste ?
Philippe de Villiers : Probablement !
Europe 1 : L’alliance – on dit PACS, mais je n’ose pas dire PACS pour ne pas vous gêner, car c’est quelque chose que vous n’aimez pas beaucoup –, le PACS Madelin-Séguin, le fédéraliste et l’anti-maastrichien, ça vous semble être une union contre nature ?
Philippe de Villiers : Le PACS Séguin-Madelin ? Je vais vous dire à quoi ça me fait penser : c’est le tandem de choc reconstitué, qui a dirigé et mené la fameuse campagne de droite à la dissolution, en avril 1997. Au Brésil, il y a une expression en football sur les mauvais entraîneurs, qui consiste à dire : « On ne change pas une équipe qui perd ».
Europe 1 : Donc, vous leur annoncez un mauvais score ?
Philippe de Villiers : Il ne faut pas être Nostradamus pour prévoir que ce tandem de choc, d’avril 97, de la dissolution, connaîtra les mêmes résultats.
Europe 1 : Si vous étiez François Bayrou, vous iriez jusqu’au bout ou vous rejoindriez ce tandem dont vous prédisez l’échec ?
Philippe de Villiers : Moi, si j’étais François Bayrou, je constaterais les dégâts de cette Europe antidémocratique, où règne l’insécurité ; l’Europe de la « vache folle » ; l’Europe qui démantèle nos chantiers navals et notre industrie textile. Et j’aurais le courage de dire : « eh bien, je me suis trompé ». Voilà ce que je dirais, si j’étais François Bayrou !
Europe 1 : Quand allez-vous vous allier à Charles Pasqua et allez-vous vous allier à Charles Pasqua ?
Philippe de Villiers : Je souhaite qu’il y ait une liste d’union de tous ceux qui sont attachés à l’indépendance nationale.
Europe 1 : Qui sera le numéro 2 ?
Philippe de Villiers : Pour faire l’union, il faut être deux. Il n’y aucun problème de ma part de susceptibilité ou de vanité. Simplement il faut être d’accord. Il y a deux enjeux dans cette élection. Un enjeu européen : quelle Europe veut-on ? Veut-on une Europe contrôlée par Bruxelles ou une Europe contrôlée par les Nations ? Et un enjeu national : c’est le renouveau de la droite. Ça veut dire qu’il faut un message fort, en rupture avec la pensée unique et avec les appareils. Alors, quand je vois l’affiche de Charles Pasqua : « Gauche-Droite, Gauche-Droite, Gauche-Droite », donc je propose une petite modification : « Droite-Droite, Droite-Droite. »
Europe 1 : Il y a un délai que vous fixez à Charles Pasqua, un ultimatum, une date ? Vous lui dites : après le… – je sais que vous avez un congrès le 22 mars –, ce sera trop tard pour s’allier ?
Philippe de Villiers : Il n’y a pas de délai, mais je rencontre tous les jours des gens qui disent : Charles Pasqua et de Villiers sont bord à bord. Ça serait dommage de ne pas s’unir puisqu’ils ont, l’un et l’autre, amitié et sympathie, et unité de conviction sur la question européenne. Maintenant pour faire l’union il faut être deux. Moi j’y suis prêt.
Europe 1 : Donc, pas de date particulière ?
Philippe de Villiers : Le calendrier c’est le 13 juin, donc il n’y a pas de problème.
Europe 1 : Est-ce vrai que, lorsque Charles Pasqua vous téléphone, il dit : « Allô le vicomte ? Ici le bonapartiste » ?
Philippe de Villiers : En privé, l’un et l’autre, il nous arrive de sourire et d’avoir de l’humour.
Europe 1 : Ça se passe comme ça ? Il dit « le vicomte et le bonapartiste » ?
Philippe de Villiers : On rigole de temps en temps.
Europe 1 : Aux dernières élections européennes, vous aviez obtenu un score de plus de 12 %. Cette fois, vous espérez quel score ? Ce ne sera pas la même chose ?
Philippe de Villiers : Je donne un dicton vendéen : « C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses ».
Europe 1 : C'est-à-dire les chiffres ?
Philippe de Villiers : On verra bien !
Europe 1 : Vous estimez qu’il y aura un échec.
Philippe de Villiers : Mais, moi je me bats pour une Europe qui ne soit pas l’Europe actuelle. Je me bats sur trois mots-clés…
Europe 1 : On se bat, aussi, pour avoir un bon score ?
Philippe de Villiers : Oui, mais le bon score, il viendra du fait que beaucoup de gens constatent qu’au lieu d’avoir une Europe anti-démocratique, il faut une Europe de la proximité, une Europe de la protection et une Europe de la coopération. Plutôt que cette espèce d’Europe glaciale et lointaine, de technocrates froids, et qui nous piétine.